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27 OCTOBRE 2010
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 8 janvier 2009 (doc. Sénat, nº 4-1105/1 - 2008/2009).
Les héritages ont toujours été des sources de conflits et de disputes sans fin entre héritiers. Pourtant, notre société s'est manifestement accommodée de ce phénomène, comme s'il s'agissait d'une fatalité.
Il ressort d'une enquête parue dans le supplément « Mon Argent » du journal L'Écho (9 juin 2007) que les conflits d'héritage sont légion. Sur dix personnes interrogées ayant déjà hérité au moins une fois dans leur vie, pas moins de quatre ont été ou sont encore en conflit avec un autre héritier. Autrement dit, près d'une succession sur deux débouche sur des disputes. Dans 60 % de ces cas, le conflit entraîne une rupture irrémédiable des liens familiaux.
Selon un article publié le 1er avril 2005 par le quotidien néerlandais De Volkskrant, une enquête de l'organisation professionnelle des notaires néerlandais (« Koninklijke Notariële Beroepsorganisatie » — KNB) révèle que plus d'un quart des familles sont divisées par des disputes sur des questions d'héritage. La KNB a tiré cette conclusion après avoir interrogé plus d'une centaine de ses membres. Selon dix pour cent des notaires interrogés, une succession sur deux dégénérerait en conflit. Une autre étude néerlandaise (Het Volk, 10 avril 2007) a également constaté que les partages de successions entraînaient des disputes ou des ruptures familiales dans un quart des cas.
La thérapeute familiale Else-Marie van den Eerenbemt a interrogé 1 821 personnes à ce sujet. Quand on sait par ailleurs que les membres de la famille et l'entourage direct des héritiers sont impliqués dans ces disputes et compte tenu du fait que les disputes soi-disant résolues, qui ne sont pas reprises par les statistiques, laissent néanmoins des marques indélébiles, il est clair que les héritages sont une véritable pomme de discorde entre une myriade de personnes, les Pays-Bas n'échappant bien sûr pas à la règle.
La Fédération royale du notariat belge confirme l'ampleur des conflits d'héritage. Nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre d'actions judiciaires intentées en matière successorale, mais un tour d'horizon nous apprend que ce nombre n'est pas particulièrement élevé. Que ce soit après un laps de temps relativement court ou au terme de plusieurs années de disputes, les héritiers finissent par opter pour un règlement amiable car ils préfèrent jouer la sécurité, ils n'ont pas envie de s'embarquer dans une procédure judiciaire longue et coûteuse et ils veulent en même temps mettre fin à cette douloureuse expérience marquée par une accumulation de malheurs, de soucis et d'autres misères. Ce constat n'enlève pourtant rien au fait qu'une telle épreuve, dont on ressort avec des blessures qui marquent à jamais, est une réalité sociale très répandue, celle des innombrables querelles d'héritages.
La sagesse populaire les impute généralement aux frictions refoulées, qui couvent de longue date à l'intérieur de la sphère familiale et qui refont surface à l'ouverture de la succession. Cette même sagesse populaire affirme que l'argent et la cupidité provoquent toujours des disputes. Ces affirmations ont sans conteste un fond de vérité.
Les études néerlandaises précitées imputent également les conflits d'héritage (de plus en plus fréquents) à des causes multiples qui s'appliquent aussi aux successions conflictuelles enregistrées dans notre pays: meilleure connaissance de leurs droits par les citoyens, relâchement des liens familiaux, « durcissement » généralisé de la société, nombre croissant de remariages et, plus généralement, de familles recomposées, et absence de testament.
Une étude approfondie de notre droit successoral révèle par ailleurs une autre vérité, tout à fait surprenante: notre droit successoral est lui-même la cause de très nombreux conflits d'héritage, soit parce qu'il est devenu obsolète, puisqu'il remonte à l'époque napoléonienne; soit parce qu'il manque de clarté; soit parce qu'il est de nature à semer la zizanie entre les héritiers. Nul ne niera qu'il est du devoir du législateur d'abroger ou de modifier toute disposition du droit successoral de nature à favoriser ou à entraîner immanquablement des conflits d'héritage. Mais ce n'est pas tout. Le législateur se doit aussi de relever un défi encore plus considérable: celui d'insérer dans notre droit successoral des dispositions visant à prévenir délibérément les successions conflictuelles. Une réforme de la législation doit donc aller de pair avec une modernisation générale de notre droit successoral, qui réponde parfaitement à la nouvelle réalité sociale.
La présente proposition fait partie d'un train de propositions de loi qui ont été déposées simultanément pour induire un réel changement d'orientation.
L'article 870 du Code civil dispose que les cohéritiers contribuent entre eux au paiement des dettes et charges de la succession, chacun dans la proportion de ce qu'il y prend.
Un volet de ces dettes et charges concerne les frais liés à la liquidation et au partage de la succession.
Le droit successoral, dans sa forme actuelle, permet à tout intervenant dans une procédure de liquidation et de partage d'une succession, de contester pratiquement tout, même les choses les plus évidentes, et de faire traîner les choses en longueur. Pour prendre un exemple extrême, dans le cas d'une succession comptant vingt-cinq héritiers, un seul d'entre eux peut empêcher à sa guise et pendant des lustres la vente d'une maison en recourant à tous les subterfuges possibles et imaginables, d'autant que les frais de la procédure sont de toute manière imputés automatiquement à la masse de la succession et donc supportés par l'ensemble des héritiers.
Cela revient à donner pour ainsi dire un blanc-seing à ceux qui font traîner en longueur le règlement des successions. Nous considérons qu'il y a lieu de prévenir de tels excès en permettant au juge de sanctionner la partie qui a entravé significativement et de manière injustifiée les opérations de liquidation-partage dans le cadre d'une succession et de la condamner à supporter tous les frais y afférents. Couler ce principe dans un texte de loi relève de la gageure. Malgré le nombre élevé de successions à problèmes, rares sont celles qui finissent par déboucher sur une procédure judiciaire. Ainsi qu'il a été dit précédemment, après des mois voire des années de dispute, l'immense majorité des litiges se soldent sur un accord à l'amiable parce que la plupart des héritiers finissent par opter pour une solution qui leur permet d'empocher leur part, préférant éviter une longue procédure judiciaire et tous les frais que cela implique. À la lumière de cette réalité se pose la question cruciale de savoir s'il est sensé d'insérer un article de loi permettant au juge, à la demande d'une partie, d'en condamner une ou plusieurs autres à supporter tout ou partie des frais liés à la liquidation et au partage de la succession, au motif qu'elles ont fait traîner inutilement ou de manière vexatoire la clôture de la succession. Bien que, dans une procédure de ce type, l'enjeu soit souvent dérisoire vu la modicité des frais et abstraction faite des frais éventuels (incertitude) liés à la procédure judiciaire, nous sommes tout de même enclins à maintenir la possibilité d'engager une telle procédure devant le juge de paix. Par ailleurs, dans l'hypothèse où une procédure est quand même engagée devant le tribunal, on offre ainsi au juge la possibilité, dans certaines circonstances, d'imputer tout ou partie des frais du partage à une ou plusieurs parties litigantes. Dans cette optique, le notaire qui procède à la taxation ou à la liquidation des frais et charges liés au partage doit tenir compte de la partie qui est à l'origine desdits frais et charges. Cela signifie aussi qu'il incombe au notaire de signaler les démarches superflues aux parties à tout stade de la procédure et d'en prendre acte. En cas de contestation liée à la liquidation des frais et charges du partage, telle que proposée par le notaire, une des parties ou le notaire peut saisir le juge de paix du canton dans le ressort duquel la succession s'est ouverte. Le juge de paix décide en premier et en dernier ressort. Il n'y a donc aucune possibilité d'appel. Le notaire joint à la requête une justification de la proposition qu'il a faite aux parties. Le juge de paix peut décider d'imputer les frais et charges liés au partage d'une succession à un ou plusieurs héritiers, s'il s'avère que ces derniers ont fait traîner significativement et inutilement la procédure et/ou le règlement de la liquidation et du partage. Le terme « significativement et inutilement » a été choisi à dessein pour exclure les contestations justifiées. Le juge jouit donc d'une importante marge d'appréciation des faits pour ce qui concerne l'application du principe en question.
Le nouveau régime décrit ci-dessus concerne le cas de figure où la succession conflictuelle est réglée « à l'amiable » et où ce n'est pas le tribunal qui règle l'ensemble de la liquidation et du partage. Une deuxième innovation dans la proposition actuelle concerne la possibilité pour le juge du tribunal de première instance, et bien entendu pour l'éventuel juge d'appel, de faire supporter la totalité des frais liés à la liquidation et au partage de la succession par l'héritier ou les héritiers dont l'attitude a engendré des frais significatifs et inutiles dans le cadre du règlement de la succession. Cette mesure va plus loin que la loi relative à la répétibilité des honoraires d'avocat, parce qu'elle représente une rupture par rapport à l'article 870 actuel de notre Code civil. L'ensemble formé par le nouveau régime proposé constituera sans nul doute aussi un signal fort, ce qui devrait lui conférer un effet préventif important.
Guy SWENNEN. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution, à l'exception de l'article 2 qui règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.
Art. 2
L'article 870 du Code civil est complété par les quatre alinéas suivants:
« Si un ou plusieurs héritiers demandent des actes ou des recherches superflus ou font inutilement traîner la liquidation et le partage, les frais et les charges y afférents peuvent leur être imputés de manière exclusive.
Tout héritier ou le notaire chargé de la liquidation ou du partage peut demander au juge de paix du canton dans le ressort duquel la succession a été ouverte d'imputer exclusivement aux héritiers qui en sont responsables les frais liés à la liquidation et au partage résultant d'actes de ces derniers ayant pour objet de faire significativement et inutilement traîner la procédure en longueur.
Le notaire joint à la requête une note explicative à ce sujet, d'initiative ou à la demande de l'héritier.
Dans le cadre d'une liquidation et d'un partage judiciaires, le juge qui constate l'existence d'actes visant à faire traîner inutilement le dossier décide par quelle(s) partie(s) les frais y afférents seront supportés. »
Art. 3
L'article 591 du Code judiciaire, modifié en dernier lieu par la loi du 10 juin 2003, est complété par un 23º rédigé comme suit:
« 23º les demandes visées à l'article 870 du Code civil. Aucun recours n'est ouvert contre celles-ci. »
24 septembre 2010.
Guy SWENNEN. |