4-1253/2

4-1253/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

1er AVRIL 2009


Projet de loi portant diverses modifications en matière électorale


AMENDEMENTS


Nº 1 DE M. BUYSSE ET MME JANSEGERS

Art. 28/1 (nouveau)

Insérer un article 28/1 rédigé comme suit:

« Art. 28/1. — Il est inséré, dans le même Code, un article 104bis rédigé comme suit:

« Art. 104bis — Il est interdit à un président, un secrétaire ou un assesseur d'un bureau principal de collège, d'un bureau principal de circonscription électorale, d'un bureau principal de province, d'un bureau principal de canton, d'un bureau de vote ou d'un bureau de dépouillement d'exercer la mission qui lui a été confiée s'il porte des tenues vestimentaires masquant le visage. Toutefois, nul ne peut se soustraire pour cette raison à l'exercice de la mission qui lui a été confiée.

Quiconque enfreint les dispositions de l'alinéa 1er sera puni d'une amende telle que prévue à l'article 95, § 10, alinéa 3. »

Justification

Un système politique démocratique digne de ce nom doit remplir une série de conditions, dont certaines, et non des moindres, ont trait aux élections. À cet égard, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (mieux connue peut-être sous le nom de Commission de Venise) a établi, ces dernières années et à la demande du Conseil de l'Europe, plusieurs normes internationales et un code de conduite — le Code de bonne conduite en matière électorale — comprenant des directives à respecter pour organiser des élections démocratiques.

La Commission précitée énonce six principes fondamentaux auxquels des élections démocratiques doivent se conformer: le suffrage doit être universel, égal, libre, secret et direct et doit présenter un caractère périodique.

Outre ces principes fondamentaux, la Commission a également fixé une série de conditions de base qui définissent le cadre concret dans lequel des élections démocratiques doivent se dérouler.

À ce propos, la Commission souligne, entre autres, que le scrutin doit être organisé par un organe neutre et impartial, et ceci du niveau national au niveau du bureau de vote (1) . Ce principe est explicité de la manière suivante dans le rapport explicatif « Seules la transparence, l'impartialité et l'indépendance à l'égard de toute manipulation politique assureront la bonne administration du processus électoral [...]. » On peut aussi lire plus loin: « La création de commissions électorales indépendantes et impartiales, du niveau national au niveau du bureau de vote, est indispensable pour garantir des élections régulières ou du moins pour que de lourds soupçons d'irrégularités ne pèsent pas sur le processus électoral. » (2)

D'après la Commission, il est donc capital de proscrire toute trace de partialité dans le processus électoral.

En ce qui concerne ce dernier point, un problème a surgi sporadiquement ces dernières années, d'une part, à cause de l'attribution massive de la nationalité belge (avec en corollaire le vote obligatoire) à des étrangers mal intégrés et, d'autre part, en raison de l'apparition d'une forme militante et politique de fanatisme religieux, à savoir l'islam politique.

L'islam politique a incité ses adeptes à manifester leur fanatisme religieux notamment en portant en public des vêtements qui renvoient de manière ostentatoire à leurs convictions religieuses et politiques. Ces dernières années, le port du foulard islamique est devenu le symbole de ce phénomène, mais il n'en est certainement pas la seule expression.

Parallèlement à cette évolution, on a donc pu constater ces dernières années, principalement dans des régions où résident de nombreux immigrés islamiques, que des secrétaires ou des assesseurs siégeant dans certains bureaux de vote étaient vêtus d'une tenue portant un message politique sans équivoque. Selon les auteurs du présent amendement, pareil comportement remet en cause les principes indispensables de neutralité et d'impartialité des commissions électorales et des bureaux de vote. Cet amendement vise donc à imposer à toute personne exerçant au cours du processus électoral une fonction dans un bureau, à quelque niveau que ce soit, de remplir cette fonction dans un esprit de parfaite neutralité pour ce qui est de sa tenue vestimentaire.

Par ailleurs, cette obligation ne peut pas servir de prétexte à des citoyens pour se dérober à leurs obligations civiques. En effet, il serait trop facile de se soustraire à l'exercice de la fonction de secrétaire ou d'assesseur dans un bureau de vote ou un bureau de dépouillement en invoquant des convictions religieuses véritables ou prétendues ainsi que l'expression vestimentaire de ces convictions. Pareils abus doivent être évités, d'autant plus que l'on a déjà constaté à l'envi dans le passé combien il était parfois difficile de réunir le nombre requis de citoyens disposés à assurer les fonctions en question durant les opérations électorales. C'est la raison pour laquelle le présent amendement prévoit également des mesures pénales à l'encontre des personnes qui se présenteraient délibérément dans une tenue révélant leurs convictions politico-religieuses au bureau de vote ou au bureau de dépouillement (ou pour exercer toute autre fonction au sein des commissions électorales).

Yves BUYSSE.
Nele JANSEGERS.

Nº 2 DE M. COVELIERS ET CONSORTS

Art. 21

Remplacer cet article par ce qui suit:

« Art. 21. — L'article 6 du Code électoral, modifié par la loi du 5 juin 1976, est abrogé. ».

Justification

Aux termes de l'article 8, alinéa 2, de la Constitution, la Constitution et les autres lois relatives aux droits politiques déterminent quelles sont, outre la qualité de Belge, les conditions nécessaires pour l'exercice de ces droits.

Le Code électoral prévoit en son article 7 que certaines personnes sont frappées de la suspension de leurs droits électoraux.

Bien que l'on puisse considérer dans une certaine mesure que cette suspension se justifie pour les personnes en état d'interdiction judiciaire, pour celles sous statut de minorité prolongée et pour les personnes internées, force est de conclure à l'inconstitutionnalité manifeste de la disposition en vertu de laquelle une condamnation à un emprisonnement de plus de quatre mois à moins de trois ans entraîne automatiquement une incapacité de six ans et même de douze ans si la peine est de trois ans au moins.

Dans son arrêt nº 187-2005 du 14 décembre 2005, la Cour d'arbitrage, aujourd'hui Cour constitutionnelle, a répondu à plusieurs questions préjudicielles posées par le tribunal de première instance de Gand.

Ce tribunal lui avait notamment posé les questions suivantes:

« 1. L'article 7, 2º, du Code électoral du 12 avril 1894 viole-t-il le principe général de droit selon lequel seul le juge peut infliger des peines, ainsi que les principes contenus aux articles 13 et 145 de la Constitution coordonnée ? »

« 2. L'article 7, 2º, du Code électoral du 12 avril 1894 viole-t-il les principes d'égalité et de non-discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, lus séparément ou en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, au motif que par application de l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1966 et approuvé par la loi du 15 mai 1981, nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays, au motif que cela reviendrait à une violation du principe général de droit contenu dans l'adage « non bis in idem » et au motif qu'une telle décision ne peut être prise sans contrôle juridictionnel par une juridiction indépendante ? »

La Cour constitutionnelle a répondu à ces questions par l'affirmative, en ces termes: « L'article 7, alinéa 1er, 2º, du Code électoral viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il suspend de plein droit les droits électoraux des condamnés qu'il vise. » La Cour est parvenue à cette conclusion sur la base des considérations ci-dessous.

Les droits d'élire et d'être élu, qui découlent notamment du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (article 14) et de la Constitution (articles 10 et 11), doivent être garantis sans discrimination, mais ils ne sont cependant pas absolus. S'il s'agit de droits fondamentaux pour la démocratie et l'État de droit, la Cour estime qu'ils peuvent malgré tout faire l'objet de restrictions.

Celles-ci ne peuvent toutefois atteindre ces droits dans leur substance même et les priver de leur effectivité. Elles doivent poursuivre un but légitime et les moyens employés ne peuvent être disproportionnés.

La Cour se réfère à cet égard à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, Grande chambre, Hirst c/Royaume-Uni (nº 2), du 6 octobre 2005, et à la jurisprudence citée dans cet arrêt.

Il y a une différence entre l'arrêt de la Cour constitutionnelle belge et celui de la Cour européenne.

Dans l'affaire Hirst, la Cour européenne s'est prononcée sur le caractère (dé)raisonnable et excessif de la peine et a estimé que la privation du droit de vote est contraire à l'article 3 du Protocole nº 1 de la Convention.

La Cour constitutionnelle a répondu pour sa part à des questions sur le caractère automatique des incapacités prévues par la loi, qui porte atteinte au droit d'accès au juge et au principe « non bis in idem ».

Le législateur à l'origine de la loi du 12 avril 1894 (Code électoral) pensait être en droit de porter une appréciation sur la dignité exigée des citoyens pour qu'ils puissent participer aux élections (sic). Il convient de se demander si le législateur du XXIe siècle peut encore s'arroger le droit de porter une appréciation telle et s'il peut décider d'une telle incapacité automatique. Cette question est d'autant plus fondamentale que depuis des modifications législatives récentes, le Code pénal ne sanctionne plus seulement des actes mais aussi des avis et des opinions. Autrement dit, en vertu du système instauré par le Code électoral, les personnes condamnées uniquement pour des opinions ou convictions dissidentes sont elles aussi privées, du même coup, de leur droit de participer aux élections. Il est bien sûr permis de douter qu'une telle sanction soit encore à sa place en démocratie.

Il convient en outre de s'interroger sur la mise en balance, d'une part, du souci de priver du droit de vote des citoyens jugés « indignes » et, d'autre part, celui de ne pas priver les citoyens d'un droit fondamental d'une manière disproportionnée.

Le droit pénal actuel se profile avant tout comme une justice réparatrice: le délinquant est réinséré dans la société, ce qui implique qu'il participe à l'élection des représentants de la collectivité.

De surcroît, la Cour de cassation a estimé qu'une condamnation par une juridiction étrangère ne suspend pas l'exercice du droit de vote !

Ainsi, un concitoyen naturalisé condamné au Maroc, par exemple pour des faits de terrorisme, ne serait pas déchu du droit de vote, alors qu'un commissaire de police condamné en Belgique, eût-il identifié et arrêté des terroristes, devrait quand même subir cette déchéance ! Voilà bien entendu un nouvel exemple flagrant de discrimination inacceptable.

Dans l'arrêt précité Hirst c/ Royaume-Uni, la Cour européenne indique au passage que vingt pays européens autorisent leurs détenus à voter sans aucune restriction, que huit autres ne leur imposent que des restrictions mineures, et que huit autres pays, parmi lesquels le Royaume-Uni et la Belgique, privent leurs prisonniers du droit de vote.

Lors des élections en Russie, des observateurs de l'OSCE ont ainsi pu constater que des bureaux de vote avaient également été aménagés dans les prisons, ainsi que dans les hôpitaux, afin de donner à chaque citoyen la possibilité de voter.

Dans un État de droit fondé sur la théorie de la séparation des pouvoirs formulée et développée par Locke et Montesquieu, le pouvoir législatif se doit de respecter les décisions du pouvoir judiciaire.

L'histoire récente montre qu'un arrêt de 2003 relatif à l'organisation des élections n'a toujours pas été mis à exécution cinq ans après sa publication et que depuis lors, d'autres élections ont été organisées malgré une législation boiteuse.

Gageons que dans la mesure où la présente proposition intéresse aussi bien les condamnés francophones que les condamnés néerlandophones, elle permettra d'accélérer la mise à exécution de cet arrêt.

L'abrogation de l'article 6 du Code électoral implique que même celles ou ceux qui ont été condamnés à une peine criminelle peuvent participer au scrutin.

La Belgique rejoindrait ainsi la vingtaine de pays qui portent la démocratie à son paroxysme en permettant aussi à leurs condamnés à des peines lourdes de participer aux élections depuis la prison.

Nº 3 DE M. COVELIERS ET CONSORTS

Art. 22

Remplacer cet article par ce qui suit:

« Art. 22. — Dans l'article 7, alinéa 1er, du même Code, modifié en dernier lieu par la loi du 21 décembre 1994, le 2º et le 3º sont abrogés. ».

Justification

Voir la justification générale de l'amendement nº 2 des mêmes auteurs.

Le présent amendement fait suite à une observation de la Cour constitutionnelle et supprime une discrimination de la législation belge.

En outre, il n'y a aucune raison de priver du droit de vote ceux qui ont été mis à la disposition du gouvernement; le raisonnement applicable aux personnes condamnées est également valable pour eux.

Hugo COVELIERS.
Yves BUYSSE.
Nele JANSEGERS.

(1) Point II.3.1. du Code de bonne conduite en matière électorale, directives, adopté par la Commission de Venise le 19 octobre 2002.

(2) Points 68 et 71 du Code de bonne conduite en matière électorale, rapport explicatif, adopté par la Commission de Venise le 19 octobre 2002.