4-787/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

29 MAI 2008


Proposition de loi modifiant l'article 3bis, § 4, de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités

(Déposée par M. Wouter Beke et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition reprend en grande partie le texte de la proposition de loi de M. Jan Steverlynck (doc. Sénat, nº 3-1908/1 - 2006/2007).

A. Le droit de la faillite et le principe d'égalité: l'avis de la Cour constitutionnelle

Le droit de la faillite a dû être réformé à plusieurs reprises ces dernières années, la jurisprudence ayant constaté qu'il violait le principe d'égalité.

Une grande partie des modifications intervenues découlaient de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Dans ses arrêts 69/2002 du 28 mars 2002, 77/2005 du 27 avril 2005, 78/2004 du 12 mai 2004, 114/2004 du 30 juin 2004 et 6/2005 du 12 janvier 2005, notamment, la Cour a considéré que le législateur avait créé des discriminations illicites violant le principe d'égalité consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution, ce qui l'a amenée à prononcer chaque fois l'annulation des articles concernés de la loi sur les faillites.

C'est ainsi que plusieurs modifications importantes ont été apportées à la nouvelle loi sur les faillites (loi du 8 août 1997), parmi lesquelles celles des 4 septembre 2002, 2 février 2005, 15 juillet 2005 et 20 juillet 2005.

La loi du 20 juillet 2005 a sensiblement amélioré le statut juridique des personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont constituées sûreté personnelle (les cautions à titre gratuit) des dettes d'une personne morale ou physique qui a été déclarée en faillite. La Cour a en effet considéré que le principe d'égalité avait été violé en ce que la caution à titre gratuit d'une personne morale faillie ne peut jamais être déchargée de son engagement alors que la caution à titre gratuit d'une personne physique faillie est automatiquement déchargée si le failli est déclaré excusable.

Le statut juridique du conjoint du failli a également été nettement amélioré.

La loi du 6 décembre 2005 a radicalement réformé la procédure de vérification des créances.

La loi du 20 juillet 2006 portant des dispositions diverses a apporté la dernière modification en date. En effet, l'article 24bis de la loi sur les faillites prévoyait auparavant une suspension des voies d'exécution au profit de la personne qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli. Cette suspension produit ses effets tant que la clôture de la faillite n'est pas prononcée. Or, à la suite de l'adoption de certains amendements, la décision du tribunal sur la décharge pouvait intervenir préalablement à la clôture, de sorte qu'il n'y avait plus obligatoirement concomitance entre ces deux événements. La modification apportée visait à faire à nouveau coïncider la décision sur la décharge et la levée de la suspension des voies d'exécution. Toutefois, ces modifications n'ont pas encore éliminé toutes les inégalités.

B. L'interdiction professionnelle faite au failli et le principe d'égalité

1. Définition de l'interdiction professionnelle

La loi proprement dite sur les faillites n'est toutefois pas le seul domaine du droit de la faillite à propos duquel la Cour constitutionnelle a conclu à une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Saisie d'une question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Namur, la Cour constitutionnelle a considéré que l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités est lui aussi contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution (Cour constitutionnelle, 12 juillet 2006, arrêt nº 119/2006). La Cour constitutionnelle a confirmé cet arrêt dans un deuxième arrêt du 22 novembre 2007 (Cour constitutionnelle, 22 novembre 2007, arrêt nº 144/2007).

La Cour a constaté l'existence d'une différence de traitement injustifiée entre la personne qui se voit infliger l'interdiction professionnelle en question par le juge pénal en vertu de l'article 1erbis de l'arrêté royal, et celle qui se voit frappée de la même interdiction par le juge consulaire en application de l'article 3bis, § 2.

Les articles 1er, 1erbis et 3bis, § 2, de l'arrêté royal précité nº 22 du 24 octobre 1934 définissent, en effet, les cas dans lesquels le juge compétent peut imposer une interdiction professionnelle.

L'article 1er énumère les infractions pour lesquelles le juge pénal peut assortir la condamnation d'une peine accessoire [voir à ce sujet Cass. 17 mai 2005, Pas. 2005, liv. 5-6, 1055; R.W. 2006-07 (sommaire), liv. 11, 477] consistant à interdire aux intéressés d'exercer, personnellement ou par interposition de personne, les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gérant dans une société par actions, une société privée à responsabilité limitée ou une société coopérative, de même que des fonctions conférant le pouvoir d'engager l'une de ces sociétés ou les fonctions de préposé à la gestion d'un établissement belge, prévu par l'article 198, § 6, alinéa 1er, des lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935, ou la profession d'agent de change ou d'agent de change correspondant.

Il s'agit des infractions suivantes:

— fausse monnaie;

— contrefaçon ou falsification d'effets publics, d'actions, d'obligations, de coupons d'intérêt et de billets au porteur émis par le Trésor public ou de billets de banque au porteur dont l'émission est autorisée par une loi ou en vertu d'une loi;

— contrefaçon ou falsification de sceaux, timbres, poinçons et marques;

— faux et usage de faux en écritures;

— corruption de fonctionnaires publics ou concussion;

— vol, extorsion, détournement ou abus de confiance, escroquerie, recel ou toute autre opération relative à des choses tirées d'une infraction, corruption privée;

— une des infractions prévues aux articles 489, 489bis, 489ter et 492bis du Code pénal (délits de faillite et abus de biens sociaux), circulation fictive d'effets de commerce ou infraction aux dispositions sur la provision des chèques ou autres titres à un paiement au comptant ou à vue sur fonds disponibles;

— contravention aux interdictions prévues à l'article 40, §§ 1er, 2 et 3, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers;

— infraction aux dispositions pénales prévues par le chapitre XXIV de la loi générale sur les douanes et accises, le chapitre XII du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, les articles 133 à 133octies du Code des droits de succession, les articles 66 à 67octies du Code des droits de timbre, les articles 207 à 207octies du Code des taxes assimilées au timbre, les articles 449 à 453 du Code des impôts sur les revenus 1992, l'article 2, alinéa 3, du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus, les articles 73 à 73octies du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et les articles 395 à 398 de la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l'État;

— infractions aux articles 324bis et 324ter du Code pénal (délits concernant une organisation criminelle).

L'article 1erbis dispose que lorsque le juge condamne une personne, même conditionnellement, comme auteur ou complice de l'une des infractions visées aux articles 489, 489bis, 489ter et 492bis du Code pénal (délits de faillite et abus de biens sociaux), il décide également si la personne condamnée peut ou non exercer une activité commerciale, personnellement ou par interposition de personne. Les dispositions citées du Code pénal punissent, entre autres, « les commerçants en état de faillite au sens de l'article 2 de la loi sur les faillites » qui auront notamment commis, dans la gestion de leur commerce, les fautes décrites dans ces articles.

Comme pour l'article 1er, c'est le juge pénal qui détermine la durée de cette interdiction sans qu'elle puisse être inférieure à trois ans, ni supérieure à dix ans.

L'article 3bis, § 2, de l'arrêté royal dispose en revanche que le tribunal de commerce qui a déclaré la faillite (ou le tribunal de commerce de Bruxelles si la faillite a été déclarée à l'étranger) peut, s'il est établi qu'une faute grave et caractérisée du failli a contribué à la faillite, interdire, par un jugement motivé, à ce failli d'exercer, personnellement ou par interposition de personne, toute activité commerciale.

Le paragraphe 4 de la même disposition précise que la durée de cette interdiction est également fixée par le tribunal et ne peut être inférieure à trois ans ni excéder dix ans.

2. La différence de traitement

La Cour constitutionnelle ne considère pas comme une différence de traitement les différences de régimes entre l'article 1er et l'article 3bis, § 2, de l'arrêté royal nº 22.

Selon la Cour, les personnes visées aux litterae a) à j) de l'article 1er de l'arrêté royal nº 22 sont des personnes qui ont commis des infractions réprimées par des dispositions pénales. À l'exception des personnes ayant commis les infractions prévues aux articles 489, 489bis et 489ter du Code pénal, cités dans la première partie du littera g), l'état de faillite n'est pas un des éléments constitutifs de ces infractions. Il s'agit donc de personnes qui se trouvent dans une situation essentiellement différente de celle de la personne visée par l'article 3bis, § 2, du même arrêté royal. Celle-ci est « un failli non réhabilité », c'est-à-dire un commerçant qui, aux termes de l'article 2 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé, qui est en état de faillite et qui a commis une faute grave et caractérisée, laquelle n'est toutefois pas nécessairement de nature pénale et a contribué à sa faillite. Les circonstances ne sont pas comparables, on ne peut dès lors pas non plus parler d'une différence de traitement.

En outre, selon la Cour, la portée de l'interdiction prévue par chacune de ces dispositions est différente: la personne visée à l'article 1er peut se voir interdire d'exercer, au sein d'une société commerciale, les fonctions énumérées par cet article 1er, ainsi que la profession d'agent de change ou d'agent de change correspondant; la personne visée à l'article 3bis, § 2, peut se voir interdire d'exercer, « personnellement ou par interposition de personne, toute activité commerciale ».

La Cour estime en revanche que les personnes visées par l'article 1erbis peuvent être comparées à celles qui sont visées à l'article 3bis, § 2, de l'arrêté royal nº 22.

L'article 1erbis, en effet, s'applique notamment à une personne condamnée, même conditionnellement, comme auteur ou complice de l'une des infractions visées aux articles 489, 489bis et 489ter du Code pénal. Ces dispositions punissent, entre autres, « les commerçants en état de faillite au sens de l'article 2 de la loi sur les faillites » qui auront notamment commis, dans la gestion de leur commerce, les fautes décrites dans ces articles.

Ces personnes sont comparables à celles qui sont visées par l'article 3bis, § 2, puisqu'elles sont, les unes comme les autres, des commerçants faillis qui ont commis des fautes dans l'exploitation de leur commerce et qui, pour ce motif, sont passibles d'une même mesure d'interdiction portant sur toute activité commerciale.

Selon la Cour, les personnes visées à l'article 1erbis bénéficient bel et bien d'un traitement plus favorable que celles que vise l'article 3bis, § 2.

En effet, l'interdiction prononcée par le juge pénal est une peine accessoire (Cass. 17 mai 2005, www.cass.be) qui peut notamment faire l'objet d'une mesure de sursis à l'exécution de la peine. La Cour constate, en outre, que la durée de l'interdiction prononcée par le juge pénal pourrait être inférieure à trois ans s'il existe des circonstances atténuantes.

Au contraire, les personnes visées à l'article 3bis, § 2, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction de la part du juge consulaire. La Cour l'explique comme suit:

« Selon la Cour, une telle différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée: elle aboutit à traiter les faillis dont les fautes de gestion sont censées être les plus graves, puisqu'elles constituent des infractions pénales, plus favorablement que les faillis qui n'ont pas commis de faute pénale. » (Cour constitutionnelle, 12 juillet 2006, arrêt nº 119/2006, B. 5 et Cour constitutionnelle, 22 novembre 2007, arrêt nº 144/2007, B. 7).

La Cour constitutionnelle dit pour droit:

« L'article 3bis, § 3, de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les faillis visés par cette disposition législative, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction. » (Cour constitutionnelle, 12 juillet 2006, arrêt nº 119/2006).

« L'article 3bis, § 3, de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les personnes assimilées au failli, visées par cette disposition législative, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction. » (Cour constitutionnelle, 22 novembre 2007, arrêt nº 144/2007).

3. Portée des arrêts

Bien qu'un arrêt rendu par la Cour sur une question préjudicielle n'ait pas de validité erga omnes, il ne faut certainement pas non plus considérer qu'il ne s'applique qu'aux parties en cause. Un tel arrêt a au contraire une « autorité relative renforcée » (1) , c'est-à-dire que tous les tribunaux qui interviendront dans la même affaire devront s'y conformer, alors que dans des affaires comparables, tous les ressorts, à l'exception des juridictions suprêmes, devront choisir soit de s'en tenir à l'interprétation de la Cour, soit de poser une nouvelle question préjudicielle.

Les gouvernements concernés ont aussi la possibilité d'introduire un recours en annulation dans les six mois du prononcé de l'arrêt.

4. Proposition de modification de la loi

Cette autorité relative renforcée est certainement présente dans les arrêts en question, puisque la Cour constitutionnelle postule clairement et sans ambiguïté l'inégalité de traitement, sans formuler la moindre réserve.

Dans un souci de bonne législation, il convient dès lors d'adopter une loi dans les plus brefs délais pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée de cette disposition.

C'est pourquoi il est proposé de supprimer la durée minimale de l'interdiction professionnelle que le tribunal de commerce doit prononcer.

Celui-ci pourra ainsi arguer de circonstances atténuantes pour imposer une interdiction professionnelle de moins de trois ans, de la même manière que le juge pénal peut accorder un sursis ou admettre des circonstances atténuantes.

L'article 3bis, § 4, de l'arrêté royal nº 22 est adapté en ce sens.

Wouter BEKE.
Hugo VANDENBERGHE.
Tony VAN PARYS.
Pol VAN DEN DRIESSCHE.
Els VAN HOOF.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 3bis, § 4, de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités, modifié par la loi du 4 août 1978, les mots « être inférieure à trois ans ni » sont supprimés.

11 février 2008.

Wouter BEKE.
Hugo VANDENBERGHE.
Tony VAN PARYS.
Pol VAN DEN DRIESSCHE.
Els VAN HOOF.

(1) F. Delpérée et A. Rasson-Roland, La Cour d'arbitrage, Larcier, 1996., no 91, p. 108.