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M. Marc Elsen (cdH). - Ces derniers jours, la presse s'est fait l'écho des travaux du Conseil supérieur de la santé sur les troubles comportementaux des enfants et des adolescents.
Cette étude, qui suscite des questions et appelle une réflexion, est à mettre en parallèle avec la recherche menée dernièrement en France par l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui avait provoqué des réactions en sens divers et avait donné lieu à une pétition qui mettait en question le bien-fondé de ce genre d'étude et avait récolté un nombre important de signatures.
Samedi dernier, un meeting réunissant de nombreux professionnels de l'éducation, au sens large, s'est intéressé à la question de l'utilisation de ces démarches en termes de détection et de prédiction de troubles comportementaux, d'autant que ces derniers sont envisagés sous le label, voire l'alibi de la santé.
Je tiens à souligner l'importance du danger de stigmatisation des jeunes. On peut évidemment faire preuve d'angélisme mais prétendre d'emblée qu'on peut conclure de l'observation du comportement de jeunes enfants qu'un certain pourcentage d'entre eux deviendront des délinquants, cela me paraît faire fi des données les plus élémentaires de la psychologie dynamique et de tous les paramètres intervenant dans l'éducation qui font que chaque histoire est unique et échappe à un modèle mécanique.
Le caractère stigmatisant de cette étude m'inquiète vivement, tout comme le fait qu'elle risque d'inciter une partie de la société à redouter, voire à diaboliser la jeunesse.
Dans quel contexte cette recherche de l'organe fédéral qu'est le Conseil supérieur de la santé s'inscrit-elle ?
Quels sont les garde-fous dans le choix des modèles explicatifs qui pourraient avoir une valeur prédictive concernant le danger pour de jeunes enfants d'entrer dans la délinquance ?
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique. - Je suis bien entendu au courant de l'étude initiée par le Conseil supérieur de la santé sur les troubles de la conduite chez les enfants et les adolescents.
Comme vous le savez certainement, monsieur Elsen, il s'agit d'une initiative propre au Conseil supérieur. Cet organe indépendant dispose de toute liberté pour mener des études et donner des avis sur les matières relevant de sa compétence. Le ministre peut notamment lui demander d'effectuer des études, mais il peut aussi prendre certaines initiatives.
Selon les informations dont je dispose, l'étude sur les « troubles de conduite chez l'enfant et l'adolescent » est un projet réalisé à l'initiative du professeur Pelc, président de la section Santé mentale du CSS. Ce projet a débuté en mai 2007 et se terminera probablement, selon les éléments apportés par le secrétariat du conseil, fin 2008.
Ce secrétariat m'a informée du fait que le groupe de travail est en train d'inventorier des documents, des recherches, des programmes de prévention, d'intervention, de prise en charge, d'assistance ou de traitement liés aux troubles de conduite chez les enfants et les jeunes en menant une enquête auprès des différentes universités. Les experts ont été choisis en fonction de leur expertise dans le domaine de l'institution et/ou université pour laquelle ils travaillent.
Sachez que j'ai effectivement été interpellée à ce propos par le collectif www.forumpsy.be, que j'ai d'ailleurs déjà rencontré jeudi dernier pour écouter ses inquiétudes et recommandations à ce sujet.
Sans me prononcer sur le contenu de cette étude, toujours en cours actuellement, et tout en considérant et respectant le professionnalisme et le sérieux du travail du conseil, j'ai entendu que la critique fondamentale portait sur le fait même d'avoir choisi de mener une étude sur les troubles de conduite, concept qui traduit et implique une vision de l'homme et de sa santé mentale.
J'ai indiqué à cet effet aux représentants du collectif que je souhaitais apprécier toutes les conceptions s'exprimant autour de cette thématique, soit dans le cadre de cette étude, en demandant par exemple un complément d'étude, soit par le biais d'une autre formule de concertation avec l'ensemble des acteurs du secteur, sans privilégier à ce stade une approche particulière.
Néanmoins, sachez que je ne partage évidemment pas toutes les théories voulant conditionner définitivement l'être humain dès sa naissance. Je ne puis en aucun cas souscrire à celles qui veulent confirmer l'existence de signes prédictifs de délinquance à partir des troubles et des problèmes de comportement ou d'attitude dès la petite enfance.
Enfin, comme c'est le cas pour tous les avis du CSS, une fois élaboré et approuvé par le groupe de travail, l'avis doit être validé par le collège, organe décisionnel du conseil. Les avis me sont ensuite envoyés et je suis alors entièrement libre de retenir ou rejeter l'avis et les recommandations.
Par ailleurs, nul n'est bien évidemment tenu de suivre les recommandations édictées par le conseil, qui constituent un avis, certes scientifique, mais non contraignant au plan décisionnel.
Bien entendu, le législateur peut encore décider de transformer des recommandations en législation, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas à l'ordre du jour.
M. Marc Elsen (cdH). - Comme l'a dit la ministre, le Conseil supérieur a une compétence d'avis et d'initiative.
Toutefois, entre les propos tenus et leurs objectifs sous-jacents, et ce qui est concrétisé, il y a parfois de la marge. Le fait d'inventorier les programmes de prévention et d'accompagnement auprès des universités est donc en soi une bonne chose, et ce, d'autant qu'il y a, tant au nord qu'au sud de notre pays, beaucoup de programmes universitaires de grande qualité.
Il faut toutefois redouter l'utilisation, voire l'instrumentalisation de ce type de résultats, dont nous devons, d'une façon ou d'une autre, être politiquement maîtres.
Je tiens à souligner toute l'importance de vos propos, madame la ministre, à savoir qu'il s'agit d'un avis pouvant être pertinent selon un certain nombre de considérations, mais qui n'entrave pas notre capacité de choix politiques pour l'avenir.
Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur le sujet, peut-être lors de la parution de ce rapport.
Je relève encore l'analyse positive que vous avez réalisée et, en particulier, l'opposition que vous avez émise. Nous partageons la crainte de modèles prédictifs quelque peu mécaniques. Je pense que l'humanité mérite mieux que cela.