4-1412/4

4-1412/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

2 DÉCEMBRE 2009


Projet de loi modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, et le Code des sociétés


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR

MME VIENNE


I. INTRODUCTION

Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport relève de la procédure bicamérale facultative et a été déposé initialement à la Chambre des représentants par le gouvernement (doc. Chambre, nº 52-1988/1).

Il a été adopté le 16 juillet 2009 par la Chambre des représentants, par 93 voix contre 11 et 27 abstentions.

Il a été transmis au Sénat le 17 juillet 2009 et évoqué le 27 octobre 2009.

La commission l'a examiné au cours de ses réunions des 18 et 24 novembre et 2 décembre 2009.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA MODERNISATION DU SERVICE PUBLIC FÉDÉRAL FINANCES, À LA FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE ET À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, ADJOINT AU MINISTRE DES FINANCES

Le projet de loi à l'examen vise à transposer en droit belge la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Il est en outre complété par les mesures d'exécution définies par la directive 2006/70/CE du 1er août 2006 portant mesures de mise en œuvre de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil pour ce qui concerne la définition des « personnes politiquement exposées » et les conditions techniques de l'application d'obligations simplifiées de vigilance à l'égard de la clientèle ainsi que de l'exemption au motif d'une activité financière exercée à titre occasionnel ou à une échelle limitée.

La nouvelle directive vise à aligner les standards de l'Union européenne sur les quarante nouvelles recommandations adoptées par le Groupe d'action financière (GAFI) en juin 2003 ainsi que sur les neuf recommandations spéciales du GAFI en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

La transposition de la directive n'apportera pas de changements essentiels pour le secteur financier, la loi anti-blanchiment ayant déjà été modifiée en profondeur en 2004. En revanche, le projet de loi à l'examen représentera bel et bien un changement pour les professions non financières.

Concrètement, les lignes directrices du projet de loi sont:

— l'extension des obligations en matière d'identification, principalement en ce qui concerne les bénéficiaires économiques; la notion de « bénéficiaire économique » est définie;

— l'intégration complète de l'aspect du risque (risk based approach), qu'il soit élevé ou faible, lors de l'identification;

— pratiquement aucune nouvelle obligation n'est imposée aux banques: toutes les dispositions incluses dans le projet de loi étaient en effet déjà présentes dans le règlement de la CBFA du 27 juin 2004;

— essentiellement de nouvelles obligations pour les professions non financières, telles que les études de notaires, les bureaux d'avocats, etc.

— l'extension au terrorisme financier, ce que prévoyait toutefois déjà la loi du 12 janvier 2004.

Aucun changement pour les obligations des avocats et des professions du chiffre par rapport à la loi du 12 janvier 2004.

Dans son avis 45.550/2 du 22 décembre 2008, le Conseil d'État affirme que sous l'angle du secret professionnel des avocats, l'avant-projet, en soi, n'appelle pas de critiques, et que les dispositions de l'avant-projet qui ont trait au problème du secret professionnel des avocats se conforment à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, telle qu'elle ressort de son arrêt nº 10/2008 du 23 janvier 2008.

Dans l'arrêt précité, la Cour constitutionnelle a notamment interprété l'étendue des obligations d'information et de coopération pesant sur les avocats envers la Cellule de traitement des informations financières, en vertu de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de telle sorte que cette obligation ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel de l'avocat. Il va de soi, comme le Conseil d'État le remarque dans son avis précité, que non seulement les articles de l'avant-projet, mais également les autres articles de la loi du 11 janvier 1993 restés inchangés, doivent se lire à la lumière de l'interprétation donnée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt nº 10/2008 du 23 janvier 2008.

Les avocats peuvent donc invoquer le secret professionnel, y compris lorsqu'ils donnent un conseil juridique. Par conséquent, ils ne doivent pas communiquer d'informations à la CTIF lorsqu'ils donnent un conseil juridique ou représentent des clients en justice. Le projet de loi permet aussi aux professions du chiffre d'invoquer le secret professionnel lorsqu'ils donnent un conseil juridique.

Une série de nouvelles obligations seront imposées aux professions non financières. Celles-ci concernent notamment l'approche basée sur une appréciation du risque: il faut toujours identifier les clients, mais le projet de loi à l'examen applique pleinement l'aspect du risque introduit dans la troisième directive antiblanchiment.L'obligation d'identification peut être modulée en fonction du risque que présente le client.

Une nouveauté importante: les autorités de contrôle des professions financières et non financières se chargent elles-mêmes de vérifier si la législation en question est bien respectée. Jusqu'à présent, la CTIF disposait d'une compétence subsidiaire en la matière, mais il lui manquait les effectifs nécessaires pour effectuer ce contrôle comme il se doit. C'est la raison pour laquelle les autorités de contrôle et les instances disciplinaires des professions financières et non financières acquièrent une compétence importante dans ce domaine, à savoir celle de contrôler si la législation est respectée et de sanctionner si elle ne l'est pas.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

A. Remarques des membres

À propos de l'approche basée sur une appréciation du risque, M. Collas observe que la loi antiblanchiment existante, même si elle ne donne pas entière satisfaction au regard de la crise bancaire récente, est malgré tout appliquée par les banques. En outre, il a compris que l'objet du projet de loi à l'examen revenait à confirmer dans une loi la circulaire et le règlement déjà en vigueur de la CBFA, en l'actualisant légèrement. En ce qui concerne la « compliance », M. Collas a appris que même les études de notaire devront désigner un « compliance officer ». Il souhaite plus de précisions sur les compétences que doit avoir ce « compliance officier ». Il ne s'agit quand même pas en l'espèce d'un titre professionnel protégé par la loi ?

Le représentant du secrétaire d'État à la Modernisation du Service public fédéral Finances, à la Fiscalité environnementale et à la Lutte contre la fraude fiscale, adjoint au ministre des Finances, répond que le responsable « antiblanchiment » au sein d'une étude de notaire, d'un bureau d'avocat ou d'un bureau de réviseur d'entreprises devrait être un membre de la direction, puisqu'il doit s'agir d'une personne exerçant cette activité en toute indépendance. C'est en effet une fonction de contrôle. L'intéressé doit être en mesure d'analyser quelles sont les activités du bureau concerné qui présentent des risques éventuels, avant de rendre des avis et d'établir des directives pour le bureau. Par ailleurs, il a pour mission d'informer le personnel sur les prescriptions légales: par exemple, l'interdiction d'informer le client qu'une déclaration a été faite, la procédure à suivre en cas de soupçon de blanchiment, etc. Comme le précise le projet de loi, la désignation d'un « compliance officer » n'a de sens que dans des entreprises ou des bureaux d'une certaine dimension. Dans les petits bureaux, c'est le notaire ou l'avocat qui exercera cette fonction lui-même. Pour les notaires par exemple, il appartiendra à la Chambre des notaires d'établir des directives plus précises à cet égard.

M. Vandenberghe souhaite intervenir à propos de l'assimilation de plusieurs professions aux avocats pour ce qui est de la possibilité d'invoquer le secret professionnel. L'intervenant estime que cet article pose des problèmes légaux fondamentaux. L'Ordre des barreaux flamands a très clairement pris position en la matière (1) .

L'intervenant déplore de devoir intervenir à nouveau sur ce problème, alors que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle est on ne peut plus claire en la matière.

Selon l'Ordre des barreaux flamands, c'est sur une base légale fautive que le projet de loi assimile les avocats aux notaires, huissiers de justice, réviseurs d'entreprises, experts-comptables, conseils fiscaux, comptables agréés et comptables-fiscalistes agréés. L'Ordre y voit une violation de l'article 10 de la Constitution (principe de non-discrimination) parce que la loi assimile plusieurs professions qui ne sont pas assimilables. L'approche légistique envisagée en l'espèce ignore la position juridique particulière et unique qui échoit aux avocats dans notre système juridique.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est cependant très claire puisqu'elle admet que les avocats, de par la nature de leur profession et la mission incombant à cette catégorie professionnelle dans la société, bénéficient d'un statut distinct et unique, qui est même consacré par la Constitution, et qui fait qu'une législation telle que la loi préventive du blanchiment ou la loi sur la médiation de dettes est annulée en ce qu'elle est appliquée intégralement aux avocats, lesquels sont donc assimilés à tort à d'autres professions ou instances. Pour illustrer son propos, l'intervenant fait référence aux arrêts de la Cour constitutionnelle nº 26/96 du 27 mars 1996, nº 26/2000 du 3 mai 2000, nº 50/2004 du 24 mars 2004, nº 126/2005 du 13 juillet 2005, nº 129/2006 du 28 juillet 2006, nº 10/2008 du 23 janvier 2008 et nº 102/2008 du 10 juillet 2008. On est en droit de parler d'une jurisprudence bien établie. L'on ne peut que déplorer que lorsqu'il est question des droits de la défense des avocats, le Parlement, qui n'hésite pourtant jamais à voter sur des motions, des résolutions, des objections, des indignations, etc., en rapport avec les droits de la défense, oblige les avocats, qui sont appelés à exercer cette tâche difficile, à s'adresser jusqu'à sept fois à la Cour constitutionnelle pour faire reconnaître les droits de la défense. L'intervenant le regrette.

Ce n'est pas parce que la directive 2005/60/CE ne confère aucun statut particulier aux avocats et ne leur réserve pas des articles distincts, que la loi belge devrait en faire autant. En effet, la transposition d'instruments juridiques supranationaux doit se faire dans le respect des règles de droit fondamentales de l'État membre concerné, ainsi que l'a estimé la Cour constitutionnelle dans son arrêt nº 10/2008 du 23 janvier 2008. La Cour constitutionnelle a déjà jugé que chaque pays organise à sa guise la profession d'avocat et que, chez nous, la profession d'avocat bénéficie et doit bénéficier de mesures de protection spécifiques en vertu de son statut particulier et de sa fonction dans la société.

En outre, en associant la profession d'avocat au sein d'un même article aux sept autres professions juridiques ou comptables, le législateur rend la loi encore plus difficile à interpréter. Les autres professions ne connaissent pas l'exception formulée à l'article 3, 5, a) et b) de l'avant-projet consolidé. Les directives que la Cour constitutionnelle a données dans son arrêt du 23 janvier 2008 s'appliquent aux avocats mais en aucun cas aux sept autres professions.

M. Vandenberghe demande instamment aux membres de la commission de prendre connaissance des conclusions de la position communiquée par l'Ordre des barreaux flamands, que l'on peut résumer comme suit:

« À la lumière de l'arrêt nº 10/2008 du 23 janvier 2008, on ne peut que constater que les sept professions énumérées ne peuvent pas être comparées à la profession d'avocat, dont la Cour constitutionnelle a confirmé le caractère unique à maintes reprises. En effet, la Constitution ne permet ni de traiter indifféremment des choses différentes, ni de traiter différemment des choses identiques. La règle « tel couteau, tel fourreau » ne s'applique qu'à situation égale.

Aucune des sept professions assimilées n'est responsable de l'évaluation ou de la défense de ses conseils et de ses contrats devant le juge, contrairement aux avocats, dont les conseils visent toujours (ainsi que l'a indiqué la Cour constitutionnelle) à permettre à leurs clients d'éviter une procédure judiciaire pour l'opération en cause, et dont les conseils peuvent toujours être utilisés pour leur défense en justice.

Pour plusieurs de ces professionnels, les conseils juridiques ne relèvent pas de leur mission légale et en outre, plusieurs d'entre eux n'ont absolument pas reçu de formation juridique comparable à celle des avocats.

Plusieurs des sept professionnels assimilés ne sont pas des conseillers « partiaux », mais doivent inclure des tâches et obligations d'intérêt public dans leurs consultations.

Plusieurs d'entre eux ont des obligations de publication légales (étendues) auxquelles ils ne peuvent se soustraire sous prétexte qu'ils ont appris certaines choses en leur qualité de conseiller, et non en leur qualité légale.

Certains d'entre eux sont des officiers ministériels, tels que des notaires et des huissiers de justice, et sont donc soumis à l'obligation de publication visée à l'article 29 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle.

Tous relèvent actuellement du champ d'application de la loi du 5 juillet 1998 relative au règlement collectif de dettes et sont soumis, conformément à l'article 1675/8, 2, à l'obligation d'aider le médiateur de dettes dans ses investigations, une obligation dont les avocats sont dispensés en vertu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, de sorte qu'ils sont les seuls à pouvoir se prévaloir de leur secret professionnel à l'égard du médiateur de dettes (voir les arrêts nº 46/2000 du 3 mai 2000 et 129/2006 du 28 juillet 2006).

Jusqu'à présent, toutes les professions assimilées étaient soumises aux obligations de la législation sur la prévention du blanchiment depuis la loi du 10 août 1998 et ont dû respecter intégralement ces obligations pendant 10 ans.

La règle de la Cour constitutionnelle en vertu de laquelle les avocats ne sont dispensés de leur obligation de déclaration que pour leur « activité principale, leur véritable mission, ou leurs activités essentielles », ne peut pas avoir pour conséquence que ces sept professions en soient toutefois dispensées pour des activités de consultation juridique ne relevant clairement pas de l'activité principale, par exemple, d'un comptable ou d'un fiscaliste.

Il est difficile de saisir la portée de ces sept secrets professionnels; il existe peu de jurisprudence sur le sujet et cette portée est donc incertaine, inégale et variable d'une profession à l'autre, et ne doit donc certainement pas être assimilée, de manière globale, à la portée du secret professionnel des avocats, qui est en outre largement documentée dans la jurisprudence.

Le projet de loi vise en fin de compte à provoquer une augmentation indifférenciée du nombre de secrets professionnels pour atteindre une proportion et une portée que ces professions n'ont jamais connues.

Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier qu'aucune de ces sept professions ne prend « une part importante dans l'administration de la justice en Belgique », ou n'a un « statut particulier dans le Code judiciaire et dans des réglementations » (ce qui est la ratio legis du secret professionnel étendu des avocats), qui les distingueraient d'autres professions juridiques indépendantes.

Il ne faut pas oublier non plus que les secrets professionnels divers et singularisés de ces sept professions n'ont jamais été considérés comme « un élément fondamental des droits de la défense », n'ont jamais été liés à « l'exercice des droits de la défense des justiciables » ni à « l'intérêt public d'une bonne administration de la justice » et qu'ils ne se rattachent pas non plus « aux exigences du droit à un procès équitable ». Ces secrets professionnels ne relèvent pas du « plein exercice des droits de la défense », pas plus qu'ils ne constituent un « principe général », comme le secret professionnel de l'avocat, « qui participe du respect des droits fondamentaux ». »

M. Vandenberghe estime que les objections formulées par l'Ordre des barreaux flamands contre le projet de loi sont des objections fondées qui reposent sur la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle; il ajoute qu'à ce jour, il n'a encore ni lu ni entendu aucun argument qui réponde à ces objections.

M. Duchatelet est d'avis que les remarques émises par M. Vandenberghe sont très interpellantes et il se demande quel est le point de vue de l'Union européenne en la matière. Il s'interroge aussi sur l'efficacité de la loi proposée si certaines professions sont exclues du champ d'application. Sur quel compromis reposent les dispositions proposées ? Quel est le rapport coût effectif/bénéfice potentiel ? Ne serait-il pas possible de recourir à d'autres mesures qui soient plus simples et plus efficaces ?

Mme Désir fait remarquer que les experts comptables, les réviseurs, etc. sont déjà tenus à l'heure actuelle d'avertir le CTIF lorsqu'ils soupçonnent l'existence de pratiques de blanchiment de capitaux et que leur anonymat est garanti. Toutefois, étant donné que cet anonymat ne serait pas assuré au niveau pénal, il est à craindre que ces groupes professionnels rechignent à nouveau à faire part de leurs soupçons en matière de pratiques de blanchiment. Le secrétaire d'État pourrait-il exposer son point de vue en la matière ?

Mme Vienne, rapporteuse, abonde dans le même sens et précise que la décision du groupe PS de déposer ou non un amendement dépendra de la réponse du gouvernement.

M. Crombez souscrit pleinement aux remarques formulées par M. Vandenberghe. Il précise que les objections de l'Ordre des barreaux flamands ont déjà été communiquées précédemment au ministre de la Justice compétent, mais qu'elles n'ont connu aucune suite.

S'agissant de la dispense de l'obligation de déclaration pour les professions du chiffre, il demande dans quelle mesure cette dispense sert l'objectif de la directive précitée, qui est de fixer un cadre permettant d'instaurer une prévention aussi efficace que possible contre le blanchiment. L'intervenant estime que la directive n'offre pas la moindre base juridique susceptible de motiver l'exclusion de ces professions du chiffre, comme il ressort de l'intervention de notre collègue Vandenberghe ainsi que du point de vue exprimé par l'Ordre des barreaux flamands.

En outre, M. Crombez déclare devoir constater avec regret que la modification de fond proposée en vue d'exclure les professions du chiffre va totalement à l'encontre non seulement des recommandations formulées par la commission d'enquête parlementaire de la Chambre des représentants chargée d'enquêter sur les grands dossiers de fraude fiscale mais aussi (2) de la définition des conseillers donnée par l'ancien secrétaire d'État Zenner. Le secrétaire d'État pourrait-il expliquer en quoi cette mesure permettra une meilleure prévention du blanchiment ? En effet, même l'argument de la charge de travail du CTIF n'est en fait pas pertinent puisque seules 47 des quelque 16 000 déclarations faites au CTIF émanent des professions du chiffre.

En ce qui concerne le rôle du signalement dans le cadre de la prévention proprement dite, l'intervenant déclare que la création d'une fonction de « compliance officer » pour les professions du chiffre n'est en fait qu'une mesure organisationnelle que l'on s'efforce de respecter tant bien que mal, mais que cela s'arrête là. Il en résulte une zone grise qui ne fait que compliquer la tâche du personnel lorsque celui-ci est confronté à certaines situations concrètes. Celui-ci doit en effet prendre lui-même les mesures qui s'imposent ou effectuer lui-même la déclaration. Ne serait-il pas préférable de prévoir un système qui définirait avec précision ce qui doit être signalé ? On créerait ainsi une interaction entre le SPF Justice et le CTFI, ce dernier étant chargé d'informer le SPF. Dans la pratique, ces déclarations n'aboutissent pas à grand-chose. Mieux vaudrait donc supprimer cette obligation. Il existe en outre d'autres déclarations, mais elles ne sont pas définies par la loi. Il faudrait intégrer celles-ci dans le projet de loi.

M. Crombez déclare qu'il redéposera les amendements dont la Chambre avait été saisie au sujet de l'exclusion des professions du chiffre. À cet égard, il souhaiterait connaître la véritable raison pour laquelle on a fait figurer l'exclusion de l'obligation de déclaration pour les professions du chiffre dans le projet de loi. Il n'a encore reçu à ce jour aucune explication satisfaisante à cet égard.

Mme Van dermeersch indique que les dispositions proposées dans le projet de loi s'appliquent également au secteur diamantaire belge et que celui-ci sera frappé par le coût élevé qui en résultera. En effet, l'obligation d'identification des commerçants du secteur diamantaire connaîtra une nouvelle extension. Or, celle-ci n'est pas prévue dans la directive initiale. L'intervenante ajoute qu'elle n'a de surcroît trouvé dans la directive aucun élément de nature à justifier cette extension. Elle souhaiterait donc que le secrétaire d'État explique pourquoi notre pays devrait être le seul à imposer une obligation d'identification aussi coûteuse aux fournisseurs qui opèrent dans le commerce du diamant.

Il serait quand même contre-indiqué d'imposer cette obligation d'identification dans le but de montrer l'exemple au reste du monde. Vu l'importance de ce secteur et son orientation internationale, il faut utiliser cet outil avec beaucoup de prudence et surtout ne jamais perdre de vue que l'on peut causer un préjudice au commerce régulier. Car on n'est pas sans savoir à quel point ce marché est concurrentiel.

L'intervenante souhaite par ailleurs encore évoquer l'obligation d'identification à laquelle les établissements bancaires sont soumis aujourd'hui. Elle tient à signaler à cet égard qu'à Anvers justement, l'activité bancaire est fortement orientée vers le commerce du diamant, ce qui signifie que l'obligation d'identification des commerçants ne fera qu'alourdir plus encore les formalités administratives qui leur incombent.

L'intervenante aimerait savoir aussi pourquoi il n'a pas été tenu compte des recommandations et des directives qui ont été approuvées à l'unanimité par les membres du Groupe d'Action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI). Ces directives mentionnent les transactions susceptibles de présenter un risque accru, par exemple celles qui s'effectuent sur la base de paiements au comptant (ce qui est fréquent dans le secteur du diamant) et dans des conditions qui ne sont pas équitables sur le plan commercial. Dans ses directives, le GAFI définit aussi plusieurs facteurs qui contribuent à réduire expressément les risques, comme le fait que le commerce du diamant soit assuré par des négociants dont la profession est réglementée, sur une bourse du diamant réglementée, comme c'est le cas à Anvers, et dans le respect des recommandations du processus de Kimberley (qui vise à empêcher la commercialisation des diamants dits « de la guerre » ou « du sang »). L'intervenante demande donc instamment que l'on tienne compte des directives du GAFI dans le projet de loi.

M. Fourny considère que les remarques formulées par M. Vandenberghe au sujet du secret professionnel des avocats sont très pertinentes. Il partage entièrement son avis et souhaite donc que le texte soit adapté.

L'avocat a une fonction toute particulière dans l'organisation judiciaire de ce pays et celui-ci bénéficie du monopole de plaidoirie, fixé par l'article 440 du Code Judiciaire. Á ce titre, la fonction liée à la fonction du défense devant les tribunaux est étroitement liée au secret professionnelle dont est revêtu l'avocat. On ne peut pas assimiler ce secret aux autres secrets professionnels évoqués pour les professions du chiffre.

M. Fourny aimerait en outre connaître la sanction liée à la violation éventuelle du secret professionnel ou à la non-communication de faits relevant de la loi anti-blanchiment, et dont l'avocat prend connaissance dans le cadre de sa fonction de conseil juridique. L'intervenant déduit du texte du projet de loi qu'il incomberait à l'autorité de tutelle de prononcer les sanctions et voudrait avoir des éclaircissements à ce sujet.

Le président, M. Beke, se demande, à propos des dispositions proposées aux articles 55 à 59, ce qu'il y a lieu de faire si, au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, une personne physique ou une personne morale est déjà propriétaire de plus de 25 % des actions ou droits de vote. À l'heure actuelle, il n'existe aucune obligation de notification à la société. En revanche, la société elle-même devra révéler l'identité du bénéficiaire final dans un délai de deux ans. Qu'en pense le ministre ? Est-ce bien là l'objectif de la directive ?

B. Réponse du gouvernement

Le secrétaire d'État répond que le projet n'a pas pour objectif, pour ce qui concerne les avocats, de toucher au monopole de la défense de son client devant le tribunal. Par contre, en ce qui concerne les conseils juridiques, il faut souligner que d'autres catégories professionnelles, telles que les professions du chiffre, peuvent fournir de tels conseils. C'est donc dans ce contexte que s'inscrit cette extension, comme le traduit également la formulation de la directive.

Le souci de ne pas mettre à mal le statut spécial de l'avocat tel qu'il est défini par la loi et confirmé par la jurisprudence — le « monopole de plaidoirie devant les tribunaux » — est clairement partagé par tout un chacun. Le projet de loi ne le remet pas non plus en cause.

Par contre, les avis juridiques concernent d'autres professions que les avocats. C'est la raison pour laquelle on est dans la question aux autres professions du chiffre et la directive européenne fait elle-même une distinction entre la représentation et la défense des intérêts des clients en justice — la raison pour laquelle il y a un vrai monopole des avocats, qui doit être respecté — et la détermination de la position juridique du client, en ce compris le conseil juridique en dehors du domaine de phases contentieuses.

Ce dernier élément ouvre un nouveau terrain d'action et c'est aussi à cet égard que les professions du chiffre sont sollicitées. Dans l'exercice de leur profession, ces dernières interprètent également la législation et fournissent des conseils à leurs clients lors du dépôt de déclarations et d'autres formalités. Il ne faut pas non plus oublier que dans certains cas, les experts-comptables disposent d'un monopole en ce qui concerne l'interprétation des normes comptables, ce que reconnaissent explicitement les tribunaux.

S'agissant de la question de l'anonymat de la personne soumise à l'obligation de communication à la CTIF de données sur des pratiques de blanchiment, l'intervenant déclare que le problème de l'anonymat ne doit pas être résolu dans le cadre de la législation antiblanchiment. Quoi qu'il en soit, le projet reprend également une disposition qui indique que des mesures doivent être prises au sein d'une entreprise pour garantir l'anonymat, surtout au niveau du collège des procureurs généraux. À cet égard, la CTIF a déjà pris toutes les mesures possibles pour protéger l'anonymat des personnes effectuant une déclaration. La cellule compétente au sein de la CTIF ne transmet jamais les déclarations proprement dites au parquet. Les informations communiquées, par exemple par un notaire, sont consignées dans un rapport dit de transmission, qui est complété par les flux financiers liés à ces informations. Le cas échéant, on y ajoute encore les antécédents financiers et l'acte notarié en question, mais ce rapport ne permettra pas d'identifier avec précision le notaire qui a fait la déclaration. Toutefois, si le notaire fournit des informations très spécifiques qui sont importantes pour le parquet, l'on rédige une « side letter » pour protéger les informateurs. Dans ce cas, les informations sont bel et bien transmises au procureur mais ne sont pas versées au dossier proprement dit parce que le prévenu y a accès par l'intermédiaire de son avocat.

Les aspects ci-dessus peuvent être inscrits dans le Code judiciaire ou même dans la loi antiblanchiment, comme le propose l'amendement nº 9 de MM. Vandenberghe et Beke (doc. Sénat, nº 4-1412/2). Cependant, l'intervenant observe que la cellule respecte déjà les dispositions de l'amendement proposé étant donné qu'elle ne transmet jamais le rapport de communication proprement dit. Si l'on souhaite inscrire cette disposition dans la loi même, cela ne pose aucun problème, puisque que l'on ne fait que confirmer une pratique existante. L'intervenant n'est pas non plus préoccupé par le dernier alinéa de l'amendement proposé, à savoir l'anonymat des témoins, car la disposition proposée est déjà inscrite dans la législation relative à la protection des témoins.

M. Vandenberghe déclare que le secret professionnel d'un avocat n'est pas légitimé par l'avis juridique qu'il fournit, mais il est lié à la relation particulière de confiance dans laquelle l'avis est donné et qui est unique. L'objection formulée par le barreau stigmatise le fait que l'on associe un secret professionnel à certaines catégories professionnelles qui fournissent des avis juridiques alors qu'il ne s'agit pas de leur activité principale, élément qui constitue pourtant le critère essentiel de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. L'intervenant ajoute que d'autres catégories professionnelles fournissent aussi des avis juridiques, notamment les secrétariats sociaux.

Mais le problème, c'est que le secret professionnel relève à vrai dire d'une relation de confiance exceptionnelle, comme c'est le cas notamment pour le médecin ou l'avocat, étant donné qu'elle touche à l'intimité de la vie privée. D'autres professions n'ont pas ce degré d'implication personnelle, raison pour laquelle il ne peut être question de procéder à des assimilations qui n'ont pas lieu d'être. Autrement, cela pourrait entraîner une dilution du secret professionnel, comme le montrent les attaques dont fait l'objet celui de l'avocat.

L'intervenant affirme que l'on pourrait envisager d'instaurer également, pour certaines catégories professionnelles, une forme de secret professionnel par rapport à l'obligation de déclaration. Il propose dès lors de traduire dans le texte la différenciation graduelle du secret professionnel de l'avocat et des autres catégories professionnelles. On ne saurait donner au secret professionnel la même signification si les circonstances et les professions sont différentes, surtout compte tenu de la position claire adoptée à ce sujet par la doctrine et la jurisprudence.

En réponse à la question de M. Crombez, le secrétaire d'État affirme que cette mesure est réclamée par la directive, par le GAFI et par les associations professionnelles elles-mêmes. En outre, cette forme de secret professionnel existe déjà chez certains de nos voisins et n'est pas exceptionnelle.

M. Crombez rétorque qu'il n'est pas correct d'invoquer la directive comme excuse pour étendre le secret professionnel et que l'Ordre des barreaux flamands a étayé ce raisonnement dans un avis qu'il a déjà communiqué à deux reprises au gouvernement. Quelle peut donc être la raison intrinsèque de cette extension du secret professionnel, puisqu'elle ne tend pas, selon l'intervenant, à une meilleure prévention des pratiques de blanchiment ?

Le secrétaire d'État fait remarquer qu'il faut respecter les principes de la directive européenne et de l'arrêt de la Cour constitutionnelle. En effet, les conseillers qui ne sont pas avocats peuvent également fournir des avis juridiques de qualité, tels qu'ils sont définis par la Cour constitutionnelle.

M. Vandenberghe observe que le secret professionnel est défini d'une manière particulière pour les avocats et qu'il jouit également d'une protection. Il en veut notamment pour preuve qu'il existe un Ordre des avocats, que l'on exerce des contrôles répondant à une déontologie spécifique assortie de diverses obligations, etc. D'autres catégories professionnelles peuvent effectivement fournir des avis juridiques, mais la question se pose de savoir si elles sont également protégées à cet égard par le secret professionnel et quels sont les critères pris en considération. Quelle est la position du gouvernement sur les arguments avancés par la Cour constitutionnelle ?

Le secrétaire d'État rappelle que dans son avis, le Conseil d'État n'a formulé aucune observation à ce propos.

Le représentant du secrétaire d'État déclare que les professions du chiffre sont tenues d'effectuer une déclaration à la CTIF en cas de présomption de pratiques de blanchiment. D'après le rapport annuel de la CTIF, l'on peut confirmer que les professions du chiffre font effectivement ces déclarations et que celles-ci sont de grande qualité puisqu'il en résulte que dans la majorité des cas, la CTIF informe le parquet.

En ce qui concerne les avis des professions du chiffre, l'intervenant fait remarquer qu'ils ont toujours un caractère juridique, vu la nature de la profession et ses points de convergence. Toutefois, en raison du principe constitutionnel d'égalité, l'intervenant estime que les avis juridiques rendus par les professions du chiffre ou d'autres instances doivent être traités de la même manière que les avis juridiques fournis par des avocats en dehors du monopole de la plaidoirie. Dans le cas contraire, l'on accorderait en effet un avantage concurrentiel à une catégorie professionnelle sur d'autres, qui, elles, sont tenues de faire des déclarations à la CTIF. Si l'on décide toutefois de ne pas tenir compte de cet élément, l'on risque de remettre en question l'effectivité même du système.

En ce qui concerne la définition du secret professionnel telle qu'elle est formulée à l'article 458 du Code pénal, l'intervenant affirme que celle-ci s'applique aux avocats, aux experts comptables, aux réviseurs d'entreprises ainsi qu'à tout une série d'autres catégories professionnelles qui, en raison de leur profession, ont connaissance d'informations confidentielles. La notion de secret professionnel est donc plutôt d'ordre public et n'existe pas seulement dans l'intérêt du praticien professionnel et de son client. En effet, même le client ne peut faire lever le secret professionnel du professionnel en question.

À cela s'ajoute que la directive 2005/60/CE qui est à la base des dispositions à l'examen fait également la distinction entre les avis fournis dans le cadre du monopole de la plaidoirie et en dehors de celui-ci.

Enfin, en ce qui concerne l'anonymat de celui qui effectue une déclaration, l'intervenant affirme que la législation actuelle suffit à garantir l'anonymat au niveau de la CTIF et au niveau du dossier transmis au parquet. Cependant, lorsque les intéressés sont entendus en tant que témoins, cela peut effectivement poser problème, étant donné que dans certains cas, le témoignage reste consigné dans le dossier répressif. L'intervenant aimerait attirer l'attention sur ce problème.

C. Répliques

M. Vandenberghe indique que la transposition tardive de la directive européenne ne peut pas être imputée au Sénat. En outre, compte tenu des réactions qu'il a entendues au cours de l'examen du projet de loi, l'intervenant constate qu'il s'impose de mener un débat de fond sérieux sur ledit projet. L'avis de l'Ordre des barreaux flamands et la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle sont suffisamment interpellants à cet égard. L'intervenant met donc en garde le Parlement qui a déjà violé le secret professionnel de l'avocat à sept ou huit reprises. À chaque fois, M. Vandenberghe a dénoncé cette violation au Sénat, mais en vain. Dans un État de droit démocratique, il est bon pour la démocratie qu'un parlementaire souligne que le secret professionnel d'un avocat constitue une garantie essentielle, reconnue par la Cour constitutionnelle, pour le fonctionnement de la démocratie, et dénonce le fait que le Parlement ignore cette garantie fondamentale pendant des années. Ce débat dépasse largement la question de savoir si les professions du chiffre sont soumises ou non à un secret professionnel. C'est un débat d'un tout autre genre.

Renvoyant à l'exposé des motifs du projet de loi du gouvernement, M. Vandenberghe déclare partager entièrement l'interprétation suivante:

« Le considérant 21 de la directive recommande « — ce n'est donc pas une obligation - » que les services directement comparables soient traités de la même manière lorsqu'ils sont fournis par l'une des professions soumises à la présente directive. Afin de respecter les droits inscrits dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dans le traité sur l'Union européenne, les commissaires aux comptes, les experts-comptables externes et les conseils fiscaux, qui, dans certains États membres, peuvent défendre ou représenter un client dans une procédure judiciaire ou évaluer la situation juridique d'un client, ne devraient pas être soumis aux obligations de déclaration prévues dans la présente directive pour les informations obtenues dans l'exercice de telles fonctions. »(doc. Chambre, nº 52 1988/1, p. 17).

Par ailleurs, l'intervenant signale que le « conseil juridique » et l'« évaluation de la situation juridique » sont deux choses différentes. De nombreux conseils juridiques sont émis sous réserve et n'évaluent pas la situation juridique. Or, à la lecture de la CEDH, on pourrait croire que le conseil juridique consiste à évaluer la situation juridique.

M. Vandenberghe relève cependant que l'Ordre des barreaux flamands a expliqué dans son avis que le texte traduisant ces principes dans le projet de loi n'est pas clair à cet égard. Il est donc recommandé d'amender le projet de loi sur ce point; il suffirait de préciser que l'on suit la recommandation du considérant 21 de la directive 2005/60/CE.

Selon l'intervenant, la question de savoir qui est soumis ou non au secret professionnel et quelles en sont les limites est un autre débat qui n'a pas sa place ici.

M. Vandenberghe souhaite cependant éviter que des recours doivent être introduits devant la Cour constitutionnelle, laquelle aborde cette question — justifiée, en l'occurrence — sous un autre angle.

M. Crombez déclare tout d'abord qu'il se rallie, une fois de plus, pleinement à l'intervention de M. Vandenberghe.

Ensuite, il renvoie également à l'avis de l'Ordre des barreaux flamands, dont l'une des interrogations fondamentales consiste à savoir si le considérant 21 de la directive 2005/60/CE constitue le fondement juridique des dispositions correspondantes dans le projet de loi. L'Ordre des barreaux flamands est très clair sur ce point: ce n'est pas le cas selon lui.

En outre, M. Crombez ne comprend toujours pas pourquoi les professions du chiffre seraient assimilées. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, la suppression de l'obligation de déclaration pour les professions du chiffre a été inspirée par la crainte d'une surcharge éventuelle de la CTIF. Or, selon la représentante de la CTIF elle-même, seules 47 déclarations de soupçons sur un total de 15 554 émanent d'une profession du chiffre.

L'intervenant note ensuite que le gouvernement n'a expliqué nulle part pourquoi les recommandations formulées par la commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les grands dossiers de fraude fiscale (doc. Chambre, nº 52-0034/4) ne sont pas suivies. Au contraire, le projet de loi à l'examen est aux antipodes des recommandations de ladite commission d'enquête parlementaire. Voici ce que dispose, par exemple, la recommandation nº 48 de cette dernière:

« Obliger les conseillers (professions du chiffre, avocats, notaires, banques, etc.) à collaborer à la lutte contre la fraude en instaurant des règles de rapportage (obligation d'informer les autorités par exemple quand leurs clients mettent en place des constructions fiscales dans un paradis fiscal) et en les obligeant à dénoncer la fraude fiscale et organisée auprès de la CTIF (Cellule de traitement des informations financières). »(Ibid., p. 252).

Voilà pourquoi M. Crombez réitère sa question, à laquelle il n'a toujours pas reçu de réponse: en quoi la suppression de l'obligation de déclaration améliore-t-elle la prévention des pratiques de blanchiment ? L'intervenant souhaite que le gouvernement réponde sérieusement à cette question.

En réponse aux remarques de M. Crombez, le secrétaire d'État précise que la Chambre des représentants n'a pas dit que le texte du projet de loi serait en contradiction avec les recommandations de la commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les grands dossiers de fraude fiscale. Il en veut pour preuve le fait que la Chambre a adopté le projet de loi à l'examen à une large majorité. Il conteste également l'analyse de M. Crombez selon laquelle l'obligation de déclaration pour les professions du chiffre serait « supprimée » dans certains cas. En tout cas, le gouvernement a l'intention de suivre scrupuleusement le considérant 21 de la directive 2005/60/CE. La ratio legis de cette disposition découle également du droit européen et du principe selon lequel des professions qui offrent un service similaire doivent pouvoir le faire dans des conditions analogues. Cette règle dérive du principe universel d'égalité.

En réponse à la question posée par M. Crombez, le secrétaire d'État indique que, si l'exemption limitée de déclaration pour les professions du chiffre était supprimée du projet de loi, l'on pourrait craindre que de nombreux clients demandent conseil à des titulaires de professions du chiffre à l'étranger qui ne sont pas soumis à la loi belge antiblanchiment. Pareille évolution nuirait précisément à l'efficacité de la lutte contre les pratiques de blanchiment.

M. Crombez déclare que la réponse du secrétaire d'État ne le convainc pas, sauf en ce qui concerne le risque d'évasion des demandes de conseils vers des titulaires de professions du chiffre non soumis à la loi belge antiblanchiment. Toutefois, cela ne répond pas à la question de savoir dans quelle mesure le projet de loi à l'examen va améliorer la prévention des pratiques de blanchiment. L'intervenant reste persuadé qu'il s'agit en fait d'un recul.

M. Vandenberghe rappelle que la loi antiblanchiment dans son ensemble a déjà fait l'objet de critiques dans le passé, à juste titre, notamment parce qu'elle imposait la déclaration de trop nombreux éléments. Le président de la CTIF a lui-même déjà déclaré que le but n'était pas d'imposer une obligation de déclaration excessive. C'est une erreur de partir du principe qu'une personne qui invoque le secret professionnel a forcément quelque chose à cacher. Cette conception est due à l'érosion de la notion de protection de la vie privée dans notre société. En revanche, la jurisprudence part du principe inverse: personne n'est obligé de faire des déclarations contre lui-même, ni a fortiori de divulguer des informations s'il est dépositaire d'un secret professionnel. Par ailleurs, le secret professionnel des différentes professions n'est pas réglé de la même manière dans tous les États membres de l'Union européenne. Pour ce qui est du barreau, la Cour constitutionnelle a jugé à plusieurs reprises qu'un avocat n'était pas soumis à une obligation de déclaration. C'est là que réside la différence avec les autres professions, qui sont tenues différemment à leur propre secret professionnel.

En réponse aux observations de M. Vandenberghe, le secrétaire d'État juge opportun que le texte du projet de loi traduise de façon plus précise la disposition du considérant 21 de la directive 2005/60/CE. Il déposera un amendement du gouvernement à cet effet.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Articles 4, 5, 30, 34 et 38

M. Crombez dépose successivement les amendements nos 1, 2, 3, 5 et 6 aux articles 4, 5, 30 et 34 du projet de loi (doc Sénat, nº 4-1412/2); ces amendements visent à réserver l'exemption de l'obligation de communication aux avocats uniquement, à l'exclusion des professions du chiffre.

En s'appuyant sur le point de vue de l'Ordre des barreaux flamands, MM. Vandenberghe et Beke déposent l'amendement nº 7 à l'article 38 du projet de loi (doc. Sénat, nº 4-1412/2).

En effet, les avocats sont la seule catégorie professionnelle à pouvoir représenter leurs clients en justice. Le secret professionnel est si étroitement lié aux droits de défense prévus à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'il faut prévoir une protection du secret professionnel rien que pour les avocats. De plus, un élargissement de la protection du secret professionnel à certaines professions du chiffre viderait inutilement de sa substance l'obligation de communication prévue dans la législation antiblanchiment.

Le secrétaire d'État souligne que les amendements similaires ont été rejetés à la Chambre et renvoie, pour ce qui concerne la motivation de ce rejet, à l'exposé du président de la CTIF, M. Delepière, au cours de l'audition organisée en commission des Finances et du Budget de la Chambre des représentants à propos du projet de loi à l'examen (voir le rapport fait par M. Guy Coëme, doc. Chambre, nº 52-1988/004, pp. 20-22 et 30-31).

Pour le secrétaire d'État, le projet de loi ne vise nullement à mettre les professions du chiffre et les notaires sur un pied d'égalité avec la profession d'avocat. Selon le courrier de l'Ordre des barreaux flamands, le projet de loi aurait étendu l'assimilation à sept catégories professionnelles non financières, dont les huissiers de justice. Or, cette assimilation n'a pas été étendue aux huissiers de justice étant donné que cette catégorie professionnelle ne figure pas dans la directive elle-même et que le conseil juridique à proprement parler ne fait pas vraiment partie de leur activité professionnelle. Néanmoins, l'assimilation a également été étendue dans les pays voisins (Royaume-Uni, Pays-Bas, France et Allemagne). Compte tenu de la transposition des directives européennes visant à promouvoir la libre circulation des services et la reconnaissance des qualifications professionnelles, les professions du chiffre en question bénéficieraient par conséquent d'un avantage concurrentiel par rapport aux professions du chiffre au niveau national, ce qui ne favoriserait pas non plus l'application de la législation antiblanchiment

En effet, les professions susmentionnées ne sont assimilables à la profession d'avocat ni en fait ni en droit. L'avocat — et lui seul — peut défendre son client en justice. C'est en cela que la profession d'avocat se distingue de toutes les autres.

Chaque profession a ses tâches définies par la loi, qui lui sont propres et spécifiques, ainsi que son secret professionnel. Un aspect tout à fait spécifique et unique à cet égard concerne le monopole de la plaidoirie des avocats, en vertu duquel eux et eux seuls peuvent bénéficier de l'exception prévue à l'article 3, 5 a) et b), du projet de loi consolidé, en vue de protéger les droits de la défense.

La distinction à opérer entre les avocats et les autres professions était déjà bien présente dans les esprits durant les négociations de la deuxième directive européenne. C'est la raison pour laquelle le champ d'application a été réduit pour les avocats, contrairement aux autres catégories professionnelles, dont toutes les tâches relèvent du champ d'application de la législation concernée.

Cependant, bien que le monopole de plaidoirie soit exclusivement réservé aux avocats, l'on peut difficilement affirmer qu'ils détiennent également le monopole du conseil juridique. Le secrétaire d'État renvoie également à la définition très large que la Cour constitutionnelle donne aux termes « conseil juridique », à savoir:

« informer le client sur l'état de la législation applicable à sa situation personnelle ou à l'opération que celui-ci envisage d'effectuer ou lui conseiller la manière de réaliser cette opération dans le cadre légal ».

En outre, le considérant 21 de la directive 2005/60/CE ne parle pas de services directement « identiques », mais uniquement de services directement « comparables ». Le considérant recommande un traitement égal pour des services directement comparables lorsque ces professions défendent ou représentent un client dans une procédure judiciaire ou évaluent sa situation juridique. La directive ne limite pas l'assimilation aux professions qui peuvent à la fois évaluer la situation juridique et défendre leur client en justice, ou qui fournissent le même genre de conseil juridique qu'un avocat. Elle ne limite pas non plus la recommandation d'égalité de traitement aux professions dont l'activité fondamentale est l'évaluation de la situation juridique ni aux professions qui peuvent soumettre elles-mêmes à l'appréciation judiciaire les conseils et les contrats qu'elles ont fournis et qui peuvent défendre elles-mêmes le bien-fondé de leur conseil.

Au même titre que les avocats, les professions visées fourniront fréquemment elles aussi, dans le cadre de leurs services fiscaux et comptables, un conseil concernant la situation juridique de leur client dans d'autres matières pertinentes, telles que le droit des sociétés, le droit comptable, le droit social, le droit commercial et d'autres branches du droit. Il est difficile de nier que ces professions fournissent également des services que la directive qualifie à juste titre de « directement comparables ». En conséquence, le considérant 20 de la directive 2005/60/CE mentionne aussi explicitement que les professions légalement reconnues et contrôlées fournissent un conseil juridique au même titre que les avocats. Tout comme c'est le cas pour les avocats, le titre professionnel de ces professions est protégé légalement et leurs titulaires doivent satisfaire à de strictes conditions de reconnaissance et effectuer des stages. De plus, ils sont soumis à un contrôle déontologique.

Les titulaires de professions du chiffre peuvent également assister leurs clients en qualité de conseiller technique dans une procédure judiciaire, sans se substituer à l'avocat. Les professions du chiffre ont le monopole de l'expertise judiciaire dans les questions comptables. Elles interviennent principalement dans les litiges fiscaux. Dans la phase administrative du contentieux fiscal, un expert comptable ou un conseiller fiscal, par exemple, fournira notamment des conseils fiscaux, rédigera une réclamation et, en vertu de son mandat, représentera son client auprès de l'administration fiscale et défendra son point de vue (les articles 34, 5, et 39, 2 et 3, de la loi du 22 avril 1999 prévoient que l'expert comptable et les conseillers fiscaux assistent les contribuables dans l'accomplissement de leurs obligations et peuvent représenter leur client auprès de l'administration fiscale). Dans la phase judiciaire du contentieux fiscal, le client se fera représenter par un avocat (monopole) mais, dans la pratique, l'expert comptable ou le conseiller fiscal continuera souvent à le conseiller en qualité de praticien du droit fiscal.

En outre, le secrétaire d'État souhaite également attirer l'attention sur le fait que:

1. la troisième directive antiblanchiment devait être transposée dans la législation nationale le 15 décembre 2007 au plus tard, et qu'il est préférable d'éviter tout retard;

2. la Belgique a été condamnée récemment par la Cour de justice de l'Union européenne pour avoir négligé de transposer ladite directive en temps utile; que notre pays est le seul État membre de l'Union européenne dans cette situation;

3. l'image de la Belgique s'en trouve ternie au niveau de l'Union européenne, surtout lorsqu'on sait que nous sommes actuellement les seuls retardataires sur le plan de la transposition effective de la directive européenne, alors que, lors de l'évaluation par le Groupe d'action financière (FAG-GAFI-FATF) en 2005, notre pays était considéré comme répondant largement aux normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

4. qu'au niveau du Groupe d'action financière, on a déjà commencé à revoir les 40 recommandations dans le but de lancer un quatrième tour d'évaluation des pays du GAFI en 2012. Qu'il est très important que d'ici là, la Belgique puisse mettre en œuvre et appliquer de manière effective les nouvelles normes.

Le gouvernement dépose à l'article 30 du projet de loi un amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 4-1412/3) visant à inscrire dans le projet la définition des termes « conseil juridique » et à l'aligner sur celle donnée par la Cour constitutionnelle. De cette manière, on crée la possibilité d'établir une distinction entre les conseils juridiques donnés par des avocats et ceux fournis par les catégories professionnelles soumises à l'obligation de déclaration.

M. Crombez redemande en quoi les dispositions à l'examen améliorent la procédure actuelle de prévention du blanchiment de capitaux. En effet, le seul argument potentiellement valable que l'intervenant ait entendu jusqu'à présent est celui de la position concurrentielle. L'intervenant se doit pourtant de faire remarquer que tous les acteurs qui opèrent en Belgique sont soumis à la législation belge. Le gouvernement pourrait-il dès lors expliciter l'argument du handicap concurrentiel ?

L'intervenant ajoute que l'un des arguments avancés pour justifier la suppression de l'obligation de déclaration pour certaines catégories professionnelles est lié à l'obligation de transposer la directive européenne. À l'examen, il apparaît que l'obligation de déclaration est maintenue dans d'autres pays. Pourquoi la Belgique applique-t-elle une exception ?

Le secrétaire d'État répète que les dispositions à l'examen visent la transposition d'une directive européenne et de ses considérants. Le but n'est pas que la Belgique fasse figure d'exception. Cette directive garantit le secret professionnel des avocats et considère qu'une prestation de services similaire offerte par les professions du chiffre doit également pouvoir relever de ce secret professionnel. Mais les titulaires de ces professions du chiffre ont bel et bien une obligation de déclaration à la CTIF s'ils ont acquis la certitude, en conseillant leurs clients pour des activités de blanchiment, que ceux-ci participent à des activités de blanchiment ou à des activités connexes. Le secret professionnel n'est donc pas absolu.

Le secrétaire d'État réfute que l'obligation de déclaration soit maintenue dans les pays voisins. En effet, tous ces pays connaissent également des exceptions plus ou moins similaires à l'obligation de déclaration, comme en attestent aussi les annexes du rapport de la commission compétente de la Chambre (cf. doc. Chambre, nº 52 1988/004). Chez nos voisins, les professions du chiffre bénéficient donc également d'une exception à l'obligation de déclaration lorsqu'elles fournissent des conseils juridiques. Il va de soi que si les praticiens belges des professions du chiffre ne pouvaient, eux aussi, bénéficier de cette exception, bon nombre de leurs clients traverseraient la frontière pour solliciter les services de leurs confrères.

Compte tenu des explications fournies par le secrétaire d'État, M. Crombez souligne l'importance de l'amendement nº 15 proposé. Étant donné les questions qu'il se pose encore à propos du texte, il demande que l'on prenne le temps de réflexion nécessaire avant de procéder au vote.

Il déclare en outre que le Royaume-Uni applique une autre méthode. Dans ce pays, les avocats et autres conseils ont une obligation de déclaration par rapport à leurs clients dont ils soupçonnent qu'ils disposent de fonds acquis frauduleusement. En revanche, le conseil belge n'est tenu d'effectuer une déclaration que lorsqu'il participe à certains montages à caractère frauduleux ou donne des conseils en ce sens.

M. Daras craint que l'interprétation future du texte proposé pose problème. Les conseils ne doivent pas effectuer de déclaration s'ils ont des présomptions de blanchiment ou de financement du terrorisme, mais ils doivent le faire lorsqu'ils en ont connaissance. Dans le futur, comment le tribunal analysera-t-il cette distinction ? En quoi l'amendement améliore-t-il le texte proposé ?

Le secrétaire d'État déclare que le texte cherche également à éviter une explosion du nombre de déclarations et qu'à force de devoir séparer le bon grain de l'ivraie, la CTIF ne puisse pas se concentrer suffisamment sur les déclarations réellement pertinentes.

M. Crombez renvoie à une discussion antérieure et indique que dans son rapport annuel, la CTIF signale que seules 47 des 15 500 déclarations qu'elle a reçues émanent des professions du chiffre. L'argument relatif à la nécessité d'éviter un excès de déclarations n'est donc guère pertinent. En outre, la Belgique ne s'aligne en aucune façon sur le système appliqué dans d'autres pays, puisqu'au Royaume-Uni, par exemple, une présomption suffit déjà pour une déclaration. Par ailleurs, à l'heure actuelle — et c'est le cas aussi en Belgique — il faut prendre la peine de vérifier s'il y a des présomptions. Comme ce ne sera plus le cas dans le futur, on ne peut absolument pas dire que les dispositions proposées représentent une plus-value par rapport aux dispositions existantes.

Le secrétaire d'État ne partage pas l'analyse de M. Crombez. Il renvoie à cet égard à la discussion qui a déjà eu lieu précédemment et souligne une nouvelle fois que les professions du chiffre sont tenues de faire une déclaration si elles ont connaissance de l'existence de pratiques de blanchiment, ainsi qu'il ressort également de l'article 26, § 1er, du texte coordonné de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme:

« § 1er. Les personnes visées à l'article 3, 1 à 4 qui, dans l'exercice de leur profession, constatent des faits qu'elles savent ou soupçonnent être liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme sont tenues d'en informer immédiatement par écrit ou par voie électronique la Cellule de traitement des informations financières. »

À la question de M. Crombez qui souhaite savoir si les nouvelles règles prévues dans le projet de loi ne risquent pas de compromettre l'efficacité du système antiblanchiment proprement dit, le représentant du secrétaire d'État répond que la CTIF a constaté qu'à l'heure actuelle, les professions non financières font peu de déclarations. C'est tout à fait normal dans la mesure où les informations relatives aux flux financiers passent essentiellement par le secteur financier. Toutefois, l'exemption que prévoit le projet de loi en cas de service de conseil juridique n'est pas une exemption à blanc. La loi prévoit explicitement qu'il existe l'exception à l'exception. Les dispositions de la directive européenne, que l'article 30 du projet de loi fait figurer littéralement dans l'article 14bis de la loi antiblanchiment, sont très claires à cet égard:

« Les personnes visées à l'article 3, 1, 3 et 4, ne transmettent pas ces informations si celles-ci ont été reçues d'un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client, sauf si elles prennent part à des activités de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, elles fournissent un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou elles savent que le client sollicite un conseil juridique à de telles fins; ».

C'est ainsi, par exemple, qu'un conseiller fiscal qui fournit un conseil juridique à son client demeurera soumis lui aussi à l'obligation de déclaration. On peut même dire que les nouvelles dispositions légales l'amèneront à devoir faire preuve d'un sens accru des responsabilités puisqu'elles l'obligeront à informer immédiatement la CTIF s'il constate ou s'il soupçonne que son conseil juridique est utilisé abusivement à des fins de blanchiment.

L'intervenant poursuit en donnant un deuxième exemple: lorsqu'à la suite de la déclaration faite par une banque, la CTIF constate qu'il existe des indices sérieux de blanchiment de capitaux, elle transmet l'analyse au parquet. S'il s'avère, après enquête du parquet, qu'un avocat ou le titulaire d'une profession du chiffre ont fourni eux aussi un conseil juridique à l'intéressé sans faire de déclaration, alors que la loi les y obligeait, ceux-ci sont également coupables de complicité.

En d'autres termes, la nouvelle réglementation légale n'instaure aucune exemption à blanc. L'intervenant espère que les autorités de contrôle sensibiliseront comme il se doit leurs groupes professionnels. Le système de prévention n'en sera que plus efficace.

M. Vandenberghe est d'avis que l'amendement nº 15 du gouvernement ne traduit pas fidèlement l'esprit de la discussion précédente ni le consensus qui a été atteint. Il estime dès lors qu'il faudrait l'adapter.

Le gouvernement retire ensuite l'amendement nº 15 et dépose l'amendement nº 16 (doc. Sénat, nº 4-1412/3), qui vise à insérer, dans le paragraphe proposé au 2 de l'article 30 du projet de loi, les mots « , dans le cadre de l'exercice de leur profession, » entre les mots « si celles-ci » et les mots « ont été reçues ».

Le but reste de mieux encadrer la notion de « conseil juridique », mais en modifiant le moins possible le texte existant.

La précision proposée vise à mieux respecter la lettre de la considération nº 21 de la directive européenne 2005/60/CE. Le conseil juridique visé dans cette considération n'est pas envisagé de manière abstraite mais s'inscrit dans l'optique de l'exercice de la profession, la législation sous-jacente déterminant les limites et les circonstances du recours au secret professionnel.

Par ailleurs, MM. Vandenberghe et Beke retirent leur amendement nº 7 à l'article 38 du projet de loi.

MM. Crombez et Darras regrettent que les amendements du gouvernement aient été déposés juste avant, et même pendant la réunion, ce qui n'a pas laissé aux membres le temps d'examiner sereinement les importantes modifications proposées.

M. Vandenberghe réplique que les amendements ne s'appuient pas sur un point de vue inédit mais qu'ils reflètent les positions adoptées lors des discussions précédentes.

Article 6

M. Crombez dépose l'amendement nº 4 à l'article 6 (doc. Sénat, nº 4-1412/2), qui vise à qualifier d'illégale l'origine des fonds provenant de toute infraction susceptible de générer des produits substantiels et à rendre celle-ci passible d'un emprisonnement maximal de plus d'un an.

Le secrétaire d'État demande à la commission de rejeter cet amendement.

Article 10

Mme Van dermeersch dépose l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 4-1412/2), qui vise à supprimer l'obligation incombant aux commerçants en diamants, définie au paragraphe 6 de l'article 8 proposé.

Le secrétaire d'État demande à la commission de rejeter cet amendement.

Article 40

M. Crombez dépose l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 4-1412/2), qui vise à ajouter dans l'article 40 une disposition prévoyant que, lorsqu'une transmission de la CTIF au procureur du Roi comporte des informations relatives au blanchiment de capitaux provenant de la commission d'une infraction liée à la fraude fiscale ordinaire, le ministre des Finances en soit informé.

Le secrétaire d'État demande à la commission de rejeter cet amendement.

Article 40/1 (nouveau)

MM. Vandenberghe et Beke déposent l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 4-1412/2), qui insère un article 40/1 (nouveau) dans le projet de loi.

Cet amendement vise à insérer dans la loi du 11 janvier 1993 un article 35/1 imposant à la CTIF l'obligation de protéger l'anonymat du déclarant lorsqu'elle transmet un dossier, à l'instar de ce que prévoit la législation française.

Le secrétaire d'État répond que sur le fond, il n'est pas opposé à l'inscription explicite de ce principe dans la loi, mais il la juge superflue étant donné que la CTIF l'applique déjà scrupuleusement depuis le début de ses travaux. Aucune fuite n'a été constatée au niveau de la Cellule.

Des mesures de protection sont déjà en vigueur depuis un certain nombre d'années. Ces procédures ont été prises en concertation avec les secteurs financiers (établissements de crédit, agents de change, etc.) et non financiers. La CTIF ne mentionne jamais en tant que telle l'origine des informations qu'elle traite et reprend ces informations à son compte dans les rapports transmis aux autorités judiciaires.

Une note d'information rédigée par la CTIF a été transmise par le Collège des procureurs généraux aux différents arrondissements judiciaires pour attirer l'attention notamment des enquêteurs des forces de police non spécialisées sur l'importance de la protection de l'anonymat des déclarants dans le cadre des dossiers mis à l'information judiciaire suite à un rapport de la CTIF. Cette note a fait l'objet d'une directive interne au parquet de Bruxelles.

La question de la protection du déclarant doit bien entendu continuer à faire l'objet d'une attention particulière, quel que soit le secteur concerné. Il ne convient toutefois pas d'édicter dans la loi préventive des mesures de protection dans le cadre du traitement judiciaire des dossiers. Une discussion devra avoir lieu sur ce sujet avec les autorités judiciaires. Il ne s'indique en effet pas de mêler les aspects préventifs et répressifs.

Article 43

Mme Van dermeersch dépose un amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 4-1412/2) visant à ajouter, dans l'article 36 proposé, une disposition ayant pour objectif d'éviter au secteur diamantaire de lourdes formalités administratives et des charges financières importantes compte tenu des recommandations ou des directives de la Financial Action Task Force.

Article 55

MM. Vandenberghe et Beke déposent l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 4-1412/2) tendant à supprimer l'alinéa 3. Il s'agit d'un amendement technique.

Article 59 (nouveau)

MM. Vandenberghe et Beke déposent un amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 4-1412/2) visant à insérer dans le projet de loi une disposition transitoire prévoyant une période transitoire raisonnable pendant laquelle les propriétaires possédant déjà plus de 25 % des actions ou des droits de vote devront communiquer leur identité à la société concernée.

Le représentant du secrétaire d'État indique que le projet de loi prévoit déjà une mise à jour dans un délai de deux ans. Il importe en outre d'indiquer que cette mise à jour doit se faire en fonction du risque. S'il y a donc un risque important de blanchiment d'argent, l'on ne peut au fond pas se permettre d'attendre deux ans.

L'intervenant observe que dans le texte proposé, le délai est plus strict puisqu'il est réduit à six mois. Ce qui frappe cependant, c'est la disparition de l'élément de risque. Pour le cas où la disposition proposée serait votée, l'intervenant souhaite donc qu'elle soit adaptée in fine comme suit:« ... le notifie à la société concernée au plus tard dans un délai de six mois à compter de cette date, en fonction du risque ». En cas de risque important de blanchiment d'argent, l'on pourra ainsi déjà procéder à une mise à jour avant l'expiration du délai de six mois.

Pour répondre à cette observation, M. Beke dépose un amendement nº 12, comme sous-amendement à l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 4-1412/2).

V. VOTES

Les amendements nos 1 à 6 et 8 sont rejetés à l'unanimité des 11 membres présents.

Les amendements nos 9, 10, 11 et 12 sont adoptés à l'unanimité des 11 membres présents.

Les amendements nos 13 et 14 sont rejetés à l'unanimité des 11 membres présents.

L'amendement nº 16 est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

L'ensemble du projet amendé a été adopté à l'unanimité des 11 membres présents.


La commission décide, sur la base des observations du service d'Évaluation de la législation du Sénat, d'apporter des améliorations au texte transmis par la Chambre des représentants (voir la note jointe en annexe). Il s'agit des articles 3, 13, 14, 20, 24, 26, 30, 40, 47 et 52 du projet de loi. (cf. doc. Sénat, nº 4-1412/5)


Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.

La rapporteuse, Le président,
Christiane VIENNE. Wouter BEKE.

ANNEXE

Fin du délai d'évocation: le 27 octobre 2009
Évaluation de la législation

Projet de loi modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, et le Code des sociétés

(Doc. Chambre 52 — 1988/006

Doc. Sénat 4 — 1412)

Avis

Remarques préliminaires

Comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi, celui-ci entend transposer en droit belge deux directives européennes et, à cet effet, modifie fondamentalement la loi du 11 janvier 1993 (3) . L'on doit, à cet égard, regretter qu'aucun tableau de concordance n'ait été fourni au Sénat afin de visualiser concrètement les modifications apportées suite à son adoption par la Chambre des Représentants. Ce tableau, transmis initialement à la Chambre, n'a pas été actualisé alors que de nombreux amendements ont été adoptés.

Par souci de précision, le présent avis examine, sous les références aux articles du projet de loi, les articles qui figureront dans la version renumérotée de la loi du 11 janvier 1993.

Par ailleurs, le présent avis n'entend pas revenir sur les remarques déjà formulées par le Conseil d'État relatives à la transposition des deux directives, et dont il n'a été tenu que partiellement compte. Ne sont abordés ici que certains points résiduaires.

Remarque générale

Dans le texte néerlandais, il convient de remplacer « onderneming » par « instelling » à chaque fois qu'il s'agit de traduire le mot « organisme ». Cette correction doit permettre au texte du projet d'être conforme aux dispositions de la directive européenne 2005/60/CE (texte néerlandais) et cohérent par rapport aux dispositions insérées dans la loi du 11 janvier 1993 notamment par la loi du 27 avril 2007.

Cette remarque s'applique pour les articles 3 (à la phrase liminaire de l'article 2, § 1, en projet), 9 (à la phrase liminaire de l'article 7, § 1 et à la phrase liminaire de l'article 7, § 2 et aux §§ 3 et 4), 10 (article 8 §§ 1 et 2, § 3, alinéas 1 et 2 et § 4), 12 (article 10, § 1, alinéas 1 à 4, § 2, alinéas 1 et 2), 13 (à la phrase liminaire de l'article 11, §§ 1 à 3), 14 (à la phrase liminaire de l'article 12, §§ 1 à 4), 15, 16 (article 14, § 1, alinéas 1 et 2 et § 2), 17, 18 (article 16, § 1 et § 3), 19 (article 17, alinéas 1 et 2), 20, 25, 26, 3º, 34, 35, 36, 37, 39, 43, 44, 45, 47, 52.

Certaines autres dispositions de la loi du 11 janvier 1993 devront également être adaptées en ce sens afin que le remplacement du mot « ondernemingen » par « instellingen » puisse s'appliquer uniformément (par exemple, à l'article 3 § 3, qui devient l'article 6 dans le texte en projet).

Article 3

1.

À l'article 2, § 1er, 19º, la référence à la loi du 11 mai 2003 est erronée:

— En français, il convient de remplacer les mots « visés à l'article 4 de la loi du 11 mai 2003 créant des conseils fédéraux des géomètres-experts » par les mots « visés à l'article 2 de la loi du 11 mai 2003 protégeant le titre et la profession de géomètre-expert. »

— En néerlandais, il convient de remplacer les mots « bedoeld in artikel 4 van de wet van 11 mei 2003 tot oprichting van federale raden van landmeters-experten » par les mots: « bedoeld in artikel 2 van de wet van 11 mei 2003 tot bescherming van de titel en van het beroep van landmeter-expert ».

À l'article 2, § 2, il convient de remplacer « conformément à l'article 36, § 2, 1º » (en néerlandais: « overeenkomstig artikel 36, § 2, 1º ») par « conformément à l'article 36, § 2, alinéa 1er,1º » (en néerlandais: « overeenkomstig artikel 36, § 2, eerste lid, 1º »). Cette remarque s'applique également pour l'article 47 (qui remplace un article devenant l'article 39) et pour l'article 52 (qui remplace un article devenant l'article 43 — voir infra).

Article 6

La phrase liminaire introduit une modification à apporter à l'article 3 (qui devient l'article 5) de la loi du 11 janvier 1993. La référence à cet article indique, à tort, qu'il a été modifié par une loi du 20 mars 2007, alors qu'aucune loi de cette date ne modifie cette disposition. Il convient donc de supprimer les mots « et du 20 mars 2007 » (en néerlandais: « en 20 maart 2007 ») et d'insérer le mot « et » entre « 7 avril 1995 » et « du 12 janvier 2004 ».

Article 13

À l'article 11, § 2, 4º du texte en projet, remplacer les mots « au sens de l'article 3, alinéa 1er, 7º, de la loi du 22 mars 1993 » (en néerlandais: « artikel 3, eerste lid, 7º, van de wet van 22 maart 1993 ») par « au sens de l'article 3, § 1er, 7º, de la loi du 22 mars 1993 » (en néerlandais: « artikel 3, § 1, 7º, van de wet van 22 maart 1993 »).

Article 14

À l'article 12, § 3, alinéa 3, dans le texte français du projet, les mots « n'est réputée comprendre » doivent être remplacés par « ne couvre », conformément à l'article 2 de la directive 2006/70/CE. Cette modification permet également au texte français d'être conforme au texte néerlandais.

Article 15

L'article 13 du texte en projet mentionne à tort « l'opération visée à l'article 7, § 1er, alinéa 1er, 2º ou 3º (en néerlandais: « de verrichting bedoeld in artikel 7, § 1, eerste lid, 2º of 3º »), alors que le « 3º » vise une autre hypothèse. Il faut lire: « l'opération visée à l'article 7, § 1er, alinéa 1er, 2º, a ou b ou 3º (en néerlandais: « de verrichting bedoeld in artikel 7, § 1, eerste lid, 2º, a of b of 3º »).

Article 20

L'article 18 du texte en projet mentionne, à tort, les « rapports écrits établis conformément à l'article 14, § 2, alinéa 2 » (en néerlandais: de schriftelijke verslagen die overeenkomstig artikel 14, § 2, tweede lid, worden opgesteld »). Il convient de supprimer les mots « alinéa 2 », puisque l'article 14, § 2 ne comporte qu'un seul alinéa.

Article 24

Dans le texte français, in fine, remplacer les mots « sous la forme opérations fractionnées » par les mots « sous la forme d'opérations fractionnées ».

Article 26

Dans le texte néerlandais, in fine, dans le § 9 à insérer, il conviendrait de remplacer les mots « grove fout » par « zware fout » (en français: faute lourde). En effet, les mots « grove fout » n'apparaissent pas comme des termes juridiques appropriés au regard d'autres normes traitant cette notion.

Article 30

Dans le texte français, au 3º, remplacer les mots « dans le paragraphe 2, à alinéa 1er » par « dans le paragraphe 2, à l'alinéa 1er ».

Article 34

Au 2º, il est fait référence, à tort, aux articles « 2, § 1er, et 4 ». Or, s'agissant de remplacer le renvoi aux articles 2, 2bis et 2ter, il est étonnant (et également contraire à l'exposé des motifs) que ce remplacement ne s'effectue pas comme, entre autres, aux articles 26, 33, 35, 36 et 38 (qui se réfèrent aux articles « 2, § 1er, 3 et 4 »). Selon nous, il faudrait également insérer un « 3 » dans cette disposition, sous peine de déforcer le dispositif légal.

Article 40

Au 3º, remplacer les mots « article 209A » par « article 209A du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne » et remplacer « article 280 » par « article 280 du Traité sur l'Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne du 25 mars 1957 (version consolidée) (4)  ».

Article 47

À l'article 39, alinéa 3, il convient de remplacer « conformément à l'article 36, § 2, 1º » (en néerlandais: « overeenkomstig artikel 36, § 2, 1º ») par « conformément à l'article 36, § 2, alinéa 1er,1º » (en néerlandais: « overeenkomstig artikel 36, § 2, eerste lid, 1º »).

Article 52

À l'article 43, alinéa 4, il convient de remplacer « en vertu de l'article 36, § 2, 2º » (en néerlandais: « krachtens artikel 36, § 2, 2º ») par « en vertu de à l'article 36, § 2, alinéa 1er,2º » (en néerlandais: « krachtens artikel 36, § 2, eerste lid, 2º »).


(1) Voir la position de l'Ordre des barreaux flamands sur l'avant-projet de loi visant à transposer la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (http://advocaat.be/Page.aspx ?positionid=5&genericid=105), et l'audition de M. Jo Stevens, Président de l'Ordre des barreaux flamands, Rapport de M. Coëme fait au nom de la commission des Finances et du Budget de la Chambre des représentants, doc. Chambre, no 52 1988/004.

(2) Voir doc. Chambre, no 52 0034/4.

(3) Il s'agit de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ainsi que la directive 2006/70/CE de la Commission du 1er août 2006 portant mesures de mise en œuvre de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil pour ce qui concerne la définition des « personnes politiquement exposées » et les conditions techniques de l'application d'obligations simplifiées de vigilance à l'égard de la clientèle ainsi que de l'exemption au motif d'une activité financière exercée à titre occasionnel ou à une échelle très limitée.

(4) Lorsque le Traité de Lisbonne entrera en vigueur, l'article 280 deviendra l'article 325 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.