4-1700/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

11 MARS 2010


Proposition de loi visant à scinder les activités bancaires

(Déposée par M. José Daras et Mme Freya Piryns)


DÉVELOPPEMENTS


Depuis le 19e siècle jusqu'à la fin des années 1920, les banques mixtes exerçant des activités de société de portefeuille ont multiplié leurs participations industrielles dans un contexte de prospérité économique. La crise des années 1930, qui réduisit de plus d'un quart la production industrielle et le volume des exportations, mit les banques en difficulté. Les titres qu'elles détenaient étaient dévalorisés. De nombreuses entreprises s'avéraient insolvables. En vue de se protéger, elles réduisirent leurs crédits, ce qui eut pour effet d'accentuer la dépression, de diminuer les dépôts et d'aggraver encore l'illiquidité du système bancaire.

Jusqu'en 1934, les banques mixtes étaient très étroitement associées au développement industriel. Leurs activités comportaient simultanément la collecte de dépôts et l'octroi de crédit, d'une part, et la gestion d'un portefeuille d'actions et d'obligations, d'autre part. Cette deuxième fonction les mit en difficulté lors de la grande crise des années trente. En raison des mauvais choix en matière de politique économique, le Belgique s'enlisa dans la dépression. Le choix de maintenir fixe la valeur en or du franc belge malgré l'abandon de l'étalon de change-or par la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les États-Unis a été particulièrement préjudiciable à notre pays. En effet, la dépréciation des grandes devises surévaluait le franc belge et imposait à la Belgique une politique de déflation de plus en plus sévère, aggravant encore la dépression. Les difficultés rencontrées par les banques populaires associées au Parti ouvrier belge, d'une part, et au puissant Boerenbond, d'autre part, précipitèrent la décision de scinder les banques mixtes.

La réforme de 1934-1935 qui scinda les banques mixtes en banques de dépôts, d'une part, et sociétés de portefeuille, d'autre part, fut la réponse à une menace très réelle de crise bancaire. L'arrêté royal du 22 août 1934 organisa la séparation des opérations bancaires et financières en vue de sauver les banques.

Un arrêté royal du 9 juillet 1935 compléta donc la scission des banques mixtes par une série de mesures destinées à renforcer la solidité du système bancaire. Une Commission bancaire fut créée pour exercer le contrôle des activités des organismes de crédit. La possibilité d'imposer des coefficients de structure (c'est-à-dire des proportions minimales entre certains postes de l'actif et du passif) fut énoncée, mais pas encore appliquée à ce stade.

La réforme entreprise en Belgique était bien dans l'air du temps (plusieurs pays d'Europe avaient, en réaction à la crise, limité le terrain d'action des banques mixtes) mais elle fut parmi les plus radicales. Les banques de dépôts belges furent désormais obligées de se cantonner au crédit à court terme, c'est-à-dire n'excédant pas deux ans, et, cas unique en Europe, elles furent soumises à l'interdiction absolue de détenir des actions de sociétés industrielles.

Les banques belges ont vécu sous le régime de la banque de dépôts de 1935 à 1993. Ce régime limitait le champ des activités bancaires par des restrictions légales (totales ou partielles) quant à la détention d'actifs industriels ou commerciaux.

Cependant, à l'aube des années nonante, la position oligopolistique des banques belges vis-à-vis de l'État fut ébranlée par des réformes destinées à accélérer l'assainissement des finances publiques.

Parallèlement, le champ d'action des banques fut élargi. Enfin, en 1993, une réforme du statut bancaire, inspirée par les directives européennes, conduisit à l'adoption du modèle allemand de banque universelle et clôtura l'épisode historique de la banque de dépôts.

L'histoire ne serait-elle qu'un perpétuel mouvement de balancier ? À l'instar des événements des années 1920, les banques ont, depuis le milieu des années 1990, mis en danger l'épargne publique en spéculant toujours davantage. Aujourd'hui, les instruments de cette spéculation sont devenus plus complexes (produits dérivés, titrisation, opérations hors-bilan, etc ...), ce qui la rend encore plus dangereuse.

Ce ne sont plus tant les participations industrielles qui posent problème, mais bien l'activité des salles de marché des banques où des opérations de plus en plus complexes et virtuelles mobilisent des sommes colossales. En avril 2009, le FMI estima les pertes globales des banques à travers le monde à 4 000 milliards de dollars.

Les banques belges n'ont bien sûr pas été épargnées. Pour se sortir de la situation bancale dans laquelle elles se sont mises, les banques se voient aujourd'hui contraintes de réduire la taille de leur bilan. Cette opération d'assainissement passe aussi par une restriction des conditions d'octroi de crédit. Malgré la politique monétaire très accommodante, le volume du crédit recule et affecte toute l'économie du pays. Vu sous cet angle, la période de la grande crise années 1930 ne diffère pas de la période actuelle.

La conclusion à laquelle le gouvernement de Broqueville II arriva en 1934 était limpide:

« D'une façon générale, les banques belges ont bien résisté à la crise, mais celle-ci a fini par les empêcher de remplir pleinement la mission qui leur est dévolue dans l'économie nationale. Une réforme profonde s'impose, tout d'abord dans la structure même de nos organismes financiers. Il est apparu au gouvernement que tant pour protéger l'épargne, que pour permettre d'élargir le crédit, l'abandon du type mixte s'indique. Dorénavant, la Belgique aura d'une part des établissements financiers acceptant des dépôts, et, d'autre part, des organismes industriels, comme des trusts ou des holdings. (1)  ».

Il faut oser tirer les leçons de l'Histoire. La séparation des métiers bancaires a donné satisfaction par le passé. Aujourd'hui, les dirigeants de grandes nations songent à nouveau à réduire la taille des banques et à séparer les activités de dépôts et les opérations pour le compte propre des banques sur les marchés.

En Belgique, la Commission spéciale chargée d'examiner la crise financière et bancaire a formulé dans son rapport final des recommandations très claires à cet égard:

« La commission recommande la réintroduction d'un modèle d'activité bancaire classique, transparent pour les clients, dans le cadre d'un établissement financier spécial (cf. les anciennes banques et caisses d'épargne). Elle souhaite opérer une séparation claire entre la banque de dépôts et la banque commerciale. La commission demande au législateur et aux autorités de contrôle des banques d'adapter leur réglementation sur certains points (par exemple, règles en matière de solvabilité et de fonds propres) pour encourager l'activité bancaire classique. (2)  ».

Fidèle aux recommandations de la Commission spéciale, la présente proposition vise donc à réintroduire le principe de la stricte séparation des métiers bancaires. La proposition rétablit les banques de dépôts, dont les activités seront bien distinctes de celles des banques d'affaires ou des banques de titres. La protection des dépôts jusqu'à 100 000 euros ne devrait viser que les dépôts des banques dont c'est le métier. Les banques qui prennent plus de risque, et qui partant offrent une meilleure rentabilité à leurs clients et actionnaires, ne doivent pas bénéficier des mêmes garanties que celles dont bénéficient les banques de dépôts, plus prudentes.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article définit ce qu'est une banque de dépôt et stipule quelles sont les incompatibilités entre cette activité et d'autres activités, à partir de 2012.

Quelques dérogations sont prévues en ce qui concerne la détention de participations.

Par ailleurs, les banques de dépôt pourront encore réaliser des opérations portant sur des instruments financiers, au sens de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier, pour le compte de leurs clients. La notion d'instrument financier comprend notamment: les actions, les obligations, les parts d'organismes de placement collectif, les contrats d'options, contrats d'échange, les contrats à terme, les instruments dérivés de toute nature, etc.

Article 3

à partir du 1er janvier 2012, les banques de dépôts devront soit cesser les activités proscrites, soit transférer ces activités à une société tierce.

Article 4

Cet article vise à préciser l'affectation des fonds que peuvent faire les banques de dépôts. Les interdictions du second alinéa visent à empêcher que les banques de dépôts financent des activités spéculatives en octroyant des crédits à des banques d'affaire, des fonds d'investissements, etc. La séparation des métiers bancaires est inopérante sans ce cloisonnement des fonds.

Article 5

Seules les banques de dépôts pourront utiliser les termes de banque d'épargne, caisse d'épargne ou banque de dépôt. Cette restriction vise à empêcher que le public soit trompé quant à la nature de la banque à laquelle il choisit de confier son épargne. Cette disposition est étroitement liée au système de protection des dépôts, qui est adapté à l'article 9.

Article 6

Les exonérations fiscales actuelles des opérations de fusions et de scissions ne donnent pas de garantie juridique suffisante. Afin d'éviter toute ambiguïté au sujet des implications fiscales des opérations qui découlent de dispositions de la présente loi, il convient de prévoir une exonération fiscale explicite. Cette exonération ne vise que les impôts qui relèvent de la compétence de l'État fédéral. Les droits d'enregistrement relèvent désormais de la compétence des Régions, à quelques exceptions près. L'État fédéral est encore compétent pour le droit d'apport proportionnel. Ce droit d'apport, prévu à l'article 115 du Code des droits d'enregistrement, a été porté à 0 %.

Article 7

La sanction prévue pour les banques qui ne se plieraient pas à l'obligation est la dissolution de plein droit, suivie d'une liquidation.

Article 8

Cette disposition vise à instaurer une incompatibilité de fonction stricte dans le chef des dirigeants des banques afin d'éviter tout conflit d'intérêt. Les protocoles que la CBFA a signés avec les banques, et qui sont en vigueur actuellement, ne sont pas assez restrictifs.

Article 9

Cette disposition vise à interdire les prêts d'une banque de dépôts en faveur d'un de ses dirigeants, afin d'éviter tout conflit d'intérêt.

Article 10

À partir du 1er janvier 2012, les clients des banques d'affaires ne bénéficieront plus de la protection du Fonds des dépôts.

Article 11

Cet article prévoit les sanctions en cas d'infraction aux dispositions de la présente loi. L'infraction à l'article 4 est lourdement sanctionnée, afin d'éviter que le public ne soit induit en erreur sur le statut réel de la banque à laquelle il décide de confier son épargne. C'est fondamental dans la mesure où, à partir de 2012, seules les banques de dépôts pourront prétendre à la garantie du Fonds de protection des dépôts. Les infractions aux dispositions concernant les incompatibilités et la dissolution des sociétés sont également sanctionnées.

Article 12

Les dispositions concernant les participations des banques mixtes sont abrogées à partir du 1er janvier 2012. En outre, elles ne seront pas applicables, de manière obligatoire, aux banques de dépôts qui seront constituées avant cette échéance.

Toutefois, les banques qui le souhaitent peuvent adopter le nouveau régime, dans son entièreté, à compter du 10e jour de la publication de la présente loi au Moniteur belge.

Il va de soi qu'une application des seules dispositions avantageuses avant le 1er janvier 2012 est exclue.

José DARAS
Freya PIRYNS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est interdit à ceux qui exercent l'activité de banque de dépôts, c'est-à-dire dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts d'argent ou d'autres fonds remboursables dans un délai inférieur à 2 ans, de prendre des parts d'associés ou des participations quelconques dans des sociétés ou associations de quelque nature que ce soit ou de détenir des obligations de semblables sociétés ou associations, de détenir, d'acheter, ou de vendre pour compte propre des instruments financiers visés à l'article 2, 1º, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers.

Par dérogation à l'alinéa précédent, ils peuvent posséder:

1. des actions de sociétés présentant le même caractère de banque de dépôts, sous réserve que ces placements ne dépassent pas le quart de leurs fonds propres;

2. toutes valeurs émises par l'État belge ou une de ses entités;

3. toutes valeurs émises par la Banque nationale de Belgique.

Art. 3

Les sociétés qui exercent à la fois l'activité de banque de dépôts et ont des parts d'associés, des participations, des obligations ou réalisent des opérations pour compte propre avec des instruments financiers visés à l'article 2 doivent soit renoncer à l'une de ces activités soit se scinder en deux sociétés distinctes.

Art. 4

Les banques de dépôts peuvent financer toute activité commerciale, industrielle ou sans but lucratif dans le secteur privé ou public.

Les banques de dépôts ne peuvent, en revanche, octroyer de crédits, sous quelque forme que ce soit, à un établissement de crédit autre qu'une banque de dépôt, une entreprise d'investissement, une entreprise d'assurance, un organisme de placement collectif ou un fonds de pension.

L'autorité de surveillance pourra adopter des règlements contraignants en matière de politique de crédit, et notamment la concentration de risque.

Art. 5

Par dérogation à l'article 6 de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, seules les banques de dépôts qui répondent aux critères de l'article 2 peuvent faire usage public en Belgique des termes « banque d'épargne », « caisse d'épargne » ou « banque de dépôts ».

Art. 6

Les actes constitutifs de sociétés, les actes de partage ou de liquidation, les actes modificatifs de statuts, les actes de fusion, les actes constatant des apports mobiliers ou immobiliers et les actes divers constatant ou mentionnant des opérations faites pour se conformer à l'article 3 sont exemptés d'impôts.

Pour bénéficier de l'exemption fiscale prévue à l'alinéa 1er, les actes devront être passés et les opérations effectuées avant le 1er janvier 2012.

Art. 7

Les sociétés qui, dans le délai prescrit, ne se seront pas conformées à l'article 2 seront considérées comme étant arrivées à leur terme et liquidées comme prévu aux articles 183 à 196 du Code des sociétés.

Art. 8

Les administrateurs, gérants, directeurs ou fondés de pouvoirs d'une banque de dépôts, et toutes les personnes qui, sous quelque dénomination que ce soit, prennent part à la gestion courante d'une telle banque, ne peuvent être administrateurs, gérants, directeurs, fondés de pouvoirs ou prendre part à la gestion courante d'une société commerciale ou à forme commerciale.

Art. 9

Une banque de dépôts ne peut consentir de prêts, sous quelque forme que ce soit, à ses administrateurs, gérants ou directeurs.

Art. 10

Par dérogation aux dispositions visées ci-après, seules les banques de dépôts visées à l'article 2 et les entreprises d'assurances agréées en qualité d'assureur d'assurances sur la vie avec rendement garanti peuvent adhérer au Fonds et au Fonds spécial visés par ces mêmes dispositions:

1. l'article 110bis-2, § 2, alinéa 1er de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit;

2. l'article 113, § 2, alinéa 2, de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement;

3. l'arrêté royal du 16 mars 2009 relatif à la protection des dépôts et des assurances sur la vie par le Fonds spécial de protection des dépôts et des assurances sur la vie;

4. l'arrêté royal du 14 novembre 2008 portant exécution de la loi du 15 octobre 2008 portant des mesures visant à promouvoir la stabilité financière et instituant en particulier une garantie d'État relative aux crédits octroyés et autres opérations effectuées dans le cadre de la stabilité financière, en ce qui concerne la protection des dépôts et des assurances sur la vie, et modifiant la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers.

Art. 11

Les infractions à l'article 4 sont punies d'une amende administrative de 1 000 000 d'euros.

Les infractions aux articles 5 à 7 sont punies d'une amende administrative de 25 000 euros.

Les amendes prévues aux alinéas précédents sont perçues par la Commission bancaire, financière et des assurances.

Art. 12

L'arrêté royal du 8 mai 1990 fixant les conditions dans lesquelles les établissements de crédit peuvent détenir des parts d'associés, ainsi que l'arrêté ministériel du 14 juin 1990 portant approbation de l'arrêté de la Commission bancaire du 29 mai 1990 relatif à la détention de parts d'associés par les banques et les caisses d'épargne privées sont abrogés à partir du 1er janvier 2012.

Art. 13

À l'exception de l'article 6, la présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2012.

10 février 2010.

José DARAS
Freya PIRYNS.

(1) Arrêté royal du 22 août 1934 relatif à la protection de l'épargne et à l'activité bancaire, publié au Moniteur belge du 24 août 1934, p. 4483-4485.

(2) Doc. Parl., Chambre, DOC 52 1643/002, p. 541.