4-994/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

6 NOVEMBRE 2008


Proposition de loi visant à supprimer les parachutes dorés et à encadrer la rémunération des dirigeants

(Déposée par M. Josy Dubié et Mme Freya Piryns)


DÉVELOPPEMENTS


Le Code belge de gouvernance d'entreprise, plus connu sous le nom du Code Lippens, stipule uniquement que: « Le niveau de rémunération est suffisant pour attirer, garder et motiver des administrateurs et managers exécutifs ayant le profil défini par le conseil d'administration. ».

Ce Code de gouvernance ne préconise qu'un niveau de salaire suffisant, sans s'interroger sur la question des salaires excessifs. Pour toute mesure régulatrice, il est stipulé que les rémunérations des dirigeants devront être publiées dans le rapport annuel de l'entreprise.

De plus, ce Code n'est pas contraignant et plusieurs entreprises du BEL20 ne respectent pas la recommandation de publication des rémunérations.

Dans le contexte actuel de crise financière et bancaire gravissime et de faiblesse du pouvoir d'achat des travailleurs, les indemnités de départ, ou plus communément appelées « parachutes dorés », versées aux dirigeants d'entreprise suscitent une profonde et légitime indignation auprès de la population qui subit actuellement les conséquences néfastes des erreurs commises par ces mêmes dirigeants.

En pratique, les parachutes dorés constituent très souvent une récompense pour les mauvaises prestations des dirigeants d'entreprise.

Le versement de ces primes de départ astronomiques constitue une pratique immorale, d'autant plus que les salaires des dirigeants qui bénéficient de ces primes sont déjà, en soi, bien souvent disproportionnés par rapport à la valeur ajoutée réelle des dirigeants précités.

L'argument, selon lequel les primes de départ compensent le risque de licenciement pris par le dirigeant, est non fondé. En effet, cet argument est déjà avancé pour justifier les rémunérations exorbitantes dont ils bénéficient. En outre, personne n'est aujourd'hui à l'abri du risque de licenciement, d'autant plus que ce sont les salariés et les contribuables qui payent, in fine, le prix des mauvaises décisions des dirigeants.

Par ailleurs, les rémunérations variables liées à l'évolution des cours boursiers dont bénéficient les dirigeants d'entreprise sont également inefficaces, inopportunes et même dangereuses.

Un dirigeant d'entreprise qui a besoin d'un tel incitant pour effectuer son travail, qui devrait consister à défendre les intérêts de l'entreprise et ceux de ses salariés et actionnaires, ne convient pas pour une telle fonction. De plus, comme l'a montré le lauréat du prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz dans plusieurs de ses ouvrages, de telles rémunérations variables encouragent les dirigeants d'entreprise à privilégier les résultats à court terme de l'entreprise au détriment de l'intérêt à plus long terme de cette dernière.

Interrogé sur la raison de l'ampleur de sa rémunération en 2007, qui a atteint la somme de 3,91 millions d'euros, l'ancien CEO de Fortis Jean-Paul Votron déclarait à la presse: « Il n'y a pas beaucoup de gens qui savent faire le boulot que je fais, tout comme peu de gens savent jouer au tennis comme Justine Henin. » (1) Cette déclaration est le reflet de l'arrogance et de la vanité qui caractérise une certaine élite managériale d'aujourd'hui.

En somme, les rémunérations disproportionnées et injustifiées des dirigeants d'entreprise sont à la fois une atteinte grave à l'ordre social et un non-sens économique. Pour cette raison, la présente proposition de loi entend plafonner la rémunération des dirigeants d'entreprise.

Vu qu'une loi ne peut en principe agir avec un effet rétroactif, il n'est pas possible d'interdire les rémunérations excessives payées antérieurement à son entrée en vigueur. Par contre, il est possible d'imposer de façon dissuasive les rémunérations excessives octroyées à partir du 1er janvier 2008. Afin d'éviter l'écueil de la définition du dirigeant d'entreprise et afin de ne pas créer de discriminations, il est proposé d'appliquer une taxation supplémentaire sur les rémunérations excédant un certain plafond.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article 2 entend appliquer un impôt supplémentaire de 30 % sur la partie de la rémunération annuelle qui dépasse 1 000 000 d'euros, après retenue des cotisations sociales. Cette taxe s'ajoute aux autres impôts et cotisations applicables en vertu de la législation en vigueur.

Par rémunération ordinaire, il y a lieu d'entendre les rémunérations qui sont attribuées à des personnes physiques ou morales en vertu d'un contrat de travail, d'un contrat d'entreprise ou d'un mandat. Les avantages de toute nature et la rémunération variable, à l'exception des options sur actions, sont compris dans la rémunération ordinaire.

Article 3

L'article 3 entend imposer aux personnes qui ont une rémunération annuelle supérieure à 250 000 euros, après retenue des cotisations sociales, un taux de 100 % sur les indemnités de départ dépassant 250 000 euros ou dépassant un mois de rémunération par année d'ancienneté dans l'entreprise. Les montants inférieurs à ce seuil sont bien évidemment taxés conformément aux dispositions fiscales en vigueur. La taxe de 100 % appliquée sur le montant de l'indemnité se substitue aux autres impôts en vigueur.

Par ailleurs, les sociétés qui octroient de tels parachutes dorés se verront pénalisées par une taxe proportionnelle de 15 % sur leur bénéfice imposable. Cette taxe vient s'ajouter aux autres taxes et impôts.

Article 4

L'article 4 vise principalement la rémunération sous forme d'options sur actions ou d'actions, mais est formulée de manière à éviter le contournement de la loi. La taxe de 100 % est appliquée sur le montant de l'avantage calculé en fonction de la législation en vigueur.

Article 5

L'article 5 prévoit le mécanisme d'indexation des montants en euro visés aux articles 2 à 4. Ce mécanisme d'indexation est identique à celui de l'article 178 du Code des Impôts sur les Revenus 1992.

Josy DUBIÉ.
Freya PIRYNS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, le montant de la rémunération ordinaire annuelle excédant 1 000 000 d'euros, après prélèvement des cotisations sociales, est soumis à une taxe supplémentaire de 30 %.

Art. 3

Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, pour les personnes qui ont une rémunération annuelle excédant 250 000 euros, après prélèvement des cotisations sociales, le montant des indemnités de départ qui excède un mois de rémunération par année d'ancienneté, après prélèvement des cotisations sociales, ou qui excède 250 000 euros, est imposé à un taux de 100 %.

Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, la société qui octroie une rémunération de départ supérieure, calculée conformément à l'alinéa 1er, en vertu d'un contrat de travail, d'un contrat d'entreprise ou d'un mandat, est soumise à une taxe supplémentaire de 15 % sur son bénéfice imposable.

Art. 4

Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, toute rémunération ou partie de rémunération qui est liée à l'évolution de cours boursiers, octroyée ou calculée sous quelle que forme que ce soit, est soumise à une taxe de 100 %.

Art. 5

§ 1er. Les montants exprimés en euros dans la présente loi sont adaptés annuellement à l'indice des prix à la consommation du Royaume.

§ 2. L'adaptation est réalisée à l'aide du coefficient qui est obtenu en divisant la moyenne des indices des prix de l'année précédant l'année en cours par la moyenne des indices de l'année 2007.

§ 3. Pour le calcul du coefficient, on arrondit de la manière suivante:

1º la moyenne des indices est arrondie au centième supérieur ou inférieur d'un point selon que le chiffre des millièmes d'un point atteint ou non 5;

2º le coefficient est arrondi au dix millième supérieur ou inférieur selon que le chiffre des cent millièmes atteint ou non 5.

Après application du coefficient, les montants sont arrondis au multiple de 10 euros supérieur ou inférieur selon que le chiffre des unités atteint ou non 5.

Art. 6

La présente loi s'applique aux revenus de l'année 2008 et des années suivantes.

23 octobre 2008.

Josy DUBIÉ.
Freya PIRYNS.

(1) « Salaire: « Peu de gens savent faire le boulot que je fais » », in La Libre Belgique, 23 avril 2008.