5-344/1

5-344/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

14 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale en ce qui concerne le délai de prescription de certains délits commis à l'égard de mineurs

(Déposé par Mme Martine Taelman et M. Bart Tommelein)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 5 janvier 2009 (doc. Chambre, nº 52-1705/1).

Notre société est toujours confrontée à des délits de mœurs perpétrés contre des mineurs. Il est difficile de déterminer objectivement si le nombre de cas est en augmentation ou en diminution. Les statistiques officielles de la police fédérale en matière de criminalité ne permettent pas de se faire une idée précise. En 2007, 2 933 viols et 2 887 attentats à la pudeur ont été enregistrés. Il s'agit d'une augmentation par rapport à l'année 2000, alors que les dernières années présentaient une diminution. Les statistiques ne tiennent pas compte de l'âge de la victime. Les chiffres provenant de Sensoa font état de 1 742 abus sexuels de mineurs. Le nombre de dépositions aurait diminué au cours des dernières années. Ici aussi, la prudence s'impose. Les délits de mœurs se caractérisent par une forte réticence à faire une déclaration.

La présente proposition de loi entend remédier à cette situation. En prolongeant le délai de prescription des délits commis à l'égard de mineurs, la loi proposée permet aux victimes de disposer de plus de temps pour déposer plainte.

Le Code d'instruction criminelle prévoit un délai de prescription de dix ans pour les crimes; de cinq ans pour les délits et de six mois pour les infractions. Cette réglementation souffre une série d'exceptions: les délits non correctionnalisables se prescrivent après quinze ans; les crimes correctionnalisés, après cinq ans et les délits contraventionnalisés, après un an.

La figure juridique de la prescription est fondée sur trois motifs de principe:

1) la « loi de l'oubli », qui implique que le fait de raviver une infraction perturbera dans une trop grande mesure l'ordre et le calme dans la société;

2) les remords de l'auteur. L'auteur occupe ici une place centrale. On considère qu'au fil des ans, il a été suffisamment puni par les sentiments de regrets et de repentir qu'il nourrit;

3) la problématique de la preuve. Les traces utiles, les preuves tangibles et les témoins importants disparaissent irrémédiablement avec le temps qui passe.

Les détracteurs de l'allongement du délai de prescription se basent généralement sur ces motifs. Si nous regardons cependant par-delà la frontière, nous constatons que nos voisins appliquent un régime de prescription beaucoup plus strict.

Le Code pénal néerlandais applique les délais suivants:

— infractions : deux ans;

— délits punissables d'une amende, d'une détention ou d'une peine d'emprisonnement de trois ans au plus: six ans;

— délits punissables d'une peine d'emprisonnement temporaire de plus de trois ans : douze ans;

— délits punissables d'une peine d'emprisonnement de plus de dix ans : quinze ans;

— délits punissables d'une peine d'emprisonnement à perpétuité : dix-huit ans.

La législation française est un peu moins stricte:

— crimes: dix ans;

— délits: trois ans;

— infractions: un an.

Un certain nombre d'exceptions sont prévues, notamment pour les faits de mœurs commis à l'égard de mineurs d'âge, pour lesquels le délai de prescription est de vingt ans.

La législation anglaise ne prévoit pas de prescription. Le juge peut décider d'arrêter le procès s'il estime que la réquisition de la peine ne peut être admise en raison de sérieuses lacunes dans l'instruction pénale (par exemple sa durée d'une longueur extrême et disproportionnée).

Il ressort clairement de cette analyse comparée succincte que les délais de prescription appliqués en Belgique sont relativement courts. Cette situation pose un certain nombre de problèmes.

La prescription d'infractions va à l'encontre du sentiment d'équité des victimes et de la société.

La prescription offre également aux auteurs la possibilité d'échapper au cours de la justice grâce à des manœuvres dilatoires. Cette situation peut toutefois également être un handicap. Si les faits sont prescrits, il n'y a pas de prononcé sur l'innocence ou la culpabilité.

La suppression unilatérale de la prescription n'est pas immédiatement une option. La prescription est un instrument juridique justifié pour un certain nombre d'infractions classiques, assurément pour les infractions qui sont décelées immédiatement après avoir été commises. Ce n'est toutefois pas le cas pour des infractions sexuelles commises sur des mineurs, notamment. Il n'est pas rare que ces faits ne soient connus qu'après de nombreuses années.

La loi du 28 novembre 2000 prévoyait un ajustement du délai de prescription pour l'attentat à la pudeur et le viol (articles 372 à 377 du Code pénal), la corruption de la jeunesse et l'exploitation de la prostitution (articles 379 et 380 du Code pénal), les mutilations génitales féminines (article 409 du Code pénal) et le trafic des êtres humains (article 433quinquies du Code pénal). Désormais, le délai débute le jour où la victime atteint l'âge de dix-huit ans.

Nous entendons toutefois aller plus loin. Pour éviter que ces faits restent impunis et que les victimes ne soient pas reconnues en tant que telles, il faut porter à trente ans le délai de prescription.

Par la présente proposition, nous voulons donc que les infractions d'attentat à la pudeur et de viol, de corruption de la jeunesse, d'exploitation de la prostitution et de mutilations génitales féminines ne soient prescrites qu'après trente ans.

Martine TAELMAN.
Bart TOMMELEIN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 21 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, modifié par la loi du 5 août 2003, est complété par un alinéa rédigé comme suit:

« Pour les infractions visées aux articles 372 à 377, 379, 380 et 409 du Code pénal qui ont été commises envers des mineurs de moins de seize ans, l'action publique ne sera prescrite qu'après une période de trente ans. »

Art. 3

L'article 21bis de la même loi, modifié en dernier lieu par la loi du 10 août 2005, est complété par un alinéa rédigé comme suit:

« En cas de correctionnalisation des crimes visés à l'article 21, alinéa 5, le délai de prescription de trente ans reste maintenu. »

16 septembre 2010.

Martine TAELMAN.
Bart TOMMELEIN.