4-242/3

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

24 MARS 2009


Proposition de loi relative aux alternatives scientifiques à l'expérimentation animale dans le domaine de la recherche biomédicale et à la création d'un Centre belge de toxicogénomique


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR

M. CLAES


I. INTRODUCTION

La présente proposition de loi a été déposée par M. Mahoux et consorts le 3 octobre 2007.

Elle a été examinée par la commission au cours de ses réunions des 30 avril et 7 mai 2008, 14 janvier, 3 et 17 mars 2009.

Le 3 mars 2009, la commission a entendu le professeur Joseph-Paul Beaufays, sur la toxicogénomique et, de manière générale, les méthodes alternatives à l'expérimentation animale. Son exposé est repris au point IIIB.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. MAHOUX

M. Mahoux rappelle qu'il avait déjà déposé, sous la législature précédente, une proposition de résolution visant à privilégier une expérimentation sur tissus et cellules, plutôt que l'expérimentation animale (doc. Sénat, nº 3-1843/1, 2005-2006). Il s'agissait non seulement de ne plus se servir d'animaux mais aussi de trouver des méthodes d'expérimentation plus fiables. Cette proposition de résolution avait été adoptée à une très large majorité, après avoir été amendée pour intégrer les tests liés à la directive « Reach ».

La proposition de loi poursuit un double objectif. D'une part, elle vise à améliorer la qualité du contrôle de la toxicité des substances utilisées en prévoyant des techniques plus performantes présentant une marge d'erreur moindre et assurant donc une plus grande sécurité. D'autre part, elle tend à rendre les expérimentations animales obsolètes.

La proposition de loi vise en premier lieu à créer un centre de toxicogénomique. Elle prévoit ensuite de réaliser une étude scientifique en vue de déterminer la fiabilité du Programme de toxicologie scientifique en tant que méthode « alternative » ou « substitutive » à l'expérimentation animale dans le domaine de la recherche biomédicale. C'est surtout le financement de cette étude qui est important en vue d'obtenir des données fiables et exploitables.

Le Roi est chargé de déterminer les moyens budgétaires du Centre, ainsi que le budget auquel ils doivent être inscrits. Le Centre établira son règlement d'ordre intérieur qu'il soumettra aux ministres. Il remettra régulièrement un rapport au Parlement.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

A. DISCUSSION

M. Mahoux précise qu'un colloque international sera bientôt organisé sur les perspectives d'alternatives à l'expérimentation animale et d'utilisation de la toxicogénomique comme alternative. Celui-ci pourra constituer une base pour les débats sur la présente proposition de loi.

M. Vankrunkelsven souhaite entendre le point de vue du gouvernement, d'autant que la proposition confère au Roi des habilitations assez importantes.

Mme Onkelinx, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, constate que la proposition de loi s'inscrit dans la même ligne que la résolution adoptée sous la précédente législature (doc. Sénat, nº 3-1843/1, 2005-2006), laquelle demandait au gouvernement d'accorder une attention particulière à la toxicogénomique. La présente proposition de loi va au-delà en proposant au gouvernement la mise sur pied d'un centre d'études qui serait consacré à cette discipline, dans le but précis de promouvoir les méthodes alternatives à l'expérimentation animale.

Comme le ministre de la Santé publique de la précédente législature, la ministre actuelle souhaite diminuer le nombre d'animaux utilisés en laboratoire. C'est pourquoi elle accueille favorablement la proposition, sous réserve de quelques remarques.

Premièrement, la ministre suggère d'élargir les missions confiées au Centre de toxicogénomique pour en faire un véritable centre de référence pour le développement des méthodes alternatives à l'expérimentation animale.

Ensuite, le texte pourrait être complété pour préciser non seulement les missions du Centre, mais aussi sa composition.

Enfin, la ministre fait remarquer que les tests sur animaux pour tester les produits consmétiques, dont les développements de la proposition mentionnent qu'ils sont interdits au Royaume-Uni depuis 1997, le sont aussi en Belgique depuis 2005.

M. Vankrunkelsven demande si les universités ont été contactées et si elles sont intéressées par une collaboration avec le Centre que l'on entend créer.

La ministre répond qu'il n'y a pas encore eu de contacts directs au sujet de la création du Centre. Par contre, elle signale qu'un appel à projets est lancé chaque année, dans le cadre de la recherche contractuelle, pour le développement de méthodes alternatives. L'année dernière, dans la foulée de la résolution, un appel à projets spécifique consacré à la toxicogénomique a été lancé et a reçu trois réponses, émanant d'universités différentes. Cela démontre en tout cas un réel intérêt des universités pour la question.

M. Elsen estime que l'objectif est intéressant, mais qu'il convient de préciser les missions et les acteurs qui pourraient concourir à sa réalisation. La question est aussi de savoir s'il est nécessaire de créer une structure permanente. Il serait peut-être utile de consulter le Centre fédéral d'expertise des soins de santé.

Mme Durant soutient la proposition, qu'elle a d'ailleurs cosignée. Elle souhaite insister sur le deuxième objectif. La préservation de la biodiversité nous oblige à utiliser d'autres méthodes d'expérimentation. La biodiversité est un élément essentiel de l'écosystème et il est donc essentiel d'être respectueux de celui-ci et des êtres vivants qui le composent.

Il importe également de porter cette lutte au niveau européen, la Belgique seule n'étant pas en mesure d'entraîner un changement structurel dans les pratiques existantes. Des normes européennes seraient applicables à tous les pays de l'UE et apporteraient un profond changement. Elle espère que la Belgique pourra jouer un rôle de pionnier dans ce domaine. Une étude sérieuse peut contribuer grandement à la réalisation des objectifs au niveau européen.

M. De Gucht souhaite également réduire et, à terme, abandonner les expérimentations animales. Il émet cependant quelques réserves. Il souligne l'importance de demander l'avis des diverses unités de recherche attachées aux différentes universités belges. En outre, il lui semble essentiel, dans une problématique comme celle-ci, de développer une vision internationale. Il se demande aussi si la recherche scientifique n'est pas une compétence régionale. Pourquoi traiter cette matière au niveau fédéral ? Par ailleurs, ne serait-il pas plus intéressant de soutenir la coopération entre les universités belges et étrangères au lieu de créer un centre distinct dont la valeur ajoutée n'est pas directement évidente ?

M. Brotchi estime que la proposition de loi à l'examen est une excellente initiative. Il convient de recourir le plus souvent possible aux alternatives à l'expérimentation animale. Il n'existe malheureusement pas toujours de solution de remplacement, ce qui n'empêche pas que toutes les méthodes alternatives doivent être soutenues. Faire office de pionnier est certainement une bonne chose, mais si l'on veut aboutir à un résultat, il est nécessaire de mener une concertation aux niveaux international et européen, par exemple en collaborant avec le Centre européen pour la validation de méthodes alternatives (CEVMA).

Mme Durant songe également aux expérimentations en matière de biomimétisme qui peuvent donner lieu à des applications utiles pour la technologie et permettant d'acquérir de nombreuses connaissances sur le corps humain. Cependant, la technique en question dépasse peut-être le cadre de la proposition de loi à l'examen.

M. Claes soutient la proposition de M. Mahoux. Il propose aussi d'organiser des auditions d'experts issus du secteur et de définir avec la plus grande précision la mission et les objectifs du centre belge.

M. Mahoux remercie les membres pour leurs remarques pertinentes. Si le texte de la proposition de loi est assez concis, c'est pour que les objectifs puissent être détaillés dans les modalités d'application en tenant compte de l'ensemble des remarques formulées au Parlement. En ce qui concerne la coopération scientifique, ce n'est pas la première fois que le niveau fédéral prend l'initiative de collaborer avec les communautés et les régions. La proposition de loi prévoit aussi l'établissement d'un rapport scientifique d'activités annuel, lequel permet au législateur, qui a créé le centre, d'exercer un contrôle.

Pour ce qui est des remarques concernant les objectifs, M. Mahoux n'a absolument pas l'intention d'instaurer un ordre d'importance parmi ceux-ci. Il est très sensible à la fiabilité des tests et à la perspective de méthodes alternatives. Si l'on découvre des méthodes alternatives présentant un niveau de fiabilité aussi élevé que les expérimentations animales, il est évident qu'on pourra mettre fin à ces dernières.

Mme Van Ermen partage les réserves de M. De Gucht. Il est tout à fait essentiel d'effectuer des tests sur des tissus humains pour les xénobiotiques, c'est-à-dire les pseudo-oestrogènes présents en grande quantité dans les produits de nettoyage. Elle constate cependant que l'application de la proposition de loi présente des problèmes pragmatiques. À quel niveau fédéral le centre sera-t-il intégré ? Fera-t-il partie du centre du cancer ? Par ailleurs, le fait que les universités de Louvain et de Gand disposent déjà de centres très développés pousse l'intervenante à s'interroger sur l'utilité d'un nouveau centre.

M. Claes remarque que le service des Affaires juridiques, d'Évaluation de la législation et d'Analyse documentaire a épinglé des délégations au Roi trop importantes: pour le statut du Centre, sa composition, le nombre de ses membres, la durée de mandat, mais aussi l'affectation des moyens. Le législateur n'a quasiment plus de contrôle sur la manière concrète dont le Roi exécutera cette loi.

Le sénateur trouve en outre logique de demander au Centre un rapport annuel sur ses activités et ses découvertes de manière à pouvoir contrôler ce qu'il réalise effectivement.

M. Claes demande aussi si des moyens effectifs sont déjà prévus pour le fonctionnement du Centre.

Avant de donner un avis plus détaillé sur le texte actuel, Mme Onkelinx, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, tient à rendre hommage à M. Roland Gillet qui nous a quittés récemment et qui suivait cette réglementation de très près.

Le texte a deux objectifs clairs: la création d'un centre, d'une part, et la réalisation d'une étude scientifique, d'autre part. À l'occasion du dépôt du texte à la fin 2007, la ministre avait déjà annoncé qu'elle lancerait un appel à collaborer à un projet dans le cadre de la recherche contractuelle du SPF Santé publique, dont le but était de développer la recherche d'alternatives à l'expérimentation animale dans le domaine des tests de toxicité, avec l'accent sur la toxicogénomique. Le budget de ce projet est de 400 000 euros. Il est réalisé par le Vlaams Instituut voor Biotechnologie (VIB) et se concentre sur la recherche de profils de toxicité de différentes catégories de substances chimiques sur la base de leur formule moléculaire. Il entend proposer une stratégie de tests in vitro pour une méthode de dépistage qui pourrait être utilisée. Le but est évidemment de pouvoir utiliser des méthodes alternatives en remplacement de l'expérimentation animale.

En ce qui concerne la création d'un centre belge de toxicogénomique, la ministre estime qu'il serait intéressant d'élargir le débat à ce stade de la discussion. L'objectif final à atteindre est la réduction du nombre d'expérimentations animales. L'on pourrait envisager de mettre en place un centre belge de recherche de méthodes alternatives qui pourrait également être un partenaire privilégié du CEVMA dont la mission première est de valider des méthodes alternatives plutôt que de les examiner. Pareil centre pourrait donc compléter adéquatement ce qui existe au niveau international.

L'organisation d'auditions serait certainement bénéfique, et à cet égard la ministre pense en particulier au président de la Plate-forme belge des méthodes alternatives à l'expérimentation animale (BPAM) qui est actuellement la seule structure en Belgique qui s'occupe de cette matière. Cette plate-forme constitue le département scientifique de la Fondation Prince Laurent et n'est pas une organisation officielle. Le professeur Joseph-Paul Beaufays en est son directeur actuel. Les scientifiques qui étudient la toxicogénomique à l'heure actuelle pourraient également apporter une contribution utile.

En ce qui concerne les moyens affectés au Centre, la ministre répond que la proposition devant encore être examinée à la Chambre et son entrée en vigueur prévue dans les 12 mois de sa promulgation, on peut penser que ce sera en 2010. Les moyens budgétaires seront donc examinés dans le cadre des discussions du budget 2010.

M. Mahoux se joint à l'hommage rendu à M. Gillet qui a effectué un travail préparatoire très important dans ce domaine.

Mme Durant se réjouit d'apprendre que des auditions seront organisées. Si le texte est voté sous sa forme actuelle, confiance est faite au Roi pour la définition des modalités d'exécution. Même si les choses restent telles quelles, il importera de pouvoir présenter un rapport expliquant en détail les raisons de ce choix.

Elle propose que le centre à créer soit nommé d'après Roland Gillet.

B. AUDITION

a. Exposé de M. Beaufays, chargé de cours au Département de Sciences, Philosophies et Sociétés, FUNDP

En Belgique, environ 800 000 animaux de laboratoire sont utilisés, dont à peu près 90 % sont des rongeurs. L'évolution des statistiques montre que le nombre des animaux de laboratoire a augmenté régulièrement ces cinq dernières années, ceci indépendamment même de la directive REACH, c'est-à-dire la politique de l'Union européenne dans le domaine chimique qui va probablement avoir un impact énorme. En effet, pour évaluer la toxicité de 30 000 substances, on cite les chiffres de 2 à 13 millions d'animaux de laboratoire qui vont être utilisés en Europe. Dans cinq ans, le nombre d'animaux de laboratoire devrait s'élever à 900 000 et passer la barre symbolique d'1 million dans moins de dix ans, toujours sans prendre en compte l'incidence de la directive REACH.

On ne peut dès lors que se réjouir que les autorités publiques proposent de mettre en œuvre et stimulent des méthodes alternatives. Selon l'Union européenne, une méthode alternative n'est pas rien qu'une méthode in vitro. Elle est basée sur la règle des trois R proposés par Russell et Burch en 1959: « replace, reduce and refine ». En néerlandais, on parle de la règle des trois V: vervanging door alternatieve methodes, vermindering van het aantal proefdieren en verfijning van de testen op de dieren. Cette règle est loin d'être parfaite mais elle fait l'objet d'un consensus.

Il existe de nombreuses familles de méthodes alternatives. L'orateur cite pour exemples les modélisations moléculaires, les tests sur des organismes inférieurs ou des vertébrés au stade embryonnaire (d'après le législateur, il ne s'agit pas dans ce cas de tests sur animaux), ou encore la protéomique et la génomique, technologies les plus prometteuses. Au cœur du débat toxicologique aujourd'hui, se trouve la question de savoir si l'on va travailler sur des animaux ou des alternatives pour évaluer la toxicité.

De manière très simplifiée, on peut dire qu'il existe trois façons de tester des molécules. La première hypothèse consiste à travailler sur des êtres vivants, soit des organismes entiers qui intègrent la complexité du vivant. La deuxième approche consiste à travailler sur des systèmes simples: des cultures de cellules, des protéines, enzymes ou fragments d'ADN. La toxicogénomique peut être placée dans ce contexte. Selon une troisième approche, on étudie de manière théorique les propriétés physico-chimiques des molécules et on parvient même à établir des relations entre la structure et l'activité (QSAR).

Dans ce débat, il est important de situer un processus toxique. En général, il est très facile d'identifier l'événement initial à l'origine d'un problème de toxicologie, de la même façon qu'on peut identifier un processus final. Mais on ne connaît pratiquement rien sur les étapes intermédiaires. C'est précisément l'un des intérêts des méthodes alternatives. Elles permettent d'identifier les mécanismes premiers à l'origine d'une toxicité. Le modèle animal conserve un intérêt car il représente la complexité du vivant.

La toxicogénomique se présente comme une méthode très prometteuse. Les gènes changent de couleur et l'intensité de cette couleur est proportionnelle au nombre de gènes sur-exprimés ou sous-exprimés. C'est une approche relativement simple pour mettre en évidence des événements de toxicité, sans pour autant pouvoir interpréter exactement à quoi correspond une sur- ou une sous-expression d'un gène ou d'un groupe de gènes.

Il est probable que trois familles de méthodes alternatives vont se développer à l'avenir: les cultures cellulaires; les technologies en -omique, telles que la protéomique et la génomique et ses applications, dans lesquelles on s'intéresse à l'ensemble des protéines d'un être vivant ou à l'ensemble de ses gènes; les relations structure-activité, qui ont actuellement la faveur de l'Union européenne. Cette dernière méthode consiste à comparer des familles de molécules chimiques, afin d'identifier des squelettes communs, porteurs d'une activité biologique, toxique ou pharmacologique selon qu'elle est bénéfique ou non.

Comment justifier l'émergence et l'intérêt de la toxicogénomique ? L'orateur cite deux raisons parmi 17 qui ont été identifiées en faveur du développement des méthodes alternatives.

D'abord, nous assistons à une formidable évolution de la méthodologie de la recherche biomédicale. Les grandes tâches du chercheur consistent à classifier les êtres vivants, les observer et, depuis un siècle et demi, procéder à l'expérimentation selon la méthodologie de Claude Bernard. Mais si l'expérimentation garde sa valeur aujourd'hui, ce n'est pas la seule méthodologie intéressante: on peut déjà modéliser le comportement d'un organisme vivant et même aller plus loin en faisant de la simulation. On peut comprendre les êtres vivants sans même devoir les toucher.

Une deuxième évolution a trait au support de la recherche médicale. On peut travailler ex vivo en maintenant en survie des organes un certain temps; in vitro, c'est-à-dire en laboratoire et in numero, in silico, ce qui signifie qu'on peut modéliser à l'aide d'équations mathématiques des réactions biologiques, des processus toxiques. Le terme « silico » fait référence aux puces des ordinateurs car on peut étudier le vivant derrière un écran d'ordinateur sans devoir expérimenter: c'est la cyber-médecine, la bio-informatique, la toxicogénomique.

Aujourd'hui émergent toute une série de nouvelles technologies prometteuses sur fond de nouveaux modèles de pensée, notamment concernant le statut de l'animal. Il y a quelques années, on se basait sur cette dichotomie simple entre l'être humain, caractérisé par sa dignité, et la chose, caractérisée par sa valeur marchande. Cela ne correspond plus du tout à la perception qu'en ont la majorité des citoyens, ni aux progrès de la recherche dans le domaine de l'éthologie et des neurosciences. Un nouveau statut de l'animal se fait jour, celui d'être sensible à tout le moins, et plus fondamentalement se développe une réflexion sur la place de l'être humain par rapport aux êtres vivants et l'apport de l'animal à la recherche biomédicale, sachant qu'on peut se passer d'animaux de laboratoire dans un nombre croissant de cas.

L'orateur précise toutefois que la toxicogénomique n'est pas la panacée. Elle ne remplacera pas toute expérimentation animale. Néanmoins, on ne peut que se réjouir de la proposition de résolution qui va dans le sens de cette méthodologie prometteuse, qui allie la haute technologie avec le souci de l'éthique.

b. Échange de vues

M. Mahoux retient de l'exposé que l'expérimentation animale restera peut-être toujours nécessaire, mais qu'il faut développer au maximum toute méthode permettant de l'éviter. D'une part, certaines méthodes seraient plus probantes en termes de détermination de la non-toxicité; d'autre part, cela permet d'éviter la souffrance animale, même s'il n'est pas possible de quantifier celle-ci autrement qu'à travers des paramètres de réaction.

La génomique est-elle une méthode in vitro ou in vivo ? Et les cultures cellulaires sont-elles toujours de l'in vivo ?

Le professeur Beaufays répond que la génomique est plutôt une méthode in vitro ou in silico puisqu'il n'est plus nécessaire de toucher et manipuler un animal. C'est un plus sur le plan éthique. Les cultures cellulaires peuvent aussi fonctionner in vitro car on peut maintenir les cellules en survie à l'extérieur de l'organisme.

M. Mahoux admet que la culture de cellules se fait en dehors d'êtres vivants, mais il s'agit quand même de tissus vivants.

Le professeur Beaufays précise qu'il s'agit de tissus humains ou animaux vivants, reconstitués, par exemple sur support en PVC ou en milieu liquide. Il ajoute qu'il existe même des cellules immortalisées. Un bel exemple d'alternatives concerne la production d'anticorps monoclonaux. Face à des cellules productrices d'anticorps, d'autres cellules, qui sont cancéreuses, se reproduisent à l'infini. Leur fusion donne des hybridomes, qui vont se reproduire à l'infini, avec une durée de vie très grande, et vont secréter des anticorps. Soit on les injecte dans le ventre de la souris, soit on les fait se reproduire sur des supports en PVC.

M. Mahoux estime qu'une question importante consiste à pouvoir déterminer l'importance qu'on peut continuer à accorder aux réactions systémiques, globales. Les partisans de la génomique et de la culture cellulaire affirment de manière un peu radicale que la problématique systémique, holistique, n'a plus beaucoup d'importance. C'est à la dimension cellulaire qu'on peut détecter la sensibilité la plus importante, avec éventuellement des risques de faux positifs. Or, dans les tests de toxicité, les faux positifs ont pour conséquence l'élimination d'une substance, alors qu'en réalité, in vivo au sens strict, la réaction ne serait pas positive. Quelle importance l'orateur trouve-t-il qu'il faut encore accorder à l'expérimentation sur l'organisme vivant dans son ensemble ?

Le professeur Beaufays déclare qu'on se situe là dans le débat classique « complexité versus réductionnisme ». Les méthodes alternatives telles que la génomique et la protéomique présentent une caractéristique extraordinaire. Autrefois, on s'intéressait à une protéine comme entité en tant que telle. Dans la protéomique, on s'intéresse aux propriétés de l'ensemble des protéines. Ces protéines entre elles ont des propriétés nouvelles, tout comme la forêt est davantage que la somme des arbres qui la composent. À partir du moment où l'on considère comme un nouveau sujet l'ensemble des protéines et leur interaction entre elles, ou l'ensemble des gènes et leur réseau de régulation, on ne peut plus reprocher comme autrefois aux méthodes alternatives d'être des approches réductrices.

L'orateur se dit convaincu que la recherche va prendre deux directions. On va utiliser des animaux de plus en plus instrumentalisés, modifiés génétiquement, vivant dans des bulles stériles, etc. En parallèle, les nouvelles technologies telles que la cytomique, l'interactomique, la métabonomique, la protéomique et la génomique, vont apporter énormément pour la compréhension du vivant en gardant des propriétés d'ensemble.

M. Mahoux aimerait une comparaison des coûts pour les différentes méthodes d'analyse de toxicité, ceci indépendamment de la question des coûts liés à la recherche, la mise au point des méthodes.

Le professeur Beaufays déclare que, comme pour toute nouvelle technologie, il faut distinguer les premières étapes de la mise au point et l'effet d'échelle. Dans un premier temps, pour la génomique, la mise au point de certains tests va coûter relativement cher mais cette étape est quasiment dépassée aujourd'hui. On peut faire des dizaines de milliers d'essais en même temps et le fait de travailler à grande échelle rend les tests beaucoup moins chers. Il faut d'ailleurs privilégier les associations, les réseaux et les collaborations entre universités, laboratoires, écoles de pensée afin de diluer les coûts sur plusieurs équipes.

Il faut savoir aussi que l'expérimentation animale coûte très cher. Non seulement les animaux doivent être achetés à des fournisseurs agréés qui les font payer très cher, mais surtout les coûts indirects sont élevés: installations de l'animalerie high-tech, nourriture, soins vétérinaires, infrastructures ...

Les méthodes de la protéomique ou génomique ont fait d'immenses progrès ces dernières années. Comme pour les ordinateurs, les gsm, etc., le prototype est très onéreux mais le coût diminue très rapidement, de façon presque logarythmique. Une fois les choses envisagées à grande échelle, le coût final est donc moins élevé pour ces nouvelles technologies. Il est certes difficile de généraliser, mais on peut en tout cas affirmer que le coût de ces technologies est en réduction constante.

M. Mahoux remarque qu'à l'issue des tests, il faudra une certification, une sorte de label. Comment envisage-t-on cette certification ?

Le professeur Beaufays envisage deux aspects: d'une part, une sorte de « pré-validation » de la méthode utilisée dans différents centres qui travaillent simultanément. La directive Reach impose de tester 30 000 substances chimiques. Aujourd'hui, on a des dossiers corrects pour quelques centaines de substances, mille au grand maximum. Pour la majorité des substances chimiques, on ignore tout.

Deuxièmement s'est développée une nouvelle façon de penser: l' « evidence based toxicology ». C'est une nouvelle façon d'envisager la toxicologie, qui est soutenue par l'Union européenne.

Mme Lanjri, présidente, revient sur le chiffre cité au début de l'exposé, à savoir 800 000 animaux utilisés en laboratoire. Cependant, ces animaux sont en général utilisés pour plusieurs expérimentations. Dispose-t-on dès lors d'un chiffre concernant le nombre total de tests réalisés sur animaux ?

La sénatrice a eu l'occasion de constater que les entreprises pharmaceutiques cherchent également d'autres méthodes de tests afin de remplacer les expérimentations animales. La proposition de loi à l'examen vise à stimuler cette recherche mais y a-t-il d'autres manières de la soutenir de manière à ce que cela ne doive pas reposer sur les entreprises individuelles qui n'en ont pas toujours la possibilité ?

Le professeur Beaufays répond que la firme Johnson & Johnson est à la pointe en matière de promotion des méthodes alternatives à l'expérimentation animale. La société travaille avec le VITO (Vlaamse Instelling voor Technologisch Onderzoek).

Au niveau européen, outre l'ECVAM (European Centre for the Validation of Alternative Methodes), il existe l'EPAA (European Partnership for Alternative Approaches to animal testing), dont l'objectif est de promouvoir les alternatives, en collaboration avec la Commission européenne et les grandes entreprises (Pfizer, Johnson&Johnson, GlaxoSmithKline, etc.). Cette collaboration vise à encourager l'utilisation des méthodes alternatives dans ces entreprises.

En ce qui concerne le nombre de tests sur animaux, on utilise en général un animal pour une seule expérimentation, mais celle-ci peut comporter par exemple l'inoculation d'une substance à trois reprises. En conséquence, le nombre d'expériences dépasse peut-être le nombre d'animaux de laboratoire mais de peu.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

M. Mahoux dépose un amendement (amendement nº 1, nº 4-242/2) à l'article 2 visant à étendre le champ des compétences du Centre à l'ensemble des méthodes alternatives.

Il ressort en effet de l'audition du professeur Beaufays qu'il serait intéressant de dépasser le champ strict de la toxicogénomique pour étendre les activités du Centre de recherche à d'autres méthodes alternatives.

M. Mahoux dépose un amendement (amendement nº 2, nº 4-242/2) à l'article 5 afin de préciser que le rapport d'activités annuel du Centre contiendra également des données relatives aux autres catégories de méthodes alternatives.

Cet amendement est à lire en corrélation avec l'amendement nº 1 qui étend le champ d'activités du Centre. Il est donc logique que le rapport contienne des données sur l'ensemble des recherches du Centre.

Mme Onkelinx, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, souscrit totalement aux amendements déposés, qui permettront d'étendre le champ d'action du Centre de toxicogénomique.

L'article 1er est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

L'amendement nº 1 et l'article 2 ainsi amendé sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

Les articles 3 et 4 sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

L'amendement nº 2 et l'article 5 ainsi amendé sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

L'article 6 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

V. VOTES

La proposition de loi ainsi amendée est adoptée à l'unanimité des 9 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur Le président
Dirk CLAES. Nahima LANJRI.