4-1403/1

4-1403/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

15 JUILLET 2009


Proposition de résolution relative à la situation en Colombie

(Déposée par Mme Olga Zrihen et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Ce texte a préalablement été déposé à la Chambre des représentants le 27 novembre 2008 (doc. Chambre 52-1701/1 - 2008/2009). En accord avec les auteurs, cette proposition de résolution est déposée au Sénat.

Pays de 43 millions d'habitants, la Colombie connaît depuis plus de 40 ans un conflit armé interne entre les groupes d'opposition armés (ou forces de guérilla, dont principalement les FARC et l'ELN), les paramilitaires, les narcotrafiquants, et les forces de sécurité gouvernementales (police et armée). La persistance de ce conflit armé en présence de multiples acteurs aux logiques territoriales les plus diverses a intensifié le conflit au point de générer une profonde crise humanitaire et sociale.

Les origines historiques du conflit armé en Colombie sont profondément enracinées, mais l'un des enjeux majeur de ce conflit est le contrôle des territoires et l'accès à des ressources économiques. Or ces objectifs se développent au détriment des droits légitimes des populations, dans un contexte social et économique de grandes inégalités. Cette situation a des répercussions importantes sur la population civile, comme en témoignent le grand nombre de personnes déplacées et les violations récurrentes des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Les problèmes liés à la corruption et au trafic de drogue, qui constituent une importante source de financement pour les acteurs du conflit, contribuent également à la souffrance des populations.

Les gouvernements successifs ont mis en application une série de politiques afin de tenter d'améliorer la situation, mais sans trouver de solution définitive à la violence généralisée. En 1998, à la suite d'un mouvement national pour la paix, Andrès Pastrana, nouvellement élu président, initie un processus de paix, soutenu par la Communauté internationale dont les États-Unis. Ce processus prévoit des négociations avec les mouvements de guérilla. Mais suite à l'absence de résultats, les entretiens avec les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) ont été interrompus en février 2002 et suspendus avec l'ELN (Armée de libération nationale) en mai 2002.

Les FARC comptent en moyenne quelque 10 000 à 14 000 combattants et l'ELN est composée d'environ 4 000 combattants. Ces mouvements ont établi de vastes bastions dans de nombreuses zones rurales du pays, où ils ont déterminé de fait les politiques gouvernementales locales et exercé un important contrôle sur les populations. Outre leurs cibles militaires, ils s'en sont pris fréquemment aux biens des riches propriétaires terriens; les extorsions de fonds et les enlèvements sont devenus monnaie courante. Par ailleurs, à partir des années 1990, les FARC ont cherché à multiplier leurs attaques dans les zones urbaines, touchant de plus en plus les civils.

Les groupes paramilitaires — qui compteraient entre 10 000 et 20 000 combattants — trouvent leur origine dans des groupes civils « d'autodéfense », légalement créés par l'armée dans les années 70 et 80 pour l'aider dans ses opérations anti-insurrectionnelles. Ils ont perdu leur base légale en 1989, mais se sont développés et ont étendu leur présence dans le pays (voir partie démobilisation).

Après la rupture des négociations de paix entre le gouvernement et les FARC le 20 février 2002, les affrontements entre les forces de sécurité colombiennes — agissant avec la collaboration des groupes paramilitaires — et les groupes de guérilla se sont intensifiés.

En 2002, Álvaro Uribe est élu président (il sera réélu en 2006), en vertu de la promesse de rétablir l'autorité de l'État et la sécurité nationale sur l'ensemble du territoire, à travers la politique de « sécurité démocratique ». Celle-ci visait à consolider les territoires et à reprendre le contrôle de ces territoires à la guérilla.

D'importantes mesures ont été prises à cet effet, soit le recrutement de 30 000 soldats professionnels et la mise en place d'un réseau de surveillance citoyenne d'un million de personnes. Un grand nombre de civils sont ainsi invités à se mettre au service de l'armée pour lutter contre le « terrorisme » représenté par les mouvements de guérilla. Cependant, cette politique de « sécurité démocratique » relève plus de la sécurité que de la démocratie, et hormis des réussites partielles — variation des indicateurs de la violence et présence plus affirmée de la force publique —, elle n'a pas entraîné de diminution sensible des violations des droits humains. D'autant plus que, en impliquant des segments plus larges de la population civile dans le confit, elle encourt le risque de voir une résurgence du paramilitarisme sur une base élargie et moins voyante que les groupes organisés de paramilitaires. La différence entre les civils et les combattants devenant de plus en plus floue, les groupes armés risquent de faire de plus en plus pression sur les civils pour qu'ils participent d'une manière ou d'une autre au conflit.

Alors que le président Uribe considère que le conflit armé en Colombie est une manifestation du terrorisme global, les causes de conflit sont cependant multiples. Elles ne peuvent être résolues uniquement via la lutte contre le terrorisme, mais doivent l'être également via la lutte contre les inégalités sociales. Car la Colombie est l'une des sociétés les plus inégales au monde: 70 % des terres appartiennent à 3 % de la population. Par ailleurs, la lutte contre le trafic de drogue est organisée de manière telle qu'elle n'a pas diminué les rentrées financières importantes générées par ce trafic.

La violence persistante contre les civils (1), les nombreuses questions que pose le processus de démobilisation des groupes paramilitaires (2) et le maintien de l'impunité (3), sont certainement les manifestations les plus graves de cette crise.

1. Les violations des droits de la personne et du droit international humanitaire

a) Les droits de l'homme

Le conflit armé a des répercussions importantes sur la population civile, surtout dans les zones rurales. Certains groupes sont particulièrement vulnérables: femmes, enfants, défenseurs des droits humains, syndicalistes, communautés indigènes et afro-colombiennes, agriculteurs et communautés paysannes dont une partie vivent sur des terres présentant un intérêt économique pour les différentes forces en présence.

Amnesty International considère que le conflit armé a provoqué entre 3 et 4 millions de déplacés internes et qu'en 2007, 305 000 personnes ont été déplacées.

Selon le dernier rapport d'Amnesty International sur la Colombie (1) , plus de 210 civils auraient été tués par les mouvements de guérilla entre juin 2006 et juin 2007 et au moins 230 meurtres de civils ont été attribués aux paramilitaires (agissant seuls ou en collaboration avec des forces de sécurité) durant cette même période. Par ailleurs, les paramilitaires auraient volé entre 3 et 4 millions d'hectares de terres. Le nombre d'exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité de l'État s'élève à plus de 995 depuis 2002. Pour la seule période de juin 2006 à juin 2007, 280 homicides ont été commis par les forces de sécurité. Les victimes, essentiellement des cultivateurs, sont souvent présentées comme « des membres de la guérilla tués au combat ». Et ce, bien que le ministre de la Défense ait promulgué en juin 2006 la Directive 10, qui répétait que les exécutions extrajudiciaires constituaient une violation du droit à la vie.

Toujours selon Amnesty International, les mouvements de guérilla, essentiellement les FARC et dans une moindre mesure l'ELN, étaient responsables en 2007 de quelque 150 enlèvements et de la plupart des enlèvements à caractère politique. La plupart des autres rapts sont liés à des gangs criminels. Le nombre d'enlèvements était en recul en 2007 (521 cas en 2007 contre 687 cas en 2006), mais les chiffres restent cependant élevés. Si le cas d'Ingrid Betancourt, libérée en juillet 2008 en même temps que 14 autres otages, a été largement médiatisé, la guérilla des FARC détient encore 23 prisonniers en uniforme et 4 otages civils. En outre, les négociations en cours pour d'autres libérations ont été stoppées depuis la mort de Raúl Reyes, négociateur des FARC, suite à l'intervention de l'armée colombienne en Équateur en mars 2008.

Concernant les femmes et les enfants, toutes les parties au conflit ont continué à soumettre des femmes et des jeunes filles à des sévices sexuels et à d'autres formes de violence. Dans plusieurs régions du pays, des femmes et des jeunes filles auraient été recrutées de force à des fins de prostitution par des paramilitaires et des gangs criminels. Quant aux combattantes membres de groupes de guérilla, elles étaient contraintes à avorter ou à prendre des contraceptifs, en violation de leurs droits en matière de procréation (2) .

On déplore également le recrutement d'enfants soldats dans les groupes militaires irréguliers — guérilla et paramilitaires — puisque un combattant sur quatre a moins de 18 ans (3) . L'Unicef estime à 6 000 ou 7 000 le nombre d'enfants soldats enrôlés chez les paramilitaires et les mouvements de guérilla en Colombie. On notera à cet égard que le Secrétaire général des Nations unies, dans son rapport sur les enfants et les conflits armés, dénonce les pratiques de recrutement et d'utilisation des enfants et établit la liste des parties au conflit qui recourent à ces pratiques tout en continuant de refuser de s'engager à y mettre un terme (4) .

La situation des syndicats mérite également une attention accrue dans la mesure où la Colombie est considérée par la plupart des centrales syndicales internationales, regroupées au sein de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), comme étant le pays le plus dangereux au monde pour l'exercice de l'activité syndicale (5) . En Colombie, les syndicalistes constituent l'un des principaux groupes victimes d'atteintes aux droits humains, qui prennent notamment la forme d'homicides, d'enlèvements, de disparitions, d'actes d'intimidation et de menaces. Selon le rapport de la CSI, la violence systématique et sélective à l'égard des syndicalistes semble dangereusement augmenter. C'est ainsi que 78 syndicalistes ont été assassinés au cours de l'année, après une période de légère baisse de la violence au cours des années précédentes. Le secteur le plus vulnérable aux actions violentes reste celui de l'éducation, avec 39 cas d'assassinats signalés dans ce secteur, soit plus de la moitié du nombre total.

L'ouverture d'une représentation permanente de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) en Colombie, dans le cadre de l'accord tripartite pour le droit syndical et la démocratie conclu entre le gouvernement, les centrales syndicales et l'association patronale, constitue toutefois un signal positif, mais pas suffisant, dans la mesure où le bureau de l'OIT ne fonctionne pas, à ce jour, de manière effective et efficace.

Au fil des ans, les gouvernements colombiens successifs ont pris diverses mesures pour améliorer la sécurité des syndicalistes, dans le cadre du Programme de protection du ministère de l'Intérieur et de la Justice. Les syndicalistes se sont notamment vu offrir des gardes du corps, des véhicules blindés et des téléphones portables. Néanmoins, Amnesty International (6) s'inquiète devant le fait que ces mesures ont parfois été retirées ou limitées, même lorsque les dangers étaient élevés pour les syndicalistes. Les autorités invoquent souvent des contraintes budgétaires pour justifier ces restrictions.

b) Le droit international humanitaire

Toutes les parties impliquées dans le conflit qui déchire la Colombie bafouent le droit international humanitaire. Certaines ont notamment commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

Les infractions au droit international humanitaire sont constituées par des actes ou omissions contraires à l'article 3 commun aux Conventions de Genève, au protocole II additionnel à ces conventions ainsi qu'au droit coutumier, dont la responsabilité incombe à l'État, aux paramilitaires et aux guérillas.

Malgré les déclarations de plusieurs hauts responsables de l'État, niant l'existence d'un conflit armé interne et affirmant qu'il s'agit d'une menace terroriste, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) estime que la situation de la Colombie présente tous les éléments constitutifs d'un conflit armé non international, auquel s'appliquent l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève et le Protocole additionnel II. L'existence éventuelle d'actes de terrorisme (interdits par le droit international humanitaire) ne modifie en rien la qualification juridique du conflit, une qualification fondamentale dans la mesure où elle implique certaines obligations. Ainsi, dans la conduite des hostilités, les groupes armés organisés et les forces armées doivent respecter et faire respecter les normes du droit international humanitaire, ainsi que ses principes fondamentaux. Ils ont aussi le devoir de faire la distinction entre les personnes qui participent directement aux hostilités et la population civile, ainsi qu'entre les objectifs militaires et les biens à caractère civil.

2. Le processus de démobilisation, de désarmement et de réinsertion des membres des groupes armés illégaux

Le 15 juillet 2003, le gouvernement colombien et la plupart des groupes paramilitaires liés aux Milices d'autodéfense unies de Colombie (Autodefensas Unidas de Colombia/AUC) signaient un accord marquant le début des pourparlers officiels et prévoyant notamment la démobilisation, jusqu'à la fin de 2005, des combattants paramilitaires. De grandes incertitudes pesaient sur ce processus et la communauté internationale a insisté pour que la Colombie se dote d'un cadre légal, fixant les conditions de démobilisation. La loi « justice et paix », adoptée le 25 juillet 2005, a constitué le cadre défini à cet effet par les autorités colombiennes. Elle concerne les AUC et les mouvements de guérilla mais dans les faits, elle s'est appliquée principalement aux AUC.

Selon le gouvernement colombien, la démobilisation s'est achevée en 2006 avec 31 000 paramilitaires qui ont été démobilisés.

Selon les principales dispositions de la loi, les membres des groupes armés doivent déclarer leurs crimes et les biens qu'ils auraient acquis dans le cadre de leurs activités (cependant, l'omission et le mensonge ne sont pas pénalisants). Les peines de prison vont de 5 à 8 ans. La loi prévoit également un volet de réinsertion des membres de groupes illégaux et de réparation, à la fois symbolique et pécuniaire, des préjudices subis par les victimes.

Cette démobilisation partielle n'a pas empêché la poursuite de la violence paramilitaire dans l'ensemble du pays. En effet, depuis qu'ils ont proclamé un cessez-le-feu en décembre 2002, plus de 2 500 meurtres et disparitions ont été attribués aux paramilitaires. Dans son huitième rapport trimestriel, la Mission d'Appui au Processus de Paix en Colombie (MAPP/OEA) estimait en février 2007 que 22 nouveaux groupes armés avaient été identifiés, forts de quelque 3 000 combattants. L'International Crisis Group souligne également l'émergence de nouveaux groupes armés « qui ne sont pas de simples bandes de criminels, comme le prétend le gouvernement » (7) .

Selon Amnesty International, cette loi ne satisfait pas aux exigences internationales en matière de droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations; des exigences pourtant fondamentales et nécessaires à tout processus de négociation et de démobilisation. Le 3 octobre 2005, le Conseil de l'Union européenne (Conseil Affaires générales), tout en rappelant plusieurs sujets de préoccupation, a affirmé que la loi nécessitait d'être mise en œuvre de façon effective et transparente. Dès lors, le Conseil a décidé d'apporter une coopération aux groupes de victimes pour appuyer la mise en œuvre de la loi. Il a par ailleurs déclaré qu'il partageait un grand nombre de craintes exprimées par le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, concernant notamment le peu de temps disponible pour les enquêtes, les possibilités limitées de demander réparation, les peines maximales limitées pour les délits les plus graves, etc. (8) . La vigilance de l'Union européenne a été réaffirmée dans les nouvelles conclusions du Conseil sur la Colombie, publiées le 19 novembre 2007.

On observe, par ailleurs, l'influence croissante des groupes politiques et sociaux liés aux paramilitaires devenus maintenant légaux. En effet, les combattants démobilisés peuvent, à présent, s'organiser politiquement et chercher à acquérir de l'influence par le jeu démocratique.

Il est enfin à noter que le scandale de la « parapolitique », à savoir les liens entretenus par les paramilitaires avec plusieurs parlementaires et hommes politiques colombiens de haut rang — aussi appelé « paragate » dans la presse colombienne — se développe de façon spectaculaire depuis le mois de novembre 2006. Des enquêtes pénales et disciplinaires continuent de mettre en cause des militaires de haut rang dans des affaires de violations des droits humains commis par les paramilitaires.

3. La question de l'impunité

L'impunité est au cœur de la crise des droits humains. Bien que les gouvernements successifs aient reconnu l'ampleur du problème, ils n'ont pas eu la capacité ou la volonté de prendre des mesures pour que les responsables aient à répondre de leurs actes devant la loi, qu'ils soient membres des forces de sécurité, des groupes paramilitaires ou des mouvements de guérilla.

Les responsables d'atteintes aux droits humains étant rarement punis, le public a perdu confiance en la justice et en l'état de droit. Le gouvernement affirme que l'état de droit s'est désagrégé en raison de graves dysfonctionnements dans le système judiciaire, citant le manque de moyens, de formation et de personnel spécialisé et l'omniprésence de la corruption. Avec l'aide de grands programmes d'aide internationaux, il a introduit des réformes judiciaires radicales pour remédier à ces lacunes.

Cependant, le problème de l'impunité en Colombie va bien au-delà des problèmes inhérents à la justice, aussi réels soient-ils. Les tentatives de remédier à ces dysfonctionnements ont peu de chance d'avoir des effets significatifs sur l'ampleur des atteintes aux droits humains, tant que le gouvernement n'aura pas la volonté politique de veiller à ce que tous les auteurs de telles atteintes aient à répondre de leurs actes. La quasi-totalité des affaires de violences sexuelles graves contre des femmes et des jeunes filles sont étouffées ou restent impunies, même quand il est de notoriété publique que ces actes ont été commis par les forces de sécurité, les paramilitaires ou les groupes de guérilla.

Le rapport du Haut Commissaire aux droits de l'homme (9) , publié en mars de cette année, concernant la mise en œuvre par le gouvernement colombien des recommandations des Nations unies en matière des droits humains a demandé la pleine application de ses recommandations, notamment en ce qui concerne la lutte contre l'impunité, l'élimination des liens entre agents de l'État et les paramilitaires, sur les droits de l'homme et le droit international humanitaire.

Selon l'International Crisis Group, les autorités judiciaires, et en particulier le bureau du procureur général (Fiscalía general de la Nación) (10) sont souvent dans l'impossibilité de mener à bien leurs enquêtes par manque de moyens et du fait du manque de collaboration de la part des forces de sécurité, mais aussi parce qu'elles font l'objet d'intimidations.

Par la présente proposition de résolution, les auteurs souhaitent lancer un dialogue et une réflexion en vue de conscientiser le gouvernement et la Communauté internationale aux enjeux politiques et humains qui traversent la Colombie.

Olga ZRIHEN
Elke TINDEMANS
Myriam VANLERBERGHE
José DARAS
Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. considérant la proposition de résolution du 14 juillet 2006 relative à la situation en Colombie déposée à la Chambre des représentants;

B. considérant que le conflit armé interne en Colombie entre les paramilitaires soutenus par l'armée, les mouvements de guérilla et les forces de sécurité, donne lieu à des graves atteintes aux droits humains, surtout dans les zones rurales;

C. considérant que plusieurs dizaines de milliers de personnes — des défenseurs des droits humains, des membres des communautés indigènes et des communautés afro-colombiennes, des paysans, des syndicalistes, des femmes et des filles, des membres de la société civile — continuent d'être assassinés;

D. considérant que le conflit armé a provoqué entre trois et quatre millions de déplacés internes et que le nombre d'exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité de l'État s'élève à plus de 995 depuis 2002;

E. considérant que le conflit armé qui sévit en Colombie se caractérise par des violations graves du droit international humanitaire, notamment les Conventions de Genève visant à protéger les personnes civiles dans le cadre des conflits armés;

F. saluant la libération en juillet 2008 d'Ingrid Betancourt, des trois prisonniers américains et de onze militaires colombiens;

G. rappelant que la guérilla des FARC détient encore vingt-trois prisonniers en uniforme et quatre otages civils; que les négociations en cours pour d'autres libérations ont été stoppées depuis la mort de Raul Reyes, négociateur des FARC, suite à l'intervention de l'armée colombienne;

H. considérant que des hommes et les femmes politiques sont fréquemment menacés ou même la cible d'assassinats ou d'enlèvements et que les FARC continuent de prendre pour cible des élus. Les FARC seraient notamment responsables de la plupart des vingt-neuf assassinats de candidats commis à l'approche des élections locales du 28 octobre 2007;

I. soulignant l'importance du respect des recommandations du Haut Commissaire des droits humains de l'ONU, principalement:

— mettre fin à l'impunité et exiger que tous les cas de violations des droits humains soient jugés par la justice civile, même dans le cas d'engagement de militaires;

— exiger que les droits des victimes à la vérité, à la justice et à la réparation soient respectés;

— rompre les liens entre les forces militaires et les paramilitaires et démanteler de manière effective les paramilitaires;

— garantir la sécurité des groupes vulnérables de la population civile, notamment les défenseurs des droits humains, les personnes déplacées, les populations indigènes et des communautés afro-colombiennes, les paysans, les syndicalistes, les femmes, les filles et les enfants;

J. se déclarant particulièrement préoccupée de la situation des syndicats, des violences sexuelles commises à l'égard des femmes et du recrutement des enfants soldats au sein des groupes armés irréguliers;

K. considérant que la loi « justice et paix » n'est pas appliquée de manière effective et transparente, qu'elle accorde une amnistie « de fait » à la quasi-totalité des paramilitaires démobilisés et ne satisfait pas aux exigences internationales en matière de droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations;

L. considérant que des paramilitaires, bénéficiant du soutien de l'armée colombienne, continuent à se livrer à de graves atteintes aux droits humains et d'usurpation des terres (entre trois et quatre millions d'hectares) et semblent s'être renforcés malgré le processus de démobilisation;

M. se déclarant préoccupée par l'émergence de nouveaux groupes armés à la suite du processus de démobilisation, dont certains ont des liens avec le crime organisé et le trafic de drogue;

N. se déclarant préoccupée par le problème du trafic de drogue et les ressources financières non négligeables qu'il procure aux groupes militaires irréguliers — guérilla et paramilitaires —, ce qui constitue un obstacle supplémentaire à la résolution du conflit;

O. considérant que les groupes militaires irréguliers recrutent également des enfants soldats, puisque un combattant sur quatre a moins de dix-huit ans. L'Unicef estime à 6 000 ou 7 000 le nombre d'enfants soldats en Colombie;

P. se déclarant préoccupée par la crise de la « para-politique », à savoir qu'un nombre élevé de parlementaires font actuellement l'objet d'une enquête pour leurs liens présumés avec les paramilitaires;

Q. considérant que le gouvernement colombien ne respecte pas la mise en œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle relative aux droits des déplacés internes et que les victimes n'ont pas eu les bénéfices de la loi « justice et paix »;

R. considérant que l'inertie de l'État face au problème de l'impunité, ainsi que le non-respect par les différentes parties au conflit du droit international humanitaire ont rendu le travail des journalistes, des candidats et des représentants de l'État plus dangereux, voire impossible dans certains cas;

S. saluant la déclaration de la présidence de l'Union européenne du 19 mai 2008, par laquelle l'UE exprime sa sérieuse préoccupation pour les meurtres et les menaces de mort dont ont été victimes des dirigeants d'organisations sociales et des défenseurs des droits de l'homme en Colombie, ainsi que de l'émergence de groupes armés criminels qui occupent et s'emparent des structures illégales de contrôle territorial mises en place par les Autodéfenses Unies de Colombie avant leur démobilisation;

T. considérant les conclusions du Conseil de l'Union européenne (Conseil Affaires générales) du 3 octobre 2005 et du 19 novembre 2007;

U. considérant que les actions humanitaires et les droits de la personne sont au centre de la coopération entre la Colombie et l'Union européenne;

V. considérant que le renouvellement des préférences commerciales (SPG+) doit être décidé par l'Union européenne courant décembre 2008 et que la Colombie, dans le cadre de la Communauté Andine des Nations (CAN — Colombie, Pérou, Bolivie, Équateur) est en phase de négociation pour signer un accord d'association avec l'Union européenne;

W. considérant l'installation partiellement effective du Bureau de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) en Colombie, acceptée le 23 novembre 2006, avec pour mission de promouvoir et protéger les droits fondamentaux des travailleurs, en particulier leur droit à la vie, à la liberté syndicale, à la liberté d'expression et à la négociation collective, ainsi que de garantir le respect des politiques de l'OIT;

X. considérant que d'année en année, la Colombie est devenue le symbole des atteintes les plus graves et les plus fréquentes dans le domaine des libertés syndicales;

Y. considérant que 45 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, y compris la majorité des personnes déplacées et que cette situation d'inégalité sociale est aggravée par le conflit armé;

Demande au gouvernement:

dans le cadre de ses relations bilatérales avec la Colombie, en tant que membre de l'Union européenne,

1. en ce qui concerne la résolution du conflit armé, d'appeler le gouvernement colombien et toutes les parties au conflit en Colombie:

a) à la reconnaissance d'un « conflit armé » sur son territoire;

b) à œuvrer pour parvenir à une solution politique au conflit qui soit basée sur des négociations de paix et qui tienne compte des origines sociales, économiques et politiques du conflit;

c) à respecter les obligations imposées par le droit international humanitaire, et en particulier l'interdiction de mener des attaques indiscriminées qui prennent pour cibles les populations civiles et leurs biens;

d) à promouvoir des accords permettant la libération des otages et à éviter toute initiative militaire qui mettrait en danger la vie des otages; à déployer tous les efforts diplomatiques, voire régionaux, pour arriver à la conclusion d'un accord humanitaire qui permettrait la libération des prisonniers en uniforme et des otages civils détenus par la guérilla des FARC;

2. en ce qui concerne les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, d'inviter le gouvernement colombien et toutes les parties au conflit en Colombie à:

a) respecter la mise en œuvre des recommandations du Haut Commissaire des droits humains de l'ONU et à continuer à appuyer l'Office du Haut Commissaire des droits humains de l'ONU en Colombie, dont le mandat a été renouvelé en 2007 jusque 2010;

b) appliquer les Principes directeurs des Nations unies relatifs au déplacement des personnes à l'intérieur de leur propre pays, ainsi que les Principes sur la restitution des logements et des biens des réfugiés et des personnes déplacées, et d'exiger entre-temps l'exécution des résolutions de la Cour constitutionnelle à ce sujet;

c) rappeler que les groupes armés irréguliers ne sont pas au-dessus de la loi, et que ceux qui se rendent coupables des crimes contre le droit international humanitaire aujourd'hui pourront être exposés à des poursuites devant la Cour pénale internationale demain;

d) renforcer son soutien à la société civile colombienne, et en particulier aux organisations de défense des droits de l'homme, afin de rendre visible et d'impulser une conscience critique à la population envers d'autres formes de violences que celle du conflit armé, à savoir celles causées par les injustices, la pauvreté, l'exclusion sociale, économique et politique;

e) veiller à ce que la représentation permanente de l'OIT en Colombie soit en mesure de promouvoir et de contrôler efficacement l'exercice du droit à la liberté d'association, conformément à l'accord tripartite de juin 2006, et de respecter pleinement les recommandations de l'OIT; que des ressources suffisantes lui soient allouées pour assurer la pleine effectivité de son service. De la même façon, le service d'enquête spécial chargé, au sein de la « Fiscalía General de la Nación » (bureau du procureur général), d'enquêter sur les homicides et les mises en détention arbitraires des syndicalistes (et autres crimes), doit pouvoir également disposer non seulement du support politique, mais aussi de ressources humaines et financières adéquates;

f) s'assurer que la loi « justice et paix » satisfasse aux exigences internationales en matière de droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations, ainsi que prendre les mesures nécessaires afin que les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, qui n'ont pas été poursuivies en justice (mais libérées selon l'application du Décret 128), soient traduites en justice;

3. de faire part de ses préoccupations sur la situation des droits de l'homme en Colombie, par la voix de notre représentant permanent de l'ONU à Genève, lors de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme de l'ONU (du 1er au 12 décembre 2008), ainsi que de plaider auprès du Secrétaire général de l'ONU pour la remise en place d'un représentant spécial de l'ONU en Colombie. Dans ce cadre, d'accorder une attention particulière à la problématique des violences sexuelles faites aux femmes et à la problématique des enfants soldats;

4. dans le cadre de la diplomatie préventive, de dégager des moyens afin de financer une conférence pluraliste des partenaires sociaux belges et colombiens pour stimuler le dialogue et formuler des propositions communes et uniformes. Cette conférence pourrait être organisée en 2009, pendant la période de la présidence belge de l'Union européenne;

5. de soutenir davantage les relations et la coopération avec la Colombie dans le cadre de l'Union européenne, en vertu de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et la CAN, conclu en décembre 2003 et ratifié par la Belgique; de soutenir également divers programmes de coopération dans le cadre du nouveau Plan stratégique (2007-2013), notamment ceux des « laboratoires pour la paix »;

6. dans le cadre du prochain renouvellement du système de préférences généralisées, plus particulièrement le régime spécial d'encouragement en faveur du développement durable et de la bonne gouvernance (dit « SPG+ »), actuellement octroyé par l'UE à la Colombie, s'assurer que la Colombie respecte les différentes conventions internationales annexées « au SPG+ » qu'elle se doit de respecter;

7. de plaider auprès de l'Union européenne, dans le cadre de la conclusion des accords d'association actuellement en cours de négociation entre l'UE et la Communauté Andine des Nations, à inviter les pays membres de la CAN au respect des droits de l'homme et de l'État de droit dans la région et de faire en sorte que le processus de négociation entre gouvernements puisse envisager une participation de la société civile, afin de garantir la transparence des accords.

10 juillet 2009.

Olga ZRIHEN
Elke TINDEMANS
Myriam VANLERBERGHE
Philippe MAHOUX
José DARAS
Philippe MAHOUX.

(1) Rapport 2008 d'Amnesty International, La situation des droits humains dans le monde, 28 mai 2008

(2) Colombie, le conflit armé favorise les violences sexuelles à l'égard des femmes, Amnesty International, octobre 2004.

(3) Human Rights Watch, Rapport 2006, janvier 2006, Country summary — Colombia.

(4) Doc N.U., Rapport du Secrétaire général sur les enfants et les confl its armés, A/59/695-S/2005/72, pp. 10-11 et annexe II, p. 44.

(5) Rapport annuel des violations des droits syndicaux de la CSI, 2007.

(6) Colombie, homicides, détentions arbitraires et menaces de mort, la réalité du syndicalisme en Colombie, Amnesty International, 3 juillet 2007.

(7) Les nouveaux groupes armés en Colombie, rapport Amérique Latine no 20, 10 mai 2007, International Crisis Group.

(8) Conclusions du Conseil sur la Colombie, 3 octobre 2005.

(9) Rapport du Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme en Colombie, A/HRC/7/39, 29 février 2008.

(10) La Fiscalía General de la Nación, mise en place par la Constitution de 1991, est chargée de mener l'enquête sur toutes les infractions pénales commises en Colombie, y compris les violations des droits humains, et de prononcer l'inculpation des suspects.