4-793/1

4-793/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

3 JUIN 2008


Proposition de résolution relative à la mortalité maternelle

(Déposée par Mme Marleen Temmerman)


DÉVELOPPEMENTS


Contexte

On entend par « mortalité maternelle » le décès d'une femme pendant la grossesse ou durant les 42 jours suivant l'accouchement. Ce décès doit avoir un lien direct ou indirect avec la grossesse proprement dite. Dans la plupart des cas, on aurait pu remédier à la cause de la mort.

Chaque année, plus d'un demi-million de femmes décèdent à la suite de complications liées à la grossesse et à l'accouchement, dont 99 pour cent dans les pays en voie de développement, et plus de la moitié en Afrique subsaharienne. En Afrique, les femmes risquent de mourir des suites de la grossesse et de l'accouchement dans 1 cas sur 20, contre 1 cas sur 160 en Amérique latine, et 1 cas sur 4 000 dans les pays industrialisés.

14 millions de jeunes filles de 15 à 19 ans accouchent chaque année dans le monde. Dans cette catégorie d'âge, la grossesse est la cause de décès la plus fréquente. On évalue à vingt millions le nombre d'avortements pratiqués chaque année dans des conditions précaires et au moins un quart d'entre eux sont pratiqués sur ces jeunes filles; 78 000 d'entre elles n'y survivent pas.

Depuis la Conférence de Nairobi de 1987 sur la Maternité sans risque, la mortalité maternelle est devenue un thème prioritaire de la politique mondiale de la santé et du développement. Cette conférence a été suivie de nombreux symposiums internationaux faisant de la maternité sans risque une priorité.

La mortalité maternelle constitue également une priorité majeure des efforts de développement internationaux. Lors du Sommet du Millénaire de 2000, l'amélioration de la santé maternelle a été retenue comme 5e Objectif du Millénaire (Millenium Development Goal — MDG5). Le but est de réduire le taux de mortalité maternelle de 75 % entre 1990 et 2015, ce qui représente concrètement une baisse moyenne annuelle de 5,5 % par pays. Mais une étude réalisée par l'Organisation mondiale de la santé a révélé qu'en 2005, la mortalité maternelle n'a même pas diminué globalement de 1 % par rapport à 1990 (1) . Un rapport intermédiaire des Nations unies a également indiqué l'année passée que le MDG5 était l'un des objectifs où l'on avait enregistré très peu, voire pas du tout, de progrès (2) .

Les données qui servent à établir les statistiques de mortalité maternelle présentent de grands écarts quantitatifs et qualitatifs, ce qui complique les comparaisons entre pays et dans le temps. Et même lorsqu'un système d'enregistrement est disponible, il s'avère — au vu de plusieurs études — que la mortalité maternelle en tant que telle n'est pas suffisamment enregistrée. C'est surtout dans les pays à risques élevés que les statistiques sont rares voire inexistantes.

Une étude récente publiée dans la revue The Lancet déplore 535 900 décès maternels dans le monde en 2005 (3) . Ce chiffre correspond à un taux de mortalité maternelle de 402 pour 100 000 naissances. La plupart des cas se concentrent en Afrique subsaharienne (270 500, soit 50 %) et en Asie (240 600, soit 45 %). Près de la moitié de l'ensemble des décès maternels (48 %) ont été enregistrés dans cinq pays, en l'occurrence en Inde, au Nigeria, en République démocratique du Congo, en Afghanistan et en Éthiopie.

L'on relève des écarts importants entre les régions au niveau du nombre de décès maternels, qui varie de 9 pour 100 000 naissances dans les pays développés à 905 pour 100 000 naissances en Afrique subsaharienne. Si l'on compare entre elles les statistiques des différents pays, le contraste est encore plus criant: le taux est inférieur à 10 décès pour 100 000 naissances dans les pays les plus développés, et est de 2 000 pour 100 000 naissances dans certains pays en développement.

Bien qu'au niveau mondial, l'on observe une baisse annuelle de 1 % du ratio de mortalité maternelle de 1990 à 2005, aucune tendance significative à la baisse n'a pu être mise en évidence pour l'Afrique subsaharienne durant cette même période.

Jusqu'à présent, la tendance à la baisse s'est révélée significative pour les pays à revenus moyens élevés et moins élevés. Les pays enregistrant un ratio initial inférieur à 200 décès maternels pour 100 000 naissances ont affiché une baisse de 2,4 % par an, alors que les pays avec un ratio initial supérieur à 200 décès pour 100 000 naissances n'ont pas montré de baisse significative entre 1990 et 2005. Pire, l'Afrique subsaharienne a enregistré une hausse du nombre de décès qui est imputable à la fois à une augmentation des naissances et à une baisse négligeable de la mortalité maternelle (4) .

Ces grands écarts géographiques se répercutent également sur d'autres indicateurs de santé, tels que la mortalité infantile, et montrent que si de réelles initiatives sont prises pour combattre la mortalité maternelle, elles ne sont pas déployées au niveau mondial.

Les causes

Chaque minute, une femme meurt quelque part dans le monde des suites d'une grossesse ou d'un accouchement, la plupart du temps pour une cause à laquelle on aurait facilement pu remédier; 75 % de l'ensemble des décès sont dus à cinq causes directes, en l'occurrence: à une hémorragie, une infection, un avortement pratiqué dans des conditions précaires, un accouchement laborieux et une hypertension. Les autres 25 % sont dus à des circonstances qui, associées à une grossesse, peuvent se révéler fatales, comme la malaria, l'anémie ou le sida.

Selon les NU, de nombreux problèmes pourraient être évités si les femmes pouvaient mieux contrôler les naissances. « Dans ce domaine, les moyens de contraception peuvent faire des miracles. Ils diminuent le nombre de grossesses adolescentes et permettent aux femmes de ne pas se retrouver enceintes trop tôt. Ils leur permettent aussi de ne plus avoir d'enfants à un âge trop avancé, où elles s'exposent à davantage de complications », déclare Mme Thoraya Obaid, directrice du FNUAP (5) . Il s'avère toutefois que trop de femmes n'ont pas accès à la contraception. À l'échelle mondiale, on évalue à 200 millions le nombre de femmes qui voudraient espacer ou prévenir les grossesses mais qui n'utilisent pas de méthode contraceptive fiable (6) . « Pour réaliser de plus grands progrès, il faut que chaque femme ait accès à un ensemble élémentaire de services de santé procréative. En assurant l'accès à la planification familiale sans obligation, on pourrait réduire de 20 à 35 % le nombre de décès maternels, et de non moins de 20 % celui des décès infantiles. La mortalité maternelle serait réduite de 75 % environ grâce à la présence d'un personnel qualifié lors de l'accouchement et avec l'appui de soins obstétricaux d'urgence », affirme Mme Thoraya Obaid (7) .

La mortalité maternelle est également liée au statut social précaire des femmes, qui n'ont souvent aucun accès à des équipements sanitaires abordables, en raison du manque d'installations, de la distance, de contraintes financières ou parce que leur époux ne les autorise pas à chercher de l'aide.

En plus de l'amélioration des soins prénatals, il est nécessaire de mettre en place un meilleur suivi de l'accouchement pour avoir un impact sur la mortalité maternelle. L'Organisation mondiale de la santé a démontré que si l'on veut réduire la mortalité maternelle, il faut prévoir la présence d'un skilled attendant, c'est-à-dire un aide soignant expérimenté (8) .

Les avortements pratiqués dans l'illégalité et dans des conditions précaires sont une cause importante du taux élevé de mortalité maternelle. Dès lors, il est absolument essentiel que les femmes, y compris les femmes jeunes et célibataires, puissent avoir accès à des moyens de contraception et recourir à des avortements sûrs. Il est tout aussi capital de garantir aux femmes le droit de décider elles-mêmes de leur sexualité et de choisir d'avoir des enfants ou non.

Les progrès accomplis en matière de mortalité maternelle se mesurent à la baisse du taux de mortalité maternelle dans un pays, mais aussi au nombre de femmes qui accouchent avec l'aide d'un personnel qualifié, au nombre de prises en charge de jeunes filles à la suite d'un avortement illégal et au nombre d'enfants devenus orphelins à cause de la mortalité maternelle.

Les droits sexuels et reproductifs ne figurent pourtant pas explicitement dans les Objectifs du Millénaire. Lors du sommet des Nations unies du mois de septembre 2005, la ministre néerlandaise de la Coopération au développement, Mme Agnes van Ardenne, s'est engagée à inclure en tout cas les droits reproductifs dans la déclaration finale. La lutte n'est pas encore terminée sur le plan des droits sexuels, en raison notamment des oppositions fermes de la part de chefs de gouvernement religieux et traditionalistes.

Coopération internationale belge

De tout temps, les soins de santé axés sur la mère et l'enfant ont été une priorité de la politique belge dans le secteur de la santé et une composante essentielle de l'aide apportée sur le terrain. Que ce soit dans le cadre de la coopération bilatérale, multilatérale ou indirecte, les autorités belges ont soutenu des dizaines de programmes relatifs à la santé de la mère et de l'enfant. Dans ce domaine, il convient d'aller au-delà du cadre de la coopération classique. Ainsi, des mesures au niveau européen en matière de changement climatique, par exemple, peuvent avoir une influence indirecte sur la mortalité maternelle. En effet, le changement climatique va entraîner une pénurie de nourriture et d'eau dans certaines régions, rendant ainsi les conditions de vie des femmes enceintes plus difficiles, avec les effets négatifs prévisibles que cela aura sur la santé de la mère et de l'enfant (9) .

Efforts belges dans le cadre des Objectifs du Millénaire

En ce qui concerne les Objectifs du Millénaire, les progrès dans le domaine de l'enrayement de la mortalité maternelle s'avèrent plus lents que prévu. En vue d'atteindre l'objectif MDG5, consistant à diminuer de 75 % le taux de mortalité maternelle, il était nécessaire de réaliser une baisse moyenne annuelle de 5,5 % pour 100 000 naissances entre 1990 et 2015. Sur la base des calculs réalisés dans des régions où des statistiques sont disponibles, on a constaté une baisse moyenne de seulement 2,5 % par an pour la période comprise entre 1990 et 2005. L'OMS a également tenu compte des taux de mortalité maternelle dans des pays où il n'y a pas de statistiques disponibles (entre autres, des pays d'Afrique subsaharienne) et arrive à une baisse plus réaliste d'à peine 1 % (10) . Même les pays à revenus moyens élevés, avec leur taux moyen de 4,6 %, n'atteignent pas l'objectif prévu. Il convient de noter en particulier les résultats dramatiques enregistrés en Afrique subsaharienne, où aucun signe d'amélioration n'est apparu ces quinze dernières années.

La Belgique se concentre sur le renforcement des systèmes de santé dans leur ensemble et est consciente du fait que les soins de santé ne sont pas accessibles à tous géographiquement et financièrement, ce qui est un aspect important de la problématique de la mortalité maternelle. La Belgique vise donc des soins de santé de qualité, abordables et à proximité des populations.

À plus long terme, la stratégie consiste à améliorer la situation sanitaire, en plus de l'amélioration de la condition de la femme dans la société et d'un accès plus large au planning familial et aux moyens de contraception, en complément à une alimentation plus adaptée et à un enseignement de qualité.

La note politique belge sur la santé et les droits sexuels et reproductifs a été élaborée consécutivement à la résolution relative à l'engagement de la Belgique en ce qui concerne la santé et les droits en matière de sexualité et de reproduction dans le cadre de la coopération internationale (11) . Cette note s'inscrit dans le contexte des droits de l'homme et prône une approche multidimensionnelle dans le cadre plus global de la santé publique.

Marleen TEMMERMAN.

VOORSTEL VAN RESOLUTIE


Le Sénat,

A. considérant que la Belgique a souscrit aux conclusions de la Conférence des Nations unies sur la population et le développement organisée en 1994 au Caire;

B. considérant que le gouvernement belge s'est largement inspiré des Objectifs du Millénaire (Millenium Development Goals — MDG) pour définir sa politique de coopération au développement;

C. considérant que pas moins de trois des huit Objectifs du Millénaire ont un lien direct avec les soins de santé et les droits sexuels et reproductifs, thématique à laquelle il faudra accorder une attention particulière si l'on veut atteindre un certain nombre d'autres Objectifs du Millénaire;

D. considérant que, par rapport aux progrès accomplis dans le cadre d'autres objectifs MDG, la réalisation de l'objectif MDG5 accuse un certain retard;

E. considérant que la Belgique s'est ralliée au Consensus européen pour le développement;

F. vu la note politique récente sur « la coopération belge au développement dans le domaine de la santé et des droits sexuels et reproductifs »;

G. vu l'expérience de la coopération au développement belge en matière de santé, et plus particulièrement en ce qui concerne les soins axés sur la mère et l'enfant ainsi que la santé reproductive;

H. compte tenu de la nécessité de se concentrer sur un certain nombre d'Objectifs du Millénaire, à l'instar de ce que font d'autres pays européens et en concertation avec eux (le Danemark, qui s'est focalisé sur l'objectif MDG3);

I. considérant que la situation en matière de mortalité maternelle en Afrique subsaharienne reste inchangée depuis ces 15 dernières années;

J. considérant qu'il existe des actions efficaces de lutte contre la mortalité maternelle, mais qu'elles ne sont pas très répandues;

K. compte tenu de la nécessité d'améliorer d'urgence les conditions de grossesse et d'accouchement dans les pays en voie de développement;

L. vu le manque de personnel médical qualifié au moment de la naissance ou en cas de problèmes en cours de grossesse;

M. compte tenu de la nécessité de développer des capacités dans les pays en voie de développement en vue d'améliorer l'accès aux données et leur interprétation, de manière à pouvoir mieux mesurer et suivre des indicateurs importants tels que la mortalité maternelle;

Demande au gouvernement:

1. d'assurer le suivi et la mise en œuvre de la note politique sur « la coopération belge au développement dans le domaine de la santé et des droits sexuels et reproductifs »;

2. d'aider les pays partenaires de la coopération belge au développement à assurer un accès universel à la santé sexuelle et reproductive d'ici 2015, y compris dans le domaine de la prévention des grossesses imprévues et des avortements sûrs et de l'offre de soins de haute qualité dans le cadre de la grossesse et de l'accouchement, et à mettre sur pied une politique spécifique pour les groupes vulnérables et les adolescentes de manière à rendre les services de santé et la contraception plus accessibles;

3. d'assurer aux pays partenaires un financement de longue durée et garanti pour la formation et la rémunération du personnel de santé;

4. d'aider les pays partenaires à développer des plans nationaux visant à équiper les services de soins de santé de base, et à inscrire dans leur liste nationale de médicaments essentiels les moyens contraceptifs et les autres médicaments et équipements relatifs à la santé reproductive;

5. d'encourager les pays partenaires à inclure davantage de données pertinentes dans les recensements de population nationaux et de leur fournir l'expertise technique permettant d'améliorer la qualité et la quantité des données et de les uniformiser;

6. de se rallier aux programmes existants du FNUAP et de la FIPF dans le cadre des initiatives précitées;

7. de souligner, auprès de la Commission européenne et des États membres de l'Union européenne, l'importance de la santé et des droits sexuels et reproductifs dans le cadre de la coopération au développement, et d'insister sur la nécessité d'augmenter de façon systématique l'aide financière en faveur de ces thèmes, en particulier en Afrique subsaharienne;

8. de veiller à ce que les fonds propres destinés à la santé et aux droits sexuels et reproductifs dans le cadre de la coopération au développement augmentent également chaque année dans la poursuite de l'objectif de 0,7 % du RNB d'ici 2010.

24 avril 2008.

Marleen TEMMERMAN.
Sabine de BETHUNE.
Berni COLLAS.
Martine TAELMAN.
Olga ZRIHEN.
Jean-Paul PROCUREUR.
Isabelle DURANT.
Els SCHELFHOUT.
Elke TINDEMANS.

(1) Mortalité maternelle en 2005. Estimations de l'OMS, l'UNICEF, le UNFPA et la Banque mondiale : Organisation mondiale de la Santé, 2007, pp. 15-17. Dans son rapport, l'OMS utilise deux méthodes pour chiffrer la mortalité maternelle. Si l'on part du nombre de décès rapportés et enregistrés, on arrive à une diminution de 2,5 % de la mortalité maternelle. Ce mode de calcul ne tient pas compte des données provenant de pays où les statistiques de mortalité maternelle sont inexistantes, c'est-à-dire le plus souvent des pays de l'Afrique subsaharienne qui affichent les taux de mortalité les plus élevés. Dans son rapport, l'OMS estime que, si l'on tient compte de la mortalité réelle, la baisse pourrait se limiter à 0,4 %. Dans la présente résolution, nous retenons une diminution de 1 % entre 1990 et 2005, comme le fait d'ailleurs aussi l'OMS en se basant sur des estimations pour les pays où il n'y a pas de statistiques disponibles. Voir aussi le rapport de l' « International Development Committee van het Britse House of Commons » intitulé « Maternal Health », http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200708/cmselect/cmintdev/66/66i.pdf, pp. 6-7.

(2) UN Millennium Development Goal Report 2007.

(3) The Lancet, vol. 370, 13 octobre 2007, pp. 1311-1319.

(4) Mortalité maternelle en 2005. Estimations de l'OMS, l'UNICEF, le UNFPA et la Banque mondiale : Organisation mondiale de la Santé, 2007, pp. 16-17.

(5) Message de Mme Thoraya Ahmed Obaid, Directrice exécutive du FNUAP, à l'occasion de la Journée mondiale de la santé 2007, 7 avril 2007, http://www.unfpa.org/news/news.cfm ?ID=951.

(6) « The Guttmacher Institute & UNFPA Adding it Up: The Benefits of Investing » in Sexual and Reproductive Health, 2003.

(7) Message de Mme Thoraya Ahmed Obaid, op. cit.

(8) Graham W., Bell J., Bullough Ch., « Can skilled attendance at delivery reduce maternal morbidity in developing countries ? » in: De Brouwere V, Van Lerberghe W, éd., Safe motherhood strategies: a review of the evidence, Anvers, ITG Press, 2001: 91-131.

(9) Climate change impacts on Developing Countries — EU Accountability, study requested by the European Parliament's Committee on the Environment, Public Health and Food Safety, novembre 2007, p. 10.

(10) Voir aussi note en bas de page 1.

(11) SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, Note politique sur « La Coopération belge au développement dans le domaine de la santé et des droits sexuels et reproductifs », mars 2007.