4-92

4-92

Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 22 OCTOBRE 2009 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Philippe Monfils au ministre de la Justice sur «les dysfonctionnements de la surveillance électronique» (nº 4-885)

M. Philippe Monfils (MR). - La surveillance électronique est une modalité d'exécution de la peine privative de liberté. En Belgique, il n'existe actuellement qu'un seul modèle de surveillance électronique, il s'agit du bracelet. Ce système rencontre un certain succès au vu des demandes croissantes enregistrées.

En effet, vous-même, monsieur le ministre, aviez annoncé en mai dernier que plus de 1000 personnes se trouvaient sous surveillance électronique. Néanmoins ce système n'est pas vraiment opérationnel.

La loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté différencie les peines privatives de liberté de trois ans ou moins et les peines privatives de liberté de plus de trois ans. Pour les premières, la loi prévoit (art. 29) que la surveillance électronique soit accordée par le juge de l'application des peines sur demande du condamné et pour la seconde catégorie, par le tribunal de l'application des peines à la demande écrite du condamné (art. 49).

Toutefois l'article 109 de cette loi prévoit que des mesures concernant les modalités d'exécution de la surveillance électronique pour des peines de trois ans ou moins peuvent entrer en vigueur au plus tard le 1er septembre 2012. Il y a manifestement un vide entre le moment où la loi a été votée et 2012.

La circulaire ministérielle nº 1803 sur la réglementation de la surveillance électronique émise récemment, en mars 2008, prévoit que, pour les peines privatives de liberté de trois ans ou moins, c'est le directeur de prison ou le service des cas individuels, pour les condamnés pour abus sexuels ou les condamnés ne possédant pas de titre de séjour valable en Belgique, qui décide de l'octroi de la surveillance électronique.

Cette circulaire prévoit que le directeur peut octroyer une interruption de peine au condamné qui a introduit une demande de surveillance électronique le temps que soit prise cette décision. En général, il faut entre un mois et un mois et demi pour que les services sociaux aient rendu leur avis.

Tout récemment, la presse nous a révélé le cas d'un jeune homme condamné à deux ans ferme pour vol avec violence à qui le directeur de prison a accordé une telle interruption de peine le temps qu'une décision sur sa demande de surveillance électronique soit intervenue.

Il a donc été libéré alors qu'aucune décision n'avait encore été rendue. Il se promène donc libre et sans bracelet électronique !

À ces cas s'ajoutent les personnes dont la demande de placement sous surveillance électronique a été accordée, par le directeur ou par le tribunal d'application des peines, mais qui se retrouvent libres et sans surveillance faute de matériel disponible.

En effet, il semble aujourd'hui qu'il ne soit pas possible pour des raisons matérielles de placer plus de mille personnes simultanément sous surveillance électronique. De plus, il me revient qu'il manque de personnel pour assurer le suivi des détenus libérés sous surveillance. Il y a dès lors un véritable problème de sécurité publique !

Monsieur le ministre trouve-t-il normal que des interruptions de peines soient octroyées à des condamnés pour lesquels l'examen de l'opportunité d'une surveillance électronique n'a pas encore abouti ?

N'y a-t-il pas lieu de supprimer la possibilité laissée par la circulaire ministérielle d'octroyer une interruption de peine aux condamnés qui souhaitent bénéficier de la surveillance électronique durant le temps d'examen de sa demande ?

Combien de détenus profitant d'une telle interruption de peine sont-ils en liberté et sans surveillance électronique ?

Combien de condamnés s'étant vu accorder une surveillance électronique sont-ils libres mais sans bracelet électronique faute de matériel ?

Quelles mesures, monsieur le ministre, envisage-t-il pour répondre aux insuffisances techniques et matérielles ?

Quelles mesures le ministre prendra-t-il pour combler ces insuffisances ? On parle d'une commande de nouveaux bracelets. Quand seront-ils disponibles ? Il ne faudrait pas non plus que ces nouveaux bracelets remplacent les anciens mais au contraire, qu'ils s'y ajoutent.

Monsieur le ministre peut-il me dire s'il compte engager du personnel supplémentaire pour assurer le suivi des détenus sous surveillance électronique ?

M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice. - La question de M. Monfils comprend trois parties : l'interruption de peine, les aspects techniques du système électronique et le personnel.

La décision d'octroyer une surveillance électronique à des personnes condamnées à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la partie à exécuter est de trois ans ou moins est prise par la direction de l'établissement pénitentiaire ou le service des cas individuels. Préalablement à cette décision, une enquête sociale est réalisée par un assistant de justice afin de permettre à la direction pénitentiaire de prendre une décision en connaissance de cause et, éventuellement, de personnaliser les conditions. En raison de cette enquête sociale, la surveillance électronique ne peut être appliquée immédiatement.

En attendant les résultats de l'enquête sociale, le directeur de la prison peut octroyer une interruption de peine. Pendant cette période, l'intéressé est mis en liberté, sans surveillance électronique. Le condamné doit cependant respecter certaines conditions générales ; il doit ainsi communiquer un changement d'adresse, donner suite à un appel de l'administration pénitentiaire, participer à l'enquête sociale. Le parquet est également informé de la décision d'interruption de peine par le directeur de la prison.

L'interruption de peine n'est pas toujours possible. Les personnes qui ont été condamnées pour fait d'abus sexuel et celles qui n'ont pas d'autorisation de séjour en Belgique en sont exclues d'office. Elles peuvent cependant introduire une demande de surveillance électronique pendant leur détention.

Outre ces deux critères d'exclusion, le directeur de la prison peut refuser une interruption de peine si le condamné n'a pas de domicile fixe, s'il ne peut plus subvenir à ses besoins, en cas de risque important que le condamné se soustraie à l'exécution de peine ou s'il y a une contre-indication importante. Le directeur joue donc un rôle important dans ce système.

En date du 13 octobre 2009, 1 680 personnes bénéficiaient d'une interruption de peine dans le cadre de la procédure relative au bracelet électronique. Ces personnes sont dans l'attente d'une enquête sociale, d'une décision du directeur de la prison ou du placement d'un bracelet.

Étant donné la surpopulation dans les prisons, il ne convient pas à mes yeux de remettre fondamentalement en question le système d'interruption des peines, mais tout doit être mis en oeuvre pour en limiter au maximum la durée. C'est pourquoi un timing très strict est repris dans la circulaire, tant pour l'exécution de l'enquête sociale - en principe un mois - que pour la décision d'attribution ou de refus. Le directeur doit prendre une décision quatorze jours après réception de l'enquête.

Les assistants de justice tentent de résoudre les problèmes de période d'attente après que la décision d'octroi de la surveillance électronique a été prise ; des solutions sont aussi cherchées en matière de placement et de disponibilité du matériel.

En ce qui concerne les aspects techniques du système, une procédure de négociation spécifique est actuellement en cours afin d'élaborer un nouveau contrat pour la mise à disposition et l'entretien du matériel. Ce nouveau contrat doit permettre de placer plus de 1 000 personnes sous surveillance électronique sur une base journalière. Nous voudrions arriver à 1 500 voire 2 000 personnes.

Par le biais de cette procédure, on examine également les nouvelles technologies qui existent actuellement sur le marché.

Enfin, il va de soi que des moyens et du personnel supplémentaires seront nécessaires si la surveillance électronique est élargie. Nous avons d'ailleurs, fin 2008, augmenté le nombre de personnes occupées dans les maisons de justice afin de pouvoir suivre les dossiers de surveillance électronique et intervenir le plus rapidement possible. À l'heure actuelle, le personnel est suffisant.

M. Philippe Monfils (MR). - Je connaissais déjà la plupart des éléments que vous venez de préciser puisque, par définition, c'est l'analyse de la loi. Cela prouve que, n'étant qu'un humble parlementaire, je connaissais bien la loi de 2006.

En tout cas, vous n'avez pas répondu à mes inquiétudes. Vous confirmez qu'une série de personnes bénéficient de ce que l'on peut appeler une libération anticipée. Que doit penser le public de ces personnes qui se promènent en liberté et dont on ne sait pas s'ils seront ou non placés sous surveillance électronique ? Ce n'est évidemment pas acceptable. Comment voulez-vous que l'on croie encore à la justice, à l'effectivité de la peine ? Je suis d'accord pour les peines alternatives, pour autant qu'elles soient effectivement prestées. Quand quelqu'un se promène pendant deux mois, va au cinéma ou au théâtre, qu'il n'est suivi par personne et n'a pas de bracelet, avouez que cela fait quelque peu désordre dans l'arsenal des futures peines alternatives telles que vous les envisagez.

Je comprends qu'il y ait des problèmes financiers mais, à un moment donné, la justice doit avoir les moyens de faire son métier sinon, il ne sert à rien de voter des lois.

M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice. - Je suis tout à fait d'accord. En principe, tous les condamnés doivent être emprisonnés, pas nécessairement pour la durée totale de leur peine mais au moins pendant un certain temps.

Ici, je parlais des personnes condamnées à une peine de moins de trois ans de prison qui attendent une décision concernant la surveillance électronique et sont effectivement libres en attendant de recevoir le bracelet électronique.

Actuellement, le nombre de places disponibles n'est pas suffisant pour mettre tous ces gens en prison. Il faut construire sept nouvelles prisons. C'est pourquoi je défends le dossier intermédiaire, à savoir une prison de 500 places aux Pays-Bas.

M. Philippe Monfils (MR). - Question hiérarchie, pour une simple amende pour stationnement interdit non payée, vous recevez la visite d'un huissier à votre domicile après trois ou quatre avertissements et vous êtes obligé de payer sinon c'est le tribunal. Ici, vous êtes quand même condamné à trois ans, voire plus, et vous pouvez vous promener deux mois sans le moindre problème.

Je sais que nous continuerons à en discuter tous les lundis après-midi au Sénat, mais il serait temps de réfléchir à ce problème.