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5 MARS 2008
Lorsque le législateur a édicté, en 1962-1963, la législation sur l'emploi des langues en matière administrative, son intention était d'instaurer le plus largement possible le principe de l'unilinguisme. C'est à cette fin que l'on a notamment créé les régions linguistiques et défini le tracé de la frontière linguistique. Le législateur a voulu imposer l'unilinguisme comme règle générale à l'intérieur de ces régions linguistiques. Dans le contexte sociopolitique de l'époque, les exceptions à cette règle ont été limitées au minimum. Le principe de l'unilinguisme des régions linguistiques ne connaît qu'une exception majeure, à savoir celle qui est faite dans la Région de Bruxelles-Capitale, où l'on a imposé un statut de bilinguisme généralisé.
Sous l'effet de la pensée unitaire de l'époque, le principe de l'unilinguisme des régions linguistiques n'a pas vraiment été étendu à l'emploi des langues par les services dont l'activité s'étend à tout le pays (chapitre V des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966). Le réflexe unitaire a amené à considérer que tout Belge devait être servi dans sa langue par les services centraux et les services d'exécution dont l'activité s'étend à tout le pays, quelle que soit la région linguistique dans laquelle il se trouve. En fait, cette disposition ignore totalement la répartition en régions linguistiques pour cette catégorie de services.
Il s'ensuit que, de nos jours, les services centraux et les services d'exécution restent tenus de rédiger en français et en néerlandais tous leurs avis et communications qu'ils font directement au public. Cela signifie par exemple, conformément à la lettre de la loi, qu'un service central ou un service d'exécution qui participe à une foire commerciale à Anvers ou à Liège, doit rédiger entièrement dans les deux langues les documents qu'il y distribue.
Dans l'état actuel des choses, ces services sont également toujours tenus d'utiliser, dans leurs rapports avec les particuliers, la langue de ces derniers, quelle que soit la région linguistique dans laquelle ils sont domiciliés. Un francophone demeurant à Bruges peut donc parfaitement utiliser le français dans toute sa correspondance avec les services centraux, tandis qu'un néerlandophone qui s'est installé en plein cœur de la province du Luxembourg a légalement le droit d'exiger, en vertu des lois linguistiques en vigueur, que ses contacts avec les services centraux et les services d'exécution aient lieu en néerlandais. Pour les services concernés, cela revient dans la pratique à accorder, sur tout le territoire du Royaume, des facilités à part entière à des personnes dont la langue n'est pas celle de la région.
Pareilles formes de bilinguisme ne correspondent évidemment plus à la réalité sociale et politique d'aujourd'hui. Depuis l'adoption des lois linguistiques, la Belgique unitaire a formellement disparu pour se transformer, sous effet du processus de défédéralisation amorcé durant les années 1970, en ce qu'il est convenu d'appeler un État fédéral. Il est évident que cette dynamique centrifuge subsistera et qu'elle conduira assez rapidement à une scission complète du pays.
Cette évolution politique et sociale et ses conséquences pour la législation linguistique sont aussi reconnues, du moins en partie, par l'institution chargée de contrôler le respect de l'application des lois linguistiques, à savoir la Commission permanente de contrôle linguistique. Cette interprétation vaut pour les avis et les communications émanant des services centraux. Comme il a été dit plus haut, l'on a toujours exigé jusqu'ici, sur la base d'une interprétation littérale de la loi, que ces avis et communications soient rédigés dans les deux principales langues nationales. Lorsque, pour ne citer qu'un seul exemple, l'armée a participé les 8 et 9 septembre 2001 au « flikkendag » à Gand, en utilisant des panneaux explicatifs entièrement bilingues, elle l'a fait dans le strict respect de l'application de l'article 40 actuel des lois sur l'emploi des langues en matière administrative.
Lorsque le député Van den Eynde a interrogé le ministre de la Défense à ce sujet, ce dernier a fait référence à l'article 40 précité et lui a donc donné la réponse suivante, qui est tout à fait pertinente sur le plan strictement juridique: « Si ce service avait agi autrement, il aurait alors violé les lois sur l'emploi des langues » (Chambre, Questions et réponses écrites, nº 107 du 22 janvier 2002, pp. 12546-47).
Après avoir saisi le Comité permanent de contrôle linguistique d'une plainte, M. Van den Eynde a cependant obtenu gain de cause auprès de cette instance. Par un tour de passe-passe, la commission a en effet affirmé que, dans des communes unilingues, les avis et communications émanant de services centraux ne peuvent être rédigés que dans la langue de la région (avis nº 34 016 du 28 novembre 2002).
À strictement parler, la décision précitée de cette juridiction consultative enfreint les lois linguistiques. Ces dernières années, la section bilingue de la Commission et sa section néerlandaise ont toutefois développé une jurisprudence constante en la matière (voir par exemple aussi les avis nº 22 233 du 2 octobre 1991 et 26 180 du 9 février 1995). En conséquence, on peut considérer que la commission entend dire de la sorte que le régime linguistique auquel les services centraux sont soumis est dépassé par l'évolution sociopolitique qui s'est produite depuis la rédaction des lois linguistiques. Au travers de sa jurisprudence constante, elle adresse au monde politique un signal l'invitant à adapter ces dispositions légales surannées aux réalités d'aujourd'hui.
La présente proposition de loi, qui s'inscrit dans le droit fil de cette suggestion de la Commission permanente de contrôle linguistique, a pour objet d'appliquer l'unilinguisme des régions linguistiques (à l'exception de Bruxelles-Capitale) aux services dont l'activité s'étend à tout le pays, du moins en ce qui concerne les rapports que ces services entretiennent avec le public et les particuliers. Cela permettra d'adapter l'emploi des langues par ces services aux réalités politiques et sociales d'aujourd'hui pour ce qui est de l'accomplissement des actes en question.
Article 2
Tel qu'il est formulé actuellement, l'article 40, alinéa 2, prévoit que les avis et communications que les services centraux font directement au public ainsi que les formulaires qu'ils mettent à sa disposition doivent être rédigés en français et en néerlandais. Ces mêmes avis et communications doivent être mis à la disposition du public germanophone en allemand. Si nécessaire, des formulaires rédigés en allemand peuvent aussi être tenus à la disposition du public.
La présente proposition de loi remplace les dispositions en question par des dispositions aux termes desquelles la langue à utiliser pour les avis, communications et formulaires destinés au public doit être, pour la région de langue française, le français, pour la région de langue néerlandaise, le néerlandais, pour la région germanophone, l'allemand, et pour la région bilingue de Bruxelles-Capitale, le français et le néerlandais.
Article 3
Tel qu'il est formulé actuellement, l'article 41 prévoit en son § 1er que, dans les rapports avec les particuliers, on utilise la langue du particulier pour autant que celle-ci soit le français, le néerlandais ou l'allemand, et quelle que soit la région linguistique dans laquelle il est établi. Notre proposition remplace l'article actuel par une disposition consacrant le principe selon lequel il faudra utiliser dorénavant, dans les rapports avec les particuliers, la langue de la région linguistique concernée.
Le § 2 de l'article 41, qui concerne l'emploi des langues dans les rapports avec les entreprises privées, est supprimé, parce que les adaptations que notre proposition de loi apporte au § 1er de l'article 41 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative le rendent superflu.
Article 4
L'article 42 règle l'emploi des langues par les services centraux pour ce qui est des actes, certificats, déclarations et autorisations. À l'heure actuelle, le particulier peut également requérir en l'espèce l'emploi d'une des trois langues nationales pour la rédaction de ces documents, quelle que soit la région linguistique dans laquelle il est domicilié. Notre proposition de loi prévoit qu'il faut utiliser dorénavant en principe la langue de la région en la matière. Elle prévoit toutefois une exception pour le cas où le particulier concerné peut démontrer qu'il a besoin d'un de ces documents dans une autre langue.
Il doit être clair que cette exception ne peut pas être érigée en règle absolue. Autrement dit, le particulier qui souhaite bénéficier de cette exception doit introduire, auprès de l'administration, une demande motivée dans laquelle il explique pourquoi il lui est absolument nécessaire d'obtenir un document déterminé dans une autre langue que celle de la région linguistique où il habite. Il ne suffit donc pas, pour pouvoir bénéficier de cette mesure d'exception, d'avancer le fait que l'on a une autre langue maternelle ou familiale que celle de la région linguistique dans laquelle on habite.
Article 5
L'article 47, §§ 2 à 4, règle l'emploi des langues par les services établis à l'étranger en ce qui concerne les avis, communications et formulaires destinés au public belge et dans leurs rapports avec les particuliers. Cet article prévoit lui aussi, pour ce qui est du premier cas, que les services concernés doivent être bilingues, voire trilingues, et, pour ce qui est du second, que le particulier a le choix de la langue. Notre proposition de loi ne modifie en rien cette réglementation pour autant que les actes en question soient établis à l'étranger. Mais s'ils sont rédigés en Belgique, les services en question ont l'obligation d'utiliser la langue de la région linguistique concernée.
Yves BUYSSE. Joris VAN HAUTHEM. Nele JANSEGERS. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
À l'article 40, alinéa 2, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, modifié par la loi du 21 avril 2007, sont apportées les modifications suivantes:
A. dans la première phrase, les mots « en néerlandais et en français » sont remplacés par les mots « exclusivement dans la langue ou les langues de la région linguistique »;
B. les deux dernières phrases du même alinéa sont abrogées.
Art. 3
Dans l'article 41 des mêmes lois, sont apportées les modifications suivantes:
A. au § 1er, les mots « celle des trois langues, » sont remplacés par les mots « , dans la région de langue française, le français, dans la région de langue néerlandaise, le néerlandais, dans la région de langue allemande, l'allemand, et, dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, le français ou le néerlandais selon la langue ».
B. le § 2 est abrogé.
Art. 4
À l'article 42 des mêmes lois, les mots « dans celle des trois langues dont le particulier intéressé requiert l'emploi » sont remplacés par les mots « conformément aux dispositions de l'article 41 ». Toute personne intéressée qui en démontre la nécessité peut toutefois obtenir, à titre gratuit, une traduction certifiée conforme, selon le cas, en français, en néerlandais ou en allemand. La traduction a valeur d'expédition ou de copie conforme. »
Art. 5
Dans l'article 47 des mêmes lois, sont apportées les modifications suivantes:
A. au § 2, après les mots « au public belge », sont insérés les mots « qui se trouve à l'étranger »;
B. le même § 2 est complété par la phrase suivante:
« Dans tous les autres cas, les dispositions de l'article 40 sont applicables. »
C. au § 3, après les mots « les particuliers belges », sont insérés les mots « qui se trouvent à l'étranger »;
D. le même § 3 est complété par la phrase suivante:
« Dans tous les autres cas, les dispositions de l'article 41 sont applicables. »;
E. au § 4, après les mots « des ressortissants belges », sont insérés les mots « qui se trouvent à l'étranger »;
F. le même § 4 est complété par la phrase suivante:
« Dans tous les autres cas, les dispositions de l'article 42 sont applicables. »;
25 février 2008.
Yves BUYSSE. Joris VAN HAUTHEM. Nele JANSEGERS. |