4-1224/1

4-1224/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

12 MARS 2009


Proposition de loi modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, en vue d'interdire dans les assurances toute segmentation fondée sur le handicap ou l'état de santé

(Déposée par Mme Helga Stevens et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Dans notre société actuelle, les services d'assurance sont devenus particulièrement importants. Ne pas avoir accès à certaines assurances essentielles ou y avoir accès difficilement — par exemple à des conditions financières quasi inabordables — restreint les possibilités de la personne concernée de s'épanouir pleinement dans la société.

Les personnes handicapées ou les personnes qui ont ou ont eu des problèmes de santé sont souvent confrontées à des restrictions de ce type. Nombreuses sont les personnes qui ont eu un cancer ou une autre maladie à se voir refuser une assurance solde restant dû. Elles sont donc empêchées de facto d'acheter leur propre habitation et de se mettre ainsi financièrement à l'abri pour l'avenir. En effet, une banque n'accordera généralement pas d'emprunt hypothécaire sans qu'une assurance de ce type ne soit conclue. Quand on sait que le fait d'être propriétaire de sa propre habitation est une des formes les plus efficaces de protection contre la pauvreté, on comprend d'emblée qu'un grand nombre de patients chroniques ou d'anciens patients chroniques sont condamnés à l'insécurité financière.

De même, nombre de personnes handicapées, de patients chroniques, ou d'anciens patients chroniques ne peuvent souscrire à une assurance hospitalisation ou à une assurance soins de santé qu'à la condition que les coûts liés au handicap ou à la maladie chronique soient exclus de la police. La manière dont les assureurs interprètent les coûts liés ou non au handicap ou à la maladie chronique en question s'avère souvent défavorable pour les assurés concernés. Dans bien des cas, cette assurance leur est tout simplement refusée: quatre personnes malades ou invalides sur dix ne disposent pas d'une telle assurance. Ce chiffre est inquiétant, puisque le plan flamand de lutte contre la pauvreté 2005-2009 reconnaît explicitement que le fait de disposer d'une assurance soins de santé complémentaire est le meilleur moyen d'éviter de sombrer dans la pauvreté.

Les familles dont l'un des membres, qu'il s'agisse d'un adulte ou d'un enfant, est handicapé mental rencontrent souvent des difficultés à conclure une assurance familiale. Les compagnies d'assurance refusent souvent la demande d'assurance, ou résilient la police existante, en raison du risque accru qu'est supposée représenter une personne handicapée. Par la force des choses, ces familles restent ainsi privées d'une assurance responsabilité civile que les assureurs qualifient eux-mêmes, à juste titre, d'indispensable.

En ce qui concerne l'assurance obligatoire contre les accidents du travail, pour citer un dernier exemple, un employeur ne sera guère enclin à engager une personne handicapée. En règle générale, l'employeur craint en effet — malheureusement à juste titre — de devoir payer une surprime considérable parce que la compagnie d'assurances considère qu'employer une personne handicapée comporte un risque accru. Le coût supplémentaire engendré par la surprime ainsi que le surcroît de tracasseries administratives sont certainement des éléments qui dissuadent l'employeur d'engager des personnes handicapées.

À l'origine, les services d'assurances ont été créés parce que l'on voulait se prémunir contre les aléas de la vie. Des groupes de personnes convenaient entre elles de verser des cotisations à un grand pot commun. Lorsqu'un adhérent était frappé par le destin d'une manière ou d'une autre, celui-ci, ou ses descendants, pouvai(en)t alors obtenir une compensation financière prélevée sur le pot commun. Par la suite, des entreprises se sont mises à proposer ce genre de mécanismes de solidarité au public.

Les sociétés commerciales qui proposaient ces assurances ont ensuite développé une dynamique propre. Un des éléments de cette dynamique consistait pour les compagnies d'assurance à répartir les assurés en catégories sur la base du risque qu'ils représentaient pour elles. Les assurés représentant un risque moindre payaient une prime moins élevée. Jusqu'à présent, les assureurs continuent à vouloir justifier ces mécanismes de segmentation en arguant qu'il est de leur devoir de fixer une prime aussi équitable que possible pour chaque assuré individuellement.

Il est frappant à cet égard que l'instauration et l'application des critères de segmentation ne tiennent généralement pas compte du fait que les individus ont une prise plus ou moins grande sur certains critères et aucune prise sur d'autres. Si quelqu'un choisit une voiture de luxe rapide et qu'il ou elle paie pour son assurance auto une prime plus élevée que le propriétaire d'une petite voiture familiale, cela ne choque personne. Mais le fait qu'une personne atteinte de surdité doive payer une prime plus élevée est une question d'un tout autre ordre. Le cas d'un patient qui est ou a été atteint d'un cancer et qui ne parvient pas obtenir une assurance solde restant dû est également d'un autre ordre. Il en va de même pour le patient chronique qui, s'il veut souscrire une assurance soins de santé complémentaire, devra payer le prix fort pour un contrat dont les conditions de couverture sont en outre complément vidées de leur substance.

Souffrir d'un handicap ou d'un problème de santé n'est normalement jamais le résultat d'un choix raisonné. On ne choisit pas d'avoir un handicap ou un problème de santé. Contraindre les personnes handicapées ou souffrant d'un problème de santé à payer des primes d'assurance beaucoup plus élevées, leur refuser certaines assurances ou ne leur accorder que des conditions de couverture lamentables revient à les sanctionner pour un état qu'elles n'ont pas choisi.

Il convient de signaler à cet égard que certains handicaps ou affections peuvent éventuellement résulter, partiellement ou non, d'un mode de vie bien précis. Nous pensons, par exemple, au fumeur invétéré qui s'expose au cancer du poumon ou à la personne qui pratique un sport extrême. Les auteurs de la présente proposition de loi considèrent qu'il est permis d'utiliser en pareil cas des critères relatifs au mode de vie actuel du candidat preneur d'assurance dans le cadre de la segmentation et de la fixation de la prime pour un certain nombre d'assurances. Le candidat preneur d'assurance qui fume et qui choisit de continuer à fumer se verra donc contraint de payer une surprime.

La portée générale de la présente proposition de loi est que les assureurs ne peuvent en principe pas utiliser le handicap ou l'état de santé comme critère d'acceptation, comme critère de calcul de la prime ou comme critère régissant les conditions de couverture. Pour les auteurs de la présente proposition de loi, le principe de solidarité entre les personnes en bonne santé et les personnes handicapées ou malades l'emporte sur le principe d'une assurance liée aux caractéristiques personnelles sur le plan du handicap ou de l'état de santé, dès lors qu'elles ne résultent pas d'un choix du candidat preneur d'assurance individuel.

La loi de 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination dispose, en son article 7, que toute distinction directe fondée sur un handicap ou un état de santé constitue une discrimination directe, à moins que cette distinction directe ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires. Jusqu'à présent, les assureurs ont toujours considéré qu'une segmentation fondée sur un handicap et sur l'état de santé est à rapprocher d'un tel but légitime et ne constitue donc pas une discrimination. Le but en question que les assureurs considèrent comme légitime est de proposer une prime aussi équitable que possible à chaque assuré individuel. Les compagnies d'assurance estiment, par exemple, qu'une personne ne souffrant d'aucun handicap n'a pas à payer pour le risque plus élevé que représente, à leurs yeux, une personne handicapée.

Selon les auteurs de la présente proposition de loi, une vision aussi étroite de la solidarité entre personnes ou entre assurés n'est plus admissible dans une société moderne basée sur les valeurs humanistes. C'est pourquoi une initiative législative s'impose pour mettre fin à l'application de primes plus élevées aux personnes atteintes d'un handicap ou d'une maladie et ce, au nom de l'équité. Il est dès lors indiqué d'insérer dans la loi antidiscrimination précitée une disposition prévoyant explicitement que dans le domaine des assurances, toute segmentation fondée sur un handicap ou sur l'état de santé constitue une discrimination et est de ce fait prohibée.

L'on pourra évidemment toujours être confronté à des situations exceptionnelles dans lesquelles la conclusion d'une assurance moyennant une prime normale et à des conditions de couverture normales pourra sembler une absurdité. Quid, par exemple, d'un malade en phase terminale selon les médecins, mais qui souhaiterait encore conclure une assurance décès ? La présente proposition de loi prévoit qu'en pareil cas, l'assureur doit soumettre la demande d'assurance à une « Commission des demandes d'assurance particulières », à créer. Celle-ci décidera alors s'il est équitable ou non que le candidat preneur d'assurance ait accès — aux conditions normales ou non — à l'assurance en question.

Enfin, la proposition de loi prévoit — notamment pour soutenir cette première commission — la création d'une seconde commission, dénommée « Commission d'examen », chargée, par le biais d'études et de collectes de données, de fournir systématiquement à la « Commission des demandes d'assurance particulières » ainsi qu'au secteur des assurances et aux organisations de défense des patients et des consommateurs des données scientifiques actualisées sur l'évaluation des risques dans la pratique des assurances.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er

Cet article détermine la base constitutionnelle de la proposition de loi.

Article 2

Cet article insère dans l'énumération de l'article 4 de la loi du 10 mai 2007 une définition de la notion de « risque exceptionnel » (en raison d'un handicap ou de l'état de santé).

Article 3

Aux termes de l'article 7 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, le fait d'établir une distinction directe fondée sur l'un des critères protégés par la loi constitue une discrimination directe, à moins que cette distinction directe ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires. Jusqu'à présent, les assureurs ont toujours considéré la segmentation basée sur les critères du handicap et de l'état de santé comme un moyen d'atteindre un tel but légitime, à savoir la fixation d'une prime équitable, selon eux, pour le preneur d'assurance individuel.

Les articles supplémentaires 7/1 à 7/3 proposés par la proposition de loi à l'examen instaurent une dérogation à ce raisonnement en prévoyant que, dans le secteur des assurances privées, la segmentation fondée sur un handicap et sur l'état de santé constitue bel et bien une discrimination et est par conséquent prohibée. L'insertion de ces articles vise à empêcher, à l'avenir, d'établir un lien entre le caractère équitable de la prime, d'une part, et l'état de santé du preneur d'assurance ou le fait que celui-ci ait ou non un handicap, d'autre part. Le handicap et l'état de santé sont en principe exclus des critères sur lesquels un assureur peut se baser pour juger du caractère équitable ou non d'une prime.

Toutefois, l'assureur qui estime être confronté à une demande d'assurance comportant un risque exceptionnel doit la soumettre à une « Commission des demandes d'assurance particulières », à créer. Celle-ci décidera alors si l'assureur doit faire droit à la demande et, dans l'affirmative, si cela doit se faire aux conditions habituelles. La commission doit traiter toutes les demandes dans les deux mois, afin que le candidat preneur d'assurance puisse être clairement informé de sa situation dans un délai raisonnable. La Commission des demandes d'assurance particulières est composée paritairement de représentants du secteur des assurances, d'une part, et de représentants des organisations de défense des consommateurs, des patients et des personnes handicapées, d'autre part, afin de garantir un examen objectif et équilibré des demandes d'assurance qui lui sont soumises. Le président de la commission est désigné par les représentants des organisations de défense des consommateurs, des patients et des personnes handicapées en leur sein (1) . Les ministres ayant respectivement les assurances et les affaires sociales dans leurs attributions arrêteront les modalités concrètes de la création et du fonctionnement de la commission par voie d'arrêté royal.

Une « Commission d'examen » est en outre créée afin de venir en appui de la « Commission des demandes d'assurance particulières » dans l'exercice de ses missions. Cette commission d'examen doit, par le biais de collectes de données et d'études, fournir des données scientifiques actualisées pouvant être utiles pour l'évaluation des risques dans la pratique des assurances. La commission est composée paritairement, d'une part, d'experts désignés par les représentants du secteur des assurances qui siègent à la « Commission des demandes d'assurance particulières » et, d'autre part, d'experts désignés par les représentants des organisations de défense des consommateurs, des patients et des personnes handicapées qui siègent à la « Commission des demandes d'assurance particulières ». La parité vise à garantir l'indépendance et l'objectivité du fonctionnement de la commission d'examen. Afin que l'équilibre soit garanti (cf. la présidence de la « Commission des demandes d'assurance particulières »), la présidence de cette commission est confiée à l'un des experts désignés par le secteur des assurances. Les ministres ayant respectivement les assurances et les affaires sociales dans leurs attributions arrêteront les modalités concrètes de la création et du fonctionnement de la commission par voie d'arrêté royal.

Article 4

Cet article prévoit que la loi entre en vigueur le jour suivant celui de la publication des arrêtés royaux auxquels font référence les articles 7/2 et 7/3 proposés, ou — si ces arrêtés n'ont pas été publiés dans les six mois de la publication de la loi proposée — au plus tard six mois après la publication de la loi au Moniteur belge.

Helga STEVENS.
Wouter BEKE.
Jean-Paul PROCUREUR.
Vera DUA.
Lieve VAN ERMEN.
Geert LAMBERT.
Louis IDE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 4 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination est complété par un 18º rédigé comme suit:

« 18º risque exceptionnel: un risque dû à un handicap ou à un état de santé que l'assureur considère comme très exceptionnel et comme non assurable aux conditions normales. De plus, un risque exceptionnel ne peut être invoqué que si l'assureur motive cette décision sur la base de critères objectifs à l'égard du candidat preneur d'assurance et devant la « Commission des demandes d'assurance particulières » et si cette commission reconnaît le risque en question comme tel.

Art. 3

Les articles 7/1 à 7/3, rédigés comme suit, sont insérés dans la même loi:

« Art. 7/1. — Par dérogation à l'article 7 et sans préjudice des autres dispositions du présent titre, une distinction directe sur la base d'un handicap ou de l'état de santé ne peut être justifiée dans le domaine des assurances que si le handicap ou l'état de santé représente un risque exceptionnel.

Si l'assureur considère qu'un handicap ou un état de santé représente un risque exceptionnel, il doit soumettre la demande d'assurance, au plus tard deux semaines après son dépôt par le candidat preneur d'assurance, à la Commission des demandes d'assurance particulières visée à l'article 7/2.

La Commission des demandes d'assurance particulières décide dans un délai de deux mois à compter du dépôt de la demande d'assurance par le candidat assuré si l'assureur doit ou non y donner suite et ce, moyennant la prime et les conditions d'usage ou non.

Pour les assurances solde restant dû, la Commission des demandes d'assurance particulières peut autoriser une surprime ne pouvant excéder 1,5 % du taux effectif global du prêt concerné.

Pour les autres types d'assurance, la Commission des demandes d'assurance particulières peut autoriser des surprimes dont les plafonds sont fixés par le Roi sur proposition des ministres ayant les assurances et les affaires sociales dans leurs attributions et après avis de ladite commission.

Art. 7/2. — Il crée une Commission des demandes d'assurance particulières.

La Commission des demandes d'assurance particulières est composée paritairement de représentants du secteur des assurances, d'une part, et des organisations de consommateurs, de patients et de personnes handicapées, d'autre part. Le président de la commission est désigné par les représentants des organisations de consommateurs, de patients et de personnes handicapées.

Les modalités relatives à la création et au fonctionnement de la Commission de demandes d'assurance particulières sont fixées par le Roi, sur proposition des ministres ayant les assurances et les affaires sociales dans leurs attributions.

L'arrêté royal portant création de la Commission des demandes d'assurance particulières sera publié au plus tard six mois après la publication de la présente loi au Moniteur belge.

Art. 7/3. — Il est créé une Commission d'examen.

La Commission d'examen est composée paritairement, d'une part, d'experts désignés par les représentants du secteur des assurances au sein de la Commission des demandes d'assurance particulières et, d'autre part, d'experts désignés par les représentants des organisations de consommateurs, de patients et de personnes handicapées au sein la dite commission. Les experts désignés par les représentants du secteur des assurances désignent le président de la commission.

La Commission d'examen a pour mission de réunir les données scientifiques utiles pour l'évaluation des risques dans la pratique des assurances. Ces données serviront à étayer les travaux de la Commission des demandes d'assurance particulières et à informer le secteur des assurances et les organisations de patients et de consommateurs.

Les modalités relatives à la création et au fonctionnement de la Commission d'examen sont fixées par le Roi, sur proposition des ministres ayant les assurances et les affaires sociales dans leurs attributions.

L'arrêté royal portant création de la Commission des demandes d'assurance particulières sera publié au plus tard six mois après la publication de la présente loi au Moniteur belge.

Art. 4

La présente loi entre en vigueur le lendemain de la publication des arrêtés royaux mentionnés dans les articles 7/2 et 7/3 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, et au plus tard six mois après sa date de publication au Moniteur belge.

19 février 2009.

Helga STEVENS.
Wouter BEKE.
Jean-Paul PROCUREUR.
Vera DUA.
Lieve VAN ERMEN.
Geert LAMBERT.
Louis IDE.

(1) La présidence de la « Commission d'examen » est confiée à l'un des membres désignés par le secteur des assurances.