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17 SEPTEMBRE 2009
A. Introduction
Les enfants ne sont pas des marchandises, à aucun moment et pour aucune raison.
Pourtant, les médias ont récemment rapporté plusieurs cas d'enfants qui ont été cédés à une autre famille contre paiement, par un de ses parents voire par les deux.
Par exemple, un jeune couple français avait placé sur internet une annonce pour vendre son enfant au prix de 15 000 euros afin de rembourser ses dettes. L'affaire est apparue au grand jour parce qu'un couple belge qui avait donné suite à l'offre s'est senti escroqué après deux paiements. Le couple français a été condamné par le tribunal alors que le couple belge ne risque, pour sa part, aucune poursuite, la vente ou l'achat d'un enfant n'étant pas punissable en droit belge (1) .
En outre, l'affaire du bébé Donna et l'actualité récente au sujet du classement sans suite de la plainte contre la mère porteuse limbourgeoise qui aurait vendu son enfant pour une coquette somme d'argent montrent que la maternité de substitution à des fins commerciales est également pratiquée chez nous.
Il s'agit clairement d'une lacune dans la législation belge. Or, la Belgique dispose pourtant d'un vaste cadre juridique en matière de protection des droits de l'enfant. La Belgique a ratifié la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant (1989) (2) ainsi que le Protocole relatif à la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (2000) (3) . Depuis 2005, il y a également la législation relative à la traite des êtres humains qui est en conformité avec le Protocole de Palerme (2000) (4) et la décision-cadre européenne relative à la traite des êtres humains (2002) (5) . Cette législation s'avère cependant insuffisante pour punir la vente d'enfants « à quelque fin que ce soit ». La vente d'un enfant est également interdite et punie dans le cadre de la législation relative à l'adoption. Mais cette sanction se limite à la procédure d'adoption.
La vente d'enfants n'est pas une pratique propre aux pays pauvres, contrairement à ce que nous aurions tendance à croire. Le cas évoqué ci-dessus montre que, même dans notre société européenne, d'aucuns considèrent la vente d'enfants comme un moyen de générer des revenus.
L'ouvrage intitulé « Handbook on the Optional Protocol on the sale of children, child prostitution and child pornography » en donne d'ailleurs confirmation (6) : « The bitter reality is that, despite the CRC's (7) pledge of protection for the child as a subject and a rights holder, children are still too often seen as objects and commodities. They are treated as merchandise rather than as persons whose rights must be respected and protected. Resolving this contradiction is the challenge that lies at the heart of implementing the OPSC (8) . »
Cette problématique a été clairement dénoncée en 2003 par Miguel Petit, Rapporteur spécial sur la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, dans son rapport devant le Conseil économique et social des Nations unies (9) :
« Il [le Rapporteur spécial] considère que la famille constitue pour la plupart des enfants le meilleur environnement possible et que l'adoption par un ou des parents d'un enfant qui n'a pas de famille qui puisse l'élever est un geste noble et louable. Malheureusement, dans de nombreux cas, on ne cherche plus tant à offrir un foyer à un enfant qui en est dépourvu qu'à offrir un enfant à des parents qui en sont privés. Du coup, s'est développée une véritable industrie générant des millions de dollars de recettes par an. On recherche des bébés susceptibles d'être adoptés et on fait payer aux parents candidats à l'adoption des frais de dossier énormes. Les problèmes liés à de nombreuses adoptions internationales — quand des enfants sont enlevés à des familles pauvres de pays sous-développés pour être donnés à des parents dans des pays développés — sont maintenant bien connus, mais le Rapporteur spécial a été indigné d'apprendre l'existence de certaines pratiques qui auraient également cours dans les pays développés, notamment le recours à des manœuvres frauduleuses ou à la contrainte pour persuader des mères célibataires de donner leurs enfants à l'adoption. »
Les auteurs de la présente proposition de loi comprennent parfaitement les personnes qui souhaitent avoir un enfant. Et, lorsque cela ne fonctionne pas de manière naturelle, il est fort compréhensible de chercher d'autres moyens d'en avoir. Mais ce désir d'avoir un enfant ne peut jamais nuire à l'intérêt de l'enfant.
Il convient de préciser, par souci de clarté, que la problématique de la vente d'enfants présente des points de convergence avec la traite des êtres humains, la maternité de substitution à des fins commerciales et l'adoption illicite. La vente d'enfants chevauche en partie ces thèmes, mais elle est plus globale.
B. Objectif
La présente proposition a pour objet de combler cette lacune dans la législation belge.
Le but est, d'une part, de donner un signal clair que les pratiques de ce genre ne sont envisageables en aucun cas et, d'autre part, de rendre ce principe contraignant au moyen d'une disposition pénale explicite.
C'est plus qu'une simple obligation morale: notre pays s'y est engagé juridiquement.
L'article 35 de la Convention internationale des droits de l'enfant (10) prévoit que les États parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit.
Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants dispose:
« Article 1er
Les États parties interdisent la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, conformément aux dispositions du présent Protocole.
Article 2
Au sens du présent Protocole,
a. on entend par vente d'enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un enfant est remis par toute personne ou tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre groupe contre rémunération ou tout autre avantage;
b.
Article 3
1. Chaque État partie veille à ce que, au minimum, les actes et activités suivants soient pleinement couverts par son droit pénal, que ces infractions soient commises au plan interne ou transnational, par un individu ou de façon organisée:
a. Dans le cadre de la vente d'enfants telle que définie à l'article 2:
i. ...
ii. Le fait d'obtenir indûment, en tant qu'intermédiaire, le consentement à l'adoption d'un enfant, en violation des instruments juridiques internationaux relatifs à l'adoption;
b. ...
2. Sous réserve du droit interne d'un État Partie, les mêmes dispositions valent en cas de tentative de commission de l'un quelconque de ces actes, de complicité dans sa commission ou de participation à celle-ci.
5. Les États Parties prennent toutes les mesures juridiques et administratives appropriées pour s'assurer que toutes les personnes intervenant dans l'adoption d'un enfant agissent conformément aux dispositions des instruments juridiques internationaux applicables. »
Il ne laisse de surprendre que la CIDE soit encore trop souvent perçue comme une déclaration, un code moral (soft law). La CIDE est pourtant un traité juridiquement contraignant et que chaque État contractant a l'obligation de mettre en œuvre les dispositions de la Convention et des Protocoles additionnels dans sa sphère de compétence territoriale. Toutefois, la jurisprudence belge est assez divisée sur l'effet direct de la CIDE (11) . D'où la nécessité d'inscrire cette problématique de manière explicite dans la législation belge.
C. Portée des obligations internationales
Comme l'indique l'Innocenti Working Paper d'avril 2009 (12) lors de l'élaboration du Protocole, la discussion s'est focalisée sur la question de savoir si la définition de la vente d'enfants devait se limiter exclusivement à la vente en vue d'une exploitation sexuelle ou s'il fallait au contraire envisager une portée plus large, et donc inclure également la vente pour d'autres objectifs, comme l'adoption illégale.
On a finalement opté pour une définition assez large (article 2, a PFVE), en précisant les actes ou activités qui sont visées au minimum (article 3,1 PFVE).
Dans l'extrait précité du rapport du Rapporteur spécial Miguel Petit, il est formellement confirmé que de telles pratiques relèvent clairement de son mandat et donc du Protocole: « Lorsque ces pratiques ont pour effet de faire de l'enfant l'objet d'une transaction commerciale, le Rapporteur spécial, comme son prédécesseur, estime qu'elles relèvent du volet « vente » de son mandat. » (13)
L'ouvrage intitulé « Handbook on the OPSC » indique aussi explicitement que « Le Comité des droits de l'enfant rappelle souvent aux États Parties au PFVE qu'ils doivent adapter leur législation afin de respecter leurs obligations par rapport à la vente d'enfants » (traduction de l'anglais) (14) .
En outre, la formulation de l'article 3, 1, a, II du PFVE pourrait être interprétée confusément en ce sens que seules les personnes ayant servi d'intermédiaires dans l'adoption irrégulière devraient être soumises à des sanctions pénales, et que l'acheteur et le vendeur bénéficieraient donc d'une impunité. Tel n'est explicitement pas le cas. Le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a toujours très clairement recommandé aux États qu'ils devaient sanctionner tous les acteurs et activités dans la sphère de la vente d'enfants en vue d'une adoption (15) . Ce point est également confirmé par l'article 3, 5 du Protocole qui dispose que les États s'engagent à prendre toutes les mesures pour s'assurer que toutes les personnes intervenant dans l'adoption agissent conformément aux instruments internationaux.
L'article 3, 2 du PFVE est encore plus clair en ce qu'il prévoit que le droit pénal doit aussi s'appliquer pleinement à la participation à de tels actes ou à la complicité dans leur commission. Pour reprendre la terminologie pénale belge, on peut même affirmer que l'acheteur et le vendeur ne sont pas complices (article 67 du Code pénal), mais coauteurs (article 66 du Code pénal): en effet, il ne peut y avoir de vente sans acheteur ou vendeur, ils sont donc indispensables à la naissance du délit.
D. Législation belge relative à la traite des êtres humains
Notre législation actuelle sur la traite des êtres humains, qui est contenue dans le Livre II, Titre VIII, Chapitre IIIter du Code pénal, ne s'applique que si la traite s'effectue dans un des buts énoncés à l'article 433quinquies. Cet article énumère une liste limitative, qui est totalement insuffisante pour sanctionner la « vente à quelque fin que ce soit ».
En outre, on ne saurait faire figurer ici les cas spécifiques de vente d'un enfant en vue de son accueil dans une famille.
Le rapport annuel 2007 « Traite et trafic des êtres humains » (16) du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme met aussi clairement le doigt sur cette plaie.
La législation existante relative à la traite des êtres humains a été bâtie pierre après pierre. La dernière étape provisoire de ce processus a été la loi du 10 août 2005 visant à mettre la réglementation belge en conformité avec le Protocole de Palerme relatif à la traite des êtres humains et avec la décision-cadre européenne relative à la traite des êtres humains. Depuis lors, une définition de la traite des êtres humains a été inscrite dans la loi.
En revanche, le Centre « s'interrogeait sur les conséquences pratiques de la limitation des formes d'exploitation à certains secteurs déterminés. En effet, jusqu'alors, avec l'ancienne disposition, à savoir l'article 77bis de la loi du 15 décembre 1980, les juges centraient leur analyse sur l'abus de la situation précaire, ce qui permettait d'inclure d'autres situations non limitativement énumérées, par exemple des cas d'esclavage sexuel, hors du cadre de la prostitution ou d'adoptions frauduleuses. De telles situations, qui pouvaient être considérées jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi comme de la traite des êtres humains, risquent de ne plus l'être à l'avenir, ce qui s'avérerait préjudiciable pour les victimes ».
En outre, le Centre se demandait en 2007 si, par cette énumération, « on ne risquait pas d'exclure de la définition de la traite des êtres humains de nouvelles formes de traite qui surgiraient à l'avenir ».
En 2005, le groupe CD&V du Sénat a justement déjà formulé la même observation, par la voix de Mme Erika Thijs, lors de l'examen parlementaire de la loi du 10 août 2005: « En outre, en raison de l'énumération limitative des secteurs tels qu'ils sont décrits, un certain nombre de cas manifestes de traite des êtres humains seront exclus du champ d'application ou ne pourront en relever que si l'on interprète les règles d'une manière large. C'est une situation qui ne pourra que s'aggraver dans la mesure où l'on peut raisonnablement supposer que les trafiquants d'êtres humains n'auront de cesse d'étendre leurs activités à d'autres secteurs, précisément parce que leurs secteurs « traditionnels » sont spécifiquement visés.
Le texte proposé ne permettra donc pas de répondre avec la souplesse voulue aux changements dans le domaine en question » (17) .
À mesure que les organisations criminelles découvrent de nouvelles niches, qui ne sont pas encore énumérées dans la loi, le législateur ne fait à chaque fois que tenter de rattraper la réalité. Ce constat doit nous inciter à nous demander s'il ne faudrait pas repenser à terme le concept actuel de la traite des êtres humains dans son ensemble et le recours à une liste limitative.
Les auteurs sont donc partisans d'entamer au parlement le travail d'étude nécessaire et de consulter praticiens et experts pour analyser la praticabilité, les avantages et les inconvénients de la législation actuelle, afin d'inscrire, à terme, dans notre législation, une définition plus générale de la traite des êtres humains, qui soit adaptée à la réalité.
Dans l'attente de cette évaluation, la présente proposition cherche à offrir d'ores et déjà une réponse satisfaisante à la problématique de la vente d'enfants. D'une part, parce qu'elle n'est pas traduite de manière univoque dans le concept actuel de la traite des êtres humains. D'autre part, en raison de la distinction conceptuelle établie à partir du cadre juridique international entre la « traite » et la « vente » d'êtres humains.
E. Différence entre la vente d'enfants et la traite des êtres humains
Selon certains rapports du Comité des droits de l'enfant des Nations unies chargé d'analyser le Protocole, les États contractants ont tendance à assimiler la vente d'enfants à d'autres activités illégales à des fins d'exploitation, en l'occurrence la traite des enfants (18) . Cela explique pourquoi plusieurs États ne se sont pas dotés d'une législation spécifique visant à interdire la vente d'enfants: « many States parties lack specific legislation covering sale of children since they consider this act covered if they have legislation covering all forms of trafficking. »
Le Comité affirme pourtant très clairement que les activités visées à l'article 3, 1, a, du Protocole sont différentes de la traite des êtres humains. Bien que les deux activités présentent des points communs et qu'elles se chevauchent dans bien des cas, ce sont pourtant deux activités distinctes et « les deux termes ne devraient pas être utilisés l'un pour l'autre ». Le but d'exploitation est en effet inhérent à la traite des êtres humains, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour la vente d'enfants. Songeons par exemple à la vente d'un enfant en vue d'une adoption.
Le Guide du Protocole facultatif sur la vente d'enfants (OPSC) (19) observe lui aussi que certaines lois nationales définissent les notions clés de manière trop restrictive et n'englobent pas de la sorte la portée complète des définitions internationales. La clarté conceptuelle s'impose pour garantir que tous les intéressés interprètent les notions de la même façon. La comptabilité des concepts légaux est en outre indispensable pour permettre une coopération internationale effective (20) . Voilà pourquoi les États doivent non seulement ratifier tous les instruments internationaux, mais aussi les transposer dans leur législation nationale (21) .
Dans ce contexte, le Guide cite en exemple le protocole OPSC qui impose l'obligation de sanctionner la vente d'enfants de même que le « protocole de Palerme » et la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée qui imposent l'obligation de réprimer la traite des enfants (22) .
Le Guide (23) souligne également que l'expérience montre qu'un enfant peut être négocié en l'absence de tout élément de vente pendant toute la durée du processus. La vente d'un enfant n'est donc pas un élément constitutif de la définition de la traite des enfants. On peut acquérir un enfant par la tromperie, la violence ou l'enlèvement, mais aussi sans aucun de ces éléments. Ainsi, la cession d'un enfant ne passe pas forcément par une transaction commerciale. Pareillement, le même trafiquant d'êtres humains peut être impliqué pendant tout le processus d'exploitation, en sorte qu'il n'y a pas nécessairement cession contre une forme quelconque de rétribution.
En outre, la vente d'un enfant peut être réalisée sans déplacement physique, alors que cet élément est toujours présent dans le cadre de la traite des êtres humains.
Le Guide ajoute encore que: « the distinction is important with regard to the prosecution of perpetrators, creating indicators for identification and determining the best interests of the child, including with regard to the child's repatriation to his or her family.
Legislation against trafficking in persons can be a valuable tool in implementing article 35 of the CRC and the OPSC. However, it is important that States Parties ensure that their legislation also prohibits forms of sale that do not constitute or are not related to child trafficking. » (24)
À l'instar du Guide, nous pouvons donc conclure que, même si la traite et la vente des êtres humains sont des concepts qui se chevauchent souvent, il existe cependant des situations qui remplissent uniquement les critères d'une seule de ces deux notions. La vente en vue d'une adoption frauduleuse en est l'exemple type. La loi doit donc définir et sanctionner explicitement les deux notions, sans les confondre, afin de respecter les obligations internationales.
F. Adoption
Selon la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, qui constitue le cadre international pour la législation belge en matière d'adoption, il ne peut être question d'adoption en cas d'enlèvement, de vente ou de traite d'enfants.
Afin d'adapter le droit belge à la Convention de La Haye, le législateur a voté la loi du 24 avril 2003 réformant l'adoption et la loi du 13 mars 2003 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l'adoption, remaniant ainsi en profondeur la procédure d'adoption. L'adoption étant une compétence partagée, les communautés ont, elles aussi, apporté les modifications nécessaires aux décrets concernés. La nouvelle réglementation relative à l'adoption est entrée en vigueur le 1er septembre 2005 aussi bien pour l'adoption nationale que pour l'adoption internationale.
Dans le cadre de la présente proposition de loi, il est utile de se référer à certaines dispositions de la Convention qui concernent la vente d'enfants.
La Convention internationale de la Haye a été conclue dans le but que les adoptions internationales servent l'intérêt supérieur de l'enfant et respectent ses droits fondamentaux. Par ailleurs, elle vise à prévenir l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants dans le cadre de l'adoption. Enfin, la Convention a pour vocation d'assurer la reconnaissance, dans les États contractants, des adoptions réalisées selon la Convention (article premier).
Conformément à la Convention, une adoption ne peut avoir lieu que « si les autorités compétentes de l'État d'origine se sont assurées que les consentements n'ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte et qu'ils n'ont pas été retirés ».
L'article 32 de la Convention précise explicitement que:
« 1. nul ne peut tirer un gain matériel indu en raison d'une intervention à l'occasion d'une adoption internationale;
2. seuls peuvent être demandés et payés les frais et dépenses, y compris les honoraires raisonnables des personnes qui sont intervenues dans l'adoption;
3. les dirigeants, administrateurs et employés d'organismes intervenant dans une adoption ne peuvent recevoir une rémunération disproportionnée par rapport aux services rendus. »
En application de la Convention de La Haye, le législateur belge a donc décidé de mettre fin à l'adoption libre ou indépendante. Tout candidat à l'adoption doit s'adresser aux services compétents des communautés. L'adoption libre ou indépendante présentait effectivement des risques, non seulement pour l'enfant adopté dont l'intérêt n'était pas pris en compte, mais aussi pour les candidats à l'adoption qui étaient confrontés à des pratiques à la limite de la légalité, voire carrément criminelles (corruption, chantage, ...).
Ainsi, lorsqu'il résulte d'indices suffisants qu'une adoption a été établie à la suite d'un enlèvement, d'une vente ou d'une traite d'enfant, le ministère public peut poursuivre la révision du jugement prononçant cette adoption (article 351 du Code civil).
Le tribunal de la jeunesse peut aussi intervenir de manière préventive lorsque l'adoptant a sciemment violé une disposition de la Convention ou de la loi ou commis une fraude dans la procédure d'adoption. Le tribunal de la jeunesse refuse alors de prononcer l'adoption, en tout cas lorsqu'il est établi que l'adoption sollicitée fait suite à un enlèvement, une vente ou une traite d'enfant (article 363-3 du Code civil).
Outre une éventuelle révision du jugement prononçant l'adoption et la possibilité pour le juge de refuser de prononcer l'adoption, le législateur a également prévu des dispositions pénales pour les crimes et délits en matière d'adoption. Quiconque (le candidat à l'adoption) aura, dans une intention frauduleuse, obtenu ou tenté d'obtenir pour lui-même une adoption contrevenant aux dispositions de la loi sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et/ou d'une amende de vingt-six euros à cinq cents euros (article 391quater du Code pénal).
Quiconque sera intervenu comme intermédiaire en obtenant ou en tentant d'obtenir une adoption pour autrui sans être membre d'un organisme agréé à cette fin par la communauté compétente ou qui, membre d'un organisme agréé, aura obtenu ou tenté d'obtenir pour autrui une adoption contrevenant aux dispositions de la loi, sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et/ou d'une amende de cinq cents euros à vingt-cinq mille euros (article 391quinquies du Code pénal).
Le législateur a donc fixé clairement des dispositions pénales visant à sanctionner tant l'adoptant que l'intermédiaire en cas d'adoption frauduleuse ou abusive. En ce sens, il réprime la vente ou le commerce d'enfants, mais il le fait dans les limites de la procédure d'adoption. Il ne s'agit donc pas d'une interdiction générale. La présente proposition de loi entend apporter une solution à la problématique de la vente d'enfants en dehors du cadre de la procédure d'adoption.
G. Maternité de substitution
Il existe entre la vente d'enfants et la maternité de substitution des points de convergence qu'il convient également d'identifier. À l'heure actuelle, nous pouvons constater qu'un débat mondial est en cours sur la question de savoir s'il faut réglementer ou non la maternité de substitution. Le sujet a donné lieu à toute une controverse aussi bien sur les plans philosophique et éthique que sur les plans médical, social et politique. L'opinion publique non plus ne reste pas indifférente. Entre ceux qui s'opposent à l'instrumentalisation du corps humain et ceux qui estiment que la question relève de la liberté individuelle, il y a une pluralité de points de vue différents.
Cela a abouti à l'instauration de divers systèmes juridiques, y compris au sein de l'UE. Ainsi, il y a des pays, tels que la France et l'Italie, qui interdisent et sanctionnent expressément la maternité de substitution, et d'autres, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui l'autorisent sous certaines conditions bien définies. Enfin, il y a des pays — dont la Belgique — qui mènent de facto une politique de tolérance faute de réglementation spécifique.
Le débat parlementaire sur la maternité de substitution à des fins commerciales et non commerciales a été entamé il y a déjà un certain temps mais il n'a encore abouti à aucun texte législatif en dépit du dépôt de plusieurs propositions de loi.
Or, au sein de la société, un consensus explicite se dessine en faveur de l'interdiction de la maternité de substitution à des fins commerciales impliquant la vente d'un enfant. Il y a pourtant des pays où la maternité de substitution à des fins commerciales est autorisée: c'est le cas des États-Unis et de l'Inde. Dans certains États des États-Unis, la grossesse pour autrui est fortement régulée, et ce, sur une base commerciale: des entreprises, qui obéissent aux impératifs du marché, font office de médiateurs entre des parents demandeurs et une mère porteuse. C'est une possibilité que nous voulons absolument exclure par principe en Belgique.
Les auteurs de la présente proposition de loi n'entendent pas se prononcer ici sur la maternité de substitution à des fins non commerciales. Leur objectif est d'éviter les abus en matière de maternité de substitution à des fins commerciales en donnant à la justice la base légale nécessaire pour les combattre. Aussi sont-ils convaincus que la définition de la vente d'enfants telle qu'ils la proposent en l'espèce apportera déjà une solution dans le cas où la maternité de substitution à des fins commerciales implique, en fait, la vente pure et simple d'un enfant, une situation qu'aucun parti ne saurait tolérer.
H. Proposition concrète
L'idée est de reprendre — précisément pour des raisons de clarté conceptuelle — la définition de la vente d'enfants telle qu'elle figure dans le Protocole, et de la compléter en ajoutant le cas où le paiement est différé et ce, afin d'avoir la certitude que les auteurs d'une vente n'échappent pas aux sanctions en raison d'une définition juridique trop restrictive.
Il est ainsi clairement précisé que pareille vente est interdite, à quelque fin que ce soit.
En termes de sanctions, les peines prévues sont identiques à celles infligées pour la vente d'un enfant dans le cadre d'une procédure d'adoption. De la sorte, il est possible d'opérer ici aussi une différenciation entre le parent (demandeur) et l'intermédiaire professionnel.
La présente proposition n'ôte évidemment rien aux sanctions existantes applicables lorsqu'il s'agit d'une pratique répondant à la définition du trafic des êtres humains. Ce type de trafic est donc explicitement interdit.
Parallèlement à cela, les auteurs estiment qu'il serait opportun de mener une vaste campagne d'information afin de faire connaître cette modification légale. En effet, si l'on veut qu'une approche pénale ait un effet dissuasif maximum, il faut l'assortir d'un volet préventif.
Il ressort d'études de droit comparé que la présente proposition s'inscrit dans la ligne des législations récemment adoptées dans plusieurs autres pays.
Ainsi, en Irlande, le « Criminal Law (Human Trafficking) Act 2008 » (25) dispose ce qui suit: « a person who sells a child, offers or exposes a child for sale or invites the making of an offer to purchase a child, or purchases or makes an offer to purchase a child, shall be guilty of an offence. » Cela vaut aussi pour quiconque effectue une tentative dans ce sens. L'auteur d'une telle infraction peut être condamné à la réclusion à perpétuité et au paiement d'une amende non plafonnée, à fixer par le tribunal.
Les dernières modifications apportées à cette loi avaient expressément pour objectif de donner exécution aux obligations internationales, à savoir la décision-cadre européenne relative à la traite des êtres humains (26) et le Protocole de Palerme (27) .
En Estonie, le Code pénal (28) a déjà été modifié en 2001 afin de punir l'achat ou la vente d'enfants d'une peine de réclusion de un an à cinq ans et d'une amende non plafonnée si l'acte a été commis par une personne morale.
Article 2
Il s'agit de l'article de base qui définit l'infraction et fixe la peine.
a) Place dans le Code pénal
On propose d'insérer, au livre II, Titre VIII « Des crimes et des délits contre les personnes », dans le Chapitre III « Des atteintes aux mineurs, aux incapables et à la famille », une section IIIbis, intitulée « De la vente d'enfants ». L'intitulé du chapitre reflète le contenu de la nouvelle disposition, qui est également insérée entre les dispositions concernant les circonstances aggravantes dans le cas où les infractions sont commises par les parents du mineur (section II) et les dispositions existantes relatives à l'enlèvement (section IV) et à la non-représentation d'enfants (section V).
b) Définition et champ d'application
Ainsi qu'il est précisé dans les développements, la définition est tirée du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant du 25 mai 2000 et, en particulier, de l'article 2, a.
Par souci de clarté, on fait le choix de compléter la définition en visant non seulement la « rémunération ou tout autre avantage » mais aussi la « promesse d'une telle rémunération ou d'un tel avantage dans le futur ». L'objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de loi est clair: il s'agit d'éviter qu'un cas manifeste de vente d'enfants n'échappe à la sanction parce que ceux qui s'en sont rendus coupables conviennent sciemment de différer le règlement du paiement dans le seul but de se placer en dehors du champ d'application du texte de loi.
Conformément à la Convention relative aux droits de l'enfant et aux recommandations du Comité des droits de l'enfant des Nations unies, la définition couvre l'achat et la vente « à quelque fin que ce soit ».
Elle englobe aussi évidemment la vente d'un enfant en vue de son accueil au sein d'une famille, l'abandon d'un enfant pour le confier à autrui en vue de l'adoption ou de toute autre fin impliquant une renonciation de droit ou de fait aux droits parentaux et ce, en violation avec les dispositions légales.
c) Disposition pénale
La sanction pénale prévue est celle qui est applicable à la vente d'un enfant dans le cadre de la procédure d'adoption. On atteint ainsi l'objectif visé qui est de ne pas prévoir dans un premier temps de nouvelles peines mais seulement de combler la lacune existante dans la législation actuelle et de mettre celle-ci en conformité avec les obligations internationales qui incombent à la Belgique. Ce choix permet de surcroît d'éviter les discussions juridiques potentielles devant le tribunal dans des cas douteux ou marginaux où il serait malaisé de faire la distinction entre une adoption frauduleuse et la vente d'un enfant. Dès lors que la sanction pénale est la même, pareille discussion devient en grande partie inutile.
Il va sans dire que ces peines s'appliquent sans préjudice des éventuelles peines infligées sur la base de la législation spécifique relative à la traite des êtres humains, pour autant que les actes commis entrent dans le champ d'application de celle-ci.
Le texte proposé permet également d'éviter une double sanction pour les auteurs d'une vente dans le cadre d'une procédure d'adoption. Enfin, l'indemnité administrative perçue par les services d'adoption agréés est également exclue du champ d'application de la loi.
Concrètement, cette sanction pénale est un emprisonnement d'un mois à un an et/ou une amende de 26 euros à 500 euros, pour l'acheteur et le vendeur, qui ont respectivement acheté ou vendu un enfant pour eux-mêmes. Cette notion est également empruntée à la sanction existante dans le cadre d'une procédure d'adoption. Pour l'intermédiaire, l'acheteur et le vendeur, la sanction est un emprisonnement de un an à cinq ans et/ou une amende de 500 euros à 25 000 euros.
La tentative de commettre cette infraction est elle aussi explicitement sanctionnée. Il va sans dire que par tentative, il faut entendre le placement d'une annonce (sur internet ou via un autre medium) d'offre de vente ou de demande d'achat.
Sabine de BETHUNE. Wouter BEKE. Nahima LANJRI. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Dans le Livre II, Titre VIII, Chapitre III, du Code pénal, il est inséré une section IIIbis, contenant un article 427bis rédigé comme suit:
« Section IIIbis De la vente d'enfants
Article 427bis.
§ 1er. Sont punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 26 euros à 500 euros ou de l'une de ces peines seulement l'acheteur et le vendeur qui ont acheté ou vendu un enfant pour eux-mêmes.
Sont punis d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 500 euros à 25 000 euros ou de l'une de ces peines seulement l'acheteur, le vendeur et l'intermédiaire dans le cadre de la vente d'un enfant.
La tentative est punie des mêmes peines.
§ 2. On entend par vente d'un enfant : tout acte ou toute transaction en vertu desquels un mineur est remis par une personne ou par un groupe de personnes à une autre personne ou à un autre groupe contre rémunération, contre tout autre avantage ou contre la promesse d'une telle rémunération ou d'un tel avantage dans le futur, pour autant que l'acte ou la transaction n'ait pas été effectué par un service d'adoption agréé dans le cadre d'une procédure d'adoption et que les dispositions du titre VII, chapitre X, ou du titre VIII, chapitre IIIter ne soient pas applicables. »
29 juin 2009.
Sabine de BETHUNE. Wouter BEKE. Nahima LANJRI. |
(1) De Standaard, 18 février 2009, pp. 3 et 17.
(2) Convention relative aux droits de l'enfant (CDE), adoptée à New York le 20 novembre 1989, ratifiée par la Belgique le 16 décembre 1991.
(3) Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, entré en vigueur en Belgique le 17 avril 2006.
(4) Protocole en matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 2000, Palerme.
(5) Décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, du 19 juillet 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains.
(6) Handbook on the Optional Protocol on the sale of children, child prostitution and child pornography, Unicef Committee on the Rights of the child et Unicef Innocenti Research Centre, février 2009, p. ix.
(7) CRC = CIDE.
(8) OPSC = Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.
(9) Droits de l'enfant, Rapport soumis par M. Juan Miguel Petit, Rapporteur spécial sur la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, conformément à la résolution 2002/92 de la Commission des droits de l'homme; E/CN.4/2003/79 du 6 janvier 2003, p. 25.
(10) Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée à New York le 20 novembre 1989, ratifiée par la Belgique le 16 décembre 1991.
(11) A. Van Daele, « De directe werking van en capita selecta uit het Internationaal Verdrag inzake de rechten van het kind », in: Kinderrechtengids, Gand, Mys & Breesch, 2003, Commentaren, Deel 1-1.1., 1-30; E. Verhellen, « Het Verdrag inzake de rechten van het kind meerderjarig. Enkele beschouwingen omtrent de implementatie in België », l.c.
(12) Ugo Cedrangolo (2009), « The Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on the sale of children, child prostitution and child pornography and the jurisprudence of the Committee on the Rights of the Child », Innocenti Working Paper no 2009-03, Florence, UNICEF Innocenti Research Centre, p. 3.
(13) Droits de l'enfant, Rapport soumis par M. Juan Miguel Petit, Rapporteur spécial sur la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, conformément à la résolution 2002/92 de la Commission des droits de l'homme; E/CN.4/2003/79 du 6 janvier 2003, p. 25.
(14) Handbook on the Optional Protocol on the sale of children, child prostitution and child pornography, Unicef Committee on the Rights of the child et Unicef Innocenti Research Centre, février 2009, p. 9.
(15) Idem, p. 11 et Ugo Cedrangolo (2009), « The Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on the sale of children, child prostitution and child pornography and the jurisprudence of the Committee on the Rights of the Child ». Innocenti Working Paper no 2009-03, Florence, UNICEF Innocenti Research Centre, p. 7.
(16) La traite et le trafic des êtres humains; Une politique publique vue par un rapporteur national, rapport 2007, Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, pp. 12-13.
(17) Projet de loi modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil, doc. Sénat, no 3-1138/4, Rapport, p. 12.
(18) Ugo Cedrangolo (2009), « The Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on the sale of children, child prostitution and child pornography and the jurisprudence of the Committee on the Rights of the Child », Innocenti Working Paper no 2009-03, Florence, UNICEF Innocenti Research Centre, pp. 3-4.
(19) Handbook on the Optional Protocol on the sale of children, child prostitution and child pornography, Unicef Committee on the Rights of the child et Unicef Innocenti Research Centre, février 2009.
(20) Handbook, p. 5.
(21) Handbook, p. 4.
(22) Handbook, p. 4.
(23) Handbook, p. 10.
(24) Handbook, p. 10.
(25) Article 2, alinéas 2, 4 et 5, du Criminal Law (Human Trafficking) Act 2008.
(26) Décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, du 19 juillet 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains.
(27) Protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 2000 Palerme.
(28) Code pénal d'Estonie, article 173, adopté le 6 juin 2001.