5-52/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010

2 SEPTEMBRE 2010


Proposition de loi modifiant la législation relative aux noms et prénoms en vue de faciliter la modification des noms

(Déposée par Mme Martine Taelman)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 11 février 2009 (doc. Sénat, nº 4-1173/1 - 2008/2009).

Selon la législation actuelle, la possibilité de changer tant le nom de famille que le prénom de manière autonome existe grâce à la procédure de modification du nom. Il s'agit non pas d'une procédure devant le tribunal mais d'une procédure administrative. La modification des prénoms s'effectue par le truchement du ministre de la Justice (plus précisément le Service public fédéral (SPF) Justice) et confirmée par le ministre. La modification des noms de famille passe également par le SPF Justice, mais est seulement ratifiée (1) par arrêté royal.

Cette procédure n'est pas la même que celle dans le cadre de laquelle soit on a noté un nom de manière erronée sur l'acte de naissance ou un autre document de l'état civil, soit l'officier de l'état civil a écrit le nom de manière incomplète. Le cas échéant, il est possible d'intenter une procédure devant le tribunal (en l'occurrence, le tribunal civil de première instance).

La présente proposition concerne uniquement la possibilité de demander un changement du nom de famille ou du prénom de manière autonome au sens de la loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms.

Réglementation actuelle selon la loi de 1987

1. On ne peut demander le changement d'un prénom ou d'un nom que lorsque l'on est citoyen belge ou que l'on a été reconnu comme réfugié ou apatride par les Nations unies.

2. Le changement de prénom ou de nom de famille n'est pas un droit civil, mais seulement une faveur accordée ou non par les autorités.

3. On peut donc obtenir cette faveur légalement, mais seulement à titre exceptionnel. Le requérant doit motiver lui-même sa demande de manière suffisante et fournir des éléments de preuve (2) .

Les autorités accordent facilement le changement de (pré)nom:

— lorsque le prénom ou le nom de famille, par lui-même ou en association, a une consonance ridicule, étrangère, désuète ou haineuse;

— pour un enfant adopté qui, par suite de l'adoption, n'a pas reçu le nom de famille de l'adoptant;

— pour un enfant naturel, lorsque le changement de nom de famille est demandé par les deux parents ou par la personne qui a la garde de l'enfant et est motivé par le souci d'extérioriser la filiation, pour autant que le résultat ne puisse être obtenu par le biais d'une reconnaissance par voie judiciaire.

Il importe toutefois de toujours respecter le principe général selon lequel le nouveau prénom ou nom de famille ne peut pas, a priori, prêter à confusion ou nuire au requérant ou à des tiers (3) .

Le coût actuel d'un changement de prénom est de 490 euros. Si le prénom est considéré comme prêtant à confusion ou comme ayant une consonance ridicule, haineuse ou étrangère, le coût peut être ramené à 49 euros. Le coût de l'autorisation d'un changement de nom de famille est de 49 euros minimum.

Actuellement, le droit est fixé à 740 euros pour les autorisations d'adjoindre à un nom un autre nom ou une particule ou de substituer une lettre minuscule à une majuscule. Cette règle souffre deux exceptions: premièrement, en cas d'adjonction d'un nom conformément aux règles relatives à la détermination du nom applicables dans l'État dont le bénéficiaire possède également la nationalité (par exemple, pour un citoyen espagnol); deuxièmement, lorsque le requérant ou l'un de ses ascendants ou descendants a rendu des services éminents, comme le prévoit l'article 248, alinéa 3, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe.

Dans pareils cas, le droit est ramené respectivement à 49 et 490 euros. Dans ce dernier cas, il s'agit cependant d'une possibilité que la loi offre au Roi.

La pratique montre que la procédure de changement de prénom ou de nom de famille peut prendre jusqu'à un an et demi ou deux ans.

Enfin, il y a lieu de signaler qu'un changement de nom de famille ne vaut que pour l'avenir et, en principe, uniquement pour la personne qui l'a demandé, donc pas pour ses enfants, sauf demande expresse en ce sens. Le changement de nom s'applique d'autre part de toute façon aux enfants du requérant nés après l'introduction de la demande (si ceux-ci portent le nom de ce parent, sur la base des règles ordinaires de filiation).

Critique de la législation actuelle

La procédure actuelle est trop lourde et trop longue. Le demandeur ou la demandeuse est confronté(e) à un imbroglio juridique et doit facilement encore attendre un an et demi à deux ans après l'introduction de sa demande. En outre, ses efforts risquent d'être inutiles dès lors qu'il s'agit d'un régime de faveur accordé par l'État. Pour l'heure il n'existe donc pas encore de droit contraignant de changer de (pré)nom.

Des études font néanmoins apparaître au cours des dernières années une augmentation du nombre de demandes de modification du prénom ou du nom patronymique.

Uniquement le prénom Uniquement le nom Patronyme et prénom Total
2002 504 522 97 1 123
2003 525 533 102 1 180
2004 591 666 89 1 346

Cette augmentation s'explique essentiellement par le fait que beaucoup de Belges d'origine allochtone estiment que leur nom est beaucoup trop déconcertant ou qu'il a une consonance trop étrangère. Ils veulent s'intégrer en tant que Belges dans la société. Certains sont nés en Belgique et y ont grandi et ne parlent plus guère, voire plus du tout la langue de leurs (grands-)parents.

Enfin, nous souhaitons faire en sorte que la procédure de modification du (pré)nom, d'adjonction à un nom d'un autre nom ou d'une particule, ou de substitution d'une lettre minuscule à une majuscule soit moins coûteuse (un tarif unique de 49 euros), uniformisée et simplifiée sur le plan administratif.

Objectif

Dans notre société moderne qui s'internationalise de plus en plus, le Belge ou le réfugié ou l'apatride reconnu par les Nations unies doit pouvoir, délibérément, modifier son nom sans intervention trop dirigiste des autorités. C'est pourquoi la possibilité de modifier son (pré)nom doit devenir un droit civique au lieu d'une faveur accordée par les autorités. Si un(e) Belge ou un(e) réfugié(e) reconnu(e) se sent mieux dans la société en portant un nouveau (pré)nom, il ou elle doit pouvoir le faire facilement. S'il ou elle souhaite adapter ou simplifier son nom (par exemple, le néerlandiser), l'État ne peut l'en empêcher. Ce n'est pas aux autorités de déterminer s'il ou elle en a le droit.

L'on peut remarquer à cet effet que la généalogie permet d'établir que nombre de noms belges ont subi, au cours des siècles, souvent spontanément et inconsciemment, de légères modifications, suite à leur transmission orale ou à des fautes d'orthographe. Puisqu'il s'agissait d'un processus spontané, ces modifications ne consistaient, la plupart du temps, qu'en une simplification qui permettait d'écrire ou de prononcer plus facilement le nom.

En vertu des règles de droit international privé, des enfants issus des mêmes parents peuvent avoir des noms de famille différents. Le fait que les enfants soient nés dans des pays différents peut entraîner une divergence au niveau du nom de famille. Ainsi, en Islande, on reçoit comme nom de famille le prénom du père ou de la mère, suivi de -son ou -dottir. Imaginons qu'un homme islandais (Lars Eriksson, par exemple) se marie avec une Belge et qu'ils aient ensemble une fille Lara. Sur le passeport islandais, on pourra lire Lara Larsdottir (fille de Lars), sur le passeport belge, on lira Lara Eriksson ou simplement le nom de famille du père. Des problèmes comparables peuvent se poser avec les doubles noms de famille hispanophones et avec les enfants possédant une double nationalité.

Aux Pays-Bas, il existe déjà une procédure simplifiée pour modifier un nom. Pour les étrangers, cette procédure fait même partie intégrante de la législation relative à la naturalisation néerlandaise. Dans le cadre de cette procédure de naturalisation, le nom de famille peut également être modifié. Au Danemark, il sera bientôt possible de choisir tout à fait librement son nom de famille.

Aux États-Unis, pays de l'immigration par excellence, la modification du nom de famille ou du prénom ne pose aucun problème et l'on peut même, en téléchargeant un formulaire (legal form) sur Internet, se voir attribuer un nouveau nom. Le grand-père du candidat à la présidence américaine John Kerry s'appelait Fritz Kohn et habitait en Tchécoslovaquie. Lorsqu'il est arrivé aux États-Unis, il a changé son prénom et son nom de famille pour s'appeler John Kerry, ce qui facilitait les choses. Ainsi, Alan Stewart Koningsberg, mieux connu sous le nom de Woody Allen, a également modifié son nom, tout comme Dino Crocetti, qui est devenu Dean Martin.

La présente proposition de loi vise également à accélérer et à assouplir la procédure de modification du nom. C'est pourquoi le ministre devra engager du personnel pour étoffer le service chargé de la modification des noms au sein du SPF Justice et lui donner plus de moyens pour rendre son travail plus efficace et plus rapide.

Martine TAELMAN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 2, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms, modifié par la loi du 10 mai 2007, est remplacé par l'alinéa suivant:

« Toute personne peut adresser une demande de changement de nom ou de prénoms, au ministre qui a la Justice dans ses attributions. »

Art. 3

L'article 3 de la même loi, modifié par la loi du 10 mai 2007, est remplacé par la disposition suivante:

« Art. 3. — Le ministre qui a la Justice dans ses attributions, autorise le changement de prénoms, sauf si les prénoms sollicités ne peuvent prêter à confusion ou nuire au requérant ou à des tiers.

Le Roi autorise le changement de nom, sauf si le nom sollicité ne peut prêter à confusion ou nuire au requérant ou à des tiers. »

Art. 4

À l'article 249 du Code de droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, modifié en dernier lieu par la loi du 10 mai 2007, les modifications suivantes sont apportées:

1º le paragraphe 1er est remplacé par ce qui suit:

« § 1er. Le droit est fixé à 49 euros pour les autorisations de changement ou d'adjonction d'un ou de plusieurs prénoms. »;

2º le paragraphe 3 est remplacé par ce qui suit:

« § 3. Le droit est fixé à 49 euros pour les autorisations d'adjoindre à un nom un autre nom ou une particule ou de substituer une lettre minuscule à une majuscule. »

Art. 5

La présente loi entre en vigueur à la date fixée par le Roi, et au plus tard le 1er janvier suivant la date de sa publication au Moniteur belge.

20 juillet 2010.

Martine TAELMAN.

(1) Le nouveau nom de famille ne peut ni prêter à confusion ni nuire au requérant (ou à la requérante) ou à des tiers. C'est pourquoi la proposition de la modification du nom de famille est d'abord publiée au Moniteur belge. De cette manière, le requérant (ou la requérante) ou les tiers ont soixante jours pour éventuellement faire opposition. Le changement des prénoms n'est pas, contrairement au changement de noms de famille, publié au Moniteur belge, et des tiers ne peuvent dès lors pas faire opposition. Le principe d'invariabilité vaut d'ailleurs pour le nom de famille: donc, le nom de famille reçoit une protection particulière.

(2) C'est ainsi que le requérant doit rassembler des documents d'où il ressort que le nom fait l'objet de moqueries ou prête à confusion (etc.). Il doit également joindre au dossier une motivation du choix du nouveau nom, en plus d'un extrait d'acte de naissance, d'un certificat de domicile et d'une preuve de la nationalité belge ou d'une preuve de son statut de réfugié ou d'apatride reconnu.

(3) Voir note de bas de page 1.