5-340/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

14 OCTOBRE 2010


Proposition de loi relative à l'instauration d'une garantie obligatoire recours des tiers dans l'assurance incendie

(Déposée par Mme Sabine de Bethune et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


L'assurance habitation (ou « assurance incendie ») est réglée par la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, plus précisément dans une section du titre II, chapitre II — « Des contrats d'assurance de choses », et par l'arrêté royal du 24 décembre 1992 réglementant l'assurance contre l'incendie et d'autres périls, en ce qui concerne les risques simples.

Initialement, les dispositions de la loi ne concernaient que le risque d'incendie. Mais au fil des années, la couverture de l'assurance incendie a été étendue à plusieurs reprises, notamment aux dégâts causés par la foudre, l'explosion, la tempête, la pression de la neige, le bris de glaces, l'eau, les attentats, les conflits du travail, ainsi que les catastrophes naturelles, depuis la loi du 21 mai 2003 modifiant la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre et la loi du 12 juillet 1976 relative à la réparation de certains dommages causés à des biens privés par des catastrophes naturelles. Toutes ces extensions font qu'on parle désormais communément d'une « assurance habitation », même si la terminologie n'a pas été adaptée dans la loi.

Actuellement, la conclusion d'une assurance incendie pour une habitation n'est pas une obligation légale en Belgique. Pourtant, selon les estimations, 95 % des 4,5 millions de ménages belges en auraient conclu une (1) . Le preneur d'assurance qui conclut une assurance incendie y est en effet souvent contraint contractuellement, que ce soit dans le cadre d'un crédit hypothécaire ou en vertu d'un bail. Mais l'estimation précitée fait également apparaître, a contrario et de manière assez préoccupante, que plus de 5 % des ménages belges (255 000 ménages) ne disposent pas d'une assurance incendie.

Pour le propriétaire d'un bien immobilier, l'assurance incendie est une assurance de dommages (de choses). Pour le locataire de l'immeuble, elle est une assurance de dommages (de responsabilité) (2) (3) . Le locataire d'un bien immobilier répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que celui-ci s'est déclaré sans sa faute (4) . Il s'agit d'une responsabilité contractuelle.

L'assurance incendie du propriétaire d'un immeuble est avant tout une assurance de choses. Sauf convention contraire, l'assurance contre l'incendie garantit les biens assurés contre les dégâts causés par l'incendie, par la foudre, par l'explosion, par l'implosion ainsi que par la chute ou le heurt d'appareils de navigation aérienne ou d'objets qui en tombent ou qui en sont projetés et par le heurt de tous autres véhicules ou d'animaux (5) .

Même lorsque le sinistre se produit en dehors des biens assurés, la garantie de l'assurance s'étend aux dégâts causés à ceux-ci par:

1º les secours ou tout moyen convenable d'extinction, de préservation ou de sauvetage;

2º les démolitions ou destructions ordonnées pour arrêter les progrès d'un sinistre;

3º les effondrements résultant directement et exclusivement d'un sinistre;

4º la fermentation ou la combustion spontanée suivie d'incendie ou d'explosion (6) .

En général, l'assurance incendie comprend également une couverture de la responsabilité civile (7) . Il s'agit d'une couverture complémentaire (facultative) en faveur du propriétaire (8) , qui implique que les dommages causés à des tiers découlant de la responsabilité civile (extra-contractuelle) du propriétaire et ayant un rapport avec le bâtiment assuré sont couverts dans le contrat d'assurance. Un tiers est toute personne qui n'a pas la qualité d'assuré, par exemple le propriétaire d'une voiture garée à proximité qui a été endommagée, les voisins, etc.

Il s'agit de la responsabilité civile qui découle des articles 1382 à 1386bis du Code civil et de la responsabilité qui résulte des troubles de voisinage conformément à l'article 544 du Code civil et aux dispositions analogues de législations étrangères. Actuellement, cette couverture contractuelle est déterminée librement dans le contrat d'assurance, sauf en ce qui concerne les montants assurés. Elle peut donc varier d'un assureur à l'autre.

Pour ce qui est des établissements habituellement accessibles au public, une assurance obligatoire a déjà été instaurée par la loi du 30 juillet 1979 relative à la prévention des incendies et des explosions ainsi qu'à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile dans ces mêmes circonstances. Cette loi ne sera pas abordée dans le cadre de la présente proposition.

Il est apparu récemment que le cadre légal existant présente des lacunes dans certains cas. La dramatique explosion de gaz qui s'est produite le mercredi 27 janvier 2010 dans le centre de Liège, faisant de nombreux morts et blessés graves et provoquant d'énormes dégâts matériels, a douloureusement mis en lumière les insuffisances du cadre légal actuel en cas de sinistres complexes impliquant également des tiers. La question qui se pose en l'espèce est de savoir qui est responsable et qui doit donc indemniser les victimes de cette explosion de gaz. Mais une autre question, plus importante peut-être, se pose aussi: quid si la personne responsable n'est pas suffisamment solvable pour indemniser tous les dommages ?

L'inclusion, dans le contrat d'assurance, d'une couverture légale obligatoire des dommages causés à des tiers se justifie-t-elle d'un point de vue social ? Sans nul doute. Il est évident qu'en cas de grave sinistre, l'absence d'un système adéquat d'indemnisation des victimes constitue un problème social majeur, non seulement pour la personne responsable, qui doit faire face à une demande d'indemnisation gigantesque pouvant entraîner sa faillite personnelle, mais aussi et surtout pour les victimes du sinistre, dont le seul recours est de se tourner vers la personne responsable et son patrimoine personnel. En pareil cas, l'indemnisation des victimes risque bien d'être incomplète. Dans cette optique, les auteurs estiment également opportun que les risques non assurés qui se manifestent soient mutualisés par l'intervention d'un fonds de garantie.

Pour les raisons précitées, la présente proposition de loi prévoit l'obligation légale d'inclure dans une assurance incendie une couverture des dommages causés à des tiers. Elle prévoit en outre la création d'un Fonds de garantie incendie, censé apporter une solution en cas de sinistre non assuré.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Le contrat d'assurance incendie devra désormais également prévoir une couverture obligatoire de la responsabilité extra-contractuelle. Une telle couverture n'est actuellement pas obligatoire dans le cadre de l'assurance incendie.

Dans l'état actuel de la législation, la responsabilité extra-contractuelle résultant d'un incendie ne peut pas non plus être couverte par un contrat d'assurance responsabilité civile (RC) vie privée (assurance familiale). L'article 9, § 2, alinéa 2, de l'arrêté royal du 12 janvier 1984 déterminant les conditions minimales de garantie des contrats d'assurance couvrant la responsabilité civile extra-contractuelle relative à la vie privée dispose en effet que l'arrêté royal ne s'applique pas au contrat d'assurance incendie.

L'article 64 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre prévoit actuellement que, sauf convention contraire dans le contrat d'assurance incendie, les dommages résultant de lésions corporelles n'entrent pas dans la couverture des dommages extra-contractuels de l'assurance incendie. Il s'agit donc en l'occurrence d'une disposition de droit supplétif. La présente proposition prévoit cependant que l'assurance incendie inclut toujours une couverture obligatoire des dommages extra-contractuels (causés à des tiers) couvrant au minimum les dommages résultant de lésions corporelles et les dégâts matériels.

Le Roi est habilité à fixer des conditions minimales de garantie et exclusions supplémentaires relatives à la couverture, y compris les montants minimaux à assurer. À cet égard, Il peut utiliser comme cadre de référence l'arrêté royal du 12 janvier 1984 déterminant les conditions minimales de garantie des contrats d'assurance couvrant la responsabilité civile extra-contractuelle relative à la vie privée. Il est souhaitable que le mécanisme d'indexation relatif aux montants assurés soit également repris de la même manière, en vue de favoriser l'uniformité de la réglementation quant aux montants assurés.

Compte tenu de la fixation des conditions minimales de garantie pour la couverture des dommages causés à des tiers dans le cadre de l'assurance incendie, il est nécessaire d'adapter l'arrêté royal du 24 décembre 1992 réglementant l'assurance contre l'incendie et d'autres périls, en ce qui concerne les risques simples (9) .

Article 3

Cet article prévoit la création d'un « Fonds de garantie incendie » par le Roi.

Ce fonds a pour mission d'indemniser les personnes lésées pour les dommages subis lorsque leur auteur, qui est civilement responsable (responsabilité extra-contractuelle), ne dispose pas d'une assurance incendie valable ou lorsque la couverture de l'assurance incendie a été suspendue.

La présente proposition prévoit que l'assurance incendie doit inclure une garantie obligatoire pour les dommages causés à des tiers, satisfaisant à certaines conditions minimales de garantie. Le Fonds de garantie incendie ne doit donc offrir une solution que pour les cas où l'auteur des dommages ne dispose pas d'une assurance incendie valable ou lorsque la couverture de l'assurance incendie a été suspendue, par exemple en cas d'arriéré de paiement de la prime.

La création d'un Fonds de garantie incendie n'engendre pas de risque d'aléa moral, en vertu duquel davantage de personnes auraient tendance à se passer d'une assurance incendie du fait qu'il existe un fonds couvrant certains dommages en cas de défaut d'assurance. En effet, le preneur d'assurance a lui-même tout intérêt à ce que son habitation soit assurée en cas d'incendie. L'assurance incendie est avant tout une assurance de choses qui bénéficie au preneur d'assurance lui-même. En outre, le preneur d'assurance est souvent tenu contractuellement de souscrire à une assurance incendie, que ce soit dans le cadre d'un crédit hypothécaire ou dans le cadre d'un contrat de bail.

Le Roi peut choisir d'intégrer ce fonds dans le Fonds commun de garantie automobile existant.

Article 4

Cet article règle l'entrée en vigueur de la loi proposée. Lors de l'entrée en vigueur, il sera tenu compte de l'article 149 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, qui prévoit que le Roi fixe la date de l'entrée en vigueur de chacune des dispositions de ladite loi.

Sabine de BETHUNE.
Wouter BEKE.
Peter VAN ROMPUY.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 64 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre est remplacé par ce qui suit:

« Art. 64. Assurance des responsabilités connexes.

Le contrat d'assurance incendie prévoit une garantie de la responsabilité civile extra-contractuelle pour les dommages encourus par suite d'un sinistre frappant les biens désignés par le contrat et dont la cause ou l'objet sont mentionnés aux articles 61 à 63.

La garantie couvre au moins:

a) les dommages résultant de lésions corporelles;

b) les dommages matériels.

Le Roi peut fixer des conditions minimales de garantie et des exclusions supplémentaires relatives à la garantie visée dans le présent article. ».

Art. 3

Le Roi crée un « Fonds de garantie incendie », dénommé ci-après « le Fonds ».

Le Fonds a pour mission de réparer les dommages résultant d'un sinistre tel que visé à l'article 64, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, lorsqu'il est constaté que l'auteur des dommages, qui est civilement responsable en vertu des articles 1382 à 1386bis du Code civil, ne dispose pas d'une assurance incendie valable ou si la couverture de l'assurance incendie a été suspendue.

Le Roi fixe les règles relatives au fonctionnement et au financement du Fonds ainsi que le délai dans lequel celui-ci doit se prononcer sur l'octroi d'une réparation.

Art. 4

La présente loi entre en vigueur à une date à fixer par le Roi et au plus tard le premier jour du sixième mois qui suit celui au cours duquel elle aura été publiée au Moniteur belge.

21 septembre 2010.

Sabine de BETHUNE.
Wouter BEKE.
Peter VAN ROMPUY.

(1) Question orale de Mme Freya Van den Bossche au vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles sur « les mesures de politique générale en matière d'assurance », 12 novembre 2008, no 8053. Selon Assuralia, l'Union professionnelle des entreprises d'assurances, il s'agirait d'environ 90 % des ménages belges. Remarque: étant donné que le nombre de contrats d'assurance incendie qui sont conclus dépasse celui des biens immobiliers (par exemple, parce que plusieurs locataires habitent dans un immeuble), il est difficile de donner un chiffre exact.

(2) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch Verzeke- ringsrecht, Intersentia, Anvers, 2008, p. 499, no 667.

(3) Les assurances de choses ont un ou plusieurs objets bien définis. Elles concernent la couverture de la perte totale ou partielle de la chose assurée. Les assurances de responsabilité visent à préserver le patrimoine de l'assuré contre toutes les actions en réparation d'un dommage découlant d'une responsabilité établie. Voir: Ph. Colle, Handboek Bijzonder Gereglementeerde Verzekeringscontracten, Intersentia, Anvers, 2005, p. 2, no 2.

(4) Article 1733 du Code civil.

(5) Article 61 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

(6) Article 62 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

(7) Lorsque le risque de responsabilité est également couvert en plus du risque d'incendie, on parle de « police combinée ». Voir: Ph. Colle, Handboek Bijzonder Gereglementeerde Verzekeringscontracten, Intersentia, Anvers, 2005, p. 53, no 82.

(8) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch Verzeke- ringsrecht, Intersentia, Anvers, 2008, p. 499, no 668. Pour les montants assurés, voir l'article 5 de l'arrêté royal du 24 décembre 1992 réglementant l'assurance contre l'incendie et d'autres périls, en ce qui concerne les risques simples.

(9) L'article 5 de l'arrêté royal du 24 décembre 1992 réglementant l'assurance contre l'incendie et d'autres périls, en ce qui concerne les risques simples, dispose ce qui suit: « Art. 5. § 1er. En ce qui concerne la garantie recours des tiers, la couverture des dommages aux biens ne peut être limitée à moins de F 25 000 000. Ce montant est lié à l'évolution de l'indice des prix à la consommation, l'indice de base étant celui de décembre 1983, soit 119,64 (Base 1981 = 100). Par recours des tiers, on entend la responsabilité que l'assuré encourt en vertu des articles 1382 à 1386bis du Code civil pour les dommages aux biens causés par un sinistre garanti se communiquant à des biens qui sont la propriété de tiers, y compris les hôtes. § 2. En ce qui concerne les assurances de responsabilité visées à l'article 1er, § 2, la couverture ne peut être limitée, par sinistre, à des montants inférieurs à F 25 000 000 pour les dommages aux biens et à F 500 000 000 pour les dommages résultant de lésions corporelles. Ces montants sont liés à l'évolution de l'indice des prix à la consommation, l'indice de base étant celui de décembre 1983, soit 119,64 (Base 1981 = 100). »