5-112/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010

21 SEPTEMBRE 2010


Proposition de loi relative à l'assurance responsabilité professionnelle des entrepreneurs de travaux immobiliers

(Déposée par MM. Wouter Beke et Peter Van Rompuy)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 5 janvier 2010 (doc. Sénat, nº 4-1588/1 - 2009/2010).

En droit belge, le contrat d'entreprise est régi par le Code civil. Conformément à l'article 1779, 3º, du Code civil, le contrat d'entreprise peut être assimilé à un louage d'ouvrage et/ou d'industrie. Le code ne donne toutefois pas de définition explicite de l'entreprise d'ouvrage. Pour cette raison, l'on renvoie à la jurisprudence et à la doctrine traditionnelles sur cette matière (infra).

Pour les édifices construits à prix fait, il est explicitement prévu que l'architecte et l'entrepreneur sont responsables pendant dix ans si l'édifice périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol (1) . L'entrepreneur répond également du fait des personnes qu'il emploie (2) . C'est logique puisqu'il s'agit d'un préposé. Pour l'employeur, l'article 1384, alinéa 3, du Code civil prévoit une responsabilité similaire vis-à-vis de ses préposés (3) .

L'architecte et l'entrepreneur sont solidairement responsables de leurs fautes professionnelles lorsqu'ils ont tous deux commis des fautes: « si un arrêt constate implicitement que sans la faute tant de l'entrepreneur que de l'architecte, le préjudice dans son ensemble ne serait pas apparu, ceux-ci sont tenus « solidairement » au paiement de l'indemnité totale » (4) . Le demandeur n'obtient qu'une seule indemnité et deux ou plusieurs débiteurs répondent chacun du paiement de la totalité de celle-ci. Le paiement par l'un des débiteurs a vis-à-vis du demandeur un effet libératoire pour tous les autres. Par conséquent, le demandeur sera davantage enclin à réclamer la totalité de l'indemnité à la partie la plus solvable, qui sera généralement celle ayant souscrit une assurance pour couvrir ses fautes professionnelles. Et le débiteur qui aura effectué le paiement pourra alors exercer un recours contre les autres débiteurs (5) . Mais si certains de ces débiteurs sont peu solvables, voire s'ils ont entre-temps fait faillite, le débiteur qui a payé la totalité de l'indemnité ne pourra plus récupérer grand-chose.

La loi du 15 février 2006 relative à l'exercice de la profession d'architecte dans le cadre d'une personne morale a été publiée au Moniteur belge le 25 avril 2006. Cette loi ne prévoit pas uniquement la possibilité pour les architectes d'exercer leurs activités professionnelles sous la forme d'une personne morale. Elle instaure également l'obligation pour les architectes de souscrire une assurance responsabilité professionnelle, confirmant ainsi par la voie légale une obligation qui existait déjà sur le plan déontologique.

Les architectes étant tenus de souscrire une assurance responsabilité professionnelle, et les autres intervenants n'ayant pas cette obligation — nous pensons surtout aux entrepreneurs concernés —, on peut parfaitement imaginer que la jurisprudence aura tendance, en cas de faute professionnelle de l'entrepreneur, à retenir également une faute professionnelle dans le chef de l'architecte. Le créancier pourra ainsi réclamer la totalité de l'indemnité à l'architecte, qui est bel et bien assuré pour ses fautes professionnelles. C'est pour cette raison que de nombreux contrats de construction prévoient une clause d'exonération de la responsabilité solidaire de l'architecte, qui peut évidemment s'avérer préjudiciable pour le maître de l'ouvrage en cas d'insolvabilité de l'entrepreneur. La proposition de loi instaure un meilleur équilibre entre les différentes parties intervenant dans les travaux de construction.

Cette vision est clairement corroborée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 12 juillet 2007: « B.6.3. En ce que les architectes sont le seul groupe professionnel du secteur de la construction à être légalement obligé d'assurer sa responsabilité professionnelle, cette responsabilité risque, en cas de condamnation in solidum, d'être, plus que celle des autres groupes professionnels, mise en œuvre, sans qu'existe pour ce faire une justification objective et raisonnable. Cette discrimination n'est toutefois pas la conséquence de l'obligation d'assurance imposée par la loi attaquée mais bien de l'absence, dans le droit applicable aux autres « parties intervenant dans l'acte de bâtir », d'une obligation d'assurance comparable. Il ne peut y être remédié que par l'intervention du législateur. » (6) .

La proposition de loi prévoit pour le maître de l'ouvrage une meilleure garantie d'obtenir réellement une indemnité de la part de l'entrepreneur si ce dernier commet certaines fautes professionnelles qui lui portent préjudice. Lorsque le maître de l'ouvrage peut faire intervenir l'assurance responsabilité professionnelle de l'entrepreneur, il court en effet beaucoup moins de risques d'être confronté à une partie insolvable. L'entrepreneur demeure malgré tout personnellement responsable lorsqu'il n'a pas souscrit d'assurance ou lorsqu'une cause d'exclusion du sinistre trouve éventuellement à s'appliquer. Il est fallacieux d'arguer que l'entrepreneur sera plus vite enclin à faire intervenir son assurance qu'à tenter lui-même de corriger les vices de construction. Il a tout intérêt à remédier lui-même à sa faute professionnelle. En effet, en cas de sinistre, la prime d'assurance de l'entrepreneur risque d'augmenter sensiblement et l'assureur pourrait même résilier l'assurance.

Actuellement, plusieurs autres catégories sont déjà tenues de souscrire une assurance responsabilité professionnelle: tel est le cas notamment des agents et courtiers bancaires, des agents et courtiers d'assurances, des notaires, des architectes, etc.

Enfin, l'entrepreneur a lui-même intérêt à souscrire une assurance responsabilité professionnelle. S'il est condamné à d'importants dommages-intérêts pour fautes professionnelles et s'il n'est pas assuré, il hypothèque gravement la santé financière de son entreprise et risque même la faillite.

Dans le passé, plusieurs groupes politiques n'ont pas caché leur volonté d'obliger les entrepreneurs à assurer leur responsabilité professionnelle (7) . L'association de défense des intérêts des consommateurs Test Achats plaide, elle aussi, en faveur de l'assurance responsabilité professionnelle obligatoire pour les entrepreneurs (8) . L'ASBL NAV Vlaamse architectenorganisatie et les NEROA (Nederlandstalige Raden van de Orde van Architecten) sont également favorables à une telle assurance obligatoire (9) .

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article définit la notion « d'entrepreneur » afin de délimiter clairement le champ d'application de la loi et d'éviter, le cas échéant, toute confusion avec une autre réglementation.

Pour définir la notion d'entrepreneur, les auteurs se sont inspirés de la définition du contrat d'entreprise donnée par la Cour de cassation française. Traditionnellement, le droit belge s'inspire de cette définition (10) .

La Cour de cassation française définit le contrat d'entreprise de la manière suivante: « la convention par laquelle une personne s'oblige contre rémunération à exécuter un travail de façon indépendante et sans représenter son cocontractant » (11) .

La notion d'entrepreneur est interprétée dans un sens très large, de manière à pouvoir englober toutes les catégories possibles d'entrepreneurs de travaux immobiliers.

Article 3

L'article 3 impose aux catégories d'entrepreneurs désignées par le Roi la souscription d'une assurance responsabilité professionnelle.

Le Roi en déterminera les modalités concrètes, notamment la couverture minimale. Pour remédier à la discrimination soulevée par l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 juillet 2007 (supra), il est important que le texte de l'arrêté royal qui règlera ces modalités soit mis en concordance avec celui de l'arrêté royal du 25 avril 2007 relatif à l'assurance obligatoire prévue par la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte.

Tant l'article 3 de la présente proposition de loi que l'article 9 de la loi du 20 février 1939 prévoient que l'assurance responsabilité professionnelle de l'entrepreneur et de l'architecte peut s'inscrire dans le cadre d'une assurance globale pour toutes les parties intervenant dans l'acte de bâtir.

Le texte de loi s'est inspiré du dispositif de la loi du 15 février 2006 relative à l'exercice de la profession d'architecte dans le cadre d'une personne morale.

Article 4

Une disposition pénale est prévue afin de contraindre les entrepreneurs à souscrire une assurance responsabilité professionnelle. Le texte de cet article s'inspire de la disposition pénale applicable aux architectes qui négligent de souscrire une assurance responsabilité professionnelle (12) .

Article 5

Cet article prévoit que les personnes morales sont civilement responsables pour le paiement des amendes et l'exécution des mesures de réparation auxquels leurs organes et préposés ont été condamnés. La réglementation relative aux architectes prévoit une disposition identique (13) .

Article 6

Cet article fixe la date d'entrée en vigueur de la loi et prévoit une période transitoire suffisamment longue pour permettre aux entrepreneurs de se conformer au nouveau régime légal.

Wouter BEKE.
Peter VAN ROMPUY.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par « entrepreneur »: toute personne physique ou morale qui s'engage à effectuer pour le compte d'autrui, moyennant paiement, en toute indépendance mais sans pouvoir de représentation, un travail immobilier donné, en posant des actes matériels.

Art. 3

Le Roi désigne les catégories de personnes qui exercent la profession d'entrepreneur au sens de la présente loi et dont la responsabilité civile, en ce compris la responsabilité décennale, doit être couverte par une assurance. Cette assurance peut s'inscrire dans le cadre d'une assurance globale pour toutes les parties intervenant dans l'acte de bâtir.

Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités et les conditions de l'assurance qui doivent permettre une couverture adéquate du risque au bénéfice du maître de l'ouvrage, notamment:

— le plafond minimal à garantir;

— le montant de la franchise éventuelle;

— l'étendue de la garantie dans le temps;

— les risques qui doivent être couverts;

— les exclusions.

Lorsque la profession d'entrepreneur est exercée par une personne morale conformément à la présente loi, tous les gérants, administrateurs, membres du comité de direction et, de façon plus générale, les mandataires indépendants qui interviennent au nom et pour compte de la personne morale, sont solidairement responsables du paiement des primes d'assurance.

Lorsque, en violation de l'alinéa 1er, la personne morale n'est pas couverte par une assurance, les administrateurs, gérants et membres du comité de direction sont solidairement responsables envers les tiers de toute dette qui résulte de la responsabilité décennale.

Art. 4

Est puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 200 à 1 000 euros, ou de l'une de ces deux peines seulement, toute personne physique ou morale qui exerce la profession d'entrepreneur sans avoir préalablement assuré sa responsabilité civile conformément à l'article 3.

Art. 5

Les personnes morales qui exercent la profession d'entrepreneur conformément à la présente loi sont civilement responsables pour le paiement des amendes et l'exécution des mesures de réparation auxquels leurs organes et préposés ont été condamnés.

Art. 6

La présente loi entre en vigueur à la date fixée par le Roi et au plus tard le premier jour du sixième mois qui suit celui au cours duquel elle aura été publiée au Moniteur belge.

20 juillet 2010.

Wouter BEKE.
Peter VAN ROMPUY.

(1) Article 1792 du Code civil.

(2) Article 1797 du Code civil.

(3) Article 1384 du Code civil: On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. Le père et la mère sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs. Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance. La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère, instituteurs et artisans, ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.

(4) Cass., 2 octobre 1992, Limb. Rechtsl., 1993, T. Aann., 1997, 165; Anvers 9 octobre 1990, T. Aann., 1997, 164 et la note de J. Embrechts.

(5) G. Baert, « Aanneming van werk », APR, Kluwer, 2001, p. 429.

(6) Cour constitutionnelle, arrêt no 100/2007 du 12 juillet 2007.

(7) Rapport fait au nom de la commission de l'Économie, de la Politique scientifique, de l'Éducation, des Institutions scientifiques et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l'Agriculture par M. Guy Hove, doc. Chambre, no 51-1920/005: CD&V (Trees Pieters) p. 13, spa-spirit (Magda De Meyer) p. 14, VLD (Annemie Turtelboom) p. 21.

(8) Test Achats, « Mémorandum pour les élections fédérales de 2007 », 10 juin 2007, p. 23.

(9) Rapport fait au nom de la commission de l'Économie, de la Politique scientifique, de l'Éducation, des Institutions scientifiques et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l'Agriculture par M. Guy Hove, doc. Chambre, no 51 1920/005, pp. 8 et 11.

(10) W. Goossens, Aanneming van werk — Het gemeenrechtelijk dienstencontract, La Charte, 2003, p. 3.

(11) Cass. fr. 19 février 1968, D. 1968, 393, RTDC, 1968, 558 et Bull. Civ. I, no 69; Cass. fr. 25 octobre 1972, Bull. Civ. III, no 554, 406 (« exécuter un travail contre une rémunération sans qu'il existât un lien juridique de subordination ») et Cass. fr. 17 décembre 1997, Gaz. Pal., 12-14 avril 1998, pan. Cass., 84.

(12) Voir l'article 11 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte, Moniteur belge du 26 mars 1939.

(13) Voir l'article 12 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte, Moniteur belge du 26 mars 1939.