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6 OCTOBRE 2010
La présente proposition de résolution reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 17 juillet 2007 (doc. Sénat, nº 4-98/1 - SE 2007).
Le terme « monoparental » a, certes, une consonance moderne. Mais les situations qu'il recouvre sont vieilles comme le monde: la littérature — à l'inverse du législateur — s'est, depuis longtemps, penchée tant sur les veuves que sur les « filles-mères », entre études sociologiques et leçons de morale.
Il faut cependant attendre la fin des années 70 pour qu'émerge en France le concept de « famille monoparentale » et que soient mises en place une série d'aides spécifiques: l'allocation de soutien familial, ancienne « allocation d'orphelin » ou l'allocation de parent isolé (API). Malgré ces mesures favorables, on estime aujourd'hui qu'un tiers des familles monoparentales françaises vit sous le seuil de pauvreté (1) .
En Belgique, il est difficile d'obtenir des données claires: une évaluation (2006) indique qu'une famille sur dix est monoparentale et que 85 % des parents de ces mêmes familles sont des femmes (2) . Si cette situation peut naître d'un choix personnel ou d'une coparentalité assumée, c'est souvent la disparition du conjoint, un divorce, une séparation ou un veuvage qui contraignent un parent à endosser seul l'ensemble des responsabilités parentales.
Cette diversité de circonstances explique qu'on ne peut pas parler d'une famille monoparentale type: si, de manière générale, la famille monoparentale compte assez rarement plus de deux enfants et le niveau de qualification, et donc de revenus, des parents isolés est inférieur à la moyenne, il apparaît que, contrairement à une image répandue dans le grand public, la monoparentalité n'est pas seulement le fait de jeunes mères: beaucoup de « monoparents » sont des quadragénaires avec des enfants d'un certain âge (3) .
Est-il par conséquent possible de définir un statut de « famille monoparentale », en y adjoignant un certain nombre de droits et de services, en vue de faciliter des situations parfois extrêmement complexes, tant sur le plan financier qu'organisationnel, juridique ou social ?
La tâche s'avère complexe mais l'analyse est nécessaire: les discriminations dont les familles monoparentales font l'objet sont nombreuses et d'origines différentes. Sur le plan légal, la Cour constitutionnelle a ainsi relevé, dans un arrêt du 30 janvier 2007, une inégalité entre, d'une part, la veuve ou le veuf, non remarié(e), ainsi que le père ou la mère célibataire, ayant un ou plusieurs enfants à charge et, d'autre part, la mère ou le père divorcé(e), même non remarié(e), ayant un ou plusieurs enfants à charge. Les premiers bénéficiaient d'un avantage fiscal non attribué aux seconds (4) .
Sur le plan social, on relève sans surprise que les familles monoparentales sont sujettes à un autre type de discrimination, liée cette fois à la pauvreté: le risque d'être touché par la pauvreté s'élève en effet à 36 % pour les familles monoparentales (5) et ce, notamment en raison d'une accumulation des charges financières qui surpassent rapidement le budget disponible: loyer, nourriture, chauffage mais aussi les frais de garde du ou des enfants, les besoins scolaires ou médicaux.
L'emploi reste le garde-fou principal contre la précarité.
Mais des situations ou réglementations font parfois en sorte qu'il n'est pas intéressant pour un individu de travailler ou de travailler plus, ceci ayant pour conséquence de créer de véritables pièges, dont les monoparents sont des victimes idéales.
On parle ainsi de « piège à la pauvreté » lorsque une augmentation du temps de travail ne se traduit pas, dans le cas d'un travailleur faiblement rémunéré, par une hausse de revenus suffisante pour échapper à la pauvreté.
De même, on peut parler de « piège du chômage » lorsque, entre allocations de chômage et allocations majorées, disponibilité à l'égard des enfants et stress moindre, il n'est plus attractif de travailler.
Le Conseil européen a d'ailleurs attiré l'attention sur l'insuffisance des incitants au travail prévus par le régime fiscal et le régime d'allocations en Belgique (6) .
La situation se fige alors. Le monoparent ne travaille plus et préfère ne pas reconstruire de vie professionnelle ou de vie de famille, car il risque de perdre des droits qui lui garantissent, sinon une vie confortable, à tout le moins une vie décente.
Ce choix, dicté par de strictes raisons financières, peut entraîner alors un cortège de conséquences: surendettement, exclusion sociale, dépressions, enfants en difficulté émotionnelle, décrochage scolaire ...
Il est donc nécessaire d'agir: l'amélioration de la situation des familles monoparentales touche différents secteurs particulièrement importants: la lutte contre la pauvreté et pour l'intégration sociale, la protection des droits des femmes, — majoritairement visées par cet état —, mais aussi le bien-être et le respect des droits de l'enfant.
Ceux-ci sont en effet particulièrement touchés par cette situation: le mal-être du parent qui doit s'en occuper seul, peu ou pas d'accès aux loisirs, au sport, à la culture constituent des facteurs pouvant perturber leur intégration sociale.
À cet égard, la Convention internationale des droits de l'enfant, à laquelle la Belgique a adhéré (7) , garantit, en son article 27, le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social.
La Convention confirme, dans ce même article, la responsabilité, à cet égard, tant des parents ou autres personnes ayant la charge de l'enfant que des États contractants pour mettre en œuvre les mesures adéquates à la réalisation de ce droit.
Certaines dispositions ont déjà été prises en la matière: outre les allocations majorées, on peut relever la loi du 21 février 2003 (8) créant un Service des créances alimentaires au sein du Service public fédéral (SPF) Finances, qui a pour effet de permettre au créancier d'aliments de récupérer le montant des pensions alimentaires qui lui sont dues.
Mais il faut aller plus loin: différents acteurs (9) soulignent la nécessité de mettre en place des mesures qui doivent permettre à tout « monoparent » d'assumer seul les charges qui lui incombent, — parfois de manière soudaine —, sans basculer, avec son ou ses enfants, dans la précarité.
Certes, une première exploration des difficultés des familles a été effectuée au travers des états généraux de la famille. L'auteur estime cependant que les familles monoparentales doivent susciter une attention particulière, liée aux spécificités dont elles font preuve: leur statut social, juridique et fiscal, mais également leur place dans la société et la solidarité qui doit se manifester à leur égard méritent sans conteste que les différents niveaux de pouvoirs compétents en la matière s'interrogent sur les mesures concrètes qui pourraient être prises en vue de renforcer la nécessaire protection de ces familles.
| Philippe MAHOUX. |
Le Sénat,
A. considérant l'article 23 de la Constitution et l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme;
B. considérant la déclaration gouvernementale et l'accord de gouvernement de juillet 2003;
C. considérant le rapport des états généraux de la famille d'avril 2004;
D. considérant le rapport 2005 du Conseil supérieur de l'emploi;
E. considérant la Convention internationale des droits de l'enfant;
Demande au gouvernement:
1. d'organiser, en concertation avec les entités fédérées et les acteurs sociaux de terrain, la tenue d'États généraux des familles monoparentales;
2. d'articuler la réflexion de ces états généraux autour des thèmes suivants:
a) monoparentalité et intégration sociale (pouvoir d'achat, sécurité sociale, ...);
b) monoparentalité et emploi (accès à l'emploi, articulation formation/emploi et vie familiale, ...);
c) monoparentalité et fiscalité;
d) monoparentalité et services;
e) monoparentalité et loisirs;
3. d'établir un rapport des débats intervenus, établissant des pistes d'action en vue de renforcer les mécanismes de solidarité en faveur des familles monoparentales.
20 juillet 2010.
| Philippe MAHOUX. |
(1) Fondation Roi Baudoin, Familles monoparentales, Quelles solutions ?, Synthèse du colloque qui s'est tenu à Bruxelles le 24 octobre 2000, p. 3.
(2) Michel De Muelenaere, « Parent-enfant: seuls, mais ensemble », Le Soir, 16 novembre 2006, p. 6.
(3) Fondation Roi Baudoin, op. cit., p. 1.
(4) Philippe Galloy, « Le parent divorcé exonéré lui aussi », La Libre Belgique, 31 janvier 2007, p. 14.
(5) Christine Steinbach, Regard chiffré sur la pauvreté en Belgique, Édition Équipes populaires, www.e-p.be.
(6) Conseil supérieur de l'emploi, Rapport 2005, introduction de Jan Smets, 30 juin 2005.
(7) Adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, le 20 novembre 1989, New York et ratifiée par la Belgique le 25 novembre 1991.
(8) Publication Moniteur belge du 28 mars 2003.
(9) États généraux de la famille 2004, tissu associatif, ...