5-395/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

27 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 909 du Code civil en ce qui concerne la capacité de disposer ou d'acquérir par donation entre vifs ou par testament

(Déposée par M. Guy Swennen)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 15 janvier 2009 (doc. Sénat, nº 4-1117/1 - 2008/2009).

Les héritages ont toujours été des sources de conflits et de disputes sans fin entre héritiers. Pourtant, notre société s'est manifestement accommodée de ce phénomène, comme s'il s'agissait d'une fatalité.

Il ressort d'une enquête parue dans le supplément « Mon Argent » du journal L'Écho (9 juin 2007) que les conflits d'héritage sont légion. Sur dix personnes interrogées ayant déjà hérité au moins une fois dans leur vie, pas moins de quatre ont été ou sont encore en conflit avec un autre héritier. Autrement dit, près d'une succession sur deux débouche sur des disputes. Dans 60 % de ces cas, le conflit entraîne une rupture irrémédiable des liens familiaux.

Selon un article publié le 1er avril 2005 par le quotidien néerlandais De Volkskrant, une enquête de l'organisation professionnelle des notaires néerlandais (« Koninklijke Notariële Beroepsorganisatie » — KNB) révèle que plus d'un quart des familles sont divisées par des disputes sur des questions d'héritage. La KNB a tiré cette conclusion après avoir interrogé plus d'une centaine de ses membres. Selon dix pour cent des notaires interrogés, une succession sur deux dégénérerait en conflit. Une autre étude néerlandaise (Het Volk, 10 avril 2007) a également constaté que les partages de successions entraînaient des disputes ou des ruptures familiales dans un quart des cas.

La thérapeute familiale Else-Marie van den Eerenbemt a interrogé 1 821 personnes à ce sujet. Quand on sait par ailleurs que les membres de la famille et l'entourage direct des héritiers sont impliqués dans ces disputes et compte tenu du fait que les disputes soi-disant résolues, qui ne sont pas reprises par les statistiques, laissent néanmoins des marques indélébiles, il est clair que les héritages sont une véritable pomme de discorde entre une myriade de personnes, les Pays-Bas n'échappant bien sûr pas à la règle.

La Fédération royale du notariat belge confirme l'ampleur des conflits d'héritage. Nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre d'actions judiciaires intentées en matière successorale, mais un tour d'horizon nous apprend que ce nombre n'est pas particulièrement élevé. Que ce soit après un laps de temps relativement court ou au terme de plusieurs années de disputes, les héritiers finissent par opter pour un règlement amiable car ils préfèrent jouer la sécurité, ils n'ont pas envie de s'embarquer dans une procédure judiciaire longue et coûteuse et ils veulent en même temps mettre fin à cette douloureuse expérience marquée par une accumulation de malheurs, de soucis et d'autres misères. Ce constat n'enlève pourtant rien au fait qu'une telle épreuve, dont on ressort avec des blessures qui marquent à jamais, est une réalité sociale très répandue, celle des innombrables querelles d'héritages.

La sagesse populaire les impute généralement aux frictions refoulées, qui couvent de longue date à l'intérieur de la sphère familiale et qui refont surface à l'ouverture de la succession. Cette même sagesse populaire affirme que l'argent et la cupidité provoquent toujours des disputes. Ces affirmations ont sans conteste un fond de vérité.

Les études néerlandaises précitées imputent également les conflits d'héritage (de plus en plus fréquents) à des causes multiples qui s'appliquent aussi aux successions conflictuelles enregistrées dans notre pays: meilleure connaissance de leurs droits par les citoyens, relâchement des liens familiaux, « durcissement » généralisé de la société, nombre croissant de remariages et, plus généralement, de familles recomposées, et absence de testament.

Une étude approfondie de notre droit successoral révèle par ailleurs une autre vérité, tout à fait surprenante: notre droit successoral est lui-même la cause de très nombreux conflits d'héritage, soit parce qu'il est devenu obsolète, puisqu'il remonte à l'époque napoléonienne; soit parce qu'il manque de clarté; soit parce qu'il est de nature à semer la zizanie entre les héritiers. Nul ne niera qu'il est du devoir du législateur d'abroger ou de modifier toute disposition du droit successoral de nature à favoriser ou à entraîner immanquablement des conflits d'héritage. Mais ce n'est pas tout. Le législateur se doit aussi de relever un défi encore plus considérable: celui d'insérer dans notre droit successoral des dispositions visant à prévenir délibérément les successions conflictuelles. Une réforme de la législation doit donc aller de pair avec une modernisation générale de notre droit successoral, qui réponde parfaitement à la nouvelle réalité sociale.

La présente proposition fait partie d'un train de propositions qui ont été déposées simultanément pour induire un réel changement d'orientation.

En 2003, le législateur a partiellement « réactualisé » l'article 909 du Code civil, mais sans tenir assez compte des nouvelles réalités sociales.

L'article 909 du Code civil n'avait effectivement subi aucune modification depuis 1807, jusqu'à ce que la loi du 22 avril 2003 (Moniteur belge du 22 mai 2003) le réactualise.

L'ancienne version était libellée comme suit:

« Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.

Sont exceptées:

1º les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus;

2º les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite, ne soit lui-même du nombre de ces héritiers.

Les mêmes règles seront observées à l'égard du ministre du culte. »

Depuis la loi du 22 avril 2003, l'article 909 est rédigé comme suit:

« Les docteurs en médecine, chirurgie et accouchements, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.

Les gestionnaires et membres du personnel de maisons de repos, maisons de repos et de soins ainsi que de toute autre structure d'hébergement collectif pour personnes âgées ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'une personne hébergée dans leur établissement aurait faites en leur faveur durant son séjour.

Sont exceptées:

1º les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus;

2º les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite, ne soit lui-même du nombre de ces héritiers;

3º les dispositions en faveur du conjoint, du cohabitant légal ou de la personne vivant maritalement avec le disposant.

Les mêmes règles sont observées à l'égard des ministres du culte et autres ecclésiastiques, ainsi qu'à l'égard des délégués du Conseil central laïque. »

En rapprochant l'ancien et le nouvel article, l'on constate que la terminologie relative au corps médical a été quelque peu adaptée et que les gestionnaires de maisons de repos, de maisons de repos et de soins, ainsi que de toute autre structure d'hébergement collectif — également pour personnes âgées — ont été ajoutés à la liste des « personnes dont il convient de se méfier ». En outre, le cohabitant légal et la personne vivant maritalement avec le disposant ont été ajoutés aux exceptions, et la notion de « ministres du culte » a été élargie et actualisée.

Une analyse approfondie du nouvel article 909 montre qu'il renferme des contradictions et que, d'autre part, la ratio legis de l'article manque totalement de cohérence, tant et si bien qu'il est donc appliqué intégralement à toutes les personnes « dont il convient de se méfier ».

Le premier alinéa de l'article parle des médecins: il fait le lien avec la maladie, en ce sens que le bénéficiaire potentiel doit avoir traité le disposant pendant la maladie dont il est mort; il formule en outre une condition supplémentaire, à savoir que la disposition en question ait été faite pendant le cours de cette maladie.

Le deuxième alinéa fait référence aux gestionnaires et membres du personnel de maisons de repos, de maisons de repos et de soins, ainsi que de toute autre structure d'hébergement collectif pour personnes âgées, mais ne fait aucun lien avec la maladie ...; le simple séjour suffit.

Un médecin de famille qui traite un patient depuis des années pour toutes sortes de maladies peut être bénéficiaire si le patient vient par exemple à décéder subitement d'une hémorragie non liée aux différentes affections dont il souffrait. Cet article interdit donc par définition au jardinier d'une maison de repos d'être bénéficiaire d'une disposition entre vifs ou testamentaire faite en sa faveur par un résident de cet établissement, grabataire depuis des années, quand bien même il n'aurait jamais vu celui-ci.

Dans le premier alinéa cité, il est question d'un malade en général, tandis que le deuxième alinéa vise seulement les personnes âgées. En revanche, les gestionnaires et membres du personnel d'établissements pour handicapés s'occupant, par exemple, de jeunes adultes, peuvent, eux, être bénéficiaires.

Le troisième alinéa relatif aux ministres du culte et autres ecclésiastiques, ainsi qu'aux délégués du Conseil central laïque renvoie à son tour aux « mêmes règles » qui seront observées à leur égard. De quelles règles s'agit-il ? Quel lien faut-il établir avec le disposant éventuel ?

L'on est confronté ici à un manque de clarté manifeste et surtout à une application incorrecte et incomplète de la ratio legis de l'article 909.

Quel est cette ratio legis ? Depuis l'entrée en vigueur du Code civil, le législateur a posé une présomption irréfragable (juris et de jure) de captation dans le chef de certaines personnes qui sont donc réputées inaptes à recevoir par donation entre vifs ou testamentaire. D'après le Dictionnaire de l'Académie française, le mot « captation » vient du latin « captatio », lui-même dérivé du verbe « captare » (essayer de saisir, de prendre). Le Petit Robert définit la captation comme une « manœuvre répréhensible en vue de pousser une personne à consentir une libéralité ». Le critère sous-jacent que le législateur applique depuis l'instauration du Code civil est qu'il convient de se méfier, par définition, d'une fonction professionnelle de soins qui crée un lien particulier avec la personne soignée, ce qui a amené le législateur à énumérer de manière limitative les personnes qui exercent une fonction de soins et qui ne peuvent profiter de dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes qu'elles soignent auraient faites en leur faveur. Jusqu'en 2003, le législateur visait uniquement les médecins (liés à la maladie) et les ministres du culte (non liés à la maladie). Depuis la loi de 2003, le législateur a donc ajouté la catégorie du personnel des établissements résidentiels pour personnes âgées.

L'on peut à l'évidence inférer deux types de préoccupations de la ratio legis. D'une part, une préoccupation de sécurité préventive (le lien avec la maladie qui est traitée) et, d'autre part, l'influence et l'impact considérables du soignant (en lien ou non avec une maladie) sur le soigné et le risque corrélatif important d'abus consistant à soutirer une donation ou un testament. Si l'on veut étendre de façon linéaire les deux préoccupations à tous les prestataires de soins professionnels potentiels, l'énumération actuelle qui figure à l'article 909 du Code civil est totalement insuffisante. Dans l'état actuel de la législation, les prestataires suivants ne tombent clairement pas dans la catégorie visée des personnes frappées par l'interdiction de bénéficier de dispositions entre vifs ou testamentaires: les soignants paramédicaux, les infirmiers, le personnel hospitalier toutes fonctions confondues, les assistants personnels professionnels des personnes handicapées et tous les intervenants qui apportent une aide à domicile, ce qui inclut aussi bien les aides ménagères et les aides seniors que toutes les formes de soins médicaux et non médicaux dispensés par des professionnels.

Aucune explication rationnelle ne justifie d'imposer une interdiction aux prestataires de soins actuellement énumérés à l'article 909 du Code civil et pas aux prestataires de soins énumérés à la phrase précédente.

La présente proposition de loi vise à modifier la loi de manière à interdire à tout prestataire de soins professionnel susceptible d'exercer, par sa position, une influence particulière sur la personne soignée, de bénéficier de dispositions entre vifs ou testamentaires faites à son profit par des personnes qu'il soigne.

La formulation de la modification proposée de l'article 909 du Code civil s'inspire en partie des dispositions prévues à ce sujet par le Code civil néerlandais.

Guy SWENNEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 909 du Code civil, modifié par la loi du 22 avril 2003, les modifications suivantes sont apportées:

1º l'alinéa 1er est remplacé par ce qui suit:

« Les praticiens professionnels qui dispensent des soins de santé ou fournissent une assistance ou des soins quelconques à une personne nécessitant des soins ou une aide ne peuvent pas profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que cette personne pourrait avoir faites en leur faveur durant la période où elle a bénéficié des soins ou de l'aide. Ces règles s'appliquent également à tous les membres du personnel des établissements résidentiels qui fournissent directement des soins ou une aide au disposant éventuel. »;

2º l'alinéa 3 est abrogé.

24 septembre 2010.

Guy SWENNEN.