4-1470/1

4-1470/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

22 OCTOBRE 2009


Proposition de loi modifiant l'article 259ter du Code judiciaire, relatif à la nomination des magistrats

(Déposée par M. Philippe Monfils)


DÉVELOPPEMENTS


L'actualité a démontré a plusieurs reprises que la procédure de nominations des magistrats comportait certaines faiblesses.

L'auteur de la présente proposition de loi en avait d'ailleurs conscience puisqu'il a déposé antérieurement deux propositions dont l'une étendait la transmission au Conseil supérieur de la Justice (CSJ) des décisions disciplinaires des candidats en matière judiciaire (doc. 4-1443/1) et dont l'autre étendait les éléments de la banque de données visée à l'article 427, alinéa 2, du même Code aux avis rendus sur les peines proposées par le Conseil national de discipline (doc. 4-1444/1).

Ultérieurement à ces dépôts, le Conseil supérieur de la Justice s'est saisi du dossier en analysant la problématique lors de son assemblée générale du 30 septembre 2009. Suite à cet examen, le CSJ a émis plusieurs propositions de modification de l'article 259ter du Code judiciaire qui règle la nomination des magistrats (cf.: http://www.csj.be/NL/acti/.. %5C.. %5Cdoc %5Cadvice %5Cavis061009-1.pdf).

Trois objectifs sont poursuivis, à savoir:

— assurer que les Commissions de nomination et de désignation soient informées des condamnations pénales ou disciplinaires et des procédures en cours concernant le candidat magistrat;

— joindre au dossier de nomination du candidat chaque plainte déclarée fondée par les Commissions d'avis et d'enquête du CSJ;

— donner un pouvoir d'investigation aux Commissions de nomination et de désignation du CSJ.


La présente proposition de loi reprend ces suggestions qui poursuivent le même objectif que celui visé dans les propositions de loi susmentionnées.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article 259ter, § 1er, prévoit qu'avant que le Roi ne procède à une nomination, le ministre demande l'avis écrit et motivé de différents acteurs du monde judiciaire concerné par cette nomination (à savoir: le chef de corps de la juridiction ou du ministère public près la juridiction où doit avoir lieu la nomination, le chef de corps de la juridiction ou du ministère public près la juridiction où le candidat exerce des fonctions en tant que magistrat ou magistrat suppléant, un représentant du barreau désigné par l'ordre des avocats de l'arrondissement judiciaire où le candidat exerce des fonctions, soit en tant qu'avocat, soit en tant que magistrat).

Le présent article prévoit la demande de deux avis complémentaires: un premier du procureur du Roi du domicile du candidat concernant les condamnations et procédures pénales et un second de l'autorité compétente pour engager la procédure disciplinaire à l'encontre du candidat.

Pour respecter la présomption d'innocence et les droits de la défense, certainement en ce qui concerne les procédures en cours, il est explicitement prévu que les auteurs d'avis doivent veiller au respect de ces principes.

Ces avis, tout comme les autres avis, sont rendus conformément à un formulaire type déterminé par le ministre de la Justice sur proposition du CSJ. Une base légale s'impose toutefois pour la communication de certaines informations demandées de sorte que cela est ainsi explicitement ancré dans la loi.

Ces avis, tout comme les autres avis, sont communiqués au candidat qui peut y réagir.

De surcroît, il est prévu que lorsque les avis lui sont préjudiciables, le candidat doit être entendu.

Article 3

Pour éviter que les Commissions de nominations et de désignations (CND) ne soient pas informées de condamnations disciplinaires ou pénales ou de procédures disciplinaires ou pénales en cours, le candidat sera obligé de communiquer ces informations aux CND.

Par ailleurs, actuellement la Commission de nomination ne peut faire état des avis antérieurs émis pour le candidat dans le cadre d'autres postulations. Cet article propose donc que les membres de la Commission de nomination puissent également avoir connaissance des avis émis précédemment dans le cadre de postulations antérieures du candidat et des observations respectives éventuelles.

Article 4

Points 1º et 2º

Au sein même du CSJ, les Commissions d'avis et d'enquête (CAE) sont chargées de traiter les plaintes relatives au fonctionnement de l'ordre judiciaire. Ces plaintes peuvent viser des magistrats. Au terme de la procédure de traitement des plaintes, les CAE peuvent, par une décision motivée, déclarer une plainte fondée. Une plainte fondée ne signifie pas nécessairement qu'une faute aurait été commise dans le chef du magistrat concerné. Cependant il peut arriver qu'une plainte soit déclarée fondée car un magistrat n'a pas accompli sa tâche de manière optimale. Bien que la loi prévoie que la décision de la CAE n'est communiquée qu'au plaignant, les CAE ont toutefois décidé de communiquer également leur décision au supérieur hiérarchique et au magistrat concerné.

La question de savoir si la CAE peut légalement communiquer une telle décision de déclaration de plainte fondée à la CND est susceptible de controverse. En effet, la loi fixe précisément le contenu du dossier de nomination remis aux membres de la commission de nomination. Une plainte fondée n'en fait pas partie.

Afin de lever toute ambiguïté pouvant, le cas échéant, conduire à une annulation de la nomination par le Conseil d'État, il est proposé de joindre au dossier de nomination, constitué par le ministre de la Justice et transmis à la commission de nomination, la décision par laquelle une plainte concernant un candidat est déclarée fondée.

Dans ce cas, le candidat en sera averti et sera invité à apporter les éléments d'informations complémentaires qu'il souhaite, lors de son audition par la commission de nomination. Enfin, afin d'éviter que la commission de nomination ne fasse une nouvelle instruction du traitement de la plainte en question, le nouveau texte ainsi proposé ne prévoit pas que la commission de nomination, faisant usage de son pouvoir d'investigation, puisse interroger la CAE ou le chef de corps du candidat magistrat en question à propos de cette plainte.

En effet, le traitement de la plainte a déjà été effectué par la CAE — dont c'est la compétence exclusive — et il n'appartient pas à la commission de nomination de vérifier la validité du traitement de la plainte par la commission d'avis et d'enquête.

Point 3º

Il s'agit ici uniquement d'une adaptation liée aux modifications prévues par le 2º afin que l'entretien avec toutes les autres personnes auditionnées fasse également l'objet d'un enregistrement sonore.

Points 4º et 5º

Les commissions de nomination ont été confrontées à plusieurs reprises à la difficulté de pouvoir vérifier le contenu d'informations divulguées lors des auditions de candidats ainsi que le contenu d'avis de chefs de corps parfois contradictoires entre eux sur un même candidat.

On avait évoqué la possibilité pour une commission de nomination de demander à la CAE d'effectuer une enquête. Mais cette procédure n'est absolument pas adaptée à l'objectif des commissions de nomination qui est de pouvoir confronter le contenu des avis et des informations obtenues.

C'est pourquoi, il est proposé de permettre à chaque commission de nomination de demander, entre autres, aux auteurs des avis visés dans la procédure de nomination, d'apporter des informations complémentaires, à l'occasion d'une audition ou par écrit, et dans le délai fixé par la commission. Dans un souci du respect des principes du débat contradictoire, le candidat sera également appelé oralement ou par écrit, à répondre à ces éléments d'information complémentaires. Étant donné que ces informations peuvent se rapporter à ces procédures pénales ou disciplinaires, il est expressément prévu que tant ceux qui donnent les informations que la Commission de nomination doivent veiller au respect de la présomption d'innocence et des droits de défense.

S'il le demande, ces éléments seront portés à la connaissance du ministre de la Justice.

Compte tenu des délais qui s'imposent aux CND, il est indiqué de prévoir un prolongation de quinze jours du délai de présentation lorsqu'une CND fait usage du pouvoir d'investigation.

Philippe MONFILS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

L'article 259ter, § 1er, alinéa 1er, du Code judiciaire, inséré par la loi du 22 décembre 1998 et modifié par les lois des 21 juin 2001 et 3 mai 2003, est complété par les 4º et 5º rédigés comme suit:

« 4º au procureur du Roi du domicile du candidat en Belgique ou, à défaut, au procureur du Roi de Bruxelles. Cet avis mentionne entre autres toutes les informations concernant le candidat extraites du Casier judiciaire auxquelles les magistrats du ministère public ont accès conformément à l'article 593 du Code d'instruction criminelle, ainsi qu'à toutes les enquêtes et procédures pénales en cours en Belgique et à l'étranger dans lesquelles le candidat est suspect, inculpé, prévenu ou accusé. L'avis doit être rendu en veillant au respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense du candidat et de tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes;

5º l'autorité disciplinaire compétente pour engager la procédure disciplinaire à l'encontre du candidat. Cet avis mentionne entre autres toutes les condamnations et décisions disciplinaires existantes concernant le candidat, ainsi que toutes les procédures disciplinaires en cours. L'avis doit être rendu en veillant au respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense du candidat et de tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. ».

Art. 3

L'article 259ter, § 2, du même Code, modifié par les lois des 3 mai 2003 et 31 janvier 2007, est complété par les alinéas 5 et 6 rédigés comme suit:

« Le candidat est tenu de communiquer, par écrit, à la Commission de nomination s'il fait ou a fait l'objet de poursuites disciplinaires ou pénales. Il communique le contenu de celles-ci, aussi bien au moment où il introduit sa candidature que lors de l'audition.

En plus du dossier de nomination proprement dit, les membres de la Commission de nomination disposent des avis émis précédemment dans le cadre des postulations antérieures du candidat et leurs observations respectives éventuelles. ».

Art. 4

À l'article 259ter, § 4, du même Code, modifié par les lois des 3 mai 2003 et 9 juillet 2004, les modifications suivantes sont apportées:

1º un alinéa rédigé comme suit est inséré entre les alinéas 2 et 3:

« Le cas échéant, au dossier de nomination, transmis par le ministre, est jointe la décision motivée de la Commission d'avis et d'enquête du Conseil supérieur de la Justice par laquelle une plainte concernant le candidat, est déclarée fondée conformément à l'article 259bis-15, § 6. Le candidat en est informé. ».

2º il est inséré, après l'alinéa 5 qui devient l'alinéa 6, un alinéa rédigé comme suit:

« La Commission de nomination entend en tous cas, les candidats:

— dont l'avis visé au § 1er, alinéa 1er, 4º, de cet article mentionne des condamnations ou décisions extraites du Casier judiciaire ou des enquêtes ou procédures pénales en cours;

— dont l'avis visé au § 1er, alinéa 1er, 5º, de cet article mentionne les condamnations ou décisions disciplinaires ou les procédures disciplinaires en cours;

— dont le dossier a été complété de la décision visée à l'alinéa 3 du présent paragraphe. »;

3º les alinéas 7 et 8 qui deviennent les alinéas 9 et 10, sont remplacés par les alinéas suivants:

« L'entretien avec le candidat et toutes les autres personnes auditionnées fait l'objet d'un enregistrement sonore. Cet enregistrement est conservé par le Conseil supérieur de la Justice avec le dossier de présentation.

Lorsque un candidat introduit un recours au Conseil d'État contre la nomination à la fonction pour laquelle il s'est porté candidat, l'entretien avec ce candidat et l'entretien avec les autres personnes auditionnées à propos de ce candidat, sont transcrits. Il en est de même de l'entretien du candidat nommé à ladite fonction et l'entretien avec les autres personnes auditionnées à propos de ce candidat. À cette fin, le ministre de la Justice transmet une copie du recours au président de la commission de nomination concernée. La transcription dactylographiée certifiée conforme par le président et par un membre de la Commission de nomination, est transmise au Conseil d'État par les soins du ministre de la Justice. »;

4º il est inséré après l'alinéa 9 qui devient l'alinéa 11, un alinéa rédigé comme suit:

« Lorsqu'elle l'estime nécessaire pour évaluer les éléments repris dans le dossier ou résultant de l'audition et à l'exception des décisions de la Commission d'avis et d'enquête, la commission de nomination peut demander à toute personne concernée, et notamment les auteurs des avis visés aux paragraphes 1er et 3 d'apporter à l'occasion d'une audition ou par écrit et dans le délai qu'elle fixe, les informations complémentaires qu'elle souhaite. Lorsque ces informations complémentaires sont données par écrit, elles sont notifiées aux candidats concernés. Les candidats disposent à peine de déchéance d'un délai de sept jours à compter de la notification pour communiquer leurs observations par lettre recommandée à la Commission de nomination. Lorsque les informations complémentaires sont données à l'occasion d'une audition, les auteurs des avis et les candidats sont entendus simultanément ou successivement. Les informations complémentaires doivent être données en veillant au respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense du candidat et de tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. Lors de l'appréciation de ces informations, la Commission de nomination doit également veiller au respect de ces principes. Le candidat est informé du contenu des auditions qui le concernent. Le ministre de la Justice est informé de cette demande d'informations complémentaires. »;

5º l'alinéa 13 qui devient l'alinéa 16, est complété par les phrases suivantes:

« S'il a été fait usage des dispositions à l'alinéa 10, le ministre de la Justice peut demander que lui soient communiqués la demande d'informations complémentaires, lesdites informations complémentaires et les observations des candidats. En outre, le délai de présentation est prolongé de quinze jours. ».

6 octobre 2009.

Philippe MONFILS.