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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 26 JUIN 2008 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de M. Marc Elsen à la vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique sur «l'évaluation des risques des rayonnements cumulés des antennes GSM» (nº 4-383)

Demande d'explications de Mme Anne Delvaux à la vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique sur «l'utilisation du GSM» (nº 4-385)

M. le président. - Je vous propose de joindre ces demandes d'explications. (Assentiment)

M. Etienne Schouppe, secrétaire d'État de la Mobilité, adjoint au premier ministre, répondra.

M. Marc Elsen (cdH). - Ces derniers jours, la presse a fait état d'études relatives aux effets des ondes électromagnétiques émises par les GSM et les antennes de téléphonie mobile. Des spécialistes ont par ailleurs établi une liste de recommandations au sujet de la technologie sans fil en général et de l'utilisation appropriée des téléphones portables en particulier.

Depuis longtemps, les propos des experts et chercheurs se contredisent. Certains attirent l'attention sur les dangers des rayonnements pour la santé publique : effets sur les tissus humains, effets thermiques néfastes, risque de cancer, même si peu tiennent compte de la période de latence de la maladie. D'autres sont d'avis que le danger est très faible.

À ce jour, seules les ondes des antennes prises individuellement sont mesurées alors que les rayonnements cumulés, c'est-à-dire les rayonnements émanant de toutes les sources électromagnétiques présentes dans un périmètre déterminé représentent, en termes d'impact réel, le véritable enjeu de ce débat.

Les ondes émanant des antennes radiophoniques et télévisuelles doivent également être prises en compte. Elles sont beaucoup moins nombreuses mais leurs rayonnements bien plus intenses.

La confusion affecte diverses matières et complique certaines décisions. Sur le plan légal, les villes et communes, par exemple, doivent décider sur la base de considérations urbanistiques mais les pouvoirs publics devraient aussi se soucier de l'impact sur la santé publique et être en mesure de prendre position clairement sur cet enjeu majeur.

Nos concitoyens doivent être informés des dangers qui les entourent, raison pour laquelle il convient en l'occurrence de mesurer les effets cumulés des sources de rayonnements. Quelles actions compte entreprendre la ministre ? Ne serait-il pas utile de mettre sur pied une commission d'experts afin d'établir les risques encourus par la population eu égard au principe de précaution ?

Mme Anne Delvaux (cdH). - Plusieurs études récentes mettent en évidence la possibilité d'un risque sur le cerveau, lié à une utilisation intense et de longue durée d'un téléphone mobile. Les professionnels de la santé admettent qu'il y a un faisceau d'arguments scientifiques inquiétants concernant la nocivité de l'utilisation du GSM.

En l'absence de conclusions définitives prouvant le caractère inoffensif de l'utilisation du téléphone portable sur la santé, notamment celle des enfants, le principe de précaution s'impose.

La brochure du SPF Santé concernant les effets des champs électromagnétiques venant d'être présentée, je m'abstiendrai d'énumérer les recommandations des cancérologues et je ferai l'impasse sur l'information relative aux principes de précaution. Je me focaliserai plutôt sur l'intérêt d'opter pour un appareil doté d'un débit d'absorption spécifique aussi bas que possible en fonction des besoins.

En Europe, depuis avril 2000, la mise sur le marché des appareils de téléphonie mobile est soumise à des normes précises, la valeur du débit d'absorption spécifique ne pouvant dépasser deux watts par kilogramme. Cette norme est-elle encore adaptée ? Qu'en est-il des recherches concernant l'impact du débit d'absorption spécifique sur la santé ?

M. Etienne Schouppe, secrétaire d'État à la Mobilité, adjoint au premier ministre. - Je vous lis la réponse de la ministre Onkelinx.

L'effet connu des champs électromagnétiques de radiofréquence - à partir de 100 kHz environ et plus - est la conversion de l'énergie électromagnétique en chaleur, l'absorption d'énergie. C'est ce qu'on appelle l'effet thermique. La grandeur utilisée pour quantifier le dépôt d'énergie dans les tissus est le débit d'absorption spécifique ou DAS. Dans certaines limites, l'absorption d'énergie ne pose aucun problème pour notre organisme, qui possède un système de thermorégulation. Les changements plus prononcés mettent ce mécanisme sous pression et peuvent entraîner un risque pour la santé.

Une organisation internationale réunissant des experts scientifiques indépendants, l'ICNIRP, International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection, est arrivée à la conclusion qu'une exposition à des champs de très haute intensité qui génèrent un DAS supérieur à 4 W/kg peut perturber la capacité de thermorégulation de l'organisme. Cette observation a été utilisée comme point de départ.

La commission a proposé de fixer les limites d'exposition à 0.08 W/g, en cas d'exposition totale du corps, et à 2 W/kg, en cas d'exposition locale de la tête. Cette dernière limite d'exposition de 2 W/kg est par conséquent applicable aux GSM, qui impliquent une exposition de la tête.

Depuis lors, toutes les recherches expérimentales sont effectuées au départ du contrôle de la valeur DAS. Ces recherches sont ciblées sur les systèmes et changements relatifs aux cellules et tissus des organismes humains et animaux : études in vitro et in vivo.

Par ailleurs, de nombreuses recherches épidémiologiques sont également menées. Au total, quelque 600 études portant sur les champs électromagnétiques sont publiées chaque année. À un niveau d'exposition inférieur aux limites internationales fixées pour l'exposition locale, elles donnent des résultats très variés et parfois contradictoires.

L'étude multinationale Interphone que coordonne le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), aura une importance statistique importante, puisqu'elle repose sur 6.600 cas de tumeurs : gliomes, méningiomes, neurinomes de l'acoustique et tumeurs de la parotide. La publication de ces résultats globaux a été annoncée plusieurs fois, puis différée, mais certains résultats partiels ont été publiés qui sont rassurants pour l'instant.

Les six études qui examinent les cas de neurinomes de l'acoustique ne montrent pas d'augmentation du risque, avec une incertitude à lever pour les utilisateurs depuis plus de dix ans.

Les cinq études sur les méningiomes ne montrent pas d'augmentation du risque.

Aucune des six études concernant les gliomes ne fait apparaître de risque significatif d'utilisation du portable ; le regroupement des études anglaises et nordiques montre un risque relatif de 1,3, à peine significatif pour une utilisation du portable supérieure à dix ans et du même côté que la tumeur.

Les deux études sur les tumeurs de la parotide montrent une certaine augmentation du risque relatif. Cette conclusion découle des études israéliennes et nordiques. Des investigations supplémentaires sont nécessaires pour confirmer ces résultats.

Selon le Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks - SCENIHR - de la Commission européenne, ce sont principalement des études à court terme qui ont été réalisées, sur l'utilisation du GSM pendant moins de dix ans. Celles-ci ne démontrent l'existence d'aucun risque accru de développement de tumeurs du cerveau. Les études à long terme, sur plus de dix ans d'utilisation, sont rares. Il n'y a pas encore assez de données disponibles pour tirer des conclusions définitives.

En ce qui concerne d'autres maladies ou symptômes, les résultats des études sont partagés. D'une part, des études chez des sujets volontaires ne montrent pas de lien entre symptômes ressentis - maux de tête, fatigue, sensation de chaleur - et l'exposition aux rayonnements des téléphones. D'autre part, certaines études font état d'un effet sur la barrière hémato-encéphalique ; cette barrière protège le cerveau contre la pénétration passive de substances présentes dans le sang.

Sur un total d'une dizaine d'études in vivo publiées ces dix dernières années, deux seulement mettent en avant un quelconque effet.

Selon le SCENIHR, les données scientifiques récentes ne remettent pas en cause les limites d'exposition européennes actuelles pour les ondes radio. Néanmoins, il existe des « zones d'ombre » auxquelles il convient de prêter attention.

Je signale dans ce contexte que mon administration a réalisé une brochure intitulée Les champs électromagnétiques et la santé : votre guide dans le paysage électromagnétique. Cette brochure est destinée aux personnes qui cherchent des informations fiables sur les risques éventuels des GSM, des antennes GSM, des réseaux sans fil, des lignes à haute tension et des autres technologies impliquant l'émission d'un rayonnement.

La brochure donne, entre autres, quelques conseils pratiques pour un usage raisonnable des GSM, de la technologie Wi-Fi et des téléphones sans fil. La brochure a été publiée à raison d'un tirage à 50.000 exemplaires, dans les trois langues nationales ; elle est envoyée aux communes, aux administrations régionales ainsi qu'aux autres administrations concernées par cette problématique. Elle sera disponible auprès du SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement.

En ce qui concerne la prolifération des sources d'ondes électromagnétiques de radiofréquence dans notre vie quotidienne, ce qui peut augmenter l'exposition totale de la population avec toutes les conséquences que cela peut engendrer, je puis me rallier, dans une certaine mesure, à votre préoccupation.

La téléphonie mobile est désormais courante partout dans le monde. Avec l'introduction d'une technologie de troisième génération, le nombre de stations de base est en train d'augmenter significativement. D'autres réseaux sans fil permettant l'accès à grande vitesse à Internet et à ses services, comme les réseaux locaux sans fil, deviennent de plus en plus courants dans de nombreux endroits publics. Il y a cependant nombre d'éléments rassurants.

Les normes européennes et nationales qui s'appliquent aux systèmes ont été formulées en termes d'exposition cumulée. Par surcroît, la norme en Belgique est encore quatre fois plus stricte. La limite d'exposition s'applique à la totalité des radiations, à l'ensemble des sources : émetteurs de radio et de télévision, pylônes GSM, antennes des services de police, de l'armée et de radioamateurs.

L'exposition totale est suivie au moyen de mesures des champs électromagnétiques ou de l'exposition individuelle. À cet égard, je voudrais mentionner les travaux de l'Institut belge des services postaux et des télécommunications, de l'ISSeP (Institut scientifique de service public en Wallonie) et de VITO (Vlaamse instelling voor technologisch onderzoek).

Pour ce qui est des études des effets d'exposition cumulés, il convient de remarquer que l'évaluation d'impact est possible quand le lien causal est établi. À ce jour, aucun effet, aucune maladie, aucun symptôme spécifique, attribuable à l'exposition aux ondes électromagnétiques de radiofréquence de faible niveau n'ont pu être démontrés. Le récent appel des cancérologues en France s'adresse uniquement aux utilisateurs de GSM. Nous savons que ce dernier produit une exposition environ 1.000 fois plus élevée que celle à laquelle le grand public est soumis habituellement du fait des stations de base et des réseaux sans fil.

Pour ce qui a trait à l'installation d'une commission d'experts mandatés, il convient de mentionner que nous nous appuyons dans cette matière sur l'organe d'avis scientifique qu'est le Conseil supérieur de la santé. Différents projets lui sont soumis dans le domaine des ondes électromagnétiques. Le projet concernant l'hypersensibilité électromagnétique a été lancé en 2005. Les conclusions sont attendues en 2008. L'avis portant sur les systèmes de communication a été demandé vers la mi-2006. Les travaux ont été finalisés au début de 2008 et ont été présentés hier. Ils préconisent une vigilance et un suivi attentionné de la recherche scientifique en la matière. Ils ont été présentés en même temps que la brochure d'informations précitée. L'avis concernant l'utilisation du GSM dans les hôpitaux a été publié en 2007. Lors de la discussion de la norme fédérale, le CSS a formulé un avis allant dans le sens de la détermination d'une norme d'exposition très basse, s'appuyant pour cela sur l'existence d'indications d'effets biologiques à un niveau d'exposition inférieur à la norme européenne.

En raison de la discorde régnant dans le monde scientifique et des articles alarmistes publiés dans les médias faisant état de nouvelles études scientifiques non confirmées et conduisant à un sentiment d'incertitude, l'opinion publique a l'impression qu'il pourrait subsister des dangers encore inconnus. L'expérience a démontré qu'une communication efficace accroît la confiance du public. J'ai déjà signalé dans ce contexte que mon administration publie depuis hier une brochure intitulée Les champs électromagnétiques et la santé : votre guide dans le paysage électromagnétique. Les programmes éducatifs et la participation du public et des autres parties concernées seront également utiles dans ce contexte.

Par ailleurs, concernant la norme d'émissions des antennes GSM émettant des ondes entre 10 MHz et 10 GHz qui fait l'objet d'un recours au niveau de la Cour constitutionnelle au sujet de la répartition des compétences entre le pouvoir fédéral et les régions, je suis ouverte au dialogue à condition qu'il y ait un consensus scientifique en la matière. L'arrêt de la Cour constitutionnelle sera également important car il est primordial d'assurer la sécurité juridique de la mesure.

M. Marc Elsen (cdH). - Je voudrais simplement signaler qu'il y a, selon nous, une différence entre l'emploi du GSM qui est lié à un choix personnel et les rayonnements électromagnétiques généraux qui ne sont pas le résultat d'un choix individuel et qui s'imposent à tous.

C'est la raison pour laquelle ces importants problèmes de santé publique doivent être posés en des termes différents. Le principe de précaution doit continuer à être appliqué. La ministre a attiré l'attention sur ce qui a déjà été fait. Il est positif de donner confiance à la population mais comme les experts ne tiennent pas tous le même discours, il faut que, politiquement, nous fassions preuve de prudence et de vigilance. L'ISSeP et le VITO possèdent une expertise en la matière. Peut-être faudrait-il encore davantage les rendre attentifs à la question des rayonnements cumulés. Le rapport exigé pour les dossiers d'urbanisme relatifs à de nouvelles installations d'antennes en fait rarement mention. Je conçois d'ailleurs que la mesure soit particulièrement difficile à prendre.

La vigilance est donc de rigueur et l'effort d'information objective de la population doit être poursuivi. Cela me paraît aussi être une mission d'ordre public.

Mme Anne Delvaux (cdH). - Je remercie également la ministre de sa réponse extrêmement détaillée et très explicative. Les recommandations internationales actuelles concernant l'utilisation du GSM ne reposent que sur l'effet thermique, le seul dont l'influence sur la santé est prouvé. En l'état actuel des choses, il n'y a pas de preuve que les ondes modulées de façon numérique aient un effet sur la santé. Un certain nombre d'indications incitent cependant à la prudence. La ministre a d'ailleurs mentionné les fameuses zones d'ombre. Il est indispensable d'informer objectivement sur les principes de précaution mais il faut aussi poursuivre les recherches afin de disposer de plus de certitudes permettant de rassurer le public. Tant que le doute subsistera, le public sera inquiet.