5-312/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

13 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 828 du Code civil en ce qui concerne le délai de réclamation de legs

(Déposée par M. Guy Swennen)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 6 mai 2008 (doc. Sénat, nº 4-734/1 - 2007/2008).

Les héritages ont toujours été des sources de conflits et de disputes sans fin entre héritiers. Pourtant, notre société s'est manifestement accommodée de ce phénomène, comme s'il s'agissait d'une fatalité. Il ressort d'une enquête parue dans le supplément « Mon Argent » du journal « L'Écho » (9 juin 2007) que les conflits d'héritage sont légion. Sur dix personnes interrogées ayant déjà hérité au moins une fois dans leur vie, pas moins de quatre ont été ou sont encore en conflit avec un autre héritier. Autrement dit, près d'une succession sur deux débouche sur des disputes. Dans 60 % de ces cas, le conflit entraîne une rupture irrémédiable des liens familiaux. Selon un article publié le 1er avril 2005 par le quotidien néerlandais « De Volkskrant », une enquête de l'organisation professionnelle des notaires néerlandais (« Koninklijke Notariële Beroepsorganisatie » — KNB) révèle que plus d'un quart des familles sont divisées par des disputes sur des questions d'héritage et que le phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur. La KNB a tiré cette conclusion après avoir interrogé plus d'une centaine de ses membres. Selon dix pour cent des notaires interrogés, une succession sur deux dégénérerait en conflit. Une autre étude néerlandaise (« Het Volk », 10 avril 2007) a également constaté que les partages de successions entraînaient des disputes ou des ruptures familiales dans un quart des cas. La thérapeute familiale Else-Marie van den Eerenbemt a interrogé 1 821 personnes à ce sujet. Quand on sait par ailleurs que les membres de la famille et l'entourage direct des héritiers sont impliqués dans ces disputes et compte tenu du fait que les disputes soi-disant résolues, qui ne sont pas reprises par les statistiques, laissent néanmoins des marques indélébiles, il est clair que les héritages sont une véritable pomme de discorde entre une myriade de personnes, les Pays-Bas n'échappant bien sûr pas à la règle.

La Fédération royale du notariat belge confirme l'ampleur des conflits d'héritage. Nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre d'actions judiciaires intentées en matière successorale, mais un tour d'horizon nous apprend que ce nombre n'est pas particulièrement élevé. Que ce soit après un laps de temps relativement court ou au terme de plusieurs années de disputes, les héritiers finissent en effet par opter pour un règlement amiable car ils préfèrent jouer la sécurité, ils n'ont pas envie de s'embarquer dans une procédure judiciaire longue et coûteuse et ils veulent en même temps mettre fin à cette douloureuse expérience marquée par une accumulation de malheurs, de soucis et d'autres misères. Ce constat n'enlève pourtant rien au fait qu'une telle épreuve, dont on ressort avec des blessures qui marquent à jamais, est une réalité sociale très répandue, celle des innombrables querelles d'héritages. La sagesse populaire les impute généralement aux frictions refoulées, qui couvent de longue date à l'intérieur de la sphère familiale et qui refont surface à l'ouverture d'une succession. Cette même sagesse populaire affirme que l'argent et la cupidité provoquent toujours des disputes. Ces affirmations ont sans conteste un fond de vérité. Les études néerlandaises précitées imputent également les conflits d'héritage (de plus en plus fréquents) à des causes multiples qui s'appliquent aussi aux successions conflictuelles enregistrées dans notre pays: meilleure connaissance de leurs droits par les citoyens, relâchement des liens familiaux, avènement d'une société de plus en plus dure, nombre croissant de remariages et, plus généralement, de familles recomposées, et absence de testament.

Une étude approfondie de notre droit successoral révèle par ailleurs une autre vérité, tout à fait surprenante: notre droit successoral est lui-même la cause de très nombreux conflits d'héritage.

Soit parce qu'il est devenu obsolète, puisqu'il remonte à l'époque napoléonienne; soit parce qu'il manque de clarté; soit parce qu'il est de nature à semer la zizanie entre les héritiers. Nul ne niera qu'il est du devoir du législateur d'abroger ou de modifier toute disposition du droit successoral de nature à favoriser ou à entraîner immanquablement des conflits d'héritage. Mais ce n'est pas tout. Le législateur se doit aussi de relever un défi encore plus considérable: celui d'insérer dans notre droit successoral des dispositions visant à prévenir les successions conflictuelles. Une réforme de la législation doit donc aller de pair avec une modernisation générale de notre droit successoral, qui réponde parfaitement à la nouvelle réalité sociale.

La présente proposition fait partie d'un train de propositions qui ont été déposées simultanément pour induire un réel changement d'orientation.

La présente proposition concerne un exemple hallucinant qui illustre l'insécurité juridique inhérente à notre législation qui peut subsister pendant une durée particulièrement longue. Il s'agit d'une insécurité juridique qui peut persister pendant pas moins de trente ans et qui peut déboucher à tout instant sur des conflits et de véritables drames. L'article 828, alinéa 2, du Code civil dispose que l'héritier qui aura été omis dans le partage pourra toujours exercer ses droits en valeur.

Comme aucun délai de prescription spécifique n'est fixé pour ce droit de réclamation, il est soumis au délai de prescription général applicable aux actions civiles et aux actions concernant des droits réels, c'est-à-dire 30 ans.

Un exemple concret:

Guido, qui n'a pas d'enfants, décède en ne laissant que des neveux (la même situation pourrait également se présenter si des enfants étaient appelés à la succession). Guido a fait un testament olographe instituant Yvan comme seul bénéficiaire (légataire universel). Tout le monde le sait dans la famille, mais Yvan, le bénéficiaire, ne veut pas se prévaloir du testament pour l'instant: il dispose de trente ans pour réclamer le legs qui lui est fait par testament. Toute la liquidation-partage de la succession ne sera donc que conditionnelle pendant ces trente ans, jusqu'au moment où Yvan décidera de « retrouver » le testament qu'il avait caché. L'on imagine aisément l'usure nerveuse qu'une telle situation peut générer. Poursuivant avec le même exemple, les choses se compliquent encore si la famille n'est pas au courant de l'existence du testament et qu'elle est subitement confrontée, par exemple dix ans après le partage, à une action en réclamation exercée en contre-valeur.

Afin de résoudre ce problème, il est proposé de ne plus permettre l'action en réclamation que dans un délai restreint de trois ans à compter de l'ouverture de la succession. Les héritiers non testamentaires bénéficient ainsi d'une sécurité juridique suffisante pendant un délai raisonnable, tandis que le légataire dispose d'un délai suffisant et de la latitude nécessaire pour faire valoir ses droits. Il convient toutefois de tenir compte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le légataire peut se trouver (un séjour à l'étranger par exemple). C'est pourquoi il est prévu que le droit d'action pourra s'exercer dans un délai de trois ans à compter de la prise de connaissance de l'ouverture de la succession. L'on peut qualifier de négligeable le risque que cette disposition constitue une source d'insécurité juridique parce qu'il est assez évident que le bénéficiaire d'un testament olographe est une personne qui entretenait des contacts réguliers avec le testateur. Quoi qu'il en soit, cette possibilité est retenue afin de respecter au maximum la volonté du testateur, y compris dans des cas exceptionnels.

Guy SWENNEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 828, alinéa 2, du Code civil est complété par les mots « dans les trois ans à compter de la prise de connaissance de l'ouverture de la succession ».

24 septembre 2010.

Guy SWENNEN.