4-1148/1

4-1148/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

11 FÉVRIER 2009


Proposition d'une Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation


AVIS À LA COMMISSION EUROPÉENNE


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR

MM. CLAES ET BROTCHI


I. INTRODUCTION

Le 29 octobre 2007, le président de la délégation du Sénat du Comité d'avis fédéral chargé des questions européennes a transmis à la commission des Affaires sociales une « Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation » (voir annexe au présent rapport).

Il s'agit en l'espèce d'un document réglementaire qui s'inscrit dans le cadre des dispositions prévues dans le projet de « Traité de Lisbonne » concernant le contrôle de la subsidiarité, et qui relève des documents pour lesquels la Commission européenne a formulé la demande formelle, confirmée par le Conseil européen des 15 et 16 juin 2006, que lui soient communiquées, dans un délai raisonnable, les observations éventuelles à propos de la teneur du document.

La commission des Affaires sociales a mis ce point à l'ordre du jour de sa réunion du 14 janvier 2009 en vue de contrôler la procédure de subsidiarité et de proportionnalité. La commission est arrivée à la conclusion, à l'unanimité des 12 voix exprimées, que la proposition de directive respectait les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

La commission a également décidé, à nouveau à l'unanimité des 12 voix exprimées, d'émettre un avis sur le fond à propos de ladite proposition de directive à l'attention de la Commission européenne. À cet effet, la commission a organisé, le 28 janvier 2009, l'audition des personnes suivantes:

— le professeur Xavier Rogiers, Chef de service du Centre de Transplantation, unité de Chirurgie, Universiteit Gent;

— la professeur Kristel Vandenbosch, service de Pédiatrie du Centre hospitalier universitaire de Liège;

— le professeur Yves Vanrenterghem, département Pathophysiologie, service Néphrologie, UZ Leuven;

— la professeur Martine Antoine, service de Chirurgie cardiaque, Hôpital Erasme.

Le compte rendu de ces auditions figure au chapitre III du présent rapport.

Les deux rapporteurs, les sénateurs Claes et Brotchi, ont ensuite élaboré, sur la base des renseignements et points de vue ainsi récoltés, une proposition d'avis — voyez le chapitre IV — que la commission des Affaires sociales a examinée lors de sa réunion du 11 février 2009. Plusieurs membres de la commission ont alors émis des observations et suggestions en vue d'améliorer le texte de cette proposition d'avis. Après discussion, la commission des Affaires sociales a finalement approuvé, le 11 février 2009, son avis adressé à la Commission européenne. Le texte de l'avis, tel qu'il a été approuvé par la commission, est reproduit dans le document nº 4-1148/2.

II. PORTÉE DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

La proposition de directive établit des règles visant à assurer des normes élevées de qualité et de sécurité des organes d'origine humaine destinés à être transplantés dans le corps humain, afin de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine.

La proposition de directive s'applique au don, à l'obtention, au contrôle, à la caractérisation, à la conservation, au transport et à la transplantation d'organes d'origine humaine destinés à la transplantation.

Les États membres veillent à l'établissement d'un programme national de qualité couvrant toutes les étapes de la chaîne qui va du don à la transplantation ou à l'élimination et destiné à garantir le respect des règles définies dans la directive.

Les États membres doivent veiller à ce que l'obtention ait lieu dans des organismes d'obtention respectant les règles établies dans la directive. L'on entend par organismes d'obtention: un établissement de soins de santé, une équipe ou un service hospitalier ou un autre organisme autorisé par l'autorité compétente à procéder à l'obtention d'organes humains.

Les activités médicales, comme la sélection des donneurs, doivent être réalisées conformément aux recommandations et sous la supervision d'un médecin au sens de la directive européenne 2005/36/CE.

Le transport d'organes est également soumis à des règles strictes afin de garantir l'intégrité de l'organe au cours du transport et de réduire au maximum la durée du transport.

Les transplantations ont lieu dans des centres de transplantation qui doivent respecter les règles établies dans la directive européenne.

La proposition de directive donne également des précisions quant à la traçabilité, qui est très importante dans le cadre du don d'organes. Les États membres veillent à ce que tous les organes obtenus et attribués sur leur territoire fassent l'objet d'une traçabilité du donneur au receveur et inversement, de manière à protéger la santé des donneurs et des receveurs. À cet égard, il convient de mettre en œuvre un système d'identification permettant d'identifier chaque don et chacun des organes qui lui sont associés.

Les États membres veillent à l'existence d'un système de notification permettant de signaler, d'examiner, d'enregistrer et de transmettre les informations pertinentes nécessaires concernant les incidents et les réactions indésirables graves susceptibles d'influer sur la qualité et la sécurité des organes humains qui pourraient être imputés à l'obtention, au contrôle ou au transport des organes, ainsi que toute réaction indésirable grave observée pendant ou après la transplantation qui pourrait être reliée à ces activités

Les principes fondamentaux régissant le don d'organes sont aussi expressément avancés. Les dons d'organes humains sont volontaires et non rémunérés; l'obtention des organes s'effectue sur une base non lucrative.

L'obtention ne peut avoir lieu que si toutes les exigences en vigueur en matière de consentement ou d'autorisation ont été remplies.

La proposition de directive préconise des mesures destinées à protéger les donneurs vivants, les données à caractère personnel, la confidentialité, la sécurité de traitement ainsi que l'anonymat des donneurs et des receveurs.

III. AUDITION

A. Exposés

a) Exposé du professeur Xavier Rogiers, Chef de service du Centre de Transplantation, unité de Chirurgie, Universiteit Gent

Pour son exposé, le professeur Rogiers s'est appuyé essentiellement sur des exemples relatifs aux transplantations hépatiques, étant donné qu'il s'agit de sa spécialité.

Globalement, les choses ont évolué de manière très positive dans le domaine des transplantations. Le registre européen de transplantation hépatique contient les données relatives à plus de 50 000 transplantations hépatiques, provenant de l'ensemble des centres européens, lesquels sont soumis à des audits. Le registre européen est l'un des meilleurs registres au monde en matière de transplantations.

Mais, pour tous les organes, un même problème se pose: le nombre de patients inscrits sur la liste d'attente a fait un tel bond en avant que les organes disponibles ne suffisent plus, ce qui entraîne une certaine mortalité et morbidité parmi ces patients. À l'heure actuelle, nous nous rapprochons progressivement du point où le risque de décès d'un patient malade est plus élevé avant qu'après la transplantation. Le professeur Rogiers souligne qu'il ne faut pas se focaliser uniquement sur la mortalité des patients inscrits sur la liste d'attente, mais qu'il faut être tout aussi attentif à la maladie et aux coûts qu'elle entraîne en raison du long délai d'attente, ce qui a des conséquences avant et après la transplantation. En outre, les médecins procèdent déjà à une certaine sélection des patients pour le simple motif que tous ne peuvent pas subir une transplantation. Pour les transplantations hépatiques, le critère qui prévaut est que le patient doit avoir un taux de survie de 50 % à 5 ans.

Plusieurs pistes peuvent être explorées pour solutionner le problème de la pénurie d'organes. Ainsi, on peut rechercher des sources supplémentaires d'organes, travailler plus efficacement, réduire le nombre d'indications en améliorant la prévention, en recourant aux thérapies alternatives et en prévenant les retransplantations.

En ce qui concerne les sources d'organes, le professeur Rogiers s'attarde quelque peu sur la question des donneurs marginaux. Il s'agit en l'espèce de donneurs dont les organes sont de qualité moindre et qui sont donc moins demandés par les centres de transplantation. Certes, aucun organe n'est parfait. Toutefois, la situation devient particulièrement délicate lorsqu'il y a un risque de transmission de pathologies du donneur au receveur, lorsque l'organe est affecté par des maladies et que celles-ci sont donc également transmises au receveur ou lorsque l'organe risque de fonctionner moins bien ou de ne pas fonctionner du tout. En outre, lorsqu'un organe devient disponible, on n'a que quelques heures pour le transplanter, si bien que l'on n'a pas le temps d'examiner s'il est exempt de toutes les maladies susceptibles de mettre la santé du receveur en danger ni d'évaluer sa qualité. C'est ainsi qu'en Allemagne, on s'est rendu compte après coup que l'on avait transplanté des organes d'un donneur contaminé par la rage. Le point positif est que grâce à Eurotransplant, on a pu déterminer dans les 24 heures quels patients avaient reçu un organe de ce donneur.

Les donneurs sont de plus en plus âgés: 25 % d'entre eux ont plus de 60 ans, ce qui provoque aussi une baisse de la qualité des organes. On constate également une diminution du nombre de donneurs à la suite d'un accident de la circulation et une augmentation du nombre de donneurs à la suite d'une anoxie, même si les risques sont plus élevés lorsqu'il s'agit de ce type de donneurs. Le fait qu'un organe est marginal ou non dépend donc du rapport risque/bénéfice pour le receveur. Il faut être conscient que le donneur parfait n'existe pas.

En ce qui concerne la directive européenne, le professeur Rogiers précise qu'il y a une certaine séquence à respecter dans la description de la transplantation d'organes. Il y a le don d'organes ou le prélèvement d'organes, l'attribution de l'organe, la transplantation et, enfin, le suivi thérapeutique. En Allemagne, chacune de ces étapes est placée sous la responsabilité d'une instance distincte alors qu'en Belgique, les centres de transplantation sont chargés à la fois du don et de la transplantation. L'attribution est effectuée par Eurotransplant. La directive emploie d'autres termes. En ce qui concerne le don, elle renvoie à l'organisme d'obtention et, pour ce qui est de l'attribution, elle fait référence à l'organisation d'échange. S'agissant de la transplantation et du suivi thérapeutique, elle renvoie aux centres de transplantation.

Selon le professeur, Eurotransplant est l'organisation idéale pour l'attribution en Europe. Tout en respectant la législation nationale de chaque pays en matière d'attribution, elle est néanmoins parvenue à développer un système de solidarité entre les différents pays au profit des patients nécessitant une transplantation en urgence. Eurotransplant joue également un rôle important dans le cadre de la normalisation, par l'intermédiaire de comités qui discutent, entre autres, du prélèvement d'organes et définissent les critères de qualité à respecter pour les différents organes. Enfin, Eurotransplant fournit un travail précieux en matière de traçabilité et de contrôle de la qualité, éléments qui figurent également parmi les priorités de la directive européenne.

À la lecture du texte de la directive, on constate avec étonnement que celle-ci vise le don, l'obtention, le contrôle, la caractérisation, la conservation, le transport et la transplantation d'organes. Un point important a manifestement été oublié: l'attribution des organes. Comment les organes sont-ils attribués à tel ou tel patient ? Il est essentiel pour l'ensemble des citoyens de tous les pays de savoir selon quels critères objectifs un organe est attribué.

L'article 4 de la directive concerne les programmes nationaux de qualité, qui sont responsables des modes opératoires, de la traçabilité et de la notification des réactions indésirables. Le professeur Rogiers pense qu'Eurotransplant est, sans le moindre doute, l'organisation idéale pour assurer cette fonction dans notre pays.

Le texte de la directive fait ensuite une distinction entre les organismes d'obtention et les centres de transplantation. En Belgique, les centres de prélèvement et les centres de transplantation sont actuellement regroupés dans un seul et même organisme. On peut également observer une différence de qualité entre, d'une part, les pays où ces centres sont regroupés et, d'autre part, les pays où ils sont séparés. La Belgique et l'Autriche sont les pays qui obtiennent les meilleurs résultats, en raison du lien contrôlé qui unit le prélèvement et la transplantation. Il serait dommage d'envisager la création d'un centre de prélèvement national en réponse à la directive en question. Selon le professeur Rogiers, ce serait une mauvaise décision.

L'article 15 porte sur la protection du donneur vivant. Cet article particulièrement important est composé de trois volets: le consentement éclairé, les critères de sélection et le registre. La notion de consentement éclairé est définie dans la littérature spécialisée. Il est généralement admis que ce consentement doit comprendre trois parties: l'information, la compréhension de l'opération et la détermination. L'intervenant estime que ce serait effectivement un progrès de parvenir pour cette opération à une sorte de consensus sur le consentement éclairé. Un tel consensus est d'ailleurs en voie d'élaboration en ce moment en France. Cet aspect est assurément important, car la pression sur le donneur ne dépend pas seulement des facteurs classiques, mais aussi tout simplement de l'état dans lequel se trouve le receveur.

L'évaluation d'un donneur vivant peut être soit très complexe, soit très simple. Elle doit toujours être adaptée à la situation. Le professeur Rogiers doute dès lors qu'il soit possible de définir des normes en la matière. Il préférerait que ces normes ne soient pas trop détaillées, de sorte qu'il soit toujours possible, dans une situation nécessitant qu'un don soit fait de toute urgence par un donneur vivant pour sauver la vie d'un patient, d'obtenir un maximum d'informations et de tests dans un laps de temps très court en vue de pratiquer la transplantation avec le maximum de garanties.

Il existe également des registres de donneurs vivants. La question est toutefois de savoir comment organiser ces registres en y associant le pays lui-même. Il serait préférable de laisser à Eurotransplant le soin d'organiser ces registres.

En résumé, le professeur Rogiers met en garde contre une régulation trop stricte. Il est également essentiel de considérer que chaque donneur est précieux, même s'il est marginal. Il est nécessaire d'abaisser au maximum les barrières pour que les hôpitaux puissent détecter tout donneur éventuel. L'intervenant plaide pour que les centres de transplantation belges continuent à effectuer les prélèvements. Eurotransplant permet de s'appuyer sur des structures existantes et, en ce qui concerne les registres, il est possible de se baser en partie sur les registres existants et de les développer pour les mettre en conformité avec les dispositions de la directive.

b) Exposé de la professeur Kristel Vandenbosch, service de Pédiatrie du Centre hospitalier universitaire de Liège

La professeur Vandenbosch est pédiatre et clinicienne chargée de la transplantation de moelle osseuse, de cellules souches et de sang de cordon. Elle souhaite formuler quelques remarques sur le texte de la proposition de directive.

Premièrement, on remarque en lisant le texte qu'il est question d'organes que tout le monde connaît, tels que le foie, les reins, le cœur et les poumons. Mais il ne faut pas perdre de vue que d'autres organes peuvent aussi s'avérer très utiles. Par exemple, les très jeunes enfants nés avec le syndrome de l'intestin court — qui les empêche d'absorber les nutriments nécessaires à leur survie et à leur croissance — ont tout intérêt à subir une transplantation intestinale. Dans le domaine de la pédiatrie, il ne faut pas non plus oublier les enfants souffrant de problèmes oculaires, pour lesquels une transplantation de cornée est capitale. Par conséquent, lors du décès d'un donneur, il faut penser non seulement aux organes communs, tels que le foie, les reins et le cœur, mais aussi aux autres organes utiles.

En deuxième lieu, elle confirme que les donneurs sont de plus en plus âgés. Cette constatation témoigne évidemment d'une évolution positive, à savoir la diminution du nombre d'accidents de la route et l'augmentation de la qualité de vie. Or, on trouve déjà beaucoup moins de donneurs pour les enfants que pour les adultes. Il est donc aussi dans l'intérêt des enfants que la réglementation autorise une certaine souplesse, de manière à accroître leurs chances de trouver un organe à transplanter, même si cela implique, par exemple, de devoir procéder à une seconde transplantation quelques années plus tard parce que l'organe n'était pas parfait.

Enfin, elle se réfère au film « Sept vies », qui traite des transplantations d'organes.

c) Exposé du professeur Yves Vanrenterghem, département Pathophysiologie, service Néphrologie, UZ Leuven

Le professeur Vanrenterghem examine, en guise d'introduction, l'évolution qui s'est produite ces dernières années. Lorsqu'il assumait encore la présidence d'Eurotransplant, il a été informé des initiatives prises par la Commission européenne en vue de légiférer dans le domaine de la qualité des organes. À l'époque, il a eu l'opportunité de procéder à d'intenses échanges de vues à ce sujet avec la Commission européenne. Il a la conviction d'être parvenu à expliquer clairement aux membres du groupe de travail que le problème de la qualité des organes n'est pas la préoccupation première et ne pourrait en tout cas pas entraîner une diminution du nombre d'organes disponibles. Le problème majeur en effet est le manque d'organes. Dans l'intervalle, plusieurs initiatives ont été prises et des modifications ont été apportées afin de veiller au maximum à ce que tout organe mis à disposition puisse être utilisé.

Le professeur Rogiers a déjà précisé qu'un changement était intervenu ces dernières années dans le profil des donneurs retenus pour le prélèvement d'organes en vue d'une transplantation. Il a employé aussi l'expression « donneurs marginaux ». Toutefois, le professeur Vanrenterghem souhaiterait que, dans le futur, on abandonne le mot « marginal » en raison de sa connotation négative auprès du grand public. Aux États-Unis, on utilise désormais l'expression « expanded donorpool ». Cela peut paraître un détail, mais un mot peut avoir un impact considérable dans les médias et peut créer l'impression qu'il s'agit en l'espèce d'organes « marginaux » au sens péjoratif du terme.

On peut se demander pourquoi on utilise aujourd'hui des organes dont on ne tenait pas compte il y a vingt ans. Est-ce bien justifié ? Le professeur Vanrenterghem met l'accent sur plusieurs changements importants intervenus au cours des vingt dernières années. Tout d'abord, il faut citer les progrès de la thérapie immunosuppressive, ce qui permet d'utiliser désormais un plus grand nombre d'organes en toute sécurité. Le profil des patients inscrits sur la liste d'attente a, lui aussi, sensiblement évolué. Actuellement, plus de 25 % d'entre eux ont plus de 65 ans. Aujourd'hui, il y a suffisamment d'études scientifiques qui montrent qu'un rein provenant d'un donneur âgé de plus de 65 ans peut être transplanté sans problèmes chez un patient de plus de 65 ans. Eurotransplant a d'ailleurs développé à cet effet un système d'enregistrement spécifique qui prévoit que les organes de donneurs âgés de plus de 65 ans sont transplantés de préférence chez des receveurs de plus de 65 ans.

Le professeur Vanrenterghem signale un écueil à éviter: inscrire dans la loi des critères pour définir un « expanded donor ». Le débat sur l'adoption de la loi relative au don d'organes a eu lieu en 1986. À l'époque, le législateur belge a opté pour une définition de « la mort » susceptible d'évoluer en même temps que la science, en faisant référence à l'état de celle-ci au moment du constat de décès. L'intervenant estime que nous nous trouvons à présent dans une situation comparable. Il est fort possible qu'une personne non éligible aujourd'hui en qualité de donneur parce que ses organes ne peuvent entrer en ligne de compte, puisse quand même être retenue, d'ici quelque temps, comme donneur potentiel, grâce aux progrès de la science. Une législation trop stricte pourrait représenter un frein à l'application des progrès scientifiques, dans la mesure où il faudrait plusieurs années pour pouvoir l'adapter.

Au cours des deux dernières années, l'intervenant a pu suivre d'assez près les propositions émises au sein de la Commission européenne. Durant cette période, l'accent mis au départ sur la qualité des organes a été déplacé sur la pénurie d'organes. Il convient également de laisser une certaine liberté aux équipes de prélèvement et de transplantation. Ainsi, il y a cinq ans, personne n'aurait envisagé d'utiliser les organes d'un donneur séropositif. Depuis, plusieurs transplantations d'organes ont été rapportées entre un donneur séropositif et un receveur également séropositif, subordonnées à la condition que ce dernier poursuive son traitement antisida. La notion de « expanded donorpool » est une donnée dynamique qu'il faut associer aux progrès de la science. Bien entendu, les organes transplantés doivent être sûrs, mais il est impossible de tout prévoir. En Europe, on effectue plus de 10 000 transplantations par an. Il a été fait état d'un cas unique de transmission de la rage, dont le professeur Rogiers a déjà parlé, et d'un cas de transmission de tumeur très maligne. Il importe de souligner qu'Eurotransplant est un système transparent qui fonctionne parfaitement et qui est capable de réagir promptement, comme ce fut le cas dans l'affaire de la rage.

Le professeur Vanrenterghem estime que le texte de la directive a évolué dans le bon sens et s'efforce de protéger les receveurs sans provoquer aucunement une baisse du nombre de donneurs. Il s'est réjoui de constater qu'un certain nombre de mesures sont prises en vue de continuer à élargir l'éventail des donneurs.

Enfin, il aimerait faire une observation à propos de l'enregistrement. Pour lui, ce point demeure une des grandes faiblesses d'Eurotransplant, alors qu'aux États-Unis, par exemple, tout centre de transplantation qui, à la fin de l'année, n'a pas transmis ses résultats à l'organisme national perd son agrément. Malheureusement, le bât blesse au niveau de l'enregistrement des opérations au sein d'Eurotransplant. Pour améliorer les choses, on pourrait rattacher de l'une ou l'autre manière l'agrément en tant que centre de transplantation à l'enregistrement des opérations, ou prévoir un subventionnement de ces registres, par exemple en réservant légalement une partie du remboursement des frais d'une transplantation à l'enregistrement des données. En effet, ce n'est que par l'enregistrement des donneurs décédés et des donneurs vivants et par l'analyse des données que l'on pourra évaluer dans quelques années la pertinence des décisions prises aujourd'hui. La nécessité d'un registre se fait surtout sentir pour les donneurs vivants. L'on recourt de plus en plus souvent à des donneurs vivants et le suivi de ceux-ci est trop peu contraignant. Par conséquent, il n'est toujours pas possible de déterminer scientifiquement si, à long terme, le don d'un rein n'est pas préjudiciable pour la santé du donneur.

d) Exposé de la professeur Martine Antoine, service de Chirurgie cardiaque, Hôpital Erasme

Mme Antoine est spécialisée en chirurgie cardiaque et pulmonaire. Elle réalise des transplantations et est également présidente du Conseil belge de transplantations.

Elle souscrit pleinement aux exposés de ses collègues et estime qu'il est normal que l'on travaille à une norme européenne permettant de contrôler la qualité et la sécurité des organes. La Belgique a la chance de pouvoir faire appel aux services d'Eurotransplant. Elle espère pouvoir encore approfondir cette coopération par le biais du Conseil belge de manière à élaborer de meilleurs registres, domaine dans lequel une amélioration est effectivement possible. Elle espère, à cet égard, une meilleure collaboration avec le ministère de sorte que les propositions des spécialistes dans ce domaine puissent être suivies d'effets sur le terrain. Le professeur Vanrenterghem a proposé par exemple de lier l'enregistrement de données à l'agrément des centres de transplantation. C'est effectivement une piste de réflexion possible. Les médecins ont envers leurs patients le devoir scientifique de disposer de données correctes.

Il ne faut surtout pas négliger l'aspect de l'attribution des organes, qui doit avoir lieu de façon aussi transparente que possible. C'est, en effet, le stade par excellence du processus où il existe un risque de fraude. Eurotransplant règle cela très bien. Il faut toutefois tenir compte de ce risque pour d'autres pays européens.

Bien que, dans sa spécialisation, elle n'ait pas affaire à des donneurs vivants, elle considère que de meilleurs registres sont effectivement nécessaires dans ce domaine. Tous les documents indiquent qu'il y a lieu de garantir l'anonymat du donneur. Il est cependant difficile à maintenir dans certains cas. Il faut parfois être certain du lien de parenté ou de l'absence de lien de parenté. Le Conseil belge vérifie également comment les donneurs vivants peuvent être assistés. En effet, il faut également penser aux conséquences physiques ou professionnelles pour le donneur. Un donneur de rein est en incapacité de travail durant un mois ou plus. Qui paiera son salaire ? Pourra-t-il encore prétendre à un emprunt hypothécaire ? Il reste encore beaucoup de choses à préciser dans ce domaine et elle peut assurer aux membres de la commission que les membres du Conseil belge de transplantations sont déterminés à contribuer à trouver des solutions aux questions qui se posent en la matière.

B. Discussion

Mme Van Ermen souligne qu'un citoyen belge peut refuser d'être donneur pour des raisons religieuses ou éthiques tout en ayant la possibilité d'être lui-même receveur. Que pensent les experts de cette situation ?

Le professeur Vanrenterghem confirme que toute personne a le droit de se faire enregistrer comme « non-donneur » et que l'on peut effectivement se demander si elle a le droit, dans ce cas, de bénéficier d'une transplantation d'organe. Il s'agit là d'une question très délicate qui fait d'ailleurs l'objet de discussions depuis déjà de longues années, plus précisément depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 juin 1986. C'est une situation qui s'est déjà présentée par le passé et qui a été résolue, en pratique, par l'inscription de l'intéressé en dernière position sur la liste prioritaire.

Le professeur Van Renterghem est d'avis qu'il faut en tout état de cause respecter la liberté du citoyen individuel mais qu'il faut démontrer par tous les moyens possibles qu'il n'est pas rationnel de refuser d'être donneur. À titre personnel, il estime toutefois que l'on irait trop loin si l'on pénalisait les personnes qui persistent malgré tout dans leur refus d'être donneur.

Le professeur Rogiers souligne qu'il est important que les communes fournissent des informations exactes. Une analyse des sites Internet des communes de Flandre occidentale révèle que seules 25 % d'entre elles fournissent des informations correctes sur les différentes possibilités offertes par la législation.

Mme Van Ermen demande si des étrangers viennent en Belgique afin d'y bénéficier d'une transplantation d'organe.

Le professeur Vanrenterghem admet qu'il s'agit là d'un problème délicat. Lorsqu'il assumait la présidence d'Eurotransplant, il y eut plusieurs tentatives pour le résoudre mais aucune n'a jamais abouti. La loi de 1986 dispose que les organes doivent être attribués en fonction de cinq critères, dont celui de la « balance nationale », lequel prévoit que, si la Belgique exporte cinq cents reins, par exemple, à des fins de transplantation, elle doit en recevoir un nombre équivalent en retour. Ce principe a été instauré en raison de l'existence d'écarts énormes, en termes proportionnels, au niveau du nombre de donneurs entre les différents pays membres d'Eurotransplant. Même le législateur a estimé que le principe de solidarité, qui fonde la réglementation, pourrait être mis à mal si une population déterminée venait à constater que tous les organes qu'elle met à disposition sont exportés à l'étranger à des fins de transplantation. C'est pour cette raison que le principe de la « balance nationale » a été instauré.

Le fait qu'il y ait de plus en plus de Néerlandais qui se fassent inscrire sur une liste d'attente en Belgique en vue d'une transplantation est contraire à ce principe. On pourrait facilement remédier au problème en faisant en sorte que le système informatique de la « balance nationale » tienne compte non plus du lieu de la transplantation mais du domicile du receveur. Cela permettrait de garantir le respect du principe de solidarité. L'intervenant souligne qu'il exprime là un point de vue personnel.

M. Claes approuve cette proposition et suggère qu'on la fasse figurer dans l'avis à fournir à la Commission européenne. Le critère du domicile semble être un bon critère étant donné qu'il est facile à vérifier.

Il constate que la proposition de directive vise en premier lieu à garantir la qualité et la sécurité des transplantations d'organes, ce qui devrait permettre en tout cas de mieux lutter contre le trafic d'organes. Ce que la Commission européenne a omis, en revanche, de régler dans sa proposition de directive, ce sont les modalités d'attribution et d'obtention des organes. Les États membres appliquent des systèmes différents, qui peuvent aller, par exemple, du consentement présumé du donneur jusqu'au consentement donné par la famille du donneur. Toutefois, étant donné qu'il s'agit en l'espèce d'un problème à caractère éthique, on préfère laisser aux États membres le soin de le régler eux-mêmes. L'intervenant estime que cela risque de mettre en péril le principe de solidarité. La Commission européenne ne devrait-elle pas réglementer davantage dans ce domaine ?

Le professeur Rogiers juge l'idée intéressante mais sait, par expérience, qu'elle est totalement irréaliste. Le principe du consentement présumé, tel qu'il prévaut dans notre pays, n'est, selon lui, pas compatible avec la mentalité protestante qui règne en Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple.

La professeur Antoine souligne que le critère du domicile peut lui aussi entraîner souvent des abus, en raison du fait qu'il est difficile à contrôler par une organisation telle qu'Eurotransplant. Elle suggère d'utiliser éventuellement le numéro de la carte d'identité, que l'on peut contrôler immédiatement.

Le professeur Vanrenterghem rappelle qu'en vertu de la législation belge, tout centre de transplantation peut placer sur sa liste d'attente des patients domiciliés en Belgique ou dans l'un des pays faisant partie de l'organisme d'échange. Il est dès lors parfaitement autorisé de placer un Néerlandais sur la liste d'attente, bien que la législation belge n'oblige pas les centres à le faire.

L'intervenant cite l'exemple d'un patient qui a obtenu gain de cause auprès du tribunal en invoquant la libre circulation des biens et des services au sein de l'Union européenne. Il s'agit donc d'un problème plutôt complexe au niveau juridique, dont la solution se trouve peut-être dans le concept de « balance nationale ».

Ensuite, le professeur Vanrenterghem insiste pour que les législations des différents États membres soient le plus possible harmonisées. Pour ce faire, il demande aux responsables politiques de prendre contact avec leurs homologues des autres États membres. Par exemple, il existe une « task force » aux Pays-Bas qui a conseillé de copier le système belge d'« opting out » ou de « consentement présumé », mais le ministre compétent n'a malheureusement pas suivi ce conseil. Quoi qu'il en soit, une plus grande uniformité est absolument nécessaire.

Mme Vanlerberghe plaide pour que l'on maintienne, dans un premier temps, un nombre de donneurs aussi élevé que possible en vue de continuer à assurer l'offre. Il a été souligné à juste titre que la plupart des communes restent en défaut d'expliquer la législation belge à la population. La majorité de la population pense qu'une personne qui ne fait aucune démarche devient automatiquement, conformément à la législation, un donneur à sa mort. Il est pourtant possible également de faire la démarche de s'inscrire soit comme donneur, soit comme « non-donneur ». Cela peut prêter à confusion. Peut-être est-il possible de résoudre ce problème dans la législation belge.

Le professeur Rogiers reconnaît qu'il y a matière à confusion. C'est la raison pour laquelle les communes de Flandre occidentale ont reçu un texte type dont elles pouvaient se servir. Il souligne toutefois que la population belge a une attitude positive vis-à-vis du don, ce qui fait une grande différence par rapport aux pays comme les Pays-Bas ou l'Allemagne.

Le professeur Vanrenterghem rappelle que lors de l'élaboration de la loi du 13 juin 1986, l'on est parti du principe que les gens se souciaient peu de ce qu'il adviendrait de leur corps après leur mort. C'est pourquoi il a été décidé que tout le monde serait automatiquement donneur, mais aurait malgré tout le droit de refuser de l'être. Au fil des ans, des initiatives ont été prises en vue d'inciter les gens à s'inscrire explicitement comme donneurs. Cette démarche est pourtant quelque peu contradictoire, étant donné le fondement sur lequel repose la loi en question. Il y a très peu de cas de refus parmi la population belge et ceux-ci sont généralement dus à des raisons d'ordre religieux.

La sensibilisation du corps médical est un problème quelque peu différent. Les médecins actifs dans le secteur de la transplantation voient régulièrement des patients mourir à cause de l'impossibilité de pratiquer une transplantation. Chaque médecin a comme première mission de sauver la vie des patients et, lorsqu'il n'y parvient pas, il le ressent toujours comme un échec dans une plus ou moins grande mesure. Il existe pourtant une étape suivante, où le patient décédé peut faire office de donneur. Le corps médical travaillant dans les hôpitaux (non seulement les hôpitaux universitaires mais aussi les cliniques périphériques) est confronté chaque année au manque d'organes. En effet, les médecins oublient souvent que leur patient décédé peut encore faire office de donneur. Dans ce cadre, il convient de saluer l'initiative du projet GIFT destiné au personnel médical des services de soins intensifs des hôpitaux aigus, qui a été lancé en 2006 et dont le but est d'optimiser la détection des donneurs et la gestion des organes.

Le professeur Antoine souligne que les petits hôpitaux ont besoin de moyens financiers pour pouvoir faire en sorte qu'un patient décédé puisse devenir un donneur. En effet, ce genre d'hôpital dispose rarement du personnel nécessaire pour s'occuper d'un donneur.

Mme Vanlerberghe demande si les deux types de donneurs — les personnes qui ne font rien et qui sont dès lors automatiquement considérées comme donneurs et les personnes qui se font expressément enregistrer comme donneurs — sont traités différemment par les centres de transplantation.

Le professeur Rogiers répond que le coordonnateur en matière de transplantation adoptera probablement une attitude légèrement différente selon le cas pour parler à la famille. La famille des personnes qui n'ont rien entrepris sera informée de la transplantation prévue et l'on se renseignera pour savoir s'il est certain que le défunt ne s'est jamais opposé au principe du don d'organes. La famille de l'autre catégorie de personnes est tout simplement informée qu'une transplantation aura lieu.

M. Brotchi fait remarquer que la proposition de directive concerne l'ensemble de l'Union européenne qui est composée de 27 États membres. Par contre, l'organisation Eurotransplant couvre un nombre plus limité de pays. Existe-t-il d'autres organisations actives en matière de transplantation qu'Eurotransplant ? Dans l'affirmative, y a-t-il une coopération transfrontalière avec ces organisations ? Que peut-on faire pour promouvoir la coopération transfrontalière ? En effet, à l'heure actuelle, les centres de transplantation dans notre pays reçoivent parfois une demande d'un patient qui n'est pas un ressortissant d'un des pays ayant adhéré à Eurotransplant.

Le professeur Vanrenterghem répond qu'Eurotransplant est la seule organisation internationale qui existe aujourd'hui dans ce secteur à l'échelle européenne, à l'exception de Scandiatransplant probablement. Par ailleurs, il y a UK Transplant, l'Agence de biomédecine en France, Iberiatransplant et North-Italian Transplant, mais il y a peu de coopération, voire aucune coopération, avec ces organisations. Il y a certes eu des contacts à la suite de la proposition de directive européenne, mais un patient de Lille, par exemple, ne peut toujours pas faire appel à un donneur en Belgique parce que la France ne fait pas partie d'Eurotransplant, situation que l'intervenant déplore.

Il plaide dès lors pour une organisation paneuropéenne. Cela ne signifie évidemment pas que l'on puisse tout simplement expédier un organe par avion de Malaga à Copenhague, étant donné qu'il faut, même dans un tel cadre, tenir compte de la situation locale. Dans des cas très aigus, cela doit toutefois être possible et, pour ce faire, une organisation paneuropéenne est nécessaire. Malheureusement, on n'a toujours pas réussi jusqu'à présent à en instituer une. Le professeur Vanrenterghem espère que la Commission européenne prendra également une initiative à cet égard.

Mme Lanjri renvoie à l'exposé du professeur Rogiers qui plaide pour que la Commission européenne règle également le problème de l'attribution. Comment procède-t-on actuellement à celle-ci au niveau belge ? Existe-t-il une législation qui prévoit quels patients sont prioritaires ? Suit-on simplement un ordre chronologique ou tient-on compte d'éléments tels que l'âge, le syndrome, etc. ? Les choses se décident-elles dans chaque centre de transplantation séparément ? Un patient peut-il se faire inscrire sur différentes listes d'attente ?

Le professeur Rogiers répond qu'un patient peut se faire inscrire sur une seule liste d'attente. Il serait également souhaitable qu'il en aille de même dans un contexte européen et que l'on ne figure pas sur différentes listes d'attente dans différents États membres simultanément. Le système d'attribution diffère en fonction de l'organe dont il s'agit. Les facteurs qui jouent un rôle dans le cas de la transplantation de reins sont différents des facteurs qui jouent un rôle dans le cas d'autres organes parce qu'il est important que les reins du donneur soient compatibles avec ceux du receveur. Dans le cas du foie, l'on tient compte du « miltscore » qui indique le risque de mortalité dans les 3 prochains mois: plus ce score est élevé, plus la probabilité de transplantation est grande.

Les critères utilisés font l'objet d'un débat permanent entre experts dans toutes sortes de commissions et au sein même d'Eurotransplant. Il importe dès lors que ces experts disposent de registres permettant d'évaluer immédiatement quel serait l'effet si l'on touchait à ces critères. De toute façon, un système d'attribution est toujours un compromis.

Le professeur Vanrenterghem confirme l'absence d'un régime d'attribution européen. Le système actuel utilisé par Eurotransplant a pratiquement été repris tel quel par UK Transplant, en ce qui concerne les reins. Les systèmes français et espagnol sont eux totalement différents. Il n'y a donc aucune uniformité entre les États membres de l'Union européenne.

Le professeur Rogiers ajoute qu'Eurotransplant est parvenue à concevoir un système d'attribution qui tient compte des législations des différents États membres concernés. Par exemple, Eurotransplant est en mesure d'adapter immédiatement son système à une modification de la législation allemande, sans que les autres pays concernés ne s'en ressentent. Malgré le fait que la Belgique et l'Autriche aient des législations complètement différentes en matière de transplantation de foie, la collaboration entre les deux pays est parfaite dans le cadre d'une approche solidaire. C'est assurément l'un des mérites d'Eurotransplant.

Le professeur Antoine attire l'attention sur le fait que certains pays affiliés à Eurotransplant ne jouent pas toujours le jeu correctement, en particulier en ce qui concerne les transplantations de coeurs et de poumons. Si le système fonctionne selon le principe de la solidarité, chaque médecin considère néanmoins que son patient est le plus important. Pour les transplantations de coeurs et de poumons, les délais d'attente sont très courts, de 24 à 48 heures. Eurotransplant rédige des documents décrivant l'état de santé du patient qui sont contrôlés par trois experts externes. Cependant, au sein du système Eurotransplant, il y a un pays en particulier qui demande la priorité pour 70 % de ses patients. On peut difficilement accepter une telle attitude. En Belgique, seuls 10 à 15 % des cas sont considérés comme prioritaires. Il importe dès lors d'introduire un système de contrôle au niveau européen.

Mme Van Ermen évoque les découvertes médicales récentes, présentées dans le New England Journal of Medecine, qui permettent de garder des reins « frais » pendant une plus longue période. Ces techniques ne peuvent-elles être utilisées que pour les reins ou peuvent-elles l'être également pour d'autres organes ? Sont-elles prometteuses d'après les experts ? Quelles sont les attentes ?

Le professeur Vanrenterghem répond que cela concerne principalement la conservation des reins sur machine. Auparavant, tous les reins étaient conservés sur machine. Il s'agissait de grands appareils qui ne permettaient pas de s'échanger des reins entre différents pays. D'autres techniques de conservation ont été utilisées depuis lors, mais on a récemment redécouvert la machine en raison des possibilités qu'elle offre en matière de contrôle de la qualité des reins transplantés. Cette technique permet en effet de mieux vérifier certaines caractéristiques et de décider, le cas échéant, de ne pas utiliser un rein en particulier pour une transplantation. On s'est aperçu également que la conservation sur machine réduisait considérablement le nombre de reins qui mettaient plus de temps à commencer à fonctionner. Un rein qui fonctionne directement offre de meilleures perspectives en matière de transplantation. Selon l'intervenant, cela ne signifie pas pour autant que tous les reins devront désormais être conservés sur machine, même lorsqu'ils ont été prélevés sur un donneur parfaitement sain. Il n'en reste pas moins que la conservation sur machine peut s'avérer utile pour une grande partie des donneurs.

Le professeur Vanrenterghem indique que cela ne concerne que les reins. Par ailleurs, des études ont été réalisées en vue de déterminer si la conservation sur machine présentait un intérêt pour la qualité des poumons et des foies, mais on ne dispose jusqu'à présent d'aucun exemple en provenance de la pratique clinique.

IV. PROPOSITION D'AVIS À LA COMMISSION EUROPÉENNE

A. Proposition d'avis des rapporteurs

À la suite de l'audition organisée en commission des Affaires sociales du Sénat, le 28 janvier 2009, au sujet des transplantations d'organes et conformément aux règles et pratiques déjà en vigueur en Belgique, le Sénat belge formule les remarques et recommandations qui suivent.

a) Le problème du nombre de donneurs

Le problème majeur, qui se pose pour tous les organes, réside dans le fait que les listes d'attente se sont considérablement allongées et que le nombre d'organes disponibles ne suffit plus. Plusieurs pistes peuvent être explorées pour tenter de résoudre ce problème de pénurie. On peut rechercher des sources supplémentaires d'organes, travailler plus efficacement, réduire le nombre d'indications en améliorant la prévention, en recourant aux thérapies alternatives et en prévenant les retransplantations. Plusieurs initiatives ont été prises et des modifications ont été apportées afin de veiller au maximum à ce que tout organe mis à disposition puisse être utilisé. Un changement est ainsi intervenu ces dernières années dans le profil des donneurs retenus pour le prélèvement d'organes en vue d'une transplantation (« expanded donorpool »).

On utilise aujourd'hui des organes que l'on n'aurait pas retenus il y a vingt ans. Il y a donc eu beaucoup de changements au cours des vingt dernières années. Tout d'abord, il faut citer les progrès de la thérapie immunosuppressive, qui permet d'utiliser désormais un plus grand nombre d'organes en toute sécurité. Ensuite, il y a suffisamment d'études scientifiques montrant que des organes en provenance d'un donneur âgé peuvent être transplantés sans problèmes chez un receveur âgé. Il faut donc certainement envisager la « moindre » qualité d'un organe en fonction du rapport risque/bénéfice qu'il présente pour le receveur.

Le Sénat demande dès lors à la Commission européenne de veiller à ne pas imposer des critères trop stricts en la matière. La notion de « expanded donorpool » est une donnée dynamique qu'il faut rattacher aux progrès de la science.

b) Exécutants aux différents stades

Le texte de la directive fait une distinction entre les organismes d'obtention et les centres de transplantation. En Belgique, les centres de prélèvement et les centres de transplantation sont actuellement regroupés en un seul et même organisme. La Belgique obtient d'excellents résultats en termes de qualité, en raison précisément du lien contrôlé qui existe entre le prélèvement et la transplantation. Le Sénat voudrait donc demander à la Commission européenne d'indiquer qu'il ne doit pas obligatoirement s'agir d'organismes distincts.

c) Enregistrement

L'enregistrement est un point faible du système d'enregistrement européen. Le Sénat demande à la Commission européenne d'envisager la possibilité de rattacher d'une manière ou d'une autre l'enregistrement à l'agrément en tant que centre de transplantation ou de prévoir une forme de subventionnement de ces registres, en faisant par exemple affecter par la loi une partie du remboursement des frais d'une transplantation à l'enregistrement des données.

Le Sénat pense que le texte pourrait être plus strict à cet égard. En effet, ce n'est qu'en recensant les donneurs décédés et les donneurs vivants et par l'analyse des données que l'on pourra évaluer dans quelques années la pertinence des décisions prises aujourd'hui.

d) Attribution des organes

En Belgique, un patient ne peut se faire inscrire que sur une seule liste d'attente. Il serait souhaitable qu'il en aille de même dans le contexte européen et que l'on ne puisse pas figurer sur plusieurs listes d'attente dans différents États membres simultanément. Le système d'attribution diffère en fonction de l'organe dont il s'agit et implique toujours un compromis. Il n'existe pas de régime d'attribution européen et la question de l'attribution est totalement absente du champ d'application de la directive examinée. Il est pourtant essentiel pour les citoyens de tous les États membres de savoir selon quels critères un organe est attribué. Il est capital que l'attribution s'effectue en toute transparence, car c'est à ce stade que se situe particulièrement le risque de fraude.

Eurotransplant est parvenue à concevoir un système d'attribution qui tient compte des législations des différents États membres concernés. Mais ici aussi il y a lieu de prévoir un système de contrôle strict, car la solidarité peut également être mise en péril à ce niveau, notamment en demandant prématurément la priorité pour des patients.

Le Sénat demande à la Commission européenne de définir plus clairement sa position concernant la création d'un système d'attribution au niveau européen.

e) Principe de solidarité

La proposition de directive vise en premier lieu à garantir la qualité et la sécurité des transplantations d'organes. En revanche, ce que la Commission européenne a omis de régler dans sa proposition de directive, ce sont les modalités du consentement en vue de l'obtention des organes. Bien entendu, les divers États membres appliquent des systèmes fort différents, qui peuvent aller du consentement présumé du donneur jusqu'au consentement donné par la famille du donneur. La solidarité risque par conséquent d'être mise en péril.

En son temps, la législation belge a par exemple opté pour un système « opting out » et donc, pour un maximum de solidarité. Si l'on constate que cette solidarité bénéficie en fait à un pays qui a choisi un système réputé moins efficace pour obtenir des organes, la solidarité risque d'être mise à mal.

C'est précisément ce qui se passe actuellement au sein d'Eurotransplant. Le problème posé par l'offre inégale de donneurs dans les différents pays membres d'Eurotransplant a déjà fait l'objet de nombreuses discussions au sein d'Eurotransplant. L'inégalité est évidente, certains pays ayant deux fois plus de donneurs que d'autres. La Belgique et l'Autriche ont en moyenne entre 22 et 25 donneurs par million d'habitants, les Pays-Bas et l'Allemagne, seulement 12. Cela signifie que les Néerlandais ont beaucoup moins de chances de pouvoir bénéficier d'une transplantation d'organe que les Belges, par exemple. Lors de l'instauration du nouveau système, l'on a aussi introduit le principe de la « balance nationale », du moins pour les reins. Cela signifie que lorsque 400 reins sont prélevés sur des donneurs décédés, le système informatique qui les répartit veille à ce qu'il y ait environ 400 reins transplantés en Belgique. Actuellement, nous sommes confrontés au problème que de nombreux étrangers, notamment des Néerlandais, s'inscrivent sur nos listes d'attente pour tenter de tirer profit de notre système.

On pourrait y remédier en faisant en sorte que le système informatique de la « balance nationale » tienne compte non plus du lieu de la transplantation mais du domicile du receveur. Cela permettrait de garantir le respect du principe de solidarité. Toutefois, pour un organisme comme Eurotransplant, il n'est peut-être pas facile de contrôler le domicile. Une autre solution serait d'utiliser le numéro de la carte d'identité, qui est immédiatement contrôlable.

Le Sénat demande à la Commission européenne d'élaborer un tel système afin de garantir la solidarité entre les différents États membres, dont les législations divergent.

f) Coopération transfrontalière

La proposition de directive concerne les 27 États membres de l'Union européenne. Eurotransplant couvre un nombre plus limité de pays. Il existe en outre de nombreux autres organismes de transplantation, tels que Scandiatransplant, UK Transplant, Iberiatransplant, et d'autres, qui ne collaborent pas toujours bien entre eux.

Dans le cadre de la proposition de directive examinée, le Sénat demande dès lors à la Commission européenne de mettre sur pied une organisation paneuropéenne, qui respecte en même temps les situations locales, etc.

B. Discussion

M. Brotchi souhaite attirer l'attention sur certains éléments spécifiques qui lui sont chers dans la proposition d'avis élaborée par les deux rapporteurs. Il s'agit tout d'abord du principe de solidarité qui fait l'objet du point e) de la proposition d'avis. Le problème réside dans le fait que dans l'Union européenne, les organes s'obtiennent selon divers systèmes très différents les uns des autres. En Belgique, par exemple, contrairement à d'autres pays, on part du principe que le consentement du donneur ou de sa famille est implicite. Ce système d'« opting out » offre une solidarité maximale.

Le fait que tous les États membres de l'Union européenne ne participent pas au système Eurotransplant — ce qui n'est pas le cas de la Belgique — pose aussi un problème de taille. Notre pays pâtit quelque peu de cette situation, notamment parce que des patients néerlandais s'inscrivent en Belgique en vue de subir une transplantation d'organe. C'est la raison pour laquelle le point e) de la proposition d'avis suggère d'utiliser dorénavant le critère du domicile de l'intéressé au lieu de l'endroit où est pratiquée la transplantation, dans le but de protéger nos concitoyens. En effet, des pays comme la Belgique et l'Autriche comptent environ 22 à 25 donneurs par million d'habitants, alors que l'Allemagne et les Pays-Bas n'atteignent que la moitié de cette proportion. Tout le monde ne joue donc pas le jeu de manière équitable.

L'on plaide dès lors pour l'établissement de règles plus transparentes dans le contexte d'une organisation paneuropéenne qui respecte les situations locales et les conditions différentes en vigueur dans les États membres, tout en organisant un échange d'organes au niveau européen en prenant les précautions nécessaires en matière de sécurité, de qualité et de solidarité. Tout le monde aura à y gagner, étant donné que l'offre d'organes n'en sera que plus grande, ce qui permettra de mieux répondre aux besoins des patients.

M. Claes se félicite du sérieux avec lequel la commission des Affaires sociales du Sénat a mené la discussion sur la proposition de directive. Il évoque l'audition qui a fourni beaucoup d'informations utiles et permis de répondre à de nombreuses questions posées par les membres de la commission. Toute cette procédure a débouché sur la proposition d'avis rédigée par les deux rapporteurs.

L'intervenant propose cependant de compléter encore ledit avis sur certains points:

— au point a), compléter le premier alinéa par la phrase suivante:

« Par ailleurs les donneurs sont de plus en plus âgés: 25 % des donneurs ont plus de 65 ans. »

— ajouter un point g) rédigé comme suit:

« g) Sensibilisation du corps médical

Les médecins actifs dans le secteur de la transplantation voient régulièrement des patients mourir faute d'avoir pu bénéficier d'une transplantation. Chaque médecin a pour mission première de sauver la vie des patients et, lorsqu'il n'y parvient pas, il le ressent toujours comme un échec dans une plus ou moins grande mesure. Il existe pourtant une étape suivante, où le patient décédé peut faire office de donneur.

Le Sénat demande s'il est possible d'insérer dans la directive une disposition portant explicitement sur la sensibilisation des médecins. »

— ajouter un point h) rédigé comme suit:

« h) Protection des donneurs vivants

Il est essentiel de protéger les donneurs vivants. L'article de la proposition de directive y relatif est composé de trois volets: le consentement éclairé, les critères de sélection et le registre.

Le Sénat demande que l'on évite une hyper-régulation trop stricte. L'évaluation d'un donneur vivant peut se révéler très complexe et doit dès lors être adaptée à la situation concrète. Des normes trop strictes risquent donc d'avoir un effet néfaste. »

Mme Van Ermen se rallie à l'avis et aux ajouts proposés. Elle souligne qu'il est parfaitement possible à l'heure actuelle, par exemple, de transplanter un rein provenant d'un donneur de 70 ans chez un patient de 25 ans.

M. Elsen pense aussi que la proposition d'avis complétée correspond à ce que les différents experts ont déclaré au cours de l'audition. À ses yeux, c'est surtout la transparence dans le contexte européen qui est un élément capital. Il souligne également l'importance de la « balance nationale », dont le but est de veiller à l'équilibre entre, d'une part, les organes mis à la disposition des patients étrangers et, d'autre part, les organes provenant de donneurs étrangers.

La commission approuve ces ajouts.

V. VOTES

La proposition de loi ainsi amendée est adoptée à l'unanimité des 9 membres présents.


Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteurs, La présidente,
Dirk CLAES.
Jacques BROTCHI.
Nahima LANJRI.