4-1180/1

4-1180/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

12 FÉVRIER 2009


Proposition de loi spéciale modifiant l'article 32, § 1erter, de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, concernant la prévention et le règlement des conflits d'intérêts

(Déposée par MM. Joris Van Hauthem et Hugo Coveliers)


DÉVELOPPEMENTS


En vue de prévenir et de régler les conflits entre les différentes assemblées que compte notre État fédéral, le législateur belge a élaboré notamment un régime qui permet de prévenir les conflits d'intérêts ou de les trancher s'il en naît malgré tout.

Les principes fondamentaux de ce régime sont formulés à l'actuel article 143 de la Constitution coordonnée. Les modalités pratiques sont, quant à elles, décrites dans les articles 32 à 33bis de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles.

La volonté du Constituant et du législateur n'était certainement pas que les conflits d'intérêts aient pour effet d'entraver et encore moins d'empêcher le travail législatif ou décrétal des assemblées. Le législateur a donc fixé une procédure et des délais dans lesquels le conflit d'intérêts doit être réglé.

En dépit de ces précautions, force est de constater que les règles de règlement des conflits d'intérêts sont perfectibles. Il s'ensuit que, dans la pratique, les conflits d'intérêts sont utilisés de manière abusive comme instrument pour entraver, voire empêcher carrément, le travail législatif ou décrétal des assemblées. Cela se produit notamment lorsque l'on crée un carrousel de conflit d'intérêts sur un même projet ou une même proposition, dont l'examen peut ainsi être suspendu pendant plusieurs années, ce qui condamne parfois le projet ou la proposition en question à rester lettre morte.

Deux exemples à titre d'illustration: d'une part, le carrousel mis en marche à propos des propositions de loi sur la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde à l'examen à la Chambre des représentants et, d'autre part, le même carrousel lancé contre la proposition de décret relatif à l'inspection de l'enseignement dans les écoles francophones des communes flamandes à facilités, laquelle est examinée actuellement au Parlement flamand. Ces deux carrousels sont toujours en cours actuellement.

Bruxelles-Hal-Vilvorde

Le 7 novembre 2007, la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre a voté deux propositions de loi visant l'une et l'autre à scinder la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Le 9 novembre 2007, le Parlement de la Communauté française a adopté une proposition de motion dans laquelle cette assemblée déclare que ses intérêts sont gravement lésés par le vote desdites propositions. Dans sa motion, le Parlement de la Communauté française demande la suspension au Parlement fédéral, aux fins de concertation, de la procédure relative auxdites propositions de loi. Le conflit d'intérêts est ainsi devenu un fait.

La demande adressée par le Parlement de la Communauté française n'a toutefois pas suspendu immédiatement la procédure législative des propositions de loi en question. En effet, la suspension en vue du règlement d'un conflit d'intérêts ne prend cours qu'après le dépôt du rapport de commission sur le texte litigieux ou, à défaut de rapport, avant le vote final en séance plénière. Comme la demande du Parlement de la Communauté française a été notifiée avant le dépôt du rapport de commission, elle est restée provisoirement sans effet. Le rapport de la commission de la Chambre a été distribué le 5 décembre 2007. Ce jour-là, la procédure législative des deux propositions de loi a été suspendue pendant une durée de 60 jours aux fins de concertation. L'article 103 du règlement de la Chambre prévoit que c'est la commission saisie de la proposition de loi litigieuse qui émet un avis sur le conflit d'intérêts. La commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre a émis son avis le 19 décembre 2007.

La concertation entre la délégation de la Chambre et celle du Parlement de la Communauté française n'a pas abouti à une solution le 29 janvier 2008. La séance plénière de la Chambre en a été informée le 31 janvier 2008, celle du Parlement de la Communauté française le 12 février 2008. Par lettre du 4 février 2008, le président de la Chambre des représentants a notifié au Sénat que la concertation n'avait pas abouti à une solution et que le Sénat était dès lors saisi du conflit d'intérêts, à charge pour la Haute Assemblée de rendre un avis motivé au Comité de concertation dans les trente jours.

Le délai de trente jours dans lequel le Sénat doit émettre un avis motivé a pris cours le 5 février 2008, mais ce délai a été prolongé jusqu'au 12 mars 2008 en raison du congé de carnaval. C'est seulement au cours de sa séance plénière du 19 mars 2008 que le Sénat a formulé un avis destiné au Comité de concertation, lequel avis ne fut cependant communiqué au premier ministre que le 1er avril.

Le conflit d'intérêts fut ensuite examiné le 23 avril 2008 au cours d'une réunion du Comité de concertation. La procédure relative au conflit d'intérêts soulevé par le Parlement de la Communauté française s'est terminée le 8 mai 2008, date à laquelle le premier ministre a transmis la décision du Comité de concertation.

Le carrousel a entamé sa deuxième phase le 9 mai 2008, date à laquelle l'Assemblée de la Commission communautaire française a adopté une proposition de motion dans laquelle cette assemblée déclare que ses intérêts sont gravement lésés par le vote des propositions de loi précitées en commission de la Chambre. La commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre a émis son avis le 3 juin 2008. La concertation entre la délégation de la Chambre et celle de l'Assemblée de la Commission communautaire française n'a pas abouti à une solution le 18 juin 2008. Par courrier du 7 juillet 2008, le président de la Chambre des représentants en a informé le Sénat qui s'est ainsi retrouvé saisi du conflit d'intérêts, à charge pour la Haute Assemblée de rendre un avis motivé au Comité de concertation dans les trente jours. Le délai de trente jours dans lequel le Sénat doit émettre un avis motivé a pris cours le 8 juillet 2008.

Conformément aux délais fixés par la Commission parlementaire de concertation, le Bureau du Sénat a décidé le 17 juillet 2008 que le délai dont dispose le Sénat pour rendre un avis était suspendu pendant les vacances d'été, c'est-à-dire du samedi 19 juillet 2008 au dimanche 12 octobre 2008 inclus. Compte tenu du fait que la Commission parlementaire de concertation a également considéré le congé de Toussaint comme une période de vacances au cours de laquelle les délais visés aux articles 78 à 81 de la Constitution étaient suspendus, la commission a décidé que le délai d'avis pour l'examen du conflit d'intérêts était à nouveau suspendu du samedi 25 octobre 2008 au dimanche 2 novembre 2008 inclus. Par suite de ces décisions, le délai d'avis n'expirait donc que le dimanche 9 novembre 2008. Il a fallu attendre jusqu'au 20 novembre 2008 pour que l'assemblée plénière du Sénat formule un avis pour le Comité de concertation.

Au cours de sa réunion du 16 janvier 2009, le Comité de concertation a pris acte de l'avis exprimé par le Sénat et de la déclaration du gouvernement fédéral. C'est ainsi que prit fin la deuxième phase du carrousel. Entre-temps, il s'était écoulé un an et deux mois depuis le vote en commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre.

Depuis lors, la troisième phase du carrousel a été lancée par le Parlement wallon qui, lors de sa séance du 14 janvier 2009, a soulevé à son tour un conflit d'intérêts relatif aux propositions de loi litigieuses.

Décret flamand relatif à l'enseignement dans les communes à facilités

Le second exemple concerne la politique d'obstruction que pratiquent plusieurs assemblées à l'encontre d'une proposition de décret qui était à l'examen au Parlement flamand et qui concerne l'inspection de l'enseignement dans les écoles fondamentales flamandes des communes à facilités flamandes.

Le 13 décembre 2007, la commission de l'Enseignement, de la Formation, des Sciences et de l'Innovation du Parlement flamand a voté une proposition amendée de décret portant interprétation des articles 44, 44bis et 62, § 1er, 7º, 9º et 10º du décret du 25 février 1997 relatif à l'enseignement fondamental. Le Parlement de la Communauté française a adopté le même jour une motion en conflit d'intérêts faisant suite à la proposition de décret en question. Une commission mixte de concertation entre le Parlement flamand et le Parlement de la Communauté française s'est tenue le 11 février 2008, mais sans parvenir à un accord, et elle a renvoyé le conflit d'intérêts au Sénat. Tant le Sénat (le 15 mai 2008) que le Comité de concertation (le 11 juin 2008) ont cependant dû constater, eux aussi, l'absence de consensus sur une proposition de solution, ce qui mit un terme à la procédure relative au conflit d'intérêts soulevé par le Parlement de la Communauté française. Dans l'intervalle, six mois s'étaient déjà écoulés.

Le 17 juin 2008, l'Assemblée de la Commission communautaire française a voté à son tour une motion en conflit d'intérêts faisant suite à la proposition de décret contestée, et a ainsi actionné le second tour de carrousel. Le 8 juillet 2008, une concertation s'est tenue à ce sujet entre le Parlement flamand et l'Assemblée de la Commission communautaire française. Par lettre du 16 septembre 2008, reçue le 18 septembre 2008, le président du Parlement flamand a fait savoir au président du Sénat que la concertation n'avait pas abouti et que le Sénat était dès lors saisi du conflit d'intérêts, à charge pour la Haute Assemblée de rendre dans les trente jours un avis motivé au Comité de concertation. Le délai de trente jours dans lequel le Sénat doit rendre un avis motivé a pris cours le 19 septembre 2008.

Le 17 juillet 2008, le Bureau du Sénat a décidé que le délai dont dispose le Sénat pour rendre un avis était suspendu, conformément aux délais fixés par la Commission parlementaire de concertation. Le délai dans lequel le Sénat devait rendre un avis a donc été suspendu du 19 septembre 2008 au 12 octobre 2008. Compte tenu du fait que la Commission parlementaire de concertation a également considéré le congé de Toussaint comme une période de vacances durant laquelle les délais visés aux articles 78 et 81 de la Constitution sont suspendus, la commission a décidé que le délai d'avis pour l'examen du conflit d'intérêts était à nouveau suspendu du 25 octobre 2008 au 2 novembre 2008. Par suite de cette décision, le délai d'avis expirait donc le 21 novembre 2008. Le Sénat n'a cependant pas pu rendre d'avis motivé au Comité de concertation et a dès lors clôturé en ce sens le dossier pour ce qui le concerne, lors de sa séance plénière du 4 décembre 2008.

Lors de sa réunion du 16 janvier 2009, le Comité de concertation a examiné à son tour le conflit d'intérêts, mais a constaté l'absence de consensus, ce qui mit un terme à la procédure relative au conflit d'intérêts soulevé par la Commission communautaire française. Il aura donc fallu un an et un mois pour achever ce second tour de carrousel, depuis l'examen de cette proposition de décret par la commission de l'Enseignement du Parlement flamand.

Entre-temps, lors de sa séance plénière du 14 janvier 2009, le Parlement wallon avait déjà actionné le troisième tour de carrousel en soulevant à son tour un conflit d'intérêts contre cette proposition de décret. Étant donné que des élections régionales auront lieu le 7 juin 2009, il faut d'ores et déjà s'attendre à ce que ce nouveau conflit d'intérêts empêche le vote de cette proposition de décret du Parlement flamand, qui finira dès lors par être frappée de caducité.

Disposition anti-abus

Comme expliqué plus haut, l'objectif du Constituant ou du législateur n'était pas d'offrir aux assemblées la possibilité de recourir à de tels carrousels pour retarder longuement, voire rendre carrément impossible le travail législatif ou décrétal d'une autre assemblée. Il est incompréhensible qu'une assemblée parlementaire mette plus de deux ans, à compter du vote d'une proposition de loi ou de décret par la commission compétente, pour arriver à la conclusion que ses intérêts sont lésés. Une telle manière de procéder n'a plus rien de sérieux.

La présente proposition de loi spéciale a donc pour objectif de lutter contre le recours abusif à la procédure du conflit d'intérêts. À cette fin, il est précisé à l'article 32, § 1erter de la loi ordinaire du 9 août 1980 que le conflit d'intérêts ne peut être soulevé que dans les trente jours du dépôt du rapport et, bien entendu, avant le vote final. Pour le reste, la procédure et les délais fixés aux articles 32 et 33 pour l'examen d'un conflit d'intérêts restent inchangés.

Joris VAN HAUTHEM.
Hugo COVELIERS.

PROPOSITION DE LOI SPÉCIALE


Article 1er

La présente loi spéciale règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

L'article 32, § 1erter de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, inséré par la loi du 7 mai 1999 et modifié par la loi spéciale du 23 juin 2006, est complété par un alinéa 3, rédigé comme suit:

« La demande de suspension de la procédure visée à l'article 1erbis devra en tout cas être introduite dans les trente jours du dépôt du rapport et, en tout état de cause, avant le vote final. ».

Art. 3

La présente loi spéciale entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

6 février 2009.

Joris VAN HAUTHEM.
Hugo COVELIERS.