4-1027/1

4-1027/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

26 NOVEMBRE 2008


Proposition de résolution relative à la mise en œuvre et au développement du « New Deal écologique mondial »

(Déposée par M. Paul Wille et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Le New Deal écologique mondial trouve son origine dans un rapport récent du PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement) qui plaide pour un programme de réformes de grande envergure destiné à résoudre en même temps la crise économique, le changement climatique et les pénuries d'énergie.

Depuis quelques mois, nous sommes confrontés à une crise du crédit particulièrement grave qui a frappé les États-Unis avant de déferler sur nos banques. Même si le gouvernement a pu arrêter l'hémorragie en prenant les mesures qui s'imposaient à court terme, les auteurs sont convaincus que cette réaction ne suffira pas. En effet, la crise est bien plus profonde qu'une crise du crédit aux multiples répercussions économiques ! D'aucuns parlent d'un véritable cataclysme (1) . Pourtant, ce n'est pas la première fois que notre économie navigue en eaux troubles, il suffit de se rappeler du premier (en 1974) et du deuxième choc pétrolier (en 1979-1980).

Les auteurs voudraient éviter que nous ne soyons ballottés d'une crise à l'autre en raison du fait que nous nous contentons de solutions à brève échéance. En déposant la présente proposition de résolution, ils cherchent à élargir le débat vers le long terme. Outre les crises économiques et financières précitées, nous aurons à relever d'autres défis, qui seront probablement d'une ampleur bien plus importante.

Les auteurs renvoient également aux propos du Secrétaire général des Nations unies: « La hausse des prix de l'énergie et des matières premières a contribué à la crise alimentaire et, par voie de conséquence, à la crise financière. Celle-ci résulte à son tour de la croissance économique et démographique globale, qui débouche sur une pénurie des matières premières essentielles: combustibles, nourriture, air pur et eau.

Ce dédale de problèmes porte en lui sa propre solution. Le développement durable et le choix global d'une croissance verte constituent la seule manière de garantir au monde des perspectives à long terme de bien-être social et de prospérité.

Après la révolution industrielle, la révolution technologique et la mondialisation, nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère: celle de l'économie verte (2) . »

Interrogé à ce sujet le 23 octobre 2008 par le sénateur Paul Wille, le premier ministre a souscrit d'emblée au concept de l'économie durable: « J'ai pris pour la première fois connaissance du document auquel M. Wille se réfère, lorsque j'ai reçu sa question. Il me paraît évident qu'investir en vue de surmonter la crise, c'est surtout investir dans des projets et initiatives favorisant le développement durable de notre économie. Je suis d'accord sur le fait que nous devons avoir le courage de travailler à long terme en donnant un contenu au concept de l'économie durable (3) . »

Introduction

Nombreux sont ceux qui oublient qu'avant de connaître la crise financière, le monde a dû faire face à une crise énergétique et alimentaire. La génération actuelle (mais surtout les générations futures) est plus que jamais confrontée à un ensemble de facteurs qu'elle ne peut plus ignorer. Elle ne peut plus se contenter de s'occuper des affaires courantes, comme si de rien n'était. Lors du sommet européen du 15 octobre 2008, le président français Sarkozy a déclaré à ce propos: « Une fois la crise passée, pas question de reprendre le business as usual. Il nous faut refonder le capitalisme (4) . »

Les auteurs tiennent à passer en revue certaines causes de la crise alimentaire. En effet, ces causes profondes font partie des problèmes à résoudre dans le cadre du New Deal écologique mondial.

Nous connaissons les vraies causes de la hausse des prix des produits alimentaires. Le monde compte 6,7 milliards d'individus; dans trente ans, il en dénombrera 8,7 milliards. En outre, cette population dispose de meilleurs revenus et peut donc dépenser davantage pour son alimentation. La demande d'aliments plus riches connaît une croissance exponentielle. Une alimentation carnée mobilise trois fois plus de terres agricoles qu'une alimentation végétarienne. Partout dans le monde, les ressources halieutiques s'épuisent et la plupart des aquacultures ne peuvent pas être exploitées de manière durable. De même, le réchauffement climatique et certains biocarburants ont un impact négatif.

Il faut être conscient du fait que la demande ne cessera d'augmenter et que la production alimentaire devra donc aussi augmenter.

Dans le domaine des biocarburants, il nous faut également revoir notre politique. Les biocarburants de deuxième génération, fabriqués à partir de plantes non comestibles qui peuvent être cultivées sur sol salin, en steppes ou même en mer (algues), n'hypothèquent pas l'approvisionnement alimentaire.

Pourquoi ne pas profiter de la crise financière pour rebâtir les fondements de notre économie ? Plusieurs études indiquent qu'au rythme de croissance actuel, nous aurons besoin d'une deuxième planète d'ici 2030 pour couvrir nos besoins. La crise actuelle ne sera qu'une bagatelle par rapport à la crise environnementale qui ne saurait tarder (5) .

Petit à petit, l'on se rend compte que la logique d'une consommation illimitée de matières premières dans un monde limité a atteint ses limites.

L'empreinte écologique de l'homme ne cesse d'augmenter et atteint aujourd'hui 2,7 ha par habitant. Compte tenu de la croissance démographique, il va sans dire que nous devons d'urgence renverser la vapeur. Dans notre pays, l'empreinte écologique a doublé depuis 1961, pour atteindre aujourd'hui 5,1 ha, surtout à cause des émissions de CO2.

À l'époque de la Grande Dépression, le président américain Franklin Roosevelt avait élaboré un programme baptisé New Deal, dans le but de sortir rapidement de la crise. Les Européens lui ont emboîté le pas en adoptant l'approche keynésienne. Au risque d'en surprendre certains, personnellement, nous ne rejetons nullement cette approche, à condition de ne pas appliquer aveuglément les mêmes recettes. En effet, le monde a changé radicalement. Nous vivons dans un monde globalisé. Les technologies et l'Internet ont transformé notre planète en un « village global », mais la prise de décisions n'a pas été adaptée en conséquence. Un pays, a fortiori une région, est incapable de relever seul les grands défis auxquels nous sommes confrontés. Si nous voulons aboutir à un développement durable pour tous les citoyens, et par voie de conséquence au maintien de l'espèce humaine sur notre planète, nous devons conjuguer nos efforts au niveau international.

La leçon à tirer du premier New Deal est qu'il nous faut adopter la même vision globale, ce qui implique une action musclée et un engagement politique fort, pour neutraliser les tempêtes financières et gérer durablement les marchés, tout en songeant aux défis sans précédent qui nous attendent dans le futur. Contrairement à ce qui fut le cas pour le New Deal initial, nous devrons mettre en place une collaboration associant en même temps les autres nations et le secteur privé.

En dehors de la crise actuelle, nous avons une foule de défis à relever: le changement climatique et ses répercussions économiques, la pauvreté mondiale, le besoin impératif de créer des emplois pour 1,3 milliard de chômeurs et la nécessité d'enrayer le gaspillage continu de nos richesses naturelles et de nos matières premières, le tout dans un contexte de démographie galopante, puisque la population mondiale comptera 9 milliards d'individus en 2050.

Ces défis pourront uniquement être relevés par une approche à long terme et à condition que tous les pays agissent de concert. Nous devrons tenir compte des nouveaux acteurs économiques, en l'occurrence les BRIC, étant donné que sans leur concours, nous ne pourrons apporter une réponse adéquate sur le long terme. Idéalement, cette approche devrait être coordonnée par une instance internationale.

Certes, la tâche est titanesque, mais certains esprits ont déjà beaucoup réfléchi et ont, qui plus est, déjà avancé des solutions. Il incombe à présent aux hommes politiques du monde entier de soutenir ces solutions.

Le New Deal écologique mondial a été présenté et lancé à Londres le 22 octobre 2008. Cette initiative qui a d'ores et déjà obtenu le soutien financier de l'Allemagne, de la Norvège et de la Commission européenne trouve son origine dans le sommet du G8 de 2006. Le document est le résultat des travaux d'économistes de haut niveau et de collaborateurs des Nations unies.

Le plan appelle les leaders mondiaux à réorienter les investissements en les affectant à des programmes visant à établir une économie durable par le biais de la technologie et de projets axés sur l'emploi.

Le plan s'inscrit dans la ligne d'une étude antérieure extrêmement édifiante mais qui n'a pas été suffisamment mise à profit jusqu'à présent (6) .

À l'heure actuelle, le marché mondial des biens et services environnementaux se chiffre déjà à 1300 milliards de dollars. Rien qu'à la lumière des tendances économiques actuelles, ce chiffre doublera en douze ans.

Pour l'heure, le rôle que joue la Belgique dans les développements qui s'annoncent est trop modeste. Aujourd'hui, le Mexique emploie déjà 1,5 million de personnes dans le secteur de la gestion forestière. Une industrie entièrement nouvelle basée sur l'énergie solaire a été mise sur pied en quelques années en Chine qui est ainsi devenue un acteur mondial dans le domaine de la production et de la conception de panneaux solaires.

Achim Steiner, Directeur exécutif du PNUE et un des initiateurs du New Deal écologique mondial dit à cet égard: « There is an enormous opportunity to ride on this increasing global demand for environmental improvement and turn it into the driver of economic growth, job creation and poverty reduction that is now so desperately needed. And in some places it is already beginning to happen (7) . »

Chaque année, l'abattage de la forêt tropicale engendre un dommage de plus de 3700 milliards de dollars (destruction de l'approvisionnement en eau, des cycles de la pluie, augmentation de l'érosion du sol, réduction de la capacité de génération d'air pur et impact sur le réchauffement climatique). Ce montant dépasse largement le coût total de la crise financière jusqu'à présent (1 500 milliards de dollars).

Une étude commandée par l'Union européenne arrive aux mêmes conclusions: « La déforestation au rythme actuel coûte 1 500 à 3 700 milliards d'euros par an à l'humanité. À l'heure actuelle, les pertes dues à la crise financière sont estimées à environ 1 500 milliards de dollars (8) . »

La grande différence est évidemment que les pertes causées par la déforestation non seulement sont plus importantes mais se répètent aussi année après année.

La première partie de l'étude de UE, dans laquelle le coût de la déforestation a été chiffré à 7 % de l'économie mondiale annuelle (PIB), s'est achevée en mai 2008.

Pavan Sukhdev, responsable du département des marchés internationaux de la Deutsche Bank et un des initiateurs du New Deal écologique affirme sans détours que: « Hundreds of millions of jobs can be created, there is no question that traditional industries like steel and cars cannot provide them. But this is a really huge business opportunity. »

Plus important encore, un pays peut très rapidement devenir un leader du marché des nouvelles technologies vertes et générer, par conséquent, les emplois verts qui en découlent, s'il suit la logique contenue dans le New Deal écologique mondial.

Plus concrètement, les auteurs de la proposition font référence à l'Allemagne que les auteurs du New Deal écologique mondial citent comme un pays pionnier. Entre 2001 et 2006, 5,2 milliards de dollars de subsides publics y ont été consacrés à la transformation de logements en logements respectueux de l'environnement, ce qui va bien au-delà des mesures actuelles visant à subventionner l'isolation et le double vitrage. Cela a permis de réaliser 20,9 milliards d'investissements privés et de créer 140 000 nouveaux emplois.

Pour l'heure, l'Allemagne, la Norvège et la Commission européenne coopèrent pleinement à l'élaboration du New Deal écologique mondial. Les pays concernés et la Commission financent les recherches.

L'hypothèse de départ est que les augmentations énormes des prix des céréales et du pétrole que nous avons connues sont le résultat de priorités économiques dépassées qui mettaient l'accent sur l'exploitation à court terme des matières premières dont regorge notre planète, et ce, sans réflexion aucune sur la manière dont ces matières premières pourraient être utilisées pour soutenir la prospérité à long terme.

Selon le PNUE, la croissance économique a doublé au cours des 25 dernières années. Toutefois, cette croissance a gravement réduit — détérioré — 60 % de l'ensemble des matières premières naturelles (eau, air, nourriture et énergie).

En résumé: « We are pushing, if not pushing past, the limits of what the planet can sustain. If we go on as we are, today's crisis will seem mild indeed compared to the crises of tomorrow. »

Notre économie doit faire l'objet d'une réforme radicale, axée sur une croissance durable et écologique. Cela permettra non seulement de prévenir de futures catastrophes, mais également de renverser la crise économique et financière actuelle.

Il est temps, plus que temps, de faire de nouveau de la politique à long terme.

Le New Deal écologique

Le monde a besoin d'un New Deal allant beaucoup plus loin que la solution que le président Roosevelt avait proposée aux USA et au reste du monde occidental après le crash boursier de 1929. La crise monétaire actuelle, qui vient se superposer aux crises qui frappent déjà l'agriculture et le secteur des combustibles fossiles, offre l'occasion d'en imposer un. Les Nations unies essaient de mettre à profit cette occasion historique en lançant l'initiative d'économie verte (9) .

Le PNUE a dès lors lancé l'initiative d'économie verte qui est basée sur l'étude « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » (EEB) financée par l'UE et l'Allemagne. L'UE, l'Allemagne et la Norvège apportent un soutien de près de 4 millions d'euros à l'initiative. Elle comprend trois piliers: évaluation des services et de l'infrastructure naturelle (telles que les forêts et le sol) dans les calculs du PNB, création d'emplois grâce aux emplois verts et à de nouvelles politiques, et élaboration d'instruments et de signaux de marché capables d'accélérer la transition vers une économie verte. Dans deux ans au plus tard, les Nations unies présenteront une vaste évaluation et préciseront les outils nécessaires.

En attendant, nous passons en revue quelques pays qui se sont déjà pleinement engagés sur la voie de l'économie verte contrairement à ce que laissent entendre de nombreux préjugés, les États-Unis en font partie.

Les États-Unis

En 2007, les États-Unis ont adopté un projet de loi très important qui a étonnamment rencontré peu d'écho en Europe. Il s'agit du Green Jobs Act, dont l'approbation a été rendue possible grâce au soutien crucial de l'une des membres les plus éminentes du parti démocrate, à savoir Nancy Pelosi (président de la Chambre des représentants) (10) .

C'est un militant des droits de l'homme, Van Jones, qui a jeté les bases de l'économie verte aux États-Unis en créant l'initiative « Green for all » qui vise à promouvoir une économie durable et qui fut lancée conjointement par la « Clinton Global initiative » (11) .

Selon un communiqué de presse du 26 mars 2008 de la très respectée « United Press Agency », l'économie verte connaîtrait une expansion telle aux États-Unis que ce secteur devrait occuper plus de 14 millions de personnes d'ici 2017 (il s'agit des emplois dénommés « Green collar Jobs ») (12) .

À l'heure actuelle, pas moins de 8,5 millions de personnes travailleraient déjà dans des industries durables rien qu'aux États-Unis (13) .

Le « Green Jobs Act » prévoit qu'un budget de 125 milllions de dollars est consacré chaque année à la pérennisation de l'emploi dans l'industrie. Dans ce cadre, 35 000 jeunes ont la possibilité d'apprendre des métiers « verts ». Ceux-ci portent plus concrètement sur la fabrication de panneaux solaires, la construction de maisons passives, la production de moteurs énergiquement efficaces, la réalisation d'audits énergétiques, la gestion des forêts, la production d'éoliennes, la recherche en matière de biocarburants de la deuxième génération (industrie chimique), etc.

Le Royaume-Uni

Le premier ministre de Grande-Bretagne prévoit la réalisation d'investissements « verts » à grande échelle en vue de créer des emplois et de sortir le pays de la récession annoncée.

Dans le cadre d'efforts sans précédent qui seront consignés dans un Livre blanc d'ici le début de 2009, l'accent sera mis plus particulièrement sur le développement des énergies renouvelables et l'introduction de voitures électriques, en tant que phase de transition vers une économie verte.

Ce projet se veut une réponse aux demandes croissantes appelant à l'élaboration d'un New Deal écologique et ce, compte tenu de la crise financière actuelle. Tous les ministres du gouvernement Brown s'accordent à dire que la mise en œuvre d'un tel programme est un des éléments permettant de solutionner la crise et qu'elle est l'un des meilleurs moyens pour développer l'emploi. Tous les investissements planifiés dans le cadre de la lutte contre la récession seront ainsi « écologisés » (14) .

Les propos qui suivent résument bien la vision du gouvernement britannique: « The Government is committed to building a green economy at home and abroad, and creating more jobs in environmental industries. We need to invest in clean technologies and our natural infrastructure of forests, soils and water. » (15)  ».

Combien d'emplois seront crées grâce aux efforts promis ? Le Royaume-Uni investit 100 milliards dans la construction de 4 000 éoliennes terrestres et 3 000 éoliennes en mer, ce qui lui permettra de créer 160 000 emplois supplémentaires d'ici 2020 (16) .

L'Espagne

L'Espagne vient d'adopter une loi progressiste en matière d'énergie solaire. Le 17 mars 2007, les autorités espagnoles ont approuvé les nouvelles prescriptions de construction du CTE, à savoir le « Codigo Tecnico de la Edificación », procédant ainsi à la plus importante réforme dans le secteur de la construction espagnol depuis des dizaines d'années.

Ces nouvelles prescriptions CTE portent sur les domaines suivants: la sécurité des constructions, la protection contre l'incendie, certains aspects liés à la sécurité et à la santé, la durabilité et l'efficacité énergétique. En ce qui concerne ce dernier élément, la nouvelle prescription prévue est beaucoup plus radicale que la norme minimum fixée dans la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD) et impose même l'obligation de produire 30 à 70 % de l'eau chaude sanitaire au moyen d'énergie solaire (17) .

Le volet relatif à l'énergie solaire thermique s'applique à tous les bâtiments nouveaux et rénovés, quelle que soit leur affectation.

De plus, l'Espagne a adopté l'un des programmes énergétiques les plus ambitieux de la planète. En ce qui concerne l'énergie éolienne, le pays entend produire jusqu'à 30 % de son électricité au moyen d'éoliennes. Ces objectifs ambitieux ont permis à l'Espagne de se hisser au deuxième rang des principaux producteurs d'éoliennes au monde et ce, avec l'aide de la société « Gamesa Corporation ». L'Espagne est le quatrième producteur d'énergie solaire au monde et occupe une position de leader mondial en matière d'énergie solaire concentrée, qui sera produite par la nouvelle génération de panneaux solaires.

Par ailleurs, l'Espagne a annoncé son intention de créer un institut de recherche sur le changement climatique (18) .

L'exemple espagnol prouve qu'avec de la volonté politique, un pays peut se transformer en quelques années en un géant économique dans le domaine de l'écologie (19) . Cette réussite espagnole s'explique, d'une part, par l'ampleur des investissements consentis par les entreprises énergétiques et, d'autre part, par la créativité dont les autorités espagnoles ont fait preuve dans le cadre de leur législation en accordant des incitants à grande échelle et en donnant aux producteurs d'énergie verte la garantie que toute leur énergie serait achetée à un prix avantageux. L'Espagne a ainsi développé tout un savoir-faire dans le domaine des énergies alternatives. En effet, en matière de biocarburants aussi, le pays joue un rôle de pionnier.

L'Allemagne

Le rapport des Nations unies, intitulé « Emplois verts: pour un travail décent dans un monde durable à faibles émissions de carbone », prévoit qu'en 2030, 16 % de la production industrielle allemande portera sur les technologies environnementales.

L'Allemagne est le plus grand producteur de biodiesel en Europe et s'attend à ce qu'en 2011, la production de celui-ci atteigne 20 % de la production totale de diesel.

Bien qu'elle ne soit pas réputée être un pays à fort ensoleillement, l'Allemagne concentre sur son territoire 88 % de l'ensemble des panneaux solaires présents au sein de l'Union européenne. Cela s'explique par le fait que les autorités allemandes donnent à tout producteur d'énergie solaire la garantie qu'il bénéficiera d'un tarif minimum de 10 euros par kilowatt/heure, contre 5 euros seulement pour l'électricité produite à partir de sources d'énergie non renouvelables. L'Allemagne paie donc le double de ce prix pour stimuler la production et les chiffres en témoignent.

Un élément important à souligner est que ce prix garanti baisse chaque année de sorte que le secteur des énergies renouvelables gagne en compétitivité. En d'autres termes, les autorités allemandes supportent les frais d'introduction des énergies renouvelables. Cette stratégie a permis à l'Allemagne d'occuper aussi une place de leader mondial dans la mise au point de technologies en matière d'énergies renouvelables. Les producteurs allemands de panneaux solaires détiennent une part de marché de 32 % au niveau mondial. En ce qui concerne l'énergie éolienne, 30 % de la capacité de production d'éoliennes se situe en Allemagne.

Comme on l'a dit plus haut, l'Allemagne a débloqué 5,2 milliards de dollars de subsides publics entre 2001 et 2006 en vue de permettre la mise en conformité de logements avec les normes environnementales, ce qui est une mesure beaucoup plus draconienne que celle consistant à accorder des subsides pour l'isolation et la pose de doubles vitrages. À ce jour, le pays est ainsi parvenu à générer 20,9 milliards d'investissements privés et à créer 140 000 emplois nouveaux.

Conclusion

En ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans la production totale, la Belgique se situe en queue de peloton des pays européens. Avec l'introduction de certificats verts en Flandre, l'instauration de réglementations relatives à l'efficacité énergétique des bâtiments et l'installation de parcs à éoliennes, nous rattrapons tout doucement notre retard, mais nous devons être plus rapides et plus ambitieux; pour cela, il faut aussi que les pouvoirs publics accordent plus d'incitants, prennent plus de mesures et investissent davantage.

Au fur et à mesure que la part des énergies renouvelables augmentera, l'importance stratégique des matières premières primaires diminuera au profit de la technologie. La politique agressive de pays comme le Japon, l'Espagne et l'Allemagne confirme la volonté de ces pays de devenir leader sur ce marché (20) .

Notre pays occupe une position importante aussi bien en matière de technologie des cellules solaires qu'en matière d'énergie éolienne. Plusieurs entreprises belges possèdent aussi une grande expérience en matière d'assainissement de terrains industriels pollués que l'on appelle des « Brownfields ». Il y a donc en l'espèce une opportunité économique à saisir. On compte déjà quelque 2 000 travailleurs actifs dans cette niche, qui vit pour 80 à 90 % de l'exportation. Si nous nous inscrivons dans la logique du New Deal écologique, nous pourrons être gagnants sur tous les plans. L'environnement s'en portera mieux, les générations qui nous suivent nous seront reconnaissantes et nous pourrons sortir de la crise grâce à l'économie verte. À moyen terme, les pouvoirs publics et le secteur privé récupéreront largement leurs investissements.

Le New Deal écologique mondial: la clé de la relance économique

Il est urgent que nous développions à nouveau une vision à long terme pour notre économie et notre avenir. Les pouvoirs publics et le secteur privé doivent mettre la crise financière et la menace de crise économique à profit pour lancer un programme économique audacieux. Comme le révèle la deuxième partie de la présente proposition, certains pays de l'UE ont déjà pris les devants. D'autres, comme la Grande-Bretagne, préparent un plan d'investissement de grande envergure. Notre pays a besoin d'un New Deal écologique, et nous devons agir vite si nous voulons rester parmi les régions européennes les plus développées sur le plan économique.

En chinois, le mot « crise » est synonyme de défi. Les anciennes structures volent en éclats, les cartes sont redistribuées et de nouvelles idées novatrices font leur apparition.

Les conséquences de ces modèles apparaissent maintenant clairement: si le PNB mondial a doublé entre 1981 et 2005, la biodiversité a reculé de soixante pour cent durant la même période. À l'échelle mondiale, les subventions agricoles s'élèvent actuellement à plus de 300 milliards de dollars par an, mais les fonds manquent pour le boisement. Les autorités nationales octroient pratiquement autant de subsides pour les combustibles fossiles, alors qu'elles ne soutiennent pas suffisamment l'énergie durable.

Le PNUE a donc lancé le New Deal écologique mondial ou l'Initiative d'économie verte (deux termes couvrant la même notion), sur la base de l'étude intitulée « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » (EEB) financée par l'UE et l'Allemagne. L'UE, l'Allemagne et la Norvège apportent un soutien de près de 4 millions d'euros à l'initiative.

La crise monétaire actuelle, qui vient se superposer aux crises qui frappent déjà l'agriculture et le secteur des combustibles fossiles, offre l'occasion d'imposer un New Deal. En lançant, il y a peu, l'initiative d'économie verte, l'ONU tente de profiter de cette opportunité historique, et il est urgent que notre pays s'associe à cette initiative. Nous devons également appliquer concrètement les piliers de ladite initiative, et cela à tous les niveaux de pouvoir.

La citation suivante résume bien la situation: « Des idées innovantes doivent être discutées et des décisions cruciales prises. L'alternative est plus un cycle d'expansion-récession, une météo stressée et un effondrement du stock de poissons et de terrains fertiles allant jusqu'aux écosystèmes forestiers, de vastes possibilités naturelles qui pour une fraction du coût des machines, stockent l'eau et le carbone, stabilisent les sols, soutiennent les modes de subsistance indigènes et ruraux et entretiennent les ressources génétiques à raison de centaines de milliards de dollars par an.

Des investissements seront bientôt à nouveau investis dans l'économie mondiale. La question est: iront-ils dans notre vieille économie à court terme actuelle, ou bien dans une nouvelle économie verte qui traitera de multiples défis tout en produisant de nombreuses opportunités économiques pour les pauvres ainsi que pour les personnes aisées (21) . »

Il faut également que la classe politique voie plus loin que le bout de son nez. Elle doit retourner à l'essence même du travail politique, qui consiste à proposer des solutions non seulement aux problèmes qui se posent aujourd'hui, mais aussi à ceux qui se poseront à l'avenir. Il s'agit de ne pas se concentrer uniquement sur l'actualité. Dès que la crise financière sera passée, le volume des investissements augmentera à nouveau. D'ici là, la société et les décideurs devront clairement indiquer dans quels domaines ils veulent que l'on investisse. Voulons-nous investir dans une économie durable combinant croissance et sauvegarde de notre environnement ou souhaitons-nous que les investissements retournent dans la vieille économie à court terme d'autrefois ?

La feuille de route du New Deal écologique comprend trois piliers:

La valeur écologique de la nature en tant que telle doit être traduite en termes économiques. L'épuration de l'air doit donc être élevée au rang de service.

Le New Deal écologique met également l'accent sur la création d'emplois et plus particulièrement d'emplois verts, grâce à une politique axée sur le développement d'une économie durable.

Le New Deal écologique s'inscrit dans le fonctionnement du marché. Des instruments financiers et des signaux du marché sont capables d'accélérer la transition vers une économie verte.

La feuille de route s'inspire des constatations antérieures figurant dans l'étude du G8+5 intitulée « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » (EEB), qui a été financée conjointement par l'Allemagne et la Commission européenne, ainsi que d'un rapport publié précédemment, intitulé « Emplois verts ».

Les auteurs se réjouissent des nombreuses recherches effectuées par le PNUE et d'autres organisations internationales.

Pour ce qui est du calendrier, une panoplie d'instruments devrait être proposée aux gouvernements pour permettre d'effectuer la transition le plus vite possible.

Certains secteurs sont considérés comme prioritaires dans le cadre d'une transition réussie vers une économie durable. Ces secteurs produiront également les retombées économiques les plus importantes, créeront le plus d'emplois et offriront la plus grande durabilité pour notre environnement:

— Les énergies et les technologies propres (notamment le recyclage et l'assainissement des Brownfields);

— L'énergie rurale, y compris les énergies renouvelables et la biomasse durable;

— L'agriculture durable, y compris l'agriculture biologique;

— L'infrastructure durable (Infrastructure relative aux écosystèmes);

— La réduction des émissions résultant de la déforestation et de la dégradation des forêts;

— Le développement de villes durables, y compris la planification, le transport et la construction écologiques.

Les dépenses environnementales au niveau mondial s'élèvent à 10 milliards de dollars par an à l'heure actuelle. Par contre, on n'hésite pas à accorder 300 milliards de dollars de subsides agricoles à travers le monde sans tenir compte de la durabilité du secteur en question.

Le montant global consacré aux subsides énergétiques varie selon les estimations entre 240 et 310 milliards de dollars par an, soit 0,7 % du PNB mondial. Il y a peu, l'aide accordée aux énergies renouvelables était cependant encore marginale.

Les auteurs souhaitent souligner que la croissance escomptée qui découlerait du New Deal écologique n'a rien de virtuel et ils avancent plusieurs chiffres pour illustrer leurs propos:

— comme indiqué ci-dessus, le Royaume-Uni entreprendra des investissements d'une valeur de 100 milliards de dollars en vue de construire 4 000 éoliennes terrestres et 3 000 éoliennes en mer d'ici 2020, ce qui entraînera la création de plus de 160 000 emplois;

— la Norvège a annoncé ce mois-ci que son budget national pour la recherche d'énergies renouvelables doublera et s'élèvera alors à 3,4 milliards de dollars;

— le marché mondial des produits et des services durables au profit de l'environnement vaut actuellement 1 370 milliards de dollars ou 1 000 milliards d'euros (22) . D'ici 2020, ce marché doublera pour atteindre la valeur de 2 740 milliards de dollars ou 2 200 milliards d'euros;

— actuellement, 300 000 personnes travaillent dans le secteur de l'énergie éolienne et 170 000 dans le secteur de l'énergie solaire. 600 000 personnes travaillent dans le secteur « solaire thermique », principalement en Chine;

— pratiquement 1,2 million de personnes travaillent dans le secteur de la biomasse-énergie et ce principalement dans quatre pays: le Brésil, l'Allemagne, les USA et la Chine;

— plus de 2,3 millions de personnes travaillent dans le secteur des énergies renouvelables (estimation la plus prudente, selon le PNUE);

— en 2007, la Chine a débloqué 580 millions de dollars d'investissements dans des technologies propres; ces investissements s'élèvent déjà à 720 millions de dollars pour 2008.

Les auteurs attirent l'attention sur le fait que certains pays se conforment déjà depuis quelques années à la logique du New Deal écologique. Aujourd'hui, 250 000 personnes travaillent dans le secteur des énergies renouvelables en Allemagne, ce qui génère d'ores et déjà un revenu de 240 milliards de dollars par an. D'ici 2020, le secteur des énergies renouvelables y sera un plus gros employeur que ne l'est l'industrie automobile.

Les auteurs soulignent, par ailleurs, qu'un nouvel accord climatique est déjà soumis à approbation pour 2009. En conséquence, rien de plus logique que notre pays et notre économie anticipent les normes environnementales renforcées. Notre économie comme notre environnement en bénéficieront.

Le document « New deal écologique mondial » fait un tour d'horizon complet des multiples initiatives qui sont d'ores et déjà prises dans les pays en développement. Deux milliards de personnes n'ont, en effet, pas accès à l'électricité, au pétrole ou au gaz pour leur approvisionnement quotidien. Elles utilisent dès lors le charbon ou le bois pour leur approvisionnement énergétique. Il tombe sous le sens que nous ne pouvons pas instaurer une économie durable au niveau mondial sans reconnaître et sans résoudre les problèmes de ces personnes.

Compte tenu du nombre élevé de consommateurs potentiels d'énergies renouvelables, la crise actuelle est également une opportunité. Les petites économies commencent actuellement à invoquer le « Mécanisme pour un développement propre » qui trouve son origine dans le protocole de Kyoto.

En outre, l'on travaille également à des campagnes de sensibilisation visant des banques, des conglomérats industriels et des investisseurs privés.

Des projets visant à empêcher la perte de gaz lors de l'extraction du pétrole ont ainsi été lancés en RDC. Un projet hydroélectrique a été mis sur pied à Madagascar et les déchets de la culture de la canne à sucre sont récupérés comme biomasse au Kenya.

D'ici 2012, 230 projets auront démarré en Afrique. Ces derniers, dans leur ensemble, peuvent rapporter 65 millions de droits d'émission qui, au prix actuel, représentent 1 milliard de dollars.

C'est un exemple des instruments financiers intelligents qui ont déjà été mis au point. L'on peut encore aller plus loin. Pourquoi ne pas rétribuer les pays qui protègent leur forêt tropicale ? Il faut également continuer à stimuler les microcrédits « verts ».

Un autre exemple d'instruments financiers intelligents a été élaboré en Inde.

Le PNUE, conjointement avec deux banques, a entrepris un projet en Inde visant à réduire les coûts des crédits pour l'installation de panneaux solaires. Les intérêts ont été ramenés à 5 % puis à 2 %. Les banques étaient certaines d'être payées puisque les panneaux solaires génèrent des revenus. 100 000 personnes ont ainsi acheté des panneaux solaires. Aujourd'hui, le projet s'autofinance.

Des initiatives semblables consistant à chauffer l'eau destinée à un usage ménager au moyen de l'énergie solaire sont prises dans le monde entier. L'on estime que, d'ici la fin 2011, des systèmes dont la capacité totale s'élèvera à 2 500 000 m³ d'eau auront été installés au Mexique. D'ici 2020, il devrait s'agir d'une capacité de 23,5 millions de m³ d'eau.

Rien que ce projet créera 150 000 emplois dans ce secteur au Mexique d'ici 2020.

L'agriculture demeure encore l'un des principaux pourvoyeurs d'emplois au monde. 40 % de la main-d'œuvre totale dans le monde travaille dans le secteur agricole. Si nous voulons mener à bien le New Deal écologique mondial, nous devons instaurer un programme alimentaire mondial jouissant d'un soutien international. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) joue un rôle-clé à cet égard. Cette instance est le chef de projet tout indiqué pour le développement d'un soutien à long terme de l'agriculture durable. À cet égard, la lutte contre l'érosion et pour la conservation des sols et de l'eau, la lutte intégrée contre les maladies et les organismes nuisibles, la production biologique, le développement de l'infrastructure et l'extension des services sont indispensables.

Une nouvelle étude de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement et du PNUE souligne que 90 % des recherches en agriculture biologique prouvent que cette dernière a un impact positif sur la fertilité du sol, entraîne une meilleure gestion de l'eau et surtout rétablit la biodiversité.

Plus concrètement, elle permet aux agriculteurs de prolonger la saison de croissance dans des zones agricoles marginales.

D'autres études le confirment également. Le rendement par hectare augmente en moyenne de 128 %. Tout cela accroît également les revenus puisqu'il ne faut pas employer de pesticides. Grâce aux systèmes de certification, la récolte rapporte aussi davantage aux agriculteurs concernés.

Plus concrètement, l'étude en Afrique orientale, qui englobait 1,6 million d'agriculteurs, a montré que leurs revenus augmentaient substantiellement dans 90 % des cas.

Sans réforme de l'économie actuelle, 7,5 millions de kilomètres carrés de zones naturelles disparaîtront entre 2000 et 2050, ce qui correspond à la superficie de l'Australie.

Il est important de savoir que la perte de zones naturelles a également un impact sur d'autres sources de revenus d'un pays. Une étude sur le coût de la disparition de l'habitat naturel est menée depuis peu. Ainsi, aux Caraïbes, la disparition de 80 % de la barrière de corail, qui sera un fait en cas de politique inchangée, s'accompagnera d'un manque à gagner de 300 millions de dollars par an du fait de l'effondrement du tourisme.

L'étude réalisée dans le cadre du New Deal écologique mondial indique qu'un investissement annuel de 45 milliards de dollars dans l'habitat naturel génère un revenu de 5 000 milliards par an. Le rapport entre les coûts et les bénéfices de cet investissement est dès lors de 100/1, ce qui est un rendement très élevé.

Les barrières de corail génèrent des revenus provenant de la pêche, du tourisme et de la protection contre les inondations. Tout cela rapporte entre 100 000 et 600 000 dollars par kilomètre carré. Il est possible de préserver les barrières de corail en investissant 780 dollars par kilomètre carré.

En d'autres termes, un investissement à hauteur de 0,2 % de la valeur de l'écosystème en question permet de préserver l'habitat.

La déforestation est responsable de 20 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Un investissement de 17 milliards de dollars est susceptible de réduire la déforestation de moitié, ce qui engendrerait de l'emploi pour la population locale (tourisme, surveillance, gestion de parc, etc.).

Le New Deal écologique propose de protéger certaines zones de pêche (les « nurseries » — Global Marine protected area network). Il en résultera une perte de 270 millions de dollars sur base annuelle.

Toutefois, la sauvegarde de ces zones de pêche rapporte dans le même temps 80 milliards de dollars au secteur de la pêche grâce à la préservation des ressources halieutiques à moyen et long terme et à l'accroissement annuel de la population de poissons.

Une fois de plus, les Nations unies ne sont pas restées inactives, puisqu'elles ont mis en place des instruments en vue de la préservation des forêts et des barrières de corail. Les auteurs renvoient à l'initiative REDD (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation) (23) . En résumé, cette initiative consiste à évaluer en argent la sauvegarde de la forêt vierge. Les États-Unis ont récemment ratifié une initiative similaire: le Tropical Forest Conservation Act.

Une question parlementaire déposée naguère par la sénatrice Margriet Hermans résume bien cette initiative (24) : « Une forêt représente toujours un capital pour un pays qui ne peut produire des revenus qu'en abattant des arbres. C'est cependant extrêmement néfaste pour la biodiversité et le réchauffement climatique. La réglementation TFCA rompt avec cette logique. »

En résumé, la réglementation signifie que les États-Unis remettent une partie de l'encours des dettes d'un pays à leur égard à condition que le pays en question investisse le montant remis dans la préservation de ses forêts. Plus concrètement, les montants en question doivent être investis dans un fonds de conservation de la forêt vierge dans le pays concerné. Ce fonds soutient des projets concrets des communautés et des ONG locales dont l'objectif est la conservation des forêts. Une autre possibilité pour inciter à la conservation des forêts consiste à allouer directement des moyens à un pays qui s'engage à préserver ses forêts et à mettre en œuvre une gestion forestière durable. Cette initiative devrait idéalement passer par les Nations unies.

Les Nations unies souhaitent insérer l'initiative REDD dans la Convention sur le climat après 2012. La Norvège a d'ores et déjà débloqué 3 milliards de dollars en faveur de ladite initiative.

Selon les auteurs, ce qui paraît excessif à première vue ne l'est pas du tout. Rien qu'aux États-Unis, un montant de plus d'1,7 milliard de dollars est octroyé directement aux agriculteurs pour la protection de l'environnement.

L'Union européenne consacre actuellement 4,5 milliards d'euros par an à la promotion d'une agriculture respectueuse de l'environnement.

Aux États-Unis, on développe aujourd'hui des instruments financiers encore beaucoup plus avancés, qui permettent aux entreprises et aux citoyens d'acheter des crédits « zones humides ». En 2006, le montant total des encours de crédits « zones humides » s'élevait déjà à 350 millions de dollars. Aux États-Unis, on réalise déjà également des transactions en ce qui concerne les habitats naturels qui abritent une faune et une flore rares. Ce marché représente déjà un montant de 40 millions de dollars.

L'Australie développe actuellement un mécanisme financier similaire (25) , à savoir le Biodiversity Banking and Offsets Scheme:

« BioBanking is a market-based scheme that provides a streamlined biodiversity assessment process for development, a rigorous and credible offsetting scheme as well as an opportunity for rural landowners to generate income by managing land for conservation.

BioBanking enables « biodiversity credits » to be generated by landowners who commit to enhance and protect biodiversity values on their land through a biobanking agreement. These credits can then be sold, generating funds for the management of the site. Credits can be used to counterbalance (or offset) the impacts on biodiversity values that are likely to occur as a result of development. The credits can also be sold to those seeking to invest in conservation outcomes, including philanthropic organisations and government. »

Voilà donc un nouvel exemple d'instrument de marché au profit de l'environnement.

Le marché des cultures produites selon des méthodes durables représentera un montant de 60 milliards de dollars en 2010.

Selon les auteurs de la présente proposition et ceux du New Deal écologique mondial, les gouvernements, dont le nôtre, doivent développer de toute urgence, à l'aide d'instruments créatifs inspirés des modèles australien et américain, des mécanismes de marché et des instruments financiers destinés à récompenser ceux qui investissent dans le patrimoine naturel.

En Afrique du Sud, par exemple, on a mis au point un système de certification qui implique les consommateurs et les entreprises. Au Cape Floral Kingdom, haut lieu de biodiversité, les viticulteurs qui consacrent 10 % de leurs vignobles à la conservation de la faune et de la flore locales rares obtiennent une certification et un label spécifiques. Cela leur permet de pratiquer des prix plus élevés, que le consommateur paye sur un base volontaire. Les auteurs renvoient également aux initiatives de commerce équitable qui existent dans notre pays, comme Efico et Max Havelaar (26) .

Dans le domaine du développement des logements et des villes durables, nous ne partons pas non plus de zéro.

Le potentiel d'économies est considérable. Dans certains pays, 40 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues à la mauvaise conception et isolation des bâtiments.

Une transition mondiale vers des bâtiments à haute efficacité énergétique permettrait de créer des millions d'emplois et de conférer un caractère plus écologique au travail des 111 millions de personnes déjà occupées dans le secteur de la construction.

En investissant dans l'efficacité énergétique des bâtiments, on pourrait créer jusqu'à 3,5 millions d'emplois, rien qu'aux États-Unis et en Europe.

Il est évident qu'une meilleure utilisation des technologies de l'information, une planification urbanistique et l'ingénierie de la circulation font partie du pilier de la construction durable.

CONCLUSION

Petit à petit, l'on se rend compte que la logique d'une consommation illimitée de matières premières dans un monde limité a atteint ses limites.

L'empreinte écologique de l'homme ne cesse d'augmenter et atteint aujourd'hui 2,7 ha par habitant. Compte tenu de la croissance démographique, il va sans dire que nous devons d'urgence renverser la vapeur.

À l'heure actuelle, le marché mondial des biens et services environnementaux se chiffre déjà à 1300 milliards de dollars. Rien qu'à la lumière des tendances économiques actuelles, ce chiffre doublera en 12 ans.

Il est urgent que nous développions à nouveau une vision à long terme pour notre économie et notre avenir. Les pouvoirs publics et le secteur privé doivent mettre la crise financière et la menace de crise économique à profit pour lancer un programme économique audacieux. Certains pays de l'UE, dont l'Allemagne et l'Espagne, ont déjà pris les devants. D'autres, comme la Grande-Bretagne et la France, préparent un plan d'investissement de grande envergure. Notre pays a besoin d'un New Deal écologique.

Si nous nous inscrivons dans la logique du New Deal écologique, nous pourrons être gagnants sur tous les plans. L'environnement s'en portera mieux, les générations qui nous suivent nous seront reconnaissantes et nous pourrons sortir de la crise actuelle grâce à l'économie verte. À moyen terme, les pouvoirs publics et le secteur privé récupéreront largement leurs investissements.

Il s'agira là, évidemment, d'un travail de longue haleine, mais qui débouchera très rapidement sur des opportunités d'emploi concrètes, ainsi qu'en attestent divers projets existants qui s'inscrivent dans la logique du New Deal écologique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si certains pays se disputent dès à présent le leaderschip du marché dans plusieurs secteurs économiques « verts ». Rester à la traîne dans ce domaine serait le signe d'une vision à court terme dont les générations futures feraient les frais, tant en ce qui concerne leur environnement qu'en ce qui concerne la position économique de notre pays par rapport à celle des autres. L'économie durable est au XXIe siècle ce que l'industrialisation fut au XXe siècle. À nous de saisir sans attendre les opportunités qui s'offrent à nous.

Paul WILLE.
Wouter BEKE.
Berni COLLAS.
Philippe MAHOUX.
Francis DELPÉRÉE.
Margriet HERMANS.
Jean-Jacques DE GUCHT.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

Considérant que notre pays doit faire face non seulement à une crise du crédit aux multiples répercussions économiques, mais aussi à une crise nettement plus profonde;

Considérant que nous vivons dans un monde globalisé et que les technologies et l'Internet ont transformé notre planète en un « village global », mais que la prise de décisions n'a pas été adaptée en conséquence; considérant qu'un pays, a fortiori une région, est incapable de relever seul les grands défis auxquels nous sommes confrontés; que si nous voulons aboutir à un développement durable pour tous les citoyens, et par voie de conséquence au maintien de l'espèce humaine sur notre planète, nous devons conjuguer nos efforts au niveau international;

Considérant que le gouvernement a indiqué, par la voix de son premier ministre, qu'il va de soi qu'investir en vue de surmonter la crise, c'est surtout investir dans des projets et initiatives favorisant le développement durable de notre économie;

Considérant qu'après la révolution industrielle, la révolution technologique et la mondialisation, notre monde est à l'aube d'une nouvelle ère: celle de l'économie verte;

Considérant que la leçon à tirer du premier New Deal est qu'il nous faut adopter la même vision globale, ce qui implique une action musclée et un engagement politique fort, pour neutraliser les tempêtes financières et gérer durablement les marchés, tout en songeant aux défis sans précédent qui nous attendent dans le futur, et que, contrairement à ce qui fut le cas pour le New Deal initial, il nous faudra plus que jamais mettre en place une collaboration associant en même temps les autres nations et le secteur privé;

Considérant que le PNB global a doublé de 1981 à 2005 à l'échelle mondiale, tandis que la biodiversité reculait de soixante pour cent durant la même période;

Considérant que le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a lancé en 2006 l'Initiative d'économie verte qui est basée sur l'étude intitulée « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » (EEB) financée par l'UE et l'Allemagne, et qui a débouché sur la note « Le New Deal écologique mondial »;

Considérant que le New Deal écologique mondial souhaite élaborer une feuille de route destinée à tous les gouvernements en vue de développer une économie durable apportant en même temps une réponse appropriée au ralentissement de notre économie, et ce, en investissant dans de nouveaux emplois verts issus de nouvelles technologies et de projets axés sur l'emploi, qui déboucheront à leur tour sur une économie durable;

Se référant à l'étude « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » (EEB) réalisée à la demande du G8;

Se référant à la première étude d'ensemble mondiale sur la nécessité de créer des emplois verts, publiée le 26 septembre 2008: « Emplois verts: pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone »;

Se référant à la loi « Green Jobs Act » que les États-Unis ont adoptée en 2007 et constatant que d'ici 2017, plus de 14 millions d'Américains travailleront dans l'économie dite « verte »;

Considérant que la Grande-Bretagne prévoit la réalisation d'investissements « verts » à une échelle sans précédent pour susciter la création d'emplois et sortir en même temps le pays de la récession annoncée. Ces efforts seront consignés dans un Livre blanc qui sortira au début de l'année 2009 et qui mettra plus particulièrement l'accent sur le développement des énergies renouvelables et l'introduction de voitures électriques, en tant que transition vers une économie verte;

Se référant au rapport « Emplois verts » des Nations unies, qui prévoit qu'en Allemagne, la technologie environnementale représentera 16 % de la production industrielle d'ici à 2030, et que les emplois générés par l'économie verte y dépasseront ceux de la construction automobile d'ici à 2020;

Se référant à l'exemple espagnol qui démontre que des efforts intenses et soutenus de la part des autorités et du secteur privé s'avèrent rapidement bénéfiques pour l'économie et l'écologie;

Considérant que plus la part des énergies renouvelables augmentera, plus l'importance stratégique des matières premières primaires diminuera au profit de la technologie, ce qui avantagera dès lors les pays qui ne possèdent pas de matières premières primaires mais qui disposent du savoir-faire et des connaissances technologiques nécessaires afin de développer des pôles de compétence en matière d'énergie renouvelable;

Se référant à la feuille de route du New Deal écologique mondial, qui comprend trois piliers, qu'il convient de définir comme suit:

La valeur écologique de la nature en tant que telle doit être traduite en termes économiques;

Le plan met l'accent sur la création d'emplois en stimulant les investissements dans des emplois verts, grâce à une politique axée sur le développement d'une économie durable;

Le plan s'inscrit dans le fonctionnement du marché; Des instruments financiers innovants et des signaux du marché sont capables d'accélérer la transition vers une économie verte;

Considérant que d'ici deux ans, le PNUE proposera aux gouvernements une panoplie d'outils concrets et que de nombreux pays se disputent déjà le leadership du marché dans plusieurs sous-secteurs de l'économie verte;

Considérant qu'il ressort clairement du New Deal écologique mondial que la croissance prévue n'a rien de virtuel, qu'elle est au contraire le résultat d'études concrètes réalisées par des économistes; que le marché global des produits et services durables favorables à l'environnement se monte déjà à 1 370 milliards de dollars, soit 1 000 milliards d'euros (27) et que ce marché doublera d'ici 2020 pour atteindre 2 740 milliards de dollars, soit 2 200 milliards d'euros;

Considérant qu'il y a urgence et que tout nouveau retard aura un coût écologique et économique élevé, et vu l'importance des mesures à prendre pour les générations présentes et à venir.

Demande au gouvernement fédéral:

D'élaborer sans plus attendre, en s'inspirant de l'exemple britannique, un plan d'action concret en collaboration avec les communautés et les régions, ainsi qu'avec les partenaires sociaux, et de le présenter d'ici 2009 lors d'une conférence commune. Ce plan d'action définira des objectifs concrets en matière d'investissement et d'emploi, tout en prévoyant une évaluation annuelle et la communication au parlement de rapports bisannuels sur sa mise en œuvre;

Dans le cadre de ce plan d'action, de tirer les leçons nécessaires des mesures déjà prises par nos voisins ainsi que par d'autres membres de l'UE, conformément au principe des « bonnes pratiques »;

D'insister auprès de l'Union européenne pour qu'elle fasse évoluer la politique agricole commune vers une politique écologique durable;

Lors de l'élaboration de ce plan d'action, de travailler en étroite concertation avec le Programme des Nations unies pour l'environnement et d'insister également auprès de la Commission européenne pour qu'elle prenne une initiative commune en complément aux initiatives nationales;

De débloquer des moyens financiers substantiels en collaboration avec les communautés et les régions afin de mettre en œuvre les projets d'investissement qu'elles comptent développer avec le secteur privé, dans le cadre du New Deal écologique mondial; à partir du plan d'action élaboré, de s'orienter vers une économie verte, conformément aux trois piliers du New Deal écologique mondial, et de définir dans ce cadre des objectifs ambitieux qui permettront à la Belgique d'occuper une position de leader du marché dans divers pôles de compétence « verts » en matière de produits et services;

D'apporter un soutien financier et matériel à l'Initiative d'économie verte et au PNUE en suivant l'exemple de l'Allemagne et de la Norvège, et d'échanger les expertises avec le PNUE afin d'élaborer et de mettre en œuvre efficacement le New Deal écologique mondial dans notre pays;

D'élaborer un plan Debt for Nature en suivant l'exemple des États-Unis et leur Tropical Forest Conservation Act, et ce plus particulièrement vis-à-vis de nos partenaires, en vue de préserver leurs forêts vierges et leur patrimoine maritime;

De soutenir explicitement l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) afin de développer un support à long terme pour l'agriculture durable, et ce dans tous les domaines.

4 novembre 2008.

Paul WILLE.
Wouter BEKE.
Berni COLLAS.
Philippe MAHOUX.
Francis DELPÉRÉE.
Margriet HERMANS.
Jean-Jacques DE GUCHT.

(1) Zuckerman Says U.S. Economy May Face « Perfect Storm », http://www.bloomberg.com/apps/news ?pid=newsarchive&sid=aHLKk89J4tW8

(2) De Morgen, Opinie: « Ban Ki-Moon verdedigt de groene Deal van de Verenigde Naties », 23 octobre 2008.

(3) Réponse du premier ministre Yves Leterme à la question orale no 4-424 de M. Paul Wille au premier ministre sur « le Global Green New Deal » (Annales du 23 octobre 2008, no 4-46, p. 8).

(4) http://www.rte.ie/business/2008/1016/subprime.html

(5) Ser/SAL, « Kredietcrisis is kans om te leren leven met beperkingen planeet » (WWF), Belga, 28 octobre 2008.

(6) Worldwatch institute with the assistance of Cornell University, « Green Jobs: Towards decent work in a sustainable, low-carbon world », septembre 2008, 25 p. http://www.unep.org/labour_environment/PDFs/Greenjobs/UNEP-Green-Jobs-Towards-Sustainable-Summary.pdf

(7) Lean, G, « A « Green New Deal » can save the world's economy, says UN », The Independent (Royaume-Uni), 12 octobre 2008.

(8) http://www.trouw.nl/groen/nieuws/article1875982.ece

(9) http://www.peopleplanetprofit.be/artikel.php ?IK=1579

(10) « Green Jobs Act of 2007, » Thomas.gov http://thomas.loc.gov/cgi- bin/bdquery/z ?d110:HR03221:@@@L&summ2=m&

(11) http://en.wikipedia.org/wiki/Clinton_Global_Initiative

(12) « 'Green Collar' Jobs Have Growth Potential, » United Press International, 26 mars 2008.

(13) http://en.wikipedia.org/wiki/Clinton_Global_Initiative

(14) http://www.independent.co.uk/environment/green-living/pm-plans-green-investment-drive-973824.html

(15) Hilary Benn, The Secretary of State for the Environment, IOS.

(16) http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp ?DocumentID=548&ArticleID=5957&l=fr

(17) http://www.sustainergy.nl/index.php ?option=com_content&task=view&id=37&Itemid=1

(18) http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3596349,00.html

(19) « Renewable energy: Revolutions turn nation into green leader », Financial Times, 20 juin 2007.

(20) http://www.trends.be/nl/4-1461-42489/groene-energie-redt-belgische-economie.html#topPage

(21) http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp ?DocumentID=548&ArticleID=5957&l=fr

(22) Roland Berger consultants.

(23) http://www.wrm.org.uy/bulletin/120/Emissions.html

(24) http://www.senate.be/www/ ?MIval=/index-senate&MENUID=24400&LANG=fr

(25) Biodiversity Banking and Offsets Scheme, http://www.environment.nsw.gov.au/resources/biobanking/biobankingoverview07528.pdf

(26) http://www.eficofoundation.org/

(27) Roland Berger consultants.