5-115/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010

22 SEPTEMBRE 2010


Proposition de loi modifiant diverses dispositions relatives au droit des mineurs d'être entendus par le juge

(Déposée par Mmes Sabine de Bethune et Martine Taelman)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 13 octobre 2000 (doc. Sénat, nº 2-554/1 - 2000/2001). Après avoir été amendée par la commission de la Justice, la proposition de loi initiale a été adoptée par l'assemblée plénière du Sénat et transmise à la Chambre des représentants le 25 juillet 2002. Le projet de loi a été frappé de caducité par suite de la dissolution des chambres législatives le 10 avril 2003, mais il a été relevé de caducité par la loi du 8 décembre 2003 (Moniteur belge du 19 décembre 2003). Il a cependant été frappé de caducité par suite de la dissolution des chambres législatives le 2 mai 2003. La proposition initiale a été redéposée le 17 mars 2008 (voyez aussi doc. Sénat, nº 4-645/1 - 2007/2008).

1. Le droit des mineurs d'âge d'être entendus: la réglementation actuelle

Le droit, pour les enfants, d'être entendus a été inscrit en 1994 à l'article 931 du Code judiciaire à l'occasion de la transposition de l'article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant dans le droit belge. L'article en question prévoit que tout mineur peut exprimer son opinion dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant.

En vertu de l'article 931 du Code judiciaire, dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, à sa demande ou sur décision du juge, être entendu, hors la présence des parties, par le juge ou la personne désignée par ce dernier.

Cette réglementation, qui donne au mineur la faculté de demander à être entendu, faculté que l'on pourrait aussi qualifier de « droit d'être entendu découlant du droit commun », n'offre donc qu'une possibilité. L'initiative peut émaner à cet égard du mineur proprement dit ou du juge. Lorsque le juge décide d'entendre le mineur, celui-ci peut toujours opposer un refus. Si l'initiative émane du mineur, le juge ne peut refuser d'entendre l'enfant que par une décision spécialement motivée, fondée exclusivement sur le fait que le mineur ne dispose pas de la faculté de discernement requise. L'article 931 du Code judiciaire utilise donc comme critère le fait de disposer de la faculté de discernement requise. Aucun recours n'est possible contre la décision du juge d'entendre ou de ne pas entendre le mineur.

Par ailleurs, l'on a inséré, dans la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, un article 56bis nouveau qui oblige le juge de la jeunesse à convoquer tout mineur de douze ans au moins en cas de litige civil concernant l'autorité parentale, l'administration des biens du mineur, l'exercice du droit de visite ou la désignation d'un subrogé tuteur.

Contrairement à ce qui est le cas en ce qui concerne l'article 931 du Code judiciaire, il est question en l'espèce d'une obligation de convocation qui ne souffre aucune exception, et le critère utilisé est l'âge minimum de douze ans. Le juge de la jeunesse peut toutefois toujours entendre un mineur de moins de douze ans s'il l'estime opportun (article 51, alinéa 1er, de la loi relative à la protection de la jeunesse).

2. Les lacunes de la réglementation actuelle

L'introduction, en droit interne belge, du droit d'être entendu est, bien entendu, une bonne chose. Elle représente une étape importante sur la voie de la reconnaissance juridique de l'enfant en tant que sujet de droit, d'autant plus que l'article 931 du Code judiciaire lui a conféré une portée générale qui dépasse le cadre des procédures de divorce (Deli, D., « Het horen van minderjarigen volgens het gewijzigde artikel 931 van het Gerechtelijk Wetboek », in Rechtskundig Weekblad, 1995, nº 36, p. 275).

La réglementation existante présente toutefois de nombreuses lacunes.

D'une part, on constate que l'article 931 du Code judiciaire et l'article 56bis de la loi relative à la protection de la jeunesse règlent chacun à sa façon l'audition des mineurs et prévoient chacun des conditions distinctes en la matière. L'article 931 du Code judiciaire donne aux mineurs qui disposent de la faculté de discernement requise une possibilité d'être entendus dans toute procédure les concernant. Par contre, l'article 56bis de la loi relative à la protection de la jeunesse prévoit l'obligation de convoquer tous les mineurs ayant atteint l'âge de douze ans dans une série de matières énumérées limitativement.

La logique, la cohérence et la sécurité juridique s'en trouvent donc compromises, car le droit d'être entendu est garanti différemment d'un tribunal compétent à l'autre, parfois même dans les mêmes matières.

Voici quelques exemples à titre d'illustration.

En droit commun, le mineur de douze ans qui désire être entendu dans une procédure devant le juge de paix sur la question de savoir lequel de ses parents exercera l'autorité parentale, doit adresser une demande (écrite) au juge de paix lequel peut la rejeter s'il estime que le mineur ne dispose pas de la faculté de discernement requise.

Si ce même litige doit être tranché par le juge de la jeunesse, le mineur doit obligatoirement être convoqué, en vertu de l'article 56bis de la loi relative à la protection de la jeunesse, en vue d'un entretien avec celui-ci.

Au cours de la procédure de divorce, le droit de visite et de séjour sont réglés devant le tribunal des référés, étant entendu qu'il n'existe aucune obligation de convoquer (règle de droit commun) et que le mineur doit demander lui-même à être entendu. Une fois que le divorce a été prononcé, le juge de la jeunesse devient compétent pour les discussions relatives au droit de visite et de séjour. Il y a alors à nouveau une obligation de convoquer (les mineurs ayant atteint l'âge de douze ans).

D'autre part, le caractère largement facultatif de l'audition de mineurs en application de l'article 931 du Code judiciaire peut également soulever des objections. Cet article n'offre pas suffisamment de garanties d'être entendus aux mineurs. Tout est dû au fait qu'il ne prévoit pas d'obligation de les convoquer systématiquement. Il dispose simplement que les mineurs peuvent être entendus s'ils demandent à l'être ou si le juge demande qu'ils le soient.

En ce qui concerne le mineur proprement dit, le risque existe même qu'il ignore l'existence d'un litige faisant l'objet d'une procédure dans laquelle il pourrait être entendu ou qu'averti d'une telle procédure, il ignore où elle en est ou à quel juge il peut s'adresser, à supposer bien sûr qu'il sache qu'il peut intervenir, ce qui n'est bien souvent pas le cas.

À cela s'ajoute le risque que le mineur peut ne pas oser prendre d'initiative pour être entendu, soit parce que son entourage exerce sur lui une forte pression pour qu'il ne fasse rien, soit parce qu'il ne souhaite pas créer lui-même de conflits de loyauté (Deli, D., l.c., nº 38).

Pour ce qui est du juge, le risque est réel qu'il ne décide d'entendre d'office le mineur que s'il ne parvient pas à prendre une décision sur la base des données que lui ont fournies les parties. Le droit d'être entendu est donc plutôt assimilé à un moyen de trancher un litige que considéré comme un droit de l'enfant lui-même (Maes, C., Stappers, L., Bouteligier, L., Degrande, D. et Van Gils, J. (red) Mogen wij nu iets zeggen ? Over kinderen, echtscheiding en hun recht om gehoord te worden, Bruges, Die Keure, 1996, 17).

En outre, l'on peut s'interroger sur l'étendue du pouvoir discrétionnaire que le juge peut exercer dans les cas où des mineurs demandent explicitement à être entendus. Il lui appartient en effet d'apprécier si le mineur dispose de la faculté de discernement requise et l'on peut se demander à cet égard ce qui peut fonder son jugement. Le risque n'est pas exclu de voir un magistrat fort occupé juger plus rapidement qu'un autre qu'un mineur ne dispose pas d'une faculté de discernement suffisante. Du reste, comment le juge pourrait-il apprécier la faculté de discernement d'un mineur sans l'avoir d'abord rencontré ? Le juge est certes tenu de motiver de manière convaincante son refus d'entendre un enfant, mais le bien-fondé de ce refus ne peut pas être vérifié, étant donné que son jugement n'est susceptible d'aucun recours. Il en résulte une érosion de l'obligation de motiver et, qui plus est, le droit d'être entendu pourrait s'en trouver vidé un jour de sa substance (Deli, D., l.c., nº 21). Le mineur qui désire être entendu est donc tributaire de l'appréciation subjective du juge.

Dans un arrêt rendu sur une question préjudicielle posée par la Cour d'appel de Gand, la Cour constitutionnelle a jugé contraire à la Constitution d'exclure la possibilité d'interjeter appel contre la décision du juge de ne pas entendre le mineur au cours de la procédure, dans le cas où le juge oppose ce refus pour un motif autre que le fait, pour l'intéressé, de ne pas disposer d'une capacité de discernement suffisante (Cour constitutionnelle, arrêt nº 9/2010 du 4 février 2010).

En d'autres termes, la Cour constitutionnelle est d'avis que, dans cette situation, le mineur doit pouvoir interjeter appel de la décision du juge de ne pas l'entendre. En refusant dans pareil cas la possibilité de se pourvoir devant un juge d'appel, le législateur « porte atteinte, de manière discriminatoire, au droit du mineur capable de discernement d’être entendu dans toute procédure le concernant, garanti par la Convention relative aux droits de l’enfant ». L'arrêt en question contraint le législateur à modifier l'article 931 du Code judiciaire.

3. Notre proposition: obligation de convoquer les mineurs dès l'âge de sept ans

a) L'obligation de convocation couplée à l'obligation de comparution

La présente proposition plaide pour que l'on garantisse effectivement aux mineurs le droit d'être entendus et pour que l'on assortisse ce droit d'une obligation de convocation et d'une obligation de comparution.

L'obligation de convocation est l'obligation, pour le juge, de convoquer le mineur dans toute procédure le concernant. L'obligation de comparution est l'obligation, pour le mineur, de comparaître devant le juge chaque fois qu'il est convoqué en vue d'un entretien.

L'obligation de convocation emporte que chaque mineur doit être informé automatiquement de la procédure en cours et de la possibilité pour lui de décider s'il va ou non exercer son droit de parole. L'enfant dispose en effet d'un droit de parole, mais il n'y a pas d'obligation de parole: lors de la comparution, il n'est pas obligé de parler (Maes, C., Stappers, L., Bouteligier, L., Degrande, D. et Van Gils, J. (red), o.c., 18-19).

Dans notre proposition, nous parlons sciemment en néerlandais du « spreekrecht » (droit de parole) des mineurs et non pas de leur « hoorrecht » (terme usuel). C'est que du point de vue de l'enfant, il y a un droit de parler, et non pas un droit d'entendre, comme le laisserait supposer le terme néerlandais « hoorrecht » (Deli, D., l.c., note sous 1 et Maes, C., Stappers, L., Bouteligier, L., Degrande, D. et Van Gils, J. (red), o.c., 18).

Nous souscrivons à l'avis du « Werkgroep artikel 12 », selon lequel le droit de parole des enfants doit être organisé de manière qu'ils puissent en faire le meilleur usage. Cela signifie qu'il faut supprimer tous les obstacles possibles, sans pour autant perdre de vue la nécessité de veiller à l'équilibre entre la participation et la protection de l'enfant (Maes, C.; Stappers, L.; Bouteligier, L.; Degrande, D. et Van Gils, J. (red), o.c., 14). Le « Werkgroep artikel 12 » est composé de gens de terrain du monde juridique (magistrats, avocats, juristes, ...) et du monde de la psychologie (psychologues et pédagogues), qui délibèrent activement depuis 1992 sur la manière dont le droit des mineurs d'être entendus dans les procédures judiciaires pourrait être concrétisé.

Les adversaires de l'audition obligatoire des enfants font valoir, notamment, qu'en entendant des enfants dans des procédures de divorce, on les place au centre d'un conflit. Ils craignent en outre qu'il en résulte une multiplication des situations conflictuelles entre parents et enfants.

Selon le « Werkgroep artikel 12 », il est en effet préférable, du point de vue des enfants, qu'il n'y ait ni conflits, ni divorces, ni procédures. Malheureusement, il y en a, et les enfants y sont confrontés, qu'ils le veuillent ou non. Il est dès lors préférable de tenir compte des enfants, de les prendre au sérieux et de leur donner au moins la possibilité de faire entendre leur voix plutôt que de mener les procédures en question sans les y associer. Les enfants sont automatiquement impliqués dans les conflits dès le moment où une procédure est ouverte. Les exclure de tout revient à méconnaître leur droit de développer leur propre approche des choses et leur propre opinion, et l'on risque ainsi d'alimenter l'insécurité. Néanmoins, la manière dont on se servira de ce droit de parole sera déterminante pour ce qui est de l'intérêt des enfants: le souci de loyauté des enfants à l'égard de chacun de leurs parents doit absolument être respecté et il faut éviter de manoeuvrer des enfants dans une position de force (Maes, C.; Stappers, L.; Bouteligier, L.; Degrande, D. et Van Gils, J. (red), o.c., 16).

Le Kinderrechtencommissariaat (Commissariat aux droits des enfants) souligne, lui aussi, qu'en associant les enfants auxdites procédures et en les entendant dans le cadre de celles-ci, on les reconnaît fondamentalement en tant que personnes et on peut prévenir des problèmes qui pourraient se poser plus tard (Rapport annuel Kinderrechtencommissariaat 1998-1999, Parlement flamand, doc. nº 42 (1999-2000), nº 1, p. 135). Or, dans une procédure de divorce, les enfants ne sont ni parties sur le plan juridique, ni parties responsables, ils n'en sont pas moins parties intéressées, ce qu'indique notamment le grand nombre de requêtes et/ou de demandes concernant cette question qui sont adressées au Kinderrechtswinkel et au Kinderrechtencommissariaat (ibidem), ou qui sont exprimées lors d'entretiens par l'intermédiaire du Kinder- en Jongerentelefoon.

D'autres adversaires de l'instauration d'une obligation de convoquer les enfants prétendent qu'une telle obligation comporterait le risque que l'enfant soit influencé par ses parents ou subisse une pression psychologique trop lourde.

Le danger de manipulation de l'enfant existe toujours, mais nous estimons qu'il est plus grand lorsque l'audition est facultative, parce qu'il y a alors un risque immanent de voir l'enfant ne pas oser demander à être entendu en raison des pressions qui sont exercées sur lui par ses parents ou par l'un d'eux (voir aussi supra).

Sur ce point aussi, nous partagons l'avis du « Werkgroep artikel 12 », selon lequel l'obligation de convoquer clarifie la position de l'enfant vis-à-vis de ses parents. En effet, elle atténue quelque peu le poids de l'influence exercée sur l'enfant par ses parents du seul fait que le juge a l'obligation de le convoquer et que ses parents ne peuvent plus rien faire à cet égard. Les parents devront considérer que la comparution de l'enfant dans le cadre d'une procédure en cours est une simple formalité à accomplir (Maes, C., Stappers, L., Bouteligier, L., Degrande, D. en Van Gils, J. (red.), o.c., 18).

b) Pour tous les enfants à partir de l'âge de sept ans

Selon notre proposition, l'obligation de convoquer vaut pour toutes les procédures civiles concernant des mineurs qui ont atteint l'âge de sept ans.

L'actuel article 931 du Code judiciaire ne définit aucun critère d'âge, mais il accorde un droit de parole aux mineurs qui disposent d'une faculté de discernement suffisante. Par contre, il est question, à l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant, de « l'enfant capable d'exprimer librement son opinion ». Le critère ainsi défini est moins strict que celui que l'on fixe en disant que l'enfant doit « disposer d'une faculté de discernement suffisante ». Nous estimons que les jeunes enfants sont, eux aussi, parfaitement capables d'avoir une opinion, d'avoir une idée claire et sincère de la situation dans laquelle ils vivent journellement et de raconter à un juge ce qu'ils ressentent et ce qu'ils pensent à propos des questions qui les intéressent personnellement. La pratique nous apprend que les jeunes enfants de six à huit ans en sont déjà capables. Il nous semble dès lors réaliste de prévoir l'obligation de convoquer les enfants en question dès l'âge de sept ans, c'est-à-dire l'âge à partir duquel un enfant peut exprimer correctement son opinion de vive voix (voir également Maes, C., Stappers, L., Bouteligier, L., Degrande, D. en Van Gils, J. (red.), o.c., 21), même si la fixation d'un âge déterminé a toujours quelque chose d'arbitraire et de subjecif.

Instaurer l'obligation de convoquer les mineurs à partir de l'âge de sept ans ne revient pas à empêcher des enfants plus jeunes d'exprimer leur opinion. La possibilité de convoquer des enfants de moins de sept ans, doit rester ouverte, de manière que l'on puisse entendre ceux qui demanderaient personnellement à être entendus (même si l'on peut considérer qu'il n'y en aura sans doute pas beaucoup) et, surtout, pour que l'on puisse convoquer non seulement les enfants ayant atteint l'âge de sept ans d'un ménage, mais aussi les enfants de moins de sept ans de celui-ci. Il importe par exemple d'entendre tous les enfants d'un même ménage, pour éviter que les plus âgés soient seuls à devoir porter le poids de l'audition (Maes, C., Stappers, L., Bouteligier, L., Degrande, D. en Van Gils, J. (red.), o.c., 21). Cela permet d'ailleurs au juge de se faire une idée plus complète des relations et des interactions qu'il y a au sein du ménage.

Pour ce qui est des mineurs de moins de sept ans, les dispositions de l'article 931 du Code judiciaire (possibilité de les entendre) seraient donc maintenues moyennant quelques modifications.

Cela signifie que le juge peut entendre les enfants de moins de sept ans dans le cadre de procédures relatives à des litiges civils qui les intéressent, soit à leur demande, soit de sa propre initiative (auquel cas ces enfants ont le droit de se taire).

Lorsque les enfants demandent à être entendus, le juge ne peut refuser l'audition de ceux-ci que par une décision spécialement motivée par le seul fait que le mineur ne dispose pas de la faculté de discernement requise ou que l'affaire en question est manifestement d'un intérêt secondaire. Aucun autre motif ne peut être pris en considération.

Nous avons inscrit une innovation importante dans notre proposition en prévoyant qu'un juge ne peut invoquer le manque de discernement du mineur que s'il l'a constaté personnellement ou que si la personne qu'il a désignée l'a constaté. Cela signifie que le juge (ou la personne qu'il a désignée) a rencontré préalablement le mineur et, par conséquent, qu'il ne peut plus prendre de décision à cet égard sans avoir vu le mineur et donc en se fondant uniquement sur la lettre de celui-ci.

Compte tenu de l'arrêt nº 9/2010 précité de la Cour constitutionnelle, la présente proposition de loi prévoit que le mineur a le droit d'interjeter appel de la décision du juge de ne pas l'entendre.

Bien que la Cour constitutionnelle ait jugé que le législateur pouvait limiter le droit d'interjeter appel pour le mineur ne disposant pas encore d'une capacité de discernement suffisante, les auteurs choisissent de permettre un pourvoi en appel dans tous les cas.

c) Exception

Notre proposition offre au juge la possibilité de déroger à l'obligation de convocation par une décision motivée, lorsque l'affaire en question est manifestement d'intérêt secondaire.

Elle évite ainsi que le juge ne doive également convoquer un mineur pour pouvoir l'entendre à propos d'éléments de faible importance dans le litige qui oppose ses parents ou simplement à propos d'aspects secondaires du problème de la garde ou du droit de visite. Le fondement de la dérogation doit être indiqué explicitement dans la décision du juge. En droit néerlandais, l'obligation d'entendre fait également partie de la règle, mais le juge peut y déroger s'il estime que l'affaire en question est manifestement d'intérêt secondaire (Senaeve, P., « De invoering van het hoorrecht van minderjarigen », in De hervorming van het jeugdbeschermingsrecht, Senaeve, P. et Peeters, J. (eds), Louvain, Acco, 1994, 133, nº 240).

Le mineur doit être avisé de la décision et il a la faculté de faire appel de celle-ci verbalement ou par écrit, ce qui signifie que le juge est obligé d'entendre les arguments de l'enfant.

d) Formation ciblée de magistrats

Il y a lieu, pour que le droit d'être entendu puisse être appliqué efficacement, de donner une formation ciblée aux juges en matière d'audition d'enfants. Des enquêtes sur le terrain ont révélé que les juges sont souvent réticents à entendre de jeunes enfants. C'est dû au fait qu'ils ne sont pas très familiarisés avec les auditions en général et qu'ils n'ont pas été formés à entendre des enfants ni à interpréter leurs paroles (surtout pas celles des plus jeunes) en particulier.

Nous estimons que l'on ne peut pas tirer argument du manque d'expertise des juges en la matière pour limiter l'exercice du droit de parole par les enfants.

C'est pourquoi nous plaidons pour que l'on donne une bonne formation aux juges, de manière qu'ils puissent acquérir une expertise par eux-mêmes. Le « Werkgroep artikel 12 » a élaboré, en collaboration avec les centres de soins de santé mentale, à l'intention des juges, un cours spécialisé intitulé « Hoe hoor ik kinderen ? » (Comment dois-je m'y prendre pour entendre des enfants ?) pour les aider à mieux comprendre la psychologie et le développement de l'enfant et pour leur apprendre quelle est la meilleure façon de dialoguer avec des enfants. D'octobre 1994 à octobre 1995, une nonantaine de magistrats de divers arrondissements ont suivi ce cours qui comprenait six sessions.

Nous estimons que les juges qui sont confrontés à des enfants dans la pratique devraient être obligés de suivre une telle formation.

e) Modalités pratiques de l'audition de mineurs

L'alinéa 6 de l'actuel article 931 du Code judiciaire dispose que le mineur est entendu seul sauf le droit pour le juge de prescrire dans l'intérêt du mineur qu'il devra être assisté.

L'assistance en question peut être apportée au mineur entre autres par une personne qui jouit de la confiance de celui-ci, par un médecin, par un assistant social, par un psychologue ou, éventuellement, par un avocat.

Du point de vue juridique et du point de vue psychologique, c'est une chose extrêmement importante. La présence d'une personne de confiance aura souvent le don de mettre l'enfant à l'aise et il parlera alors plus facilement et plus ouvertement (Deli, D., l.c., nº 26).

Il y a toutefois un aspect moins positif en ce sens que le juge décide souverainement de faire assister ou non le mineur. Or, comme le droit de parole en question est celui dont jouit le mineur, c'est à celui-ci qu'il doit appartenir de décider de l'usage qu'il en fera (Deli, D., l.c., ibidem). C'est pourquoi nous proposons que l'on permette au mineur de se faire accompagner d'une personne de confiance. Nous avons choisi d'utiliser le terme « accompagner » parce que « apporter une assistance » a une signification spécifique dans la réglementation sur l'incapacité d'agir du mineur émancipé (Deli, D., l.c., ibidem).

Enfin, nous tenons encore à souligner que le juge doit indiquer clairement au mineur au début de l'audition, quel est l'objet de celle-ci. Il faut que le juge puisse se faire une idée à la fois du monde dans lequel le mineur évolue journellement et de l'expérience vécue du mineur dans la situation conflictuelle en question. On n'attend donc pas du mineur qu'il fasse un choix entre son père et sa mère. Il y a lieu de lui indiquer clairement d'emblée que l'on n'attend pas de lui qu'il prenne position. En obligeant un enfant à faire un choix en faveur d'un de ses parents, on le traumatise et on le blesse dans sa volonté profonde de rester loyal vis-à-vis de ses deux parents. Il va sans dire que c'est contraire à l'intérêt de l'enfant.

Le juge doit expliquer au mineur qu'il l'écoutera et que son opinion est importante, mais qu'il lui appartiendra finalement à lui-même de prendre la décision, en sa qualité de juge. L'opinion du mineur est donc importante, mais elle n'est pas déterminante. C'est pourquoi nous prévoyons, dans notre proposition de loi, que le juge accordera, à l'avis du mineur, un « intérêt approprié » compte tenu de l'âge et du niveau de maturité de celui-ci.

f) Recommandations relatives au droit d'être entendu

Dans le mémorandum 2010 du Délégué général aux droits de l'enfant et du Kinderrechtencommissariaat, le droit du mineur à être entendu est présenté comme une priorité majeure en vue d'améliorer la position juridique des mineurs. Les deux organismes formulent à cet égard les recommandations suivantes:

— garantir effectivement le droit des mineurs à prendre la parole par une législation claire et uniforme;

— introduire une obligation générale de convocation dès l’âge minimal de 12 ans (comme devant les juridictions de la jeunesse);

— rendre obligatoire l’information de tous les mineurs sur leur droit d’être entendus en cas de procédures judiciaires les concernant;

— veiller à ce que les magistrats appliquent effectivement le droit du mineur d’être entendu dans toutes les procédures qui le concernent, lorsqu’il en fait la demande;

— former les magistrats sur la manière adéquate de s’adresser aux enfants et de les écouter afin de pouvoir prendre en considération ce qu’ils expriment.

Par la présente proposition de loi, les auteurs répondent aux diverses recommandations formulées par le Délégué général aux droits de l'enfant et le Kinderrechtencommissariaat.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Le nouvel alinéa 3 instaure l'obligation, pour le juge, d'entendre le mineur de sept ans accomplis dans toutes les procédures relatives à des litiges le concernant.

L'alinéa 4 concerne l'audition des mineurs qui n'ont pas encore atteint l'âge de sept ans.

Les alinéas suivants définissent les modalités de l'audition des mineurs.

Article 3

Cet article oblige les juges qui ont affaire à des mineurs à suivre une formation ciblée en matière d'audition des mineurs.

Articles 4 et 5

Ces dispositions abrogent les articles 51 et 56bis de la loi relative à la protection de la jeunesse. L'audition de mineurs par le juge de la jeunesse sera dorénavant régie également par l'article 931 du Code judiciaire, tel qu'il aura été modifié par la présente proposition.

Sabine de BETHUNE.
Martine TAELMAN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 931 du Code judiciaire, les alinéas 3 à 7, insérés par la loi du 30 juin 1994, sont remplacés par les alinéas suivants:

« Sans préjudice des dispositions légales prévoyant son intervention volontaire et son consentement, le mineur âgé de sept ans accomplis est entendu par le juge ou la personne désignée par ce dernier dans toute procédure le concernant, sauf si le juge estime, par une décision spécialement motivée, que l'affaire dont il s'agit est d'intérêt manifestement secondaire. Le mineur peut interjeter appel contre le refus du juge de l'entendre.

Sans préjudice des dispositions légales prévoyant son intervention volontaire et son consentement, le mineur qui n'a pas atteint l'âge de sept ans peut, dans toute procédure le concernant, être entendu, à sa demande ou sur décision du juge, par le juge ou la personne désignée par ce dernier. Le juge ne peut rejeter la demande dans laquelle le mineur manifeste la volonté d'être entendu que par une décision spécialement motivée et seulement après qu'il a constaté lui-même ou après que la personne qu'il a désignée à cet effet aura constaté que le mineur ne dispose pas de la faculté de discernement requise. Il peut également refuser d'entendre le mineur pour le motif défini à l'alinéa 2. Le mineur peut interjeter appel contre le refus du juge.

Le mineur doit donner suite à la convocation du juge. Il peut toutefois refuser de répondre aux questions. Le juge doit être averti de son refus de répondre au début de l'audition.

L'audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. Un intérêt approprié est accordé à l'avis du mineur, compte tenu de son âge et de son niveau de maturité.

Les parties ne sont pas présentes à l'audition. Le cas échéant, les frais de celle-ci sont partagés entre les parties.

Le mineur est entendu seul à moins qu'il ne se fasse accompagner d'une personne de confiance.

L'audition a lieu à un endroit jugé approprié par le juge. Il en est établi un procès-verbal qui comporte un résumé de l'audition et qui est joint au dossier de la procédure, sans toutefois que copie en soit délivrée aux parties. ».

Art. 3

Dans le même Code, il est inséré un article 931bis,rédigé comme suit:

« Art. 931bis. — Le Roi détermine quelle est la formation particulière que doivent suivre les juges qui statuent sur des litiges concernant des mineurs. ».

Art. 4

L'article 51 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, dernièrement modifié par la loi du 13 juin 2006, est abrogé.

Art. 5

L'article 56bis de la même loi, inséré par la loi du 2 février 1994, est abrogé.

20 juillet 2010.

Sabine de BETHUNE.
Martine TAELMAN.