4-1661/1

4-1661/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

11 FÉVRIER 2010


Proposition de loi instituant un Fonds des garanties locatives

(Déposée par Mme Fatma Pehlivan)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend, en l'adaptant, le texte de la proposition nº 3-1308/1 - 2004/2005.

L'article 23 de la Constitution garantit le droit à un logement décent:

« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment:

[...] 3º le droit à un logement décent; [...] »

Les auteurs ont eux-mêmes déposé le 14 juillet 2005 la proposition de loi précitée instituant un Fonds des garanties locatives (doc. Sénat, nº 3-1308/1) parce qu'ils estimaient que la manière dont une garantie locative doit être payée peut être le facteur qui fera ou non aboutir la recherche d'un logement adéquat.

L'article 103 de la loi du 25 avril 2007 portant des dispositions diverses, qui poursuivait lui aussi le même objectif, a apporté des modifications à l'article 10 de la législation concernant les baux à loyer, sur le plan de la garantie locative.

Le résultat concret de ces modifications était que le preneur avait le choix entre trois formes de garanties locatives équivalant, selon le cas, à deux ou trois mois de loyer maximum.

La loi autorise les garanties locatives suivantes:

— deux mois de loyer sur un compte individualisé et bloqué, ouvert au nom du preneur;

— trois mois de loyer sous la forme d'une garantie bancaire. Une institution financière ne peut pas refuser cette garantie pour des raisons liées à l'état de solvabilité du locataire. De plus, l'institution financière ne peut réclamer aucun intérêt débiteur;

— trois mois de loyer sous la forme d'une garantie bancaire avec l'intervention du CPAS.

Les interêts produits sur la garantie locative sont capitalisés au profit du preneur. Lorsque le bailleur est en possession de la garantie et s'abstient de la placer sur un compte en banque individualisé au nom du preneur, il est tenu de payer au preneur des intérêts au taux moyen du marché financier.

Il ne peut être disposé de la garantie locative que moyennant production soit d'un accord écrit entre le preneur et le bailleur établi au plus tôt à la fin du contrat de bail soit d'une copie d'une décision judiciaire.

Tant l'organisation Test Achats que les associations de locataires ont reçu entre temps des plaintes concernant l'application incorrecte de la législation relative aux garanties locatives. Il semblerait que ce sont surtout les banques qui font des difficultés par rapport à l'obligation que la loi leur impose d'avancer une garantie de trois mois aux locataires sans pouvoir leur réclamer des intérêts débiteurs. Dans la pratique, les banques tournent la loi en facturant des frais de dossier ou des frais de provision et en négligeant d'informer leurs clients ou de les Informer correctement sur leurs droits concernant la garantie locative.

La forme de garantie locative qui nécessite l'intervention du CPAS pose également problème. Les associations de locataires ont été forcées de constater que les nouvelles dispositions légales sont interprétées de plusieurs manières. De plus, les CPAS doivent eux aussi s'adresser aux banques et assumer à leur tour les frais de dossier.

La loi du 25 avril 2007 prévoyait déjà que la réglementation serait évaluée par le ministre de la Justice un an après son entrée en vigueur (mai 2007).

Le 4 juillet 2008, le gouvernement approuva le plan fédéral de lutte contre la pauvreté, qui prévoyait entre autres une évaluation de la législation relative aux garanties locatives, et qui précisait littéralement que l'objectif était de l'améliorer.

On peut en déduire que le gouvernement est donc conscient du fait non seulement que de nombreux locataires sont précarisés financièrement et incapables d'avancer une garantie de deux mois en sus d'un premier loyer, mais aussi que le système des garanties locatives présente d'importantes failles.

C'est dans la même optique que le conseil communal d'Anvers a approuvé le 9 juin 2009 une résolution soulignant expressément la nécessité d'instaurer un fonds fédéral des garanties locatives.

D'autres études encore montrent l'importante corrélation qui existe entre l'état de locataire et la pauvreté.

Pourcentage de propriétaires ou de locataires disposant d'un revenu se situant en dessous du seuil de pauvreté

Statut Belgique Flandre Wallonie UE 25
Propriétaire 10,3 % 7,9 % 13,3 % 13 %
Locataire 29,4 % 21,9 % 35,4 % 25 % (Source UE-SILC 2007)

Les statistiques en question ne concernaient pas la Région de Bruxelles-Capitale, mais il existe des chiffres concrets et récents à propos de Bruxelles. Le loyer moyen à Bruxelles s'élève à 553 euros par mois. 54 % des locataires bruxellois consacrent entre 41 et 65 % de leurs revenus au loyer, et 58 % des Bruxellois sont locataires (source: L'Observatoire des loyers-rapport 2008).

Il est clair que les citoyens en situation de pauvreté sont souvent incapables d'avancer une garantie locative; il y a lieu non seulement de rectifier temporairement les choses, mais aussi de modifier fondamentalement le système.

À court terme, on pourra sans aucun doute supprimer certaines des possibilités de contourner la loi actuelle, mais il paraît également utile de tirer les leçons du passé. Il est absurde de corriger à chaque fois les nouvelles failles qui se présentent dans la législation si les banques ne sont pas vraiment motivées à appliquer les dispositions légales dans leurs moindres détails parce qu'elles n'y trouvent aucun avantage, et s'il existe une autre formule utile et facilement applicable.

C'est la raison pour laquelle les auteurs redéposent la proposition de loi instituant un Fonds des garanties locatives dans le but d'imposer la centralisation de l'ensemble des garanties locatives dont le montant équivaut le plus souvent à deux ou trois mois de loyer, réparties entre plusieurs établissements de crédit au sein d'un Fonds des garanties locatives unique.

La création d'un Fonds des garanties locatives centralisé pourra aider à trouver un logement locatif. Le fonds se substituera au bailleur et réclamera au preneur le versement de la garantie; le bailleur bénéficiera d'une sécurité identique à celle que lui offre le système actuel.

Le Fonds aura pour mission principale de garantir au bailleur sa garantie locative, quel que soit le locataire et quelle que soit la situation financière — précaire ou non — dans laquelle celui-ci se trouve.

Regroupées, toutes ces garanties locatives formeront un outil de gestion efficace au bénéfice des preneurs et des bailleurs. La gestion sera assurée par un seul établissement de crédit, désigné à l'issue d'une procédure d'adjudication publique, en concertation avec les représentants des preneurs, des bailleurs et des pouvoirs publics. Le fonctionnement du fonds sera financé par le placement des garanties locatives. Afin que ce fonds puisse démarrer sous les meilleurs auspices, l'autorité fédérale mettra un capital de départ à sa disposition. L'autre est convaincue que la centralisation de tout cet argent apportera une plus-value au preneur et au bailleur mais qu'elle aura aussi un impact positif sur la politique fédérale en matière de logement. Non seulement les CPAS seront déchargés d'une lourde tâche, mais les moyens supplémentaires que cela générera pourront être injectés dans une politique de soutien du secteur locatif privé. À cet égard, je pense notamment à des projets novateurs en matière d'économie d'énergie.

La proposition

La présente proposition de loi vise à inscrire dans la loi sur les baux à loyer l'obligation de verser toute garantie locative constituée en espèces à un Fonds des garanties locatives unique centralisé plutôt que sur un compte bancaire bloqué individualisé.

La proposition de loi entend ainsi remédier à deux problèmes majeurs auxquels les personnes aux moyens financiers limités sont confrontées pour trouver un logement approprié sur le marché locatif privé.

Au début d'une location, le preneur est censé verser en une fois trois mois de loyer: le loyer pour le mois suivant et deux mois de loyer au titre de la garantie locative. Pour un nombre croissant de personnes, ce coût est trop élevé, si bien qu'elles ne trouvent plus un logement approprié sur le marché locatif privé. Le fonds des garanties locatives pourra les aider en avançant les moyens financiers nécessaires et en les récupérant progressivement.

Le fonds des garanties locatives permettra aussi d'alléger la tâche des CPAS qui, à l'heure actuelle, aident des personnes pour l'octroi d'une garantie locative: le fonds garantira une caution locative aux bailleurs et réclamera celle-ci au locataire en fonction de ses possibilités financières.

La création d'un Fonds des garanties locatives centralisé aura pour conséquence importante que toutes les garanties locatives constituées seront désormais disponibles pour des initiatives des pouvoirs publics en faveur du marché locatif privé, à certaines conditions évidemment.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article règle la création d'un Fonds fédéral des garanties locatives pour toutes les cautions locatives constituées en espèces conformément à la loi sur les baux à loyer, ainsi que pour les cautions locatives concernant les chambres d'étudiants. Les garanties locatives demandées par les sociétés régionales de logements sociaux peuvent également être intégrées au fonds des garanties locatives, si ces sociétés le souhaitent.

Le Fonds des garanties locatives est domicilié auprès d'un établissement de crédit privé, sélectionné par adjudication publique, pour une période renouvelable de 10 ans.

Le gouvernement fédéral octroie un montant annuel de 553 475 euros (budget 2008) aux CPAS à titre d'intervention pour la constitution des garanties locatives. Après la création d'un fonds central des garanties locatives, cette intervention de l'État ne sera plus nécessaire et ce montant, ou une partie de celui-ci, pourra être utilisé comme capital de départ du fonds des garanties locatives.

Article 3

Le fonds est géré par un conseil d'administration composé paritairement comme suit:

— deux représentants de l'établissement de crédit auquel le fonds a été attribué;

— deux représentants de l'autorité fédérale;

— deux représentants des organisations de défense des locataires;

— deux représentants des organisations de défense des propriétaires.

Les conditions et les modalités de désignation de ces administrateurs sont fixées par arrêté royal. La désignation elle-même s'effectue également par arrêté royal.

Article 4

Cet article définit les missions du conseil d'administration du Fonds des garanties locatives.

Une mission importante du conseil consistera à déterminer à quels investissements les actifs disponibles seront affectés. Ces placements devront évidemment produire un rendement, mais il faudra également investir une quotité minimale, à déterminer par arrêté royal, dans des projets novateurs sur le marché locatif privé, par exemple dans des mesures d'économie d'énergie, etc. Les modalités de ces placements devront aussi faire l'objet d'un arrêté royal.

Il importe également que le conseil d'administration détermine annuellement le taux du marché, car les garanties locatives versées seront capitalisées à ce taux en faveur du preneur et lui seront payées en fin du bail, moyennant l'accord du bailleur. On évite ainsi que le preneur ne subisse un préjudice financier par rapport au versement d'une garantie sur un compte bancaire bloqué.

La différence entre le taux du marché et le rendement annuel, appelée ici rendement supplémentaire, pourra ensuite être utilisée pour soutenir d'autres initiatives publiques sur le marché locatif privé en vue d'améliorer la qualité du logement.

Article 5

Cet article ajoute le Fonds des garanties locatives à la loi sur les baux à loyer et règle également le privilège du bailleur à concurrence du montant entièrement libéré, dans l'hypothèse où le preneur n'aurait pas respecté certaines obligations et où le bailleur pourrait faire jouer la garantie locative.

Article 6

Les dispositions de l'article 5 sont également applicables aux chambres d'étudiants et, le cas échéant, aux garanties relatives aux logements sociaux locatifs.

Article 7

L'entrée en vigueur est réglée par arrêté royal.

Fatma PEHLIVAN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est créé un Fonds fédéral des garanties locatives, qui centralise les garanties locatives visées à l'article 10 du livre III, titre VIII, chapitre II, section II, du Code civil et les garanties locatives relatives à la location d'une chambre d'étudiant. Le fonds peut également centraliser les garanties locatives afférentes aux baux conclus par les sociétés de logements sociaux et par les villes et communes, lorsque celles-ci en font la demande.

Le fonds est institué auprès d'un établissement de crédit désigné pour une période, renouvelable, de dix ans, à l'issue d'une procédure d'adjudication publique organisée à cet effet par arrêté délibéré en Conseil des ministres.

Le fonds est doté d'un capital de départ en vertu d'un arrêté délibéré en Conseil des ministres.

Art. 3

Le fonds est géré par le conseil d'administration, composé de deux représentants de l'établissement de crédit, de deux représentants du gouvernement, de deux représentants des organisations de défense des locataires et de deux représentants des organisations de défense des propriétaires. Ces représentants sont désignés par arrêté délibéré en Conseil des ministres.

Le Roi fixe les conditions et les modalités de désignation de ces représentants.

Art. 4

Le conseil d'administration a pour missions:

1º de déterminer le taux ordinaire du marché pour l'année civile écoulée, qui est capitalisé en faveur du preneur;

2º d'investir les actifs du fonds des garanties locatives selon les modalités définies par arrêté délibéré en Conseil des ministres; une quotité minimum à déterminer doit être investie dans des projets novateurs sur le marché locatif privé;

3º de déterminer la part du rendement supplémentaire qui peut être affectée par les pouvoirs publics à l'amélioration de la qualité des logements sur le marché locatif privé;

4º de fixer les coûts de fonctionnement pour l'année civile suivante.

Les décisions sont prises à la majorité des voix.

Art. 5

L'article 10 du livre III, titre VIII, chapitre II, section II, du Code civil, est remplacé par la disposition suivante:

« Art. 10. — Le Fonds fédéral des garanties locatives constitue en garantie des obligations du preneur une caution d'un montant équivalant à trois mois de loyer. Le fonds s'engage au paiement de cette somme d'argent par le preneur; en concertation avec le preneur, cette somme peut être payée par tranches.

Les intérêts sur cette garantie sont capitalisés en faveur du preneur.

Le bailleur acquiert privilège à concurrence de l'actif entièrement libéré par le preneur, pour toute créance résultant de l'inexécution partielle ou totale des obligations du preneur.

La garantie, tant en principal qu'en intérêts, est remboursée au preneur moyennant production d'un accord écrit des parties, établi au plus tôt à la fin du bail. ».

Art. 6

L'article 5 de la présente loi est applicable par analogie aux autres garanties locatives visées à l'article 2.

Art. 7

La présente loi entre en vigueur à la date fixée par le Roi.

15 décembre 2009.

Fatma PEHLIVAN.