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24 FÉVRIER 2010
A. Objet de la proposition de résolution
L'année 2010 constitue une phase très importante dans l'évolution démocratique et politique du Burundi. C'est une année électorale qui permettra de renouveler les instances élues en 2005, institutions qui avaient été mises sur pied suite à la fin de la guerre civile. Le renouvellement pacifique des institutions démocratiques est fondamental pour consolider la démocratie au Burundi. Puisqu'il est un de nos pays partenaires, la Belgique a un rôle important à jouer lors de ces élections.
B. Calendrier électoral
Voici le calendrier des élections:
— 21 mai 2010: élections des conseils communaux;
— 28 juin 2010: élections présidentielles; (en 2005, le président était élu par le Congrès réunissant députés et sénateurs; en 2010, l'élection aura lieu au suffrage universel);
— 23 juillet 2010: élections des députés;
— 28 juillet 2010: élection des sénateurs;
— 7 septembre: élection des conseillers collinaires.
Si la moitié du financement du processus électoral est déjà trouvé, les Nations unies et la Belgique doivent coordonner leurs aides techniques et financières pour en assurer le succès. (Pour info: la Belgique a déjà fourni une contribution de 2 millions d'euros pour le processus électoral.) Le Bureau intégré des Nations unies au Burundi se doit de fournir son expertise si la Commission électorale nationale indépendante lui en fait sa demande (l'appui au processus électoral est prévu dans le mandat de la BINUB).
Cette proposition de résolution vise donc à soutenir ce processus électoral, dont le succès permettra la poursuite de la démocratisation du pays. Nous demandons que la Belgique soutienne, en coordination avec d'autres pays et instances internationales, ce processus de façon conditionnelle.
C. Rétroacte historique
L'assassinat du premier président démocratiquement élu, son Excellence Merchior Ndadaye, en octobre 1993 a plongé le Burundi dans une longue guerre civile qui va faire des dizaines de milliers de victimes civiles. Un long processus diplomatique a permis par la négociation de signer des accords de cessez-le-feu entre les différents belligérants. Le plus important de ces accords a été signé en novembre 2003 entre le gouvernement de transition de l'époque et le Conseil national pour la défense de la démocratie — Force pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD).
Cet accord de cessez-le-feu constitue une étape décisive pour un retour effectif de la paix et de la sécurité sur la quasi-totalité du territoire national. Au cours de la seule année 2005, 68 000 réfugiés sont rentrés au Burundi. Une armée, une police et un service de renseignement a été mis en place. Près de 17 000 combattants ont été démobilisés durant cette période.
Le referendum du 28 février 2005 a permis au peuple burundais d'adopter une constitution post-transition, promulguée le 18 mars 2005. Elle a donné naissance à deux textes fondamentaux: le Code électoral et la loi communale. Sur base de ces différents textes, des élections communales, législatives, sénatoriales, présidentielles, et collinaires ont été tenues en 2005. Le Burundi a un système parlementaire bicaméral composé de 118 députés et 49 sénateurs.
Présidé par Pierre Nkurunziza, le Burundi s'est doté d'un gouvernement de réconciliation nationale, ainsi que de conseils communaux et collinaires qui consacrent la décentralisation du pouvoir. Le CNDD-FDD, transformé en parti politique, a gagné tous les scrutins organisés en 2005. On doit déplorer que le Burundi souffre de malgouvernance, de corruption, de tentatives pour réduire l'opposition et la presse au silence, ce qui a inquiété à l'extérieur aussi bien qu'à l'intérieur du pays.
La fragmentation du paysage politique a provoqué de nombreux blocages institutionnels. Le départ d'Hussein Radjabu, le président du CNDD-FDD, sa condamnation à treize ans de prison en février 2008 pour atteinte à la sûreté de l'État, et son remplacement par Jérémie Ngendakumana, réouvre le jeu politique fin 2007. Le CNDD-FDD doit s'associer avec d'autres partis pour former un nouveau gouvernement avec l'UPRONA et le FRODEBU le 14 novembre 2007. Néanmoins, tant le CNDD-FDD que le FRODEBU connaissent des scissions et des radiations de hauts responsables, entraînant des blocages de la vie parlementaire.
Une immunité provisoire a été accordée à tous les prisonniers politiques identifiés par une Commission ad hoc. En réalité, il existe une certaine réticence au Burundi (le CNDD-FDD n'est pas signataire des accords d'Arusha) pour appliquer les accords d'Arusha — création d'une commission vérité et réconciliation et d'un tribunal spécial mixte — et lutter contre l'impunité. Malgré des négociations avec l'ONU, de nombreux leaders politiques et militaires de tous bords préfèrent l'oubli à la justice, tant parce que nombreux sont ceux qui ont du sang sur les mains que parce qu'ils craignent de menacer une fragile stabilité.
Les négociations avec les Forces nationales de libération (FNL) ont longuement piétiné, menaçant la paix civile et la stabilité des institutions. Le CNDD-FDD a engagé des négociations avec le FNL, tout en voulant une victoire militaire et des sanctions internationales contre lui. Avec l'aide de la Tanzanie et l'Afrique du Sud, des accords de pacification ont été conclus (7 septembre 2006 entre le président Nkurunziza et Agathon Rwasa), des séries de négociation ont été menées (février 2007) mais sans résultat concret pour répartir et intégrer des rebelles dans différentes régions du pays. Le FLN est donc resté pour un temps le dernier mouvement rebelle à ne pas avoir déposé les armes, et est accusé de graves abus: meurtres, viols, extorsions et recrutement forcés d'enfants soldats.
Néanmoins, en décembre 2008, un nouveau cessez-le-feu a été conclu entre le gouvernement et le FNL et, en avril 2009, son chef, Agathon Rwasa (il était rentré à Bujumbura après 20 ans de maquis en mai 2008) a décidé de déposer les armes. La mise en œuvre de l'Accord global de cessez-le-feu a débouché en avril 2009 sur l'enregistrement des FNL en tant que parti politique et a vu, en mai et juin 2009, l'achèvement de la première phase de la mise en œuvre de l'Accord avec l'intégration des FNL dans les forces de défense et de sécurité et les institutions nationales. Le programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration des combattants adultes des FNL qui a commencé en juin 2009 s'est achevé en août 2009.
Désormais, il n'y a plus aucun groupe armé qui menace la sécurité du pays. L'ensemble des acteurs participe pacifiquement à la vie politique.
D. Situation actuelle
La relative pacification ethnique constitue la réalisation la plus importante du gouvernement. Le choix du gouvernement burundais a été le suivant: résoudre les affrontements ethniques du pays par des accords négociés et l'introduction de quota dans les institutions publiques. Malheureusement, elle ne peut être tenue pour définitivement acquise. En effet, les difficultés issues de la tentative de démobilisation de militaires tutsis et le recrutement de militaires hutus en mars 2008 démontrent la sensibilité de cette question. Rappelons que la population du Burundi est composée de 85 % d'Hutus et de 14 % de Tutsis; l'armée et la police sont paritaires (l'armée étant plutôt dominée par les Tutsis et la police par les Hutus), le gouvernement et le Parlement sont composés de 60 % d'Hutus et 40 % de Tutsis.
Le Burundi est un des pays les plus pauvres du monde. 80 % de ses 8 millions d'habitants vivent à la campagne. L'espérance de vie est de 43 ans et un enfant sur cinq n'atteint pas l'âge de cinq ans. Le 30 janvier 2009, la Banque mondiale a annoncé que le Burundi avait rempli les conditions requises pour atteindre le point d'achèvement dans le cadre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés. De ce fait, 92 % de la dette contractée par le Burundi auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sera annulée. De même, le Club de Paris a annoncé le 11 mars 2009 l'annulation de 134 millions de dollars qui représentent la totalité de la dette du Burundi à l'égard des créanciers du Club de Paris.
L'annonce de la gratuité de l'enseignement primaire et des soins médicaux pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes a été très bien accueillie par la population. Si des infrastructures scolaires ont été construites, il faut désormais adapter l'ensemble des infrastructures et des ressources humaines pour offrir à la population un service de qualité.
E. Situation après les élections
Le nouveau gouvernement issu des urnes devra s'attaquer à une série de dossiers importants: la réhabilitation des infrastructures, la lutte contre la corruption et le détournement d'argent, la réforme fiscale, la réforme agraire et la mise en place de moyens communautaires, la question de l'énergie, le développement d'une agriculture rentière de qualité, l'intégration dans la politique économique régionale, et l'ouverture d'un dialogue national sur les violences ethniques.
F. Rôle de la coopération belge
La Belgique et le Burundi ont conclu en octobre dernier à Bruxelles un nouveau programme indicatif de coopération pour la période 2010-2013. Avec ce nouveau programme indicatif de coopération, caractérisé par une aide bilatérale passant de 60 millions d'euros sur la période 2007-2009 à 150 millions d'euros en 2010-2013, la Belgique se positionne clairement comme le premier donateur bilatéral au Burundi.
Une tranche supplémentaire de 50 millions d'euros pourra être libérée en fonction d'avancées concrètes dans le domaine de la gouvernance démocratique et financière. La libération de cette tranche sera basée sur une évaluation du bon déroulement de ces élections, sur la validation et de la mise en œuvre du plan d'action de la stratégie nationale gouvernance, sur des revues successives positives de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance par le FMI et enfin sur un indicateur CPIA supérieur ou égal au niveau actuel.
Néanmoins, il faut souligner que le Burundi connaît de grands problèmes d'appropriation et d'absorption. L'équipe gouvernementale burundaise en charge de la coopération n'a pas encore atteint le degré de professionnalisme requis pour absorber l'aide et permettre à cette dernière de pleinement jouer le rôle qu'elle devrait tenir dans la planification du développement, ni pour assurer une réelle coordination des aides. Ces constats confirment l'impérieuse nécessité de la présence de la coopération belge aux côtés de son partenaire burundais pour accompagner le renforcement de ses capacités.
Alain DESTEXHE Sabine de BETHUNE Dominique TILMANS Bart TOMMELEIN Olga ZRIHEN Els SCHELFHOUT. |
Le Sénat,
I. Demande au gouvernement de:
1. soutenir le bon déroulement du processus électoral au Burundi en 2010;
2. soutenir l'envoi d'observateurs parlementaires lors des élections de 2010, tant pour l'ensemble de la campagne électorale et des cinq élections que de façon ciblée pour les élections présidentielles et législatives.
II. Demande également au gouvernement d'attirer l'attention des autorités burundaises sur un certain nombre de points:
A. La campagne électorale:
1. que la campagne électorale ne favorise pas les tensions et les discours de haine raciale;
2. que les élections soient transparentes, libres et équitables;
3. que les droits de l'opposition politique soient respectés, notamment:
— avec l'adoption et la mise en œuvre d'une loi limitant les dépenses électorales;
— avec la condamnation du harcèlement judiciaire dont elle est parfois victime;
— avec le respect de la liberté d'expression et d'association inscrite dans la Constitution;
4. que l'inscription des femmes sur les listes électorales et leur présence à tous les échelons de la vie publique soient favorisées par une politique active et volontariste;
B. Les droits de l'homme:
5. veiller à ce que les avancées en matière de paix, de sécurité, et de démocratie se traduisent également par des améliorations concrètes des conditions de vie de la population burundaise;
6. accorder une nette priorité à la lutte contre la dégradation de la situation des droits de l'homme, condamner les hostilités et les violations actuelles des droits humains, en particulier à l'égard des femmes et des enfants, et réaffirmer que les crimes de guerre, en particulier les crimes commis contre des civils, ne sauraient rester impunis;
7. mettre en place les mesures de contrôle et de sanction à l'encontre des forces de sécurité afin de lutter efficacement contre l'usage de la torture et des arrestations arbitraires ainsi que de la relative impunité dont elles jouissent dans certains cas; améliorer la formation du secteur de la sécurité et restaurer un système carcéral respectant les droits de l'homme;
8. aider au respect et au renforcement de la liberté de réunion et d'association, de la liberté d'expression;
9. demander le renforcement de la protection des albinos;
10. continuer à aborder avec les autorités burundaises la question des droits des homosexuels, plaider pour la décriminalisation de l'homosexualité;
C. Autres points:
11. plaider auprès du gouvernement burundais pour:
— une application des réformes judiciaires prévues par les accords d'Arusha;
— mettre fin à l'impunité, à la lenteur des enquêtes;
— adopter la loi qui organise la coopération avec la Cour pénale internationale;
— contribuer à la formation et le respect de l'indépendance du pouvoir judiciaire, notamment vis-à-vis des mineurs;
— aider le ministère de la Justice à entreprendre une évaluation approfondie des besoins du secteur de la justice;
12. intensifier la lutte contre la corruption, et lutter pour la bonne gouvernance;
13. mettre en place dès la fin des élections, selon l'Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000, une commission nationale pour la vérité et la réconciliation et un tribunal spécial mixte;
14. aider les autorités locales à mettre en œuvre les réformes concernant la gestion des terres et la relance de l'économie,
15. aider à la réintégration de 200 000 rapatriés, en partenariat avec les pays hôtes; trouver une solution digne et viable pour les réfugiés burundais se trouvant en Tanzanie;
16. continuer les efforts de démobilisation et de réintégration des enfants associés aux FNL et aux dissidents présumés des FNL; veiller au respect de la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés que le Burundi a ratifié en juin 2008;
17. poursuivre l'intégration du FNL dans les institutions nationales; poursuivre avec l'Union africaine et l'Afrique du Sud, le désarmement, la démobilisation et la réintégration socioéconomique des combattants des FNL.
12 janvier 2010.
Alain DESTEXHE Sabine de BETHUNE Dominique TILMANS Bart TOMMELEIN Olga ZRIHEN Els SCHELFHOUT. |