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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 8 JANVIER 2009 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Joëlle Kapompolé au vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles sur «le caractère conservateur et corporatiste de la réforme des règles régissant le carnet d'épargne» (nº 4-549)

Mme Joëlle Kapompolé (PS). - L'arrêté royal portant réforme des règles régissant le carnet d'épargne a été publié à ma grande surprise au Moniteur belge le 22 décembre 2008. Je déplore non seulement la manière confidentielle dont cette réforme a vu le jour mais également son contenu.

En effet, vous prévoyez, d'une part, d'aligner le taux maximum de l'intérêt de base sur celui de la Banque centrale européenne (BCE) et, d'autre part, de lier via leurs taux la prime unique de fidélité et l'intérêt de base. Ces deux mesures empêcheront toute concurrence entre les banques, au risque de rendre ce produit d'épargne moins attractif par rapport à d'autres produits beaucoup plus risqués.

En imposant des règles qui rabotent considérablement la rémunération de l'épargnant, vous avez choisi de faire payer à ce dernier les excès d'une partie du monde bancaire. Cette réforme permettra à quelques grands établissements bancaires de verrouiller leur position de leader sur ce segment. Vous pousserez également certains épargnants vers des produits peut-être plus rémunérateurs mais surtout plus risqués.

Dans votre arrêté royal du 7 décembre, vous invoquez l'urgence. Pouvez-vous rendre publics les éléments qui attestent de cette urgence ? Celle-ci profite-t-elle aux grands leaders du monde bancaire ?

Dans ce contexte de crise financière, pourquoi n'êtes-vous pas venu présenter en toute transparence votre réforme au parlement ? Pourquoi avoir opté pour des modifications aussi conservatrices que corporatistes qui bloquent toute possibilité de proposer des produits plus intéressants aux épargnants ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu'à terme, une telle réforme pousse l'épargnant vers des produits plus risqués ?

M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles. - On peut dire n'importe quoi à cette tribune mais cela ne m'empêche pas de pouvoir répondre. Vous expliquez qu'un arrêté royal a été pris quasiment en catimini. Or, de longs débats parlementaires ont eu lieu à la Chambre et au Sénat. J'espère que vous étiez présente à cette occasion. Nous avons également tenté de tenir compte de ce qui a été dit lors de réunions avec des représentants de la Banque nationale et de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA), en présence de députés et de sénateurs. Je connais peu de départements dans lesquels on débat à ce point d'un projet d'arrêté royal.

Par ailleurs, ce dernier a tenu compte du consensus qui s'est établi à la Chambre et au Sénat, au sujet de l'instauration de maxima pour les taux pratiqués sur les livrets d'épargne et de la simplification du système des primes. Ainsi, nous avons supprimé la prime d'accroissement pour ne conserver que la prime de fidélité en liant celle-ci à un pourcentage du taux de référence. Vous avez en effet pu constater comme moi que, ces derniers temps, on octroie un taux de 4% voire 4,25%, plus une prime de fidélité de 0,01%. Celui-ci ne me paraît pas significatif. Dès lors, tout le monde s'est rangé à l'idée d'organiser la réforme en ce sens. La CBFA a rendu un avis que nous avons suivi.

Pourquoi l'urgence ? Celle-ci concerne le délai d'avis au Conseil d'État. Il faudra en effet permettre aux banques de s'adapter avant le mois d'avril. Pour l'instant, le système ne change pas. Les banques fusionneront les primes de fidélité et d'accroissement. Elles devront tenir compte du taux actuellement fixé par la BCE. Vous verrez que, conformément à la règle sur les marchés, les taux continueront à diminuer. Vous ne pouvez pas demander de maintenir des taux très élevés pour les épargnants quand les taux de référence de la Banque centrale diminuent.

Mais ce qui me surprend le plus dans votre question, c'est cette référence à la concurrence. Si je vous comprends bien, vous souhaiteriez qu'on laisse se développer auprès des consommateurs des campagnes comparables à celles qu'avait développées une banque luxembourgeoise d'origine islandaise. Cela a entraîné un risque pour l'État belge que nous couvrons même si nous n'y sommes en rien tenus parce que nous voulons venir en aide à vingt mille clients qui se sont laissé embarquer dans ce que vous souhaitez : la liberté sur le marché pour des institutions marginales de proposer des taux exorbitants mais qui peuvent conduire à des faillites tout aussi exorbitantes.

Un jour il faudra que vous réconciliez dans votre point de vue la demande d'une régulation plus forte et la demande d'une sorte de néolibéralisme exacerbé en matière de comptes d'épargne sans contrôle, sans taux maximum, dans des conditions intenables. Pour ce qui me concerne, j'avoue que dans ma conception du libéralisme je veux une régulation.

Après les débats à la Chambre et au Sénat, après l'audition des responsables de la Banque nationale et du CBFA, après un avis formel de la CBFA, nous sommes arrivés à un texte qui ne vous plaît peut-être pas parce qu'il n'autorise pas n'importe quoi sur le marché du compte d'épargne. Mais ce texte me rassure en tant que ministre des Finances parce qu'il me permettra d'éviter que je sois à l'avenir obligé de prendre des décisions comme celle qu'il a bien fallu proposer cette semaine au conseil des ministres à propos de la banque Kaupthing.

Mme Joëlle Kapompolé (PS). - Ce qui ne me plaît pas dans cette réforme, c'est que les épargnants sont les oubliés de la crise. En ce qui concerne la banque que vous venez de citer, s'il y a malentendu, c'est votre faute. Vous avez la tutelle sur la CBFA ; celle-ci était au courant des difficultés et a laissé cette banque faire de la surenchère. C'est à la CBFA de protéger les épargnants en les alertant sur les dangers encourus.

En ce qui concerne la stabilité macro-financière, je m'inquiète de ce que nous risquons de voir remplacer la concurrence au sein du segment du compte d'épargne par une concurrence entre le compte d'épargne et d'autres produits financiers bien plus dangereux pour les épargnants.