4-1447/1

4-1447/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

8 OCTOBRE 2009


Proposition de loi modifiant l'article 259bis-2 du Code judiciaire afin d'assurer une meilleure représentativité des avocats au sein du Conseil supérieur de la Justice

(Déposée par Mmes Marie-Hélène Crombé-Berton et Christine Defraigne)


DÉVELOPPEMENTS


Instauré par l'article 151 de la Constitution, lui-même mis en œuvre par la loi du 22 décembre 1998, le Conseil supérieur de la Justice s'est vu attribuer une triple mission.

Il joue, tout d'abord, un rôle déterminant dans la politique de nomination et de formation de la magistrature.

Il est chargé, également, d'exercer un contrôle externe sur le fonctionnement de l'ordre judiciaire, y compris le traitement des plaintes.

Enfin, il peut soumettre des avis aux responsables politiques, afin d'améliorer le fonctionnement de la magistrature.

La création du Conseil supérieur de la Justice a répondu en partie aux critiques qui, notamment à l'occasion de l'affaire Dutroux, ont porté sur l'organisation et le fonctionnement de l'institution judiciaire. Le pouvoir exécutif a été contraint de renoncer à toute immixtion directe dans les nominations des magistrats, au profit d'un organe indépendant et paritaire sur le plan linguistique.

Le Conseil supérieur de la Justice est, à l'heure actuelle, composé de quarante-quatre membres de nationalité belge répartis en deux collèges linguistiques, un néerlandophone et un francophone, composés chacun de vingt-deux membres. Chaque collège compte onze magistrats et onze non-magistrats. Le groupe des non-magistrats compte, par collège, au moins quatre membres de chaque sexe et au moins quatre avocats possédant une expérience professionnelle d'au moins dix années au barreau. On doit y retrouver aussi trois professeurs d'une université ou d'une école supérieure dans la Communauté flamande ou française possédant une expérience professionnelle utile pour la mission du Conseil supérieur d'au moins dix années, ainsi que quatre membres, porteurs d'au moins un diplôme d'une école supérieure de la Communauté flamande ou française et possédant une expérience professionnelle utile pour la mission du Conseil supérieur d'au moins dix années dans le domaine juridique, économique, administratif, social ou scientifique. Au moins un membre du collège francophone doit justifier de la connaissance de l'allemand.

De par sa composition paritaire à la fois sur le plan linguistique et sur le plan socioprofessionnel, le Conseil supérieur de la Justice revendique « être un forum démocratique où toutes les conceptions de la fonction judiciaire sont susceptibles d'être représentées ».

Le mode de désignation des membres varie en fonction de la qualité de « magistrats » ou de « non-magistrats » des candidats au Conseil supérieur de la Justice. Les membres magistrats sont, en effet, élus par leurs pairs alors que les membres non-magistrats sont désignés par le Sénat.

Les nominations des non-magistrats relèvent donc toujours du pouvoir politique puisque c'est le Sénat qui les désigne. Il est paradoxal de constater qu'une institution qui a été créée dans le but de fonctionner de manière complètement indépendante du pouvoir politique soit en partie constituée de membres choisis par décision politique.

Ce constat est, surtout, dérangeant concernant la profession d'avocat. Si l'on peut encore justifier que les trois professeurs d'université ou de l'enseignement supérieur et les quatre membres issus de la société civile soient désignés par un organe politique, étant donné qu'ils reflètent les différentes composantes idéologiques et politiques de ce pays, la position des avocats par rapport à ce mode de nomination pose problème.

La déontologie d'un avocat impose, en effet, que celui-ci se montre indépendant. Il est donc essentiel que la désignation des membres « non-magistrats » dotés de la qualité d'avocats au Conseil supérieur de la Justice soit réalisée sans intervention du politique.

Actuellement, les quatorze ordres formant l'Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) et les quatorze ordres formant l'Ordre des barreaux flamands (OVB) peuvent présenter des candidats au Sénat, ce qui n'empêche pas ce dernier de nommer d'autres personnes qui ne sont pas nécessairement celles présentées par les ordres, puisque les candidatures peuvent être présentées de manière individuelle.

Ce mécanisme ne constitue, en réalité, qu'un « window-dressing ». En langage financier, il s'agit d'une opération, réalisée en fin d'exercice par les gestionnaires de portefeuilles, consistant à procéder à un « habillage de bilan » afin de donner à celui-ci une image plus séduisante. En réalité, c'est le monde politique qui désigne les membres non-magistrats du Conseil supérieur de la Justice, en ce compris les avocats, et non leurs ordres professionnels.

Un autre problème touche au fonctionnement du système des propositions qui ne peuvent émaner que des différents ordres locaux. Il n'y a donc pas de réflexion globale, ni de décision démocratique au sein de l'ensemble des barreaux représentés par leurs ordres communautaires avec pour conséquence que les propositions émises ne peuvent pas être considérées comme suffisamment représentatives.

La fragmentation des présentations et l'absence de transparence affaiblissent le barreau, ce qui constitue un contraste flagrant avec le système prévu pour les magistrats. Lors des travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 22 décembre 1998, ce problème avait déjà été soulevé (1) :

« L'intervenant estime en outre que le Sénat jouit d'une trop grande liberté de manœuvre dans la désignation des membres non-magistrat. Parmi les 11 membres composant chaque collège, cinq seulement doivent être nommés parmi les candidats présentés par les ordres d'avocat, les universités et les écoles supérieures.

L'allégation des auteurs de la proposition de loi selon laquelle la formule proposée offre des garanties suffisantes en matière de dépolitisation est donc des plus contestables.

Le Conseil supérieur devient un organe puissant et les partis politiques traditionnels mettront donc tout en œuvre en vue de désigner les candidats sur la base de leur appartenance politique.

L'intervenant souligne que l'apport des ordres des avocats, des universités et des écoles supérieures était beaucoup plus important dans la proposition initiale. Cet élément positif a été réduit à néant dans le texte à l'examen. »

Lors des dernières nominations en date au Conseil supérieur de la Justice, qui ont eu lieu en 2008, il est apparu que les avocats nommés ont dû chercher activement un appui politique et que certains avocats méritants, qui auraient pu apporter une contribution particulièrement utile au fonctionnement du Conseil supérieur de la Justice, n'ont pas été retenus, faute de soutien politique

Ceci est en contradiction avec l'objectif initial du législateur qui était le suivant (2) :

« Pour la désignation des non-magistrats, il convenait de mettre en place un système rencontrant, d'une part, la crainte d'une nouvelle « politisation » en cas d'intervention d'organes politiques et offrant, d'autre part, une solution au déficit démocratique lors des présentations faites par chacun des groupements professionnels concernées. »

La mise en place d'un tel système porte atteinte à la crédibilité du barreau et à sa représentativité. Il est pourtant possible de procéder autrement. Il serait, en effet, préférable de confier au barreau le choix de ses représentants au Conseil supérieur de la Justice, sans intervention du politique.

Par le biais de l'assemblée générale de l'OVB, le barreau flamand dispose d'un collège de représentants élus démocratiquement. Ce collège pourrait, avec la légitimité et la représentativité nécessaires, désigner les avocats qui siègeront au Conseil supérieur de la Justice L'OBFG possède, également, son assemblée générale et peut, dès lors, via cet organe, désigner les avocats qui siègeront au Conseil supérieur de la Justice

La présente proposition de loi s'inscrit dans ce sens qui confie à l'assemblée générale de l'OBFG et à celle de l'OVB la compétence de désigner les avocats qui siégeront au Conseil supérieur de la Justice en tant que membres « non-magistrats ».

Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON
Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 259 bis-2 du Code judiciaire, le paragraphe 2 est remplacé par ce qui suit:

« § 2. Les non-magistrats, à l'exception des avocats, sont nommés par le Sénat à la majorité des deux tiers des suffrages émis.

Les avocats destinés à faire partie du groupe des non-magistrats du collège francophone sont nommés par l'Assemblée générale de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone.

Les avocats destinés à faire partie du groupe des non-magistrats du collège néerlandophone sont nommés par l'Assemblée générale de l'Ordre des barreaux néerlandophones.

Sans préjudice du droit de présenter des candidatures individuelles, des candidats, à l'exception des candidats nommés par l'Assemblée générale de l'Ordre des barreaux néerlandophones et par l'Assemblée générale de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, peuvent être présentés par chacune des universités et écoles supérieures de la Communauté française et de la Communauté flamande. »

Art. 3

À l'article 259 bis-2, § 4, du même Code, les modifications suivantes sont apportées:

1º dans l'alinéa 3, les mots « , à l'exception des avocats » sont insérés entre les mots « non-magistrats » et les mots « est établie par le Sénat »;

2º le paragraphe est complété par un alinéa rédigé comme suit:

« La liste des suppléants des avocats est constituée des candidats qui n'ont pas été nommés par l'Assemblée générale de l'Ordre des barreaux néerlandophones et l'Assemblée générale de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone ».

Art. 4

À l'article 259bis-2, § 5, du même Code, les modifications suivantes sont apportées:

1º dans l'alinéa 2, les mots « et des avocats » sont insérés entre le mot « magistrats » et le mot « doivent »;

2º dans l'alinéa 3, les mots « , à l'exception des avocats » sont insérés entre les mots « non-magistrats » et les mots « , les candidatures ».

21 avril 2009.

Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON
Christine DEFRAIGNE.

(1) Doc. parl., Chambre, rapport au nom de la commission de la Justice, 1997-1998, no 1677/8, p. 35.

(2) Doc. parl., Chambre, proposition de loi, 1997-1998, no 1677/1, p. 6-7.