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20 NOVEMBRE 2008
En mars 2007, en réponse à la hausse des prix de l'essence, à la sécurité énergétique et au changement climatique, les dirigeants européens se sont engagés à augmenter la part des agrocarburants dans les transports de 10 % d'ici 2020.
Dans cette perspective, il devenait également essentiel que l'Europe mette en place des clauses de sauvegarde environnementales pour s'assurer que la production d'agrocarburants soit durable. Une directive européenne plus vaste sur les énergies renouvelables devait introduire une série de « critères de durabilité » pour les agrocarburants, afin de faire face aux inquiétudes grandissantes sur les risques liés à leur production massive, notamment la déforestation, l'envolée des prix alimentaires et le manque d'eau.
L'idée d'utiliser des agrocarburants dans le transport n'est pas neuve. Lors du choc pétrolier des années 70, plusieurs pays avaient déjà envisagé le recours à cette filière mais le manque de rentabilité de ce type de carburants « écologiques » constituait alors un obstacle majeur à leur développement. Pour autant, si dans un contexte encore récent (flambée du cours du baril de pétrole et application du Protocole de Kyoto), l'usage des agrocarburants apparaissait comme l'une des solutions possibles et partielles permettant aux pays européens de réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis des combustibles fossiles et de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre, la conjoncture actuelle de déficit en sécurité alimentaire des pays en développement (PVD) semble rendre les agrocarburants de première génération inadéquats au regard de leurs conséquences sur la répartition des fruits de la production agricole locale.
Si les programmes développés par l'Union européenne et les États-Unis étaient compréhensibles dès le moment où le prix des aliments était beaucoup plus bas et que les réserves de denrées alimentaires étaient plus importantes, ils ne le sont plus maintenant au regard des conditions actuelles de pénurie alimentaire mondiale !
Selon Jeffrey Sachs (conseiller spécial auprès du secrétariat général des Nations unies), il convient dès à présent de repenser les politiques de l'Union européenne et des États-Unis visant à promouvoir l'utilisation des agrocarburants. L'une des solutions envisagées, tant par Fisher Boel (commissaire européenne en charge de l'Agriculture) que par Jeffrey Sachs, est de plébisciter les agrocarburants de seconde génération, fabriqués à partir de matériaux non alimentaires tels que les déchets agricoles, les feuilles, les écorces d'arbres, les copeaux de bois et la paille. L'un de leurs avantages, outre un équilibre meilleur en termes de gaz à effet de serre, de meilleure qualité que les agrocarburants de première génération et de production à des prix concurrentiels, est que ces agrocarburants de « seconde génération » sont capables d'utiliser une plus grande quantité de matière première de biomasse et n'interfèrent pas avec la production alimentaire !
En décembre 2007, la Commission européenne devait définir ces agrocarburants de seconde génération dans l'évaluation à mi-parcours de sa directive sur les agrocarburants. Cette définition devait se fonder sur le type de matières premières à partir desquelles les agrocarburants sont produits, sur le type de technologie utilisée pour les produire ou sur d'autres critères, comme la capacité à générer des économies de CO2.
Dans cette perspective, il est maintenant essentiel que les autorités publiques limitent les subventions accordées aux agrocarburants issus de plantes alimentaires pour les augmenter vers les agrocarburants qui réduisent réellement les émissions de gaz à effet de serre, et permettent par là même de lutter contre d'autres problèmes environnementaux et humains.
Enjeux, conséquences et perspectives des agrocarburants pour les pays en développement
Aujourd'hui, les agrocarburants satisfont environ 1 % de la consommation d'énergie de transport de l'UE. L'objectif de 2020 équivaut, par conséquent, à une augmentation considérable de la demande en agrocarburants, tout d'abord parce qu'il faudrait multiplier par dix la part de ceux-ci dans la consommation totale d'énergie de transport et deuxièmement parce que cette consommation ne cesse d'augmenter. Pour réduire cet écart, l'UE devrait importer des agrocarburants des pays en développement où il est possible de cultiver plus rentablement les matières premières comme la canne à sucre et le palmier à huile.
Certes, depuis les aspects agronomiques jusqu'aux aspects de marché en passant par les aspects techniques, réglementaires, environnementaux et éthiques, les agrocarburants sont aujourd'hui une réalité et peuvent constituer une opportunité de développement aux pays du Sud. Ils peuvent permettre l'indispensable intensification agricole, libératrice de terres et garante du développement économique et social des populations rurales et des économies du Sud.
Dans de bonnes conditions, les agrocarburants peuvent donc significativement aider à réduire la pauvreté avec une relance des secteurs agricoles et l'ouverture de marchés aux petits exploitants afin de satisfaire les intérêts et la satisfaction des besoins premiers prioritaires des populations défavorisées. Cette nouvelle source énergétique de « seconde génération » permettrait alors un développement agricole au profit d'un développement économique et social des sociétés locales. Enfin, ces agrocarburants générés par les pays en développement permettraient également à ceux-ci d'éviter d'être soumis à une certaine dépendance énergétique et financière (notamment au regard de l'actuelle stratégie du « tout à l'exportation »).
En conséquence, le rôle des autorités publiques afin d'orienter les acteurs du marché dans des voies offrant la meilleure adéquation avec les objectifs de développement nationaux est donc fondamental. En effet, toute initiative allant en ce sens ne peut se faire sans un appui des actions locales destinées à réduire rapidement l'impact négatif sur la sécurité alimentaire. Des garde-fous institutionnels et des priorités nationales doivent être élaborés rapidement afin de permettre un accroissement de la productivité de l'agriculture locale au profit d'une amélioration de la sécurité alimentaire. Il s'agit avant tout, pour tout pays en développement, de fixer les enjeux et définir les priorités nationales (sécurité alimentaire, sécurité énergétique, revenus locaux, accessibilité durable aux marchés, etc.).
D'autre part, l'intensification agricole permettant d'augmenter les rendements et de faire face aux différents besoins de produits agricoles, dans le respect de l'environnement, apparaît également incontournable. Telle intensification nécessite une recherche agricole forte, pour proposer de nouvelles technologies plus économes et mieux intégrés. Ces recherches doivent bien évidemment concerner de nouvelles cultures, telle les cultures ligno-cellulosiques (composantes essentielles des agrocarburants de seconde génération), tout en minimisant leur exigence en eau, en accroissant la sécurité alimentaire et les revenus des populations locales ainsi qu'en considérant la problématique de disponibilité des terres.
Impact des agrocarburants sur la sécurité alimentaire
La production d'agrocarburants crée une compétition pour les ressources alimentaires et autres produits agricoles. Selon de récents rapports de la FAO et de l'OCDE, les dix prochaines années connaîtront une augmentation mondiale substantielle du prix des denrées alimentaires aux environs de 20 à 50 %, comparée aux années précédentes, qui serait en partie imputable aux agrocarburants.
Au sein des PVD, les populations qui n'ont pas les moyens de tirer parti du marché des agrocarburants et des opportunités qui leur sont associés en termes de moyens d'existence sont exposées à une plus grande insécurité alimentaire. Au niveau national, les pays à faible revenu qui comptent sur les importations alimentaires sont les plus exposés à ce risque. La FAO a dressé la liste de 82 pays considérés comme « à faible revenu et à déficit vivrier » (PFRDV). Ils représentent deux tiers de la population mondiale et plus de la moitié d'entre eux sont situés en Afrique. Si dans certains de ces pays la hausse des prix à l'exportation provoquée par la demande en agrocarburants peut compenser la hausse des prix à l'importation, d'autres PFRDV n'ont tout simplement pas une production alimentaire suffisante pour subvenir à leurs besoins (pour cause de conflits, d'infrastructures déficientes, de géographie ou de climat) et se voient plus menacés par les agrocarburants qu'ils n'en sont bénéficiaires.
En conclusion, sans la mise en place de politiques appropriées entre les sociétés, les gouvernements producteurs et les gouvernements importateurs, cette demande accrue en agrocarburants ne fera qu'aggraver les impacts sociaux négatifs dans les PVD.
Olga ZRIHEN Philippe MAHOUX Joëlle KAPOMPOLÉ. |
Le Sénat,
A. considérant que la production d'agrocarburants — tout comme l'augmentation de la demande en matières premières agricoles des pays émergents comme la Chine et l'Inde, la forte diminution de la production et des rendements agricoles dans certaines régions du monde, et la spéculation sur les matières agricoles — constitue un facteur supplémentaire à la situation actuelle de déficit de sécurité et de souveraineté alimentaires;
B. considérant les conséquences de la production d'agrocarburants — tant en Belgique qu'à l'étranger — que ce soit sur l'impact réel en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le prix des denrées alimentaires, la biodiversité (appauvrissement par le développement de monocultures) ou les populations (violations des droits humains et des libertés syndicales);
C. considérant le droit à l'alimentation comme un droit fondamental de l'homme et rappelant l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976;
D. considérant l'objectif fixé par le Conseil des ministres européens de mars 2007 selon lequel la part des agrocarburants dans les transports devrait atteindre 10 % d'ici 2020 et considérant que dans le cadre de cet objectif, la Belgique soutient le développement des agrocarburants dits de « seconde génération » (voire de « troisième génération ») qui, pour leur majeure partie, valorisent les déchets;
E. considérant la loi belge du 10 juin 2006 prévoyant que les unités de production d'agrocarburants assurent leur sécurité d'approvisionnement en matière première agricole et anticipant également l'exigence actuelle de critères de durabilité en cours de développement au niveau européen;
F. considérant la nécessité de définir un système de critères de durabilité rigoureux incluant non seulement des objectifs et des critères environnementaux, mais aussi sociaux;
Demande au gouvernement:
1. de réaffirmer, au sein des diverses instances internationales et européennes (plus précisément au sein du Conseil européen de l'Énergie, du Conseil européen de l'Environnement et du Conseil des ministres européens), l'engagement belge pour le développement des agrocarburants dits de « seconde et troisième génération » produits à partir des déchets et résidus issus de la biomasse;
2. d'insister auprès de l'UE pour qu'elle adopte une position claire sur ces agrocarburants de « deuxième et troisième génération » comportant des critères de durabilité sociaux, environnementaux et énergétiques. En l'absence de critères précis européens dans un délai court, un moratoire sur la production et l'importation d'agrocarburants devra être envisagé;
3. de faciliter, dans le cadre de la définition européenne des critères de durabilité robustes, harmonisés et contrôlables, une démarche inclusive impliquant les pays producteurs et les organisations représentant les catégories sociales les plus touchées par les normes sociales (hommes et femmes travaillant dans les monocultures, petits exploitants, communautés locales et « peuples autochtones »);
4. de demander à l'Union européenne de défendre au sein des instances internationales, plus spécifiquement au sein de l'OMC, l'usage d'agrocarburants de « seconde et troisième génération » conformes aux critères de durabilité qu'elle aura arrêtés;
5. de s'assurer que les futures dispositions européennes garantissant la réduction des émissions de gaz ne se fassent pas aux dépens des moyens d'existences des populations les plus défavorisées et de garantir la mise en œuvre de priorités stratégiques en faveur des populations pauvres, des travailleurs agricoles et de l'environnement des pays en développement;
6. de demander à la Commission européenne d'intégrer, dans tous les projets relatifs au développement d'agrocarburants, des normes sociales et environnementales, la promotion d'un travail digne qui respecte les droits humains et les conventions internationales de l'OIT, et la garantie de la souveraineté et de la sécurité alimentaires des populations concernées;
7. d'inciter les pays émergents et en développement de mettre en place un cadre institutionnel et réglementaire (législations nationales) précis offrant la possibilité de développement d'agrocarburants durables prenant en considération les contextes régionaux afin d'œuvrer à la satisfaction des intérêts et des besoins premiers prioritaires de leurs populations locales;
8. de réduire les subventions envers les producteurs d'agrocarburants issus des plantes alimentaires (« première génération ») au profit de celles qui ont une faible empreinte carbonique (« deuxième et troisième génération ») comme les déchets de culture et les agrocarburants dérivés de plantes cellulosiques;
9. d'investir dans la recherche et les techniques appropriées dans le domaine des agrocarburants de « deuxième et troisième génération »;
10. d'encourager dans le cadre de sa politique de coopération au développement, notamment par le transfert des technologies y afférentes, les acteurs du secteur agricole des pays partenaires qui souhaiteraient investir dans des cultures énergétiques durables et non concurrentielles à celles indispensables à l'autosuffisance alimentaire;
11. d'accroître l'investissement dans l'énergie renouvelable, solaire, éolien et toutes autres formes, pour permettre un meilleur rendement en termes de protection du climat et de sécurité alimentaire que les agrocarburants actuels.
5 juin 2008.
Olga ZRIHEN Philippe MAHOUX Joëlle KAPOMPOLÉ. |