4-352/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

3 DÉCEMBRE 2007


Proposition de loi modifiant l'article 10 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes en vue d'introduire la dérogation permise à l'article 5 de la directive 2004/113/CE du Conseil


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR

MMES STEVENS ET HERMANS


I. INTRODUCTION

La proposition de loi modifiant l'article 10 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes en vue d'introduire la dérogation permise à l'article 5 de la directive 2004/113/CE du Conseil a été déposée le 7 novembre 2007. Conformément à l'article 24, § 1er, du règlement du Sénat, la commission des Finances et des Affaires économiques a décidé de demander au comité d'avis pour l'Égalité des chances entre les femmes et les hommes de rendre un avis sur la proposition de loi à l'examen.

Le comité d'avis a examiné la proposition de loi en question au cours de ses réunions des 14, 22 et 28 novembre, et du 3 décembre 2007. Le comité d'avis a procédé à des auditions le 22 novembre 2007, en présence des personnes suivantes: M. Philippe Colle, administrateur délégué d'Assuralia et professeur à la Faculté de droit de la VUB; M. Ivo Mechels, porte-parole de Test Achats; M. Jean-Paul Coteur, expert Test Achats en assurances; M. Yves Evenepoel, actuaire Test Achats; M. Yves Thiery, Instituut voor Handels- en Verzekeringsrecht (KULeuven); M. Pierre Devolder, professeur à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques (UCL); M. Sébastien Van Drooghenbroeck, professeur à la Faculté de Droit (Facultés universitaires Saint-Louis); Mme Herlindis Moestermans, Nederlandstalige Vrouwenraad; M. Hubert Claassens, professeur émérite, Onderzoeksgroep Insurance (KULeuven); M. Christian Dupont, ministre de la Fonction publique, de l'Intégration sociale, de la Politique des grandes villes et de l'Égalité des chances et Mme Michèle Bribosia, représentante du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Les membres de la commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat, ceux du comité d'avis pour l'Émancipation sociale et ceux de la commission de l'Économie de la Chambre des représentants ont également été invités à assister à ces auditions.

Sur la base des éléments recueillis lors de ces auditions, le comité d'avis a élaboré un avis qui a été discuté et adopté lors de la réunion du 3 décembre 2007.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF

Mme Tilmans explique que sa proposition de loi tend à modifier l'article 10 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. Elle introduit une dérogation permise à l'article 5 de la directive européenne 2004/113/CE.

La loi du 10 mai a pour objectif de lutter contre toute discrimination entre hommes et femmes, à la fois sur les rémunérations, l'accès à l'emploi, le régime de sécurité sociale, la protection de la maternité et aussi sur l'accès et la fourniture des biens et des services. Elle transpose différentes directives européennes, dont la directive 2004/113.

Cette directive vise l'égalité des fournitures et l'accès aux biens et services et donc de supprimer les inégalités entre les hommes et les femmes dans les tarifs d'assurances pour les nouveaux contrats conclus après le 21 décembre 2007.

Dans son article 5, la directive permet de déroger avant le 21 décembre 2007, si des données actuarielles et statistiques pertinentes et précises permettent d'autoriser des différences de primes entre les hommes et les femmes.

Différents pays ont déjà introduit la dérogation: l'Autriche, l'Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède, le Danemark, la Finlande, l'Espagne, le Chypre, la Hongrie, la Slovaquie, le Portugal, la Norvège et la Slovénie. Cela concerne l'assurance maladie, l'assurance responsabilité civile auto et l'assurance activité vie sauf en ce qui concerne la capitalisation.

Selon les compagnies d'assurances, les primes vont augmenter pour les femmes. Vrai ou faux, il faudra beaucoup de vigilance dans ce domaine. Toujours selon les assureurs, si la Belgique n'utilise pas la dérogation, les primes vont s'aligner sur le niveau le plus élevé. En France, l'assurance rente a été harmonisé, ce qui a causé une augmentation des primes en général pour les femmes et les hommes.

En ce qui concerne la concurrence étrangère, Assuralia, l'Union professionnelle des entreprises d'assurances, dit que les courtiers proposeraient des assurances moins onéreuses dans d'autres pays européens. La sénatrice pense que, si une assurance est moins chère dans un pays étranger, les personnes vont effectivement y souscrire à l'étranger.

La proposition vise à garder la situation identique à ce qu'elle est aujourd'hui, ce qui permettrait de ne pénaliser ni les hommes ni les femmes. Malheureusement, vu la date limite du 21 décembre 2007, il faut agir d'urgence. Elle soutient la demande d'inviter des spécialistes sur la matière, qui vont pouvoir éclairer le Comité d'Avis sur la nécessité de déroger à la loi via l'article 5 de la directive européenne.

III. AUDITIONS

III.1. Exposé de M. Colle, administrateur délégué d'Assuralia et professeur à la faculté de droit de la VUB

La loi antidiscrimination du 10 mai 2007 concerne la transposition de la directive européenne 2000/43/CE interdisant la discrimination entre les hommes et les femmes. L'article 5 de la directive 2004/113/CE du Conseil prévoit la possibilité d'autoriser une exception à ce principe pour les branches d'assurance dans lesquelles le sexe est un facteur déterminant pour l'évaluation des risques. Cette exception doit être basée sur des données objectives.

Sur les 13 États membres qui, à ce jour, ont pris une décision ou ont divulgué leurs intentions, 12 ont levé cette option (Chypre, l'Allemagne, le Danemark, la France, la Grande-Bretagne, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Autriche, la Slovénie, l'Espagne, la République tchèque et la Suède). La Belgique est le seul pays qui n'a pas levé l'option en question. En prévoyant une interdiction absolue de distinction entre les femmes et les hommes, la Belgique adopte une position qui l'isole au sein de l'Union européenne.

En Belgique, le sexe est un facteur déterminant pour l'évaluation du risque dans l'assurance vie, l'assurance automobile et l'assurance hospitalisation.

En ce qui concerne l'assurance vie, il faut tenir compte du fait que les femmes vivent en moyenne 6 à 8 ans de plus que les hommes. En outre, le risque de mortalité chez les hommes dans la catégorie d'âge de 30 à 70 ans est supérieur de 50 % par rapport à celui chez les femmes. Le sexe est donc effectivement un facteur déterminant pour l'évaluation de l'espérance de vie et du risque de mortalité de l'assuré. Dès lors, les assurances de solde restant dû et de décès sont moins coûteuses pour les femmes.

Dans le domaine de l'assurance automobile également, le sexe est un facteur déterminant pour l'évaluation du risque.

La sinistralité occasionnée par les femmes est en moyenne inférieure de 14 % à celle due aux hommes. La fréquence normale des sinistres va de 5 à 7,5 %, ce qui signifie que, pour 100 automobilistes, il y a chaque année de 4,5 à 5 accidents. Cependant, pour la catégorie d'hommes des 18 à 20 ans, la fréquence des sinistres s'élève à 28 % chez ceux de 18 ans, à 26 % chez ceux de 19 ans, et à 22 % chez ceux de 20 ans. Aux âges correspondants, la fréquence des sinistres chez les femmes est, respectivement, de 15 %, 14 % et 13 %.

De même, en ce qui concerne le rapport sinistralité/prime (S/P), on note une différence importante entre les jeunes selon leur sexe. Les jeunes hommes de 18, 19 et 20 ans ont un S/P de, respectivement, 195 %, 195 % et 165 %. Un S/P de 195 % signifie que sur 100 euros de prime, l'assureur doit payer 195 euros de dommages et intérêts. Aux mêmes âges, les jeunes femmes ont un S/P de, respectivement, 75 %, 90 % et 80 %.

Ces différences font que les hommes de moins de 29 ans paient généralement une prime d'assurance automobile plus élevée que les femmes. Il ressort de l'examen de données représentatives d'assureurs automobiles actifs en Belgique (les chiffres représentent 85 % des assureurs automobiles actifs en Belgique) qu'ils appliquent pour la plupart une différence substantielle au niveau des primes. Quelques compagnies n'appliquent aucune différence au niveau des primes. L'une d'entre elles utilise le tarif le plus élevé applicable aux hommes pour les femmes.

L'assurance maladie ou l'assurance hospitalisation est la troisième branche d'assurance où l'on peut constater une différence entre les hommes et les femmes. En l'occurrence, on peut noter que la différence entre les hommes et les femmes varie selon la catégorie d'âge. Dans la catégorie d'âge de 0 à 19 ans, les femmes paient 6,9 % de moins que les hommes; dans la catégorie des 20 à 29 ans, elles paient 50 % de plus; dans la catégorie des 30 à 39 ans, 54,8 % de plus; dans la catégorie des 40 à 49 ans, 41,9 % de plus; dans la catégorie des 50 à 59 ans, 14,8 % de plus; enfin elles paient 7,5 % de moins dans la catégorie des 60 à 69 ans et 8,1 % de moins au-delà de 70 ans.

Ces chiffres ne tiennent pas compte de l'accouchement parce que la grossesse, l'accouchement et la maternité ne peuvent plus être pris en considération pour justifier des différences de primes ou de prestations entre les hommes et les femmes, en vertu de l'article 5.3 de la directive et de l'article 4, § 1er, de la loi antidiscrimination du 10 mai 2007. Dès lors, la différence entre les primes des femmes et des hommes s'explique en l'occurrence par le fait que les femmes consultent généralement un médecin plus tôt et plus souvent et sont ainsi à l'origine de frais médicaux qui doivent être indemnisés plus tôt et plus régulièrement. Les hommes attendent généralement plus longtemps pour consulter, ce qui a toutefois pour conséquence que les frais médicaux occasionnés sont plus élevés.

On estime qu'une interdiction absolue et catégorique de discrimination entre les hommes et les femmes entraînera une augmentation des primes. En effet, des tarifs unisexes ne constituent jamais la moyenne des primes dues par les femmes et de celles dues par les hommes considérées séparément. Le portefeuille des compagnies d'assurance n'est jamais réparti de la même manière entre les deux sexes. De plus, il évolue en permanence. Concrètement, cela signifie que les femmes, qui, dans la plupart des cas, paient une prime moins élevée à l'heure actuelle, devront payer une prime plus élevée à l'avenir. Dès lors, la décision de la Belgique de ne pas lever l'option offerte par la directive européenne se retournera contre le consommateur et contre les femmes en particulier, que la directive vise à protéger.

Enfin, il faut également tenir compte du fait que 18 pays ont décidé de lever l'option en question, ce qui a pour effet d'isoler la Belgique.

Par conséquent, M. Colle propose de lever l'option et d'évaluer la situation après une période de cinq ans. En tenant compte de ce que tous les autres États membres de l'Union européenne auront décidé dans l'intervalle, il sera possible, à ce moment-là, de prendre une décision fondée, quant à l'instauration ou non d'une interdiction absolue de discriminer ou de lever l'option définitivement.

III.2. Exposé de M. Ivo Mechels, porte-parole de Test-Achats

M. Ivo Mechels et son collègue Jean-Paul Coteur de Test-Achats demandent de ne pas soutenir la proposition de loi et, de cette manière, de ne pas toucher au principe d'égalité entre les sexes en matière d'assurances. Depuis 1995, Test-Achats demande que les primes des assurances indispensables ne puissent pas être différencées a priori sur la base de facteurs dont on n'a pas personnellement la maîtrise.

L'interdiction de différenciation des primes basée sur le sexe n'aura pas inévitablement pour conséquence que les risques moins bons seront attirés en Belgique et que les bons risques (tels que les assurances décès pour les femmes) s'expatrieront.

En 1992, on a déjà interdit en Belgique de formuler des questions concernant les maladies génétiques et héréditaires. Il s'est avéré dans la pratique qu'il n'y a pas de déplacement du risque vers l'étranger. Pour expliquer ce phénomène, l'orateur renvoie au concept français de proximité qui joue un rôle fondamental dans les assurances. On cherche ses assurances près de chez soi pour différentes raisons. La première raison est que les contrats d'assurance se fondent sur le droit national des obligations. Selon la législation belge sur les assurances, les questions ayant trait à la responsabililité ressortissent au droit belge.

Une autre raison pour laquelle peu de gens contractent des assurances à l'étranger est le besoin fréquent de la présence d'un courtier sur place. À la campagne surtout, ce dernier est une personne de confiance qui connaît la famille et la situation de l'intéressé. C'est ce que nous entendons par « proximité ». En outre, l'indemnisation doit se faire dans la langue de l'intéressé. À cet égard aussi, la proximité est importante. C'est pourquoi, généralement, il n'y a aucune pression concurrentielle des assureurs transfrontaliers.

Dans la pratique, les assureurs peuvent acquérir une entreprise locale en Belgique, et cette entreprise devient ensuite une filiale de l'entreprise acquéresse. Parfois l'assurance n'est qu'un élément secondaire, par exemple une assurance solde restant dû conclue avec un prêt hypothécaire. Un élément important est que la législation d'application pour les contrats d'assurance en matière de déclaration de risque, de secret médical, etc., est toujours celle du pays où réside le consommateur. Au début des années 90, Test-Achats eu la témérité de préconiser, dans Budget et Droit, une assurance décès britannique comme meilleur choix. Personne n'a donné suite à cette suggestion.

Ce phénomène est connu non seulement par Test Achats et Budget et Droit mais aussi par d'éminents professeurs dont le professeur Dubuisson. Ce dernier fait remarquer dans un article qu'il ne faut craindre que les « bons risques » n'aillent s'assurer ailleurs que si les conditions du marché sont totalement transparentes pour les assurés et si les concurrents offrent des produits de remplacement moins chers. Le professeur Dubuisson souligne également les avantages fiscaux comme argument en faveur de la proximité.

Le droit à un traitement égal ou l'interdiction de discrimination est un droit individuel. C'est un postulat de base de Test-Achats. Les statistiques des actuaires avancées par Philippe Colle sont basées sur des moyennes et uniquement sur le passé. Les statistiques ne tiennent pas compte des changements de circonstances ou de modes de vie des gens. D'autres adhèrent à cette thèse.

M. Mechels cite un avocat général de la Cour européenne de Justice dans l'affaire Lindorfer: « Women as a class do live longer than men, but it is equally true however that all individuals in the respective classes do not share the characteristics that differentiate average class representatives. Many women do not live as long as the average, and many men outlive the average women. » Autrement dit, l'argument selon lequel l'espérance de vie est en moyenne plus faible pour les hommes que pour les femmes ne tient pas compte des facteurs de prévention.

Les hommes qui se nourrissent sainement, consomment peu d'alcool et bougent ou marchent suffisamment doivent aussi payer pour les conclusions que Philippe Colle a tirées des statistiques générales.

L'espérance de vie est liée à des facteurs socio-économiques qui varient dans le temps et dans l'espace. Au début du 19e siècle par exemple, les femmes vivaient moins longtemps que les hommes. Mme Smet sait par sa propre expérience que dans le sous-continent indien et en Afrique, les données sont totalement différentes. Dans les pays du tiers-monde, les données relatives aux décès sont enregistrées différemment.

Dans notre pays, le tabac est un facteur de risque important du cancer du poumon et des voies respiratoires ainsi que des maladies cardiovasculaires. La mortalité due au tabac augmente chaque année de 0,6 % chez les hommes mais, malheureusement, de 2,9 % chez les femmes. Entre 2015 et 2020, la mortalité due au tabac sera multipliée par quatre chez les femmes.

M. Mechels trouve qu'il est important de considérer tant le passé que le futur.

Les assureurs ne peuvent-ils dès lors prévoir des primes correctes sans distinction de sexe ? L'intervenant répond par l'affirmative, mais M. Colle répond par la négative et insiste sur l'adoption d'une loi avant le 21 décembre.

Selon Test-Achats, les assureurs feraient mieux d'utiliser les données qu'ils recueillent par le biais de leurs questionnaires. D'ailleurs, aujourd'hui déjà, ils font une distinction entre les fumeurs et les non-fumeurs dans le calcul des primes pour les assurances-vie. Ils pourraient aussi tenir compte des données relatives au style de vie, à la profession, aux habitudes alimentaires, à la pratique du sport y compris les promenades, au genre de véhicule et à la distance parcourue chaque année. Un certain nombre de sociétés le font déjà.

Sur la base de statistiques, les assureurs prévoient des primes d'assurance auto plus élevées pour les femmes que pour les hommes, mais s'ils pouvaient s'appuyer sur les données de leurs questionnaires, il apparaîtrait que cette prime plus élevée n'est pas fondée.

Le député Tommelein soulignait à juste titre que, lorsqu'il se déplace en voiture avec son épouse, celle-ci, comme la plupart des femmes, ne conduit pas. En outre, les femmes utilisent généralement des voitures moins puissantes. Elles se retrouvent très facilement dans la catégorie des bons conducteurs de sorte qu'elles paient et continuent à payer des primes moins élevées.

La prime dépend donc du comportement individuel. Le système bonus-malus existe depuis des années. Il serait cependant préférable de tenir compte également, dans le calcul de la prime, de la nature de l'infraction. Les femmes peuvent aussi commettre des infractions. Les jeunes femmes peuvent aussi conduire imprudemment le week-end, et cela peut parfaitement être pris en compte.

Il y a enfin l'impact réel de la tarification sans distinction de sexe, qui fait l'objet de l'exposé de M. Jean-Paul Coteur.

III.3. Exposé M. Jean-Paul Coteur, expert Test Achats en assurance

M. Jean-Paul Coteur souhaite tout d'abord réagir aux déclarations de M. Colle, qui a souvent parlé au nom des consommateurs. Sauf erreur, notre pays compte quatorze organisations de consommateurs, dont Test-Achats. Assuralia défend les intérêts des compagnies d'assurances, et non ceux des consommateurs.

Ensuite, M. Colle a précisé que les assureurs disposaient de statistiques pertinentes et précises. Selon la directive du 13 décembre 2004, ces statistiques devraient être fournies avant le 21 décembre 2007, à défaut de quoi la Commission se montrerait très sévère. Or, la proposition de loi appelée à devenir le « projet de loi Assuralia » et qui devrait bientôt être déposée en Commission de l'Economie de la Chambre, évoque la transmission de ces données pour le 21 décembre 2009 au plus tard. La Belgique va donc se placer dans une situation juridiquement très difficile, puisqu'elle ne respecte pas les conditions fixées par la directive.

On discute depuis 2005 de l'adaptation éventuelle du système d'opting out. Le secteur des assurances a donc disposé de plus de deux ans et demi pour fournir ces statistiques pertinentes et précises. Et à l'heure actuelle, moins d'un mois avant le dernier délai fixé pour appliquer cette formule, le secteur n'a toujours pas fourni les statistiques demandées par la Commission.

Quant au fait que dix-huit États auraient appliqué le système d'opting out, même si l'information était exacte, il faudrait voir de quelle manière ils ont procédé et pour quelle branche. M. Coteur exprime ses doutes concernant les propos de M. Colle. La seule instance dont les affirmations ne sont pas contestables est non pas Assuralia mais la Commission européenne. Le colloque organisé, le 6 décembre prochain, par l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes comptera un représentant de la Commission européenne. Il semble donc sage de laisser la Commission vérifier la façon dont les différents pays ont exercé ou non l'option prévue par la directive et pour quelle branche précise. L'intervenant ne peut se rallier aux affirmations unilatérales selon lesquelles dix-huit pays sur dix-neuf auraient utilisé cette possibilité. On brandit des menaces, mais il faut d'abord entendre ceux dont le comportement ne prête pas à discussion.

M. Coteur tient à faire ces précisions parce qu'il faut savoir que l'assurance vie, par exemple, recouvre principalement deux éléments, le premier étant l'assurance décès. L'assurance solde restant dû est quasi toujours liée à la souscription d'un prêt hypothécaire. Cela signifie que, dans l'immense majorité des cas, elle est souscrite par un couple. Donc, pour autant que celui-ci soit constitué de personnes de sexe différent, la prime va baisser pour l'une des parties. En effet, l'homme souscrit pour des montants plus importants. Pour l'homme, la prime diminuerait, tandis qu'elle augmenterait pour la femme. C'est donc un jeu à somme nulle: le coût n'augmentera pas pour le couple qui acquiert une habitation par le biais d'un prêt hypothécaire et qui prend une assurance solde restant dû.

Ensuite, M. Colle a dit qu'un alignement vers le haut avait eu lieu en France. Que veut dire « s'aligner » ? Selon le dictionnaire, cela signifie « reproduire fidèlement le même comportement », ce qui veut dire « pratique concertée, accord restrictif de concurrence ».

Or, la Commission est très vigilante sur la problématique de la concurrence qu'elle vient d'ailleurs d'étudier particulièrement dans le domaine de l'assurance pour les entreprises. À cette occasion, elle a stigmatisé le fait que les assureurs pratiquaient continuellement l'accord restrictif de concurrence. La Commission sera particulièrement hostile à des textes qui avouent explicitement un alignement vers le haut, c'est-à-dire « reproduire fidèlement le même comportement ».

Pour ce qui est des assurances épargne, les produits les plus intéressants et les plus transparents pour le consommateur sont des produits pour lesquels on n'utilise pas de tables de mortalité. Donc, cela ne changera strictement rien.

En ce qui concerne l'assurance auto, on peut tout à fait remplacer le critère homme/femme par des critères de comportement, comme le font déjà certains assureurs: le nombre de kilomètres parcourus, le fait de conduire ou non son véhicule le vendredi soir et le samedi soir. Ces critères ont évidemment un impact sur la prime.

En tant qu'association de consommateurs, Test-Achats réalise tous les six mois des tests comparatifs sur les assurances auto et elle n'a pas de scrupules à citer, en toute transparence, le nom des compagnies reprises dans ses études. Il apparaît que jusqu'à l'âge de 29 ans, la différence homme/femme est, en moyenne, de 3 à 10 %, ni plus ni moins. Cela contredit totalement les données avancées, mais il est difficile d'en débattre, dans la mesure où l'on refuse de révéler les noms des compagnies étudiées. Test-Achats n'a pas cette pudeur.

En ce qui concerne l'assurance hospitalisation, M. Colle justifie le point de vue de Test-Achats puisqu'il dit qu'une part signifiante de la différence observée dans la fréquence des sinistres entre les hommes et les femmes tient à des différences de comportement, comme une plus grande fréquence des visites chez le médecin de la part des femmes et donc une meilleure prévention.

M. Coteur fait référence à une remarquable étude, d'ailleurs citée par un assureur français, SCOR. Selon l'Institut National de Démographie, l'écart entre la longévité des hommes et des femmes tend à se réduire. Dans cinq pays industrialisés observés depuis 1950, la différence d'espérance de vie entre les deux sexes se réduit à partir de 1995. Ce phénomène est également constaté en Belgique. Les dernières statistiques publiées montrent que l'espérance de vie des femmes n'augmente plus tandis que celle des hommes a augmenté de 98 jours dans les dernières statistiques publiées. L'assureur français précité estime que l'écart biologique entre hommes et femmes n'est désormais que de un à deux ans. Les comportements évoluent, notamment en matière de tabagie. Malheureusement, les jeunes femmes fument beaucoup plus que les jeunes hommes dans le passé. Mais par ailleurs, l'Institut National de Démographie souligne que les hommes adoptent les comportements féminins favorables à la santé. Ces données sont prises en compte tant pour l'assurance décès que pour l'assurance hospitalisation.

III.4. Exposé de M. Yves Evenepoel, actuaire Test-Achats

M. Yves Evenepoel a l'impression que M. Colle jette de la poudre aux yeux. Il donne quelques exemples concernant les assurances vie.

L'intervenant dit que M. Colle prétend qu'il faut toujours tenir compte des tables de mortalité de l'INS. Selon Test-Achats, la plupart des assureurs s'écartent totalement des tables de mortalité de l'INS pour les assurances décès. Ils utilisent des tables d'expériences qui garantissent le tarif pour trois ans maximum.

La situation en France n'a pas non plus été décrite correctement. M. Colle affirme que la hausse des primes d'assurances rentiers en France est due à l'application d'un tarif unique pour les deux sexes. Ce n'est certainement pas le cas. En Belgique aussi, les primes d'assurances rentiers ont fort augmenté tant pour les hommes que pour les femmes. Or l'on utilise des tables de mortalité tout à fait différentes. L'augmentation s'explique plutôt par deux facteurs importants: l'allongement considérable de l'espérance de vie en Belgique et la forte baisse du taux d'intérêt garanti. Le niveau des primes d'assurances rentiers évolue de manière quasi parallèle en Belgique et en France.

III.5. Exposé du Dr Yves Thiery, Instituut voor Handels- en Verzekeringsrecht (KULeuven)

M. Yves Thiery est assistant des professeurs Cousy et Van Schoubroeck à la KULeuven et il prépare une thèse sur les discriminations dans les assurances. Il fait une analyse juridique de la présente proposition de loi. Il laisse aux sénateurs la question de savoir s'il est opportun de tenir compte du sexe dans les assurances.

Le contenu de la proposition de loi est assez simple. On y demande de supprimer le troisième paragraphe de l'article 10 de la loi du 10 mai 2007 relative au genre. Désormais, on pourrait par conséquent instaurer une distinction directe basée sur le sexe pour la fixation des primes et des prestations d'assurances. L'assureur pourrait justifier une telle discrimination si certains critères sont respectés. Il pourrait ainsi présupposer un but légitime et indiquer que la discrimination est adaptée et nécessaire pour atteindre ce but. En d'autres termes, le législateur recourrait au régime de l'opting out prévu par l'article 5, 2º, de la directive 2004/113/CE qui doit être transposée dans le droit belge avant le 21 décembre 2007.

M. Thiery s'étendra sur les points juridiques suivants. Se pose tout d'abord la question pertinente de savoir si la Belgique peut encore revenir sur son choix de ne pas lever l'option. Ensuite, il s'attardera sur les motivations de la proposition de loi. On a ainsi cité la position concurrentielle difficile des sociétés belges d'assurances vis-à-vis des sociétés étrangères qui ne doivent pas respecter la loi belge sur notre marché. On a également souligné le fait que les tarifs les plus bas seront alignés sur le niveau le plus élevé.

Enfin, il fera encore quelques remarques sur la formulation des modifications proposées. Il pense que des problèmes peuvent surgir avec l'article 5, 3º, relatif à la protection, prévue dans la directive, de la grossesse et de la maternité. Le législateur ne s'en tiendrait pas non plus aux conditions strictes liées à l'opting out.

La première question est donc de savoir si la Belgique peut encore revenir sur son choix. En supprimant le troisième paragraphe, une discrimination directe peut être justifiée. À première vue, il semble que le niveau de protection est ainsi réduit. L'article 7, 2º, de la directive prévoit toutefois que la mise en œuvre de cette dernière ne peut en aucun cas constituer un motif d'abaissement du niveau de protection. La suppression du troisième paragraphe n'entraînerait dès lors aucun abaissement de ce niveau. Aucun problème important ne se pose bien entendu pour l'instant parce que, jusqu'au 21 décembre 2007, le sexe ne peut donner lieu à des différences de primes et de prestations.

Selon un contre-argument, le régime transitoire prévu par le troisième paragraphe prévoit que les contrats conclus avant le 21 décembre 2007 seront, après cette date, contraires à la législation belge.

Reste à savoir si telle était l'intention du législateur belge. Même si le troisième paragraphe n'est pas supprimé, M. Thiery est partisan d'une précision du régime transitoire de manière à le conformer aux objectifs du législateur.

Dans les développements de la proposition, deux motifs sont cités: d'une part, la menace qui pèse sur la position concurrentielle des sociétés belges d'assurances et, d'autre part, la thèse selon laquelle les tarifs les plus bas seront alignés sur le niveau des plus élevés.

Certains se demandent en effet si la position concurrentielle des sociétés belges d'assurances n'est pas mise en danger. L'intervenant le dit autrement: les sociétés étrangères d'assurances peuvent-elles nier la loi belge relative au genre ? À son sens non, car ces dispositions n'ont rien à voir avec la fixation des tarifs; le principe du home country control ne s'applique dès lors pas. Il prévoit que, dans le domaine du contrôle financier, seul s'applique le droit de l'État membre d'origine et l'État membre où l'activité est exercée n'a aucune compétence à ce sujet.

Le fait que la loi belge relative au genre ne porte pas sur la fixation des tarifs est selon lui également confirmé par la Cour de Justice qui affirme que la liberté tarifaire, telle que prévue dans la troisième directive relative aux dommages et la troisième directive relative à l'assurance sur la vie, n'est compromise qu'en ce qui concerne les arrêts relatifs aux bonus-malus, pour lesquels on a constaté que la liberté tarifaire est violée si une prime de base est fixée. La loi belge sur le genre ne prévoit aucune prime et encore moins son montant. Le législateur belge prévoit uniquement que, quel que soit son montant, la prime doit être égale pour les hommes et les femmes.

Dans l'hypothèse où il n'est pas question d'une fixation des tarifs et où le principe du home country control ne s'applique pas, les dispositions de la loi relative au genre doivent être considérées comme un aspect du droit applicable aux contrats d'assurances et on doit donc se baser sur le droit international privé relatif aux assurances.

Pour les assurances sur la vie, le droit du lieu de résidence principale de l'assuré s'applique, sauf si ce lieu se trouve dans un autre État membre que celui dont il est un ressortissant. Dans ce cas, il pourrait opter pour le droit de l'État membre dont il est ressortissant.

Pour « l'assurance non-vie », le droit du lieu de résidence principale de l'assuré s'applique, sauf s'il s'agit d'un bien immobilier ou de l'assurance d'un bien ou d'un bateau; dans ce cas, il peut opter pour le droit de l'État membre où se trouve le bien immobilier ou où est enregistré le bien ou le bateau.

Indépendamment du fait qu'il faut tenir compte du lieu de résidence de l'assuré — probablement la Belgique —, il est possible d'affirmer que, dans les autres cas, la législation belge peut être cataloguée comme une « disposition contraignante », une loi de police. Ceci signifie que la matière réglée est de nature si sérieuse qu'un lien purement effectif avec le droit belge, pour lequel le choix du droit applicable n'importe pas, provoque l'application du droit belge. La jurisprudence est univoque à ce sujet: pour la protection des consommateurs, l'on peut parler d'une loi de police. Lorsqu'il s'agit de la protection d'un droit fondamental, il est aussi probablement possible de parler d'une loi de police car la Belgique peut avancer son ordre public du droit international privé.

Indépendamment de la discussion sur le droit international privé, il faut vérifier si l'application de la législation belge à une société étrangère d'assurances n'implique pas une violation des règles relatives à la libre circulation. Pour une société étrangère qui offre des assurances en Belgique, il s'agit bel et bien d'une entrave car elle doit adapter ses contrats à la loi belge. Est-ce une violation des règles de la libre circulation ? Il est difficile d'affirmer qu'il en est ainsi si la Belgique se contente de transposer une directive européenne. La loi relative au genre est une transposition de la directive sur le genre qui constitue en outre une matière harmonisée. Dans ce cas, la Belgique ne peut défendre son intérêt général mais elle doit veiller à disposer d'une législation conforme aux dispositions de la directive. On pourrait affirmer qu'il ne s'agit pas d'une matière harmonisée parce que la directive semble prévoir deux options: rester dans son système ou en sortir. Selon M. Thiery, l'argument ne tient pas car il ne s'agit que d'un régime d'exception très limité à un principe général. Toutefois, même si l'argument était valable, on pourrait encore avancer un intérêt général, à savoir la protection de l'égalité entre hommes et femmes qui est reconnue par la communauté.

Reste la crainte que la législation belge entraînerait un alignement des tarifs les plus bas sur les plus élevés. Selon la proposition, il est normal que les sociétés d'assurances ne puissent appliquer une moyenne mathématique parce que le nombre d'hommes et de femmes dans le portefeuille n'est jamais égal. L'intervenant est convaincu que le premier paragraphe de l'article 5 de la directive relative au genre en tient précisément compte. Il prévoit que les primes et prestations, c'est-à-dire le tarif commercial, ne peuvent différer mais que le sexe peut être utilisé pour le calcul du risque. Cela signifie qu'on peut analyser un nombre inégal d'hommes et de femmes dans le portefeuille et y appliquer son tarif technique mais cela ne peut avoir pour conséquence d'instaurer une différence dans le tarif commercial. L'application d'une moyenne mathématique n'est donc pas rendue impossible par la directive.

Quant à la formulation des modifications proposées, M. Thiery estime qu'il n'est pas tenu compte de la protection de la grossesse et de la maternité. Si l'on supprimait le troisième paragraphe de l'article 10, une distinction directe basée sur le sexe deviendrait justifiable. Le premier paragraphe de l'article 4 de la loi belge relative au genre assimile cette distinction à celle basée sur la grossesse et la maternité.

En d'autres termes, une distinction directe basée sur la grossesse et la maternité devient justifiable. L'assureur peut utiliser les critères de la grossesse et de la maternité pour faire des différences. Il s'agit là d'une violation du troisième paragraphe de l'article 5 de la directive relative au genre, qui prévoit que la levée de l'option ne peut jamais avoir pour conséquence de rendre justifiable une distinction directe basée sur la grossesse et la maternité.

Il existe des conditions formulées de manière très stricte pour la levée de l'option. Si on supprimait le troisième paragraphe de l'article 10, on en viendrait en effet à une distinction directe basée sur le sexe et qui serait justifiable parce que la loi prévoit que le but doit être légitime et que les moyens doivent être adaptés et nécessaires. On ne tient alors toutefois pas compte du deuxième paragraphe de l'article 5 de la directive relative au genre, qui est plus spécifique. Selon cet article, les primes et prestations des hommes et des femmes peuvent différer si elles sont proportionnelles, si le sexe est un facteur déterminant et si l'estimation du risque est basée sur des données statistiques et actuarielles pertinentes et précises.

Ces garanties ne se trouvent pas dans le premier paragraphe de l'article 10. Le choix envisagé aujourd'hui pourrait avoir pour conséquence que la loi belge offrirait des garanties insuffisantes, ce qui entraînerait le risque que des primes et prestations différentes soient justifiées par des données imprécises ou non pertinentes. Cela dépend du juge. La conséquence pourrait aussi être que les différences ne seraient pas proportionnelles et la loi belge violerait ainsi le deuxième paragraphe de l'article 5 qui impose des conditions concrètes.

La Belgique peut-elle encore revenir sur son choix ? Selon M. Thiery c'est possible.

À l'argument selon lequel la position concurrentielle des sociétés belges d'assurances peut être mise en danger, il répond que la loi relative au genre peut également être appliquée aux sociétés étrangères. À l'argument selon lequel les tarifs les plus bas seront alignés sur les plus élevés, il répond que la formulation de la directive sur le genre n'empêche pas la moyenne mathématique. En outre, la formulation de la modification proposée ne garantit pas la protection de la grossesse et de la maternité. Enfin, il signale que les exigences relatives aux données actuarielles et statistiques ne sont pas reprises correctement dans le texte de la loi.

III.6. Exposé du Prof. Pierre Devolder, Faculté des sciences économiques, sociales et politiques (UCL)

M. Pierre Devolder s'attardera avec pragmatisme sur six questions concrètes, qui reflètent assez bien les arguments des représentants des assureurs et ceux des consommateurs. Chacun se pose des questions légitimes et il faut essayer d'y répondre. Cependant, tout le monde a raison.

Tout d'abord, la segmentation hommes-femmes est statistiquement justifiée pour certaines assurances. Personne ne remet en cause la différence d'espérance de vie entre les hommes et les femmes. Pour l'assurance vie, par exemple, l'espérance de vie reste très différente et on ne constate aucun signe de rapprochement significatif. L'amélioration continue de la longévité se poursuit. L'Association royale des actuaires belges, une association neutre qui n'est liée ni aux assureurs ni aux consommateurs, a effectué plusieurs études statistiques visant à établir des tables prospectives tenant compte d'une prévision de ce que pourrait être l'amélioration. Ces études montrent que la différence d'espérance de vie entre les femmes et les hommes demeure autour de huit ans. Elle a quelque peu diminué mais personne ne peut la remettre en cause et on ne constate pas de réduction drastique.

Peut-on vivre sans aucune segmentation entre hommes et femmes dans les assurances ? La réponse est évidemment affirmative.

Il est intéressant de connaître les critères « intelligents » à utiliser. Certains défendent l'idée que l'on ne peut utiliser en assurances que des critères sur lesquels l'assuré peut agir. D'autres considèrent qu'il vaut mieux utiliser des critères objectifs, contrôlables comme le sexe ou l'âge.

Il est clair que l'on pourrait utiliser d'autres critères que le sexe, y compris en assurance vie. Statistiquement, les femmes ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes. Cependant, l'espérance de vie à la retraite d'un homme, cadre supérieur qui ne fume pas et fait du sport, est évidemment supérieure à l'espérance de vie à la retraite d'une femme ouvrière qui fume et ne pratique pas de sport. On peut donc recourir à d'autres critères.

Dans ce débat, il faut avoir à l'esprit deux éléments pragmatiques. Le premier est que l'on ne part pas de zéro. Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer un nouveau marché de l'assurance à partir de rien. Il faut tenir compte de ce qui existe déjà. Par ailleurs, si l'on interdit le recours à certains critères, il faut soumettre tout le monde aux même règles, sinon, il se produira des distorsions.

La troisième question porte sur l'application aux individus de généralités qui ne sont que statistiques.

La matière de l'assurance est par définition frustrante. Chaque individu se perçoit comme différent des autres. Cependant, quelle que soit la segmentation qui lui est appliquée, on l'inclut dans un groupe.

Or, le principe de base de l'assurance est la mutualisation des risques. L'assurance est basée sur l'idée de solidarité: ce qui ne peut pas être supporté par l'individu devient supportable par un ensemble d'individus. Forcément, dans cet ensemble, quelle que soit la segmentation utilisée pour le constituer, quelle que soit la technique choisie, les gens ne sont jamais parfaitement identiques. En outre, l'assureur ne possède jamais la totalité des renseignements sur les individus. La mutualisation fait en sorte que l'on va appliquer une prime sur une base statistique. Les associations de consommateurs ont raison de soulever les problèmes que cela induit. Malheureusement, on ne peut faire mieux.

Ainsi, supprimer tous les critères sur lesquels l'assuré ne peut agir pour les remplacer par d'autres dépendant de l'action de l'assuré, comme fumer ou faire du sport, n'empêchera pas certains fumeurs invétérés qui ne font jamais de sport de vivre vieux. On connaît toujours des exceptions à la règle statistique. Cette règle présente incontestablement un aspect injuste, mais cet aspect découle de la nature même de l'opération d'assurance.

En ce qui concerne la quesion si l'application uniforme de l'égalité est facilement réalisable en pratique, M. Devolder fait part d'un certain nombre de questions et de doutes sur la façon dont cette égalité absolue pourrait être mise en œuvre en pratique.

Plusieurs produits d'assurance, comme l'assurance vie, sont basés sur des garanties. Lorsqu'on achète un contrat d'assurance vie à trente ans dont le terme est fixé à soixante-cinq ans, la prime que l'assureur demande ne peut être modifiée au cours de cette période. C'est une garantie.

Même si l'assureur s'aligne sur les tarifs moyens, il ne pourra pas augmenter les tarifs les plus bas. Il y a donc une discrimination. La réponse consiste sans doute à dire que la nouvelle disposition ne s'appliquera pas aux contrats existants. Mais ne crée-t-on pas alors une nouvelle discrimination ? En effet, pour les gens qui ont souscrit des contrats avant une certaine date, la discrimination est maintenue et, pour les autres, elle disparaît. En interdisant de lever l'option, d'autres discriminations sont ainsi créées. Par conséquent, il convient de tenir compte de l'existant, au-delà de l'idée générale de tendre vers l'égalité hommes-femmes.

Autre exemple, le second pilier échappe à la règle. Quelle que soit la décision prise, tout ce qui relève de l'assurance, du fond de pension et de la prime d'assurance du second pilier a été exclu. Le professeur ignore pourquoi. S'il s'agit vraiment d'une discrimination scandaleuse, il ne comprend pas très bien pourquoi on l'autorise dans les pensions complémentaires, une matière essentielle dans notre société. Il relève simplement une incohérence totale. Les discriminations sont recréées par ailleurs.

La cinquième question consiste à savoir s'il y a un risque de délocalisation ou d'abandon de certains produits. La réponse est affirmative. Les assureurs diront évidemment que, si on est seul, tous les risques vont disparaître. En revanche, les consommateurs disent que rien ne partira. Mais il faut toutefois admettre qu'il y aura un impact. En interdisant de lever l'option, on introduit une discrimination sociale. En effet, les gens qui ont la possibilité de faire appel à des courtiers ayant des contacts internationaux et qui ont en main des produits de l'étranger sont plutôt de catégorie aisée. Un courtier de village ne connaît pas ces produits étrangers et ne pourra donc pas les présenter à ses clients. Test-Achats a tout à fait raison sur ce point.

La dernière question vise à savoir si l'application de prix égaux entraînera une augmentation moyenne du coût de l'assurance. Certains répondent par la négative en disant que tout le monde s'alignera sur la moyenne. D'autres disent que des pressions seront exercées pour s'aligner sur le maximum. Personnellement, M. Devolder a tendance à dire qu'il sera opté pour une solution intermédiaire. Ceux qui affirment que la moyenne sera appliquée ont totalement raison si la modification de structure des tarifs ne modifie pas la population assurée. Si l'assiette reste la même, aucun problème ne se posera. Mais personne ne peut dire si elle restera identique.

Le professeur cite l'exemple d'un portefeuille dans lequel, avant égalisation, le coût par assuré est de 1 400 euros pour les hommes et de 600 euros pour les femmes. Ce portefeuille contient le même nombre d'hommes et de femmes. La prime moyenne est donc de 1 000 euros.

On pourrait décider d'égaliser et de demander mille euros à tout un chacun, mais cela ne serait possible que si tout le monde reste assuré. Tous les bons risques ne vont certainement pas partir mais si la moitié de ceux-ci s'en allaient ou ne s'assuraient plus — toutes les assurances ne sont pas nécessairement obligatoires —, le coût global serait, comme le montre un simple calcul, plus élevé pour l'assureur qui resterait dans ce cas de figure avec 100 assurés lui coûtant 1400 euros et 50 assurés lui coûtant 600 euros. Sa charge globale étant de 170 000 euros et le nombre d'assurés de 150, la prime uniforme à réclamer serait donc techniquement de 1133 euros et non de mille euros.

Le seul but de cet exemple est de montrer à quel niveau se situe le problème. Une petite moyenne de gens risque effectivement de partir et il y a donc un risque d'augmentation du coût de l'assurance. Personne aujourd'hui ne peut dire si cette augmentation sera peu, moyennement ou fort élevée.

En conclusion, si la Belgique ne veut pas de la dérogation, elle sera totalement isolée en Europe. M. Devolder rejoint Test-Achats sur ce point.

Il est essentiel d'avoir une vue précise de la situation dans tous les pays d'Europe. D'après les renseignements dont il dispose, la plupart des pays qui nous entourent seront dans cette situation, en tout cas pour l'assurance vie. Il admet qu'il se trompe peut-être mais, dans ce cas, il souhaite qu'on lui montre les documents qui le prouvent.

Personne ne peut garantir que tout le monde va aller à l'étranger et que les tarifs vont augmenter au maximum. Le marché belge de l'assurance présente un certain nombre de risques et d'incertitudes: incertitude quant aux tarifs et risque d'augmentation du niveau moyen du coût de l'assurance; incertitude sur les portefeuilles existants à tarif garanti; incertitude sur le meilleur conseil à donner par les intermédiaires; incertitude quant aux délais de réalisation pratique et incertitude quant au risque de délocalisation.

L'adoption de cette proposition permet d'éviter ces risques. Elle permet de s'aligner sur l'ensemble de la Communauté européenne. M. Devolder revient à la situation de départ: la Belgique dispose d'une réglementation européenne qui tend à couvrir toute l'Europe et applique une dérogation qui vaut pour toute l'Europe. Il ne comprend pas pourquoi ce qui est valable à Paris, Londres ou Madrid serait totalement infaisable à Bruxelles. Cette façon de procéder ne ferme pas du tout la porte à une révision dans cinq ans. L'intervenant ne dit pas que l'on ne doit pas aller vers une égalité hommes-femmes au niveau européen. On peut débattre et considérer d'une manière générale que des critères sur lesquels l'assuré n'a pas de poids, pourraient devenir une règle européenne. Techniquement, c'est tout à fait possible. Les assureurs en ont les moyens. Cependant, dans un marché européen, adopter une position différente de tous les autres pays n'a aucun sens.

III.7. Exposé du Prof. Sébastien Van Drooghenbroeck, Faculté de Droit (Facultés universitaires Saint-Louis)

M. Sébastien Van Drooghenbroeck est professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis et a également été un des experts associés à la réforme des législations du 10 mai 2007. C'est plutôt en cette qualité d'expert informé de l'historique et des données juridiques de cette réforme qu'il s'exprimera aujourd'hui.

Il partage sur de nombreux points l'avis d'Yves Thiery et a déposé une note écrite qui le confirme. Il va dès lors insister sur d'autres points.

En premier lieu, il rappelle la structure de cette directive européenne qui doit être transposée. Elle n'offre pas un choix parfaitement équivalent aux États en leur proposant soit d'interdire les distinctions de traitement entre les hommes et les femmes dans la détermination des primes et des prestations d'assurances, soit de déroger. Ce n'est pas un choix parfaitement symétrique et équivalent que les États peuvent exercer de manière discrétionnaire tout simplement pour prolonger des pratiques antérieures en matière d'assurances. Cette directive contient un principe, à savoir l'interdiction de distinction de traitement entre hommes et femmes en matière d'assurances, et une exception. Juridiquement, il en va tout autrement et il y a une asymétrie entre les deux alternatives.

La Cour de justice des communautés européennes a rappelé l'existence de cette asymétrie dans un arrêt récent qui condamne le système des pensions des Communautés européennes parce qu'il fonctionne sur la base de tableaux actuariels sexospécifiques — tables de mortalité distinctes. Elle a jugé ce système contraire au principe général de l'égalité entre hommes et femmes. L'instance européenne considère le principe de l'interdiction comme étant axiologiquement supérieur à la possibilité de dérogation. Si cette dérogation existe, elle est de stricte interprétation, on ne peut aller au-delà de ce que la directive permet, on ne peut être plus vague que ce qu'elle autorise en termes de conditions de fond et de forme et, surtout, les États qui décident de déroger doivent motiver leur choix.

La loi belge du 10 mai 2007 dispose qu'à partir du 21 décembre 2007, il ne sera plus possible de faire des distinctions de traitement en primes ou en prestations entre les hommes et les femmes sur la base de facteurs actuariels sexospécifiques. Cette loi avait été présentée comme étant un choix provisoire. Au parlement, le ministre en charge de l'Égalité des chances avait déclaré que le débat sur l'activation de la dérogation n'était pas clos; qu'il pourrait être repris à la lumière de données statistiques publiques actuarielles. Hélas, ce n'est qu'aujourd'hui qu'il s'ouvre à nouveau, ce qu'il regrette.

Le Conseil pour l'égalité des chances femmes-hommes affirme qu'il n'est plus possible de modifier la loi car le principe de standstill ferait obstacle à ce que la Belgique revienne sur son choix généreux de l'interdiction au profit du choix de la dérogation. Pour les raisons qu'il a développées dans sa note, il n'est pas d'accord avec cette analyse. Il croit au contraire qu'une modification pourrait encore intervenir avant le 21 décembre moyennant le respect scrupuleux des conditions énumérées à l'article 5, paragraphe 2, de la directive qui exige que des statistiques précises, pertinentes, montrent le caractère déterminant du sexe pour l'évaluation de tel ou tel risque dans telle ou telle branche d'assurance et que ces données soient publiées et régulièrement actualisées. Il est donc encore possible de modifier la loi pour autant que le système soit parfaitement en règle à partir du 22 décembre.

Faut-il être pour ou contre la levée de la dérogation ? La question est ouverte depuis très longtemps dans la littérature. Sur le plan épistémologique, la statistique n'est pas le nouveau droit naturel qui aurait vocation à dicter ses choix au droit positif. Ce n'est pas parce que la statistique révèle la pertinence de tel facteur pour l'occurrence d'un risque que le droit positif doit estimer qu'une distinction de traitement sur cette base peut être autorisée, voire imposée.

Dans l'affaire Lindorfer, l'avocat général Francis Jacobs a dit dans ses conclusions: « On pourrait utilement imaginer une situation parfaitement plausible dans laquelle les statistiques montreraient que les membres d'un groupe ethnique donné vivent en moyenne plus longtemps que ceux d'un autre. La prise en compte de ces différences pour déterminer la corrélation entre les contributions et les droits dans le cadre du régime de pension communautaire serait cependant totalement inacceptable en droit ». Cette prise de position démontre que les limites de la segmentation en assurances par le biais de la prise en considération des révélations statistiques est une question non pas de science mais de choix politique.

Dans la directive, par exemple, le législateur européen a choisi d'ignorer la donnée statistique relative au risque de grossesse et de maternité pour interdire les différences tarifaires qui seraient pratiquées sur cette base. Il s'agit d'un choix politique. Le législateur a estimé que dans une Europe vieillissante, les hommes devaient pouvoir subir une augmentation de leurs primes d'assurance « hospitalisation » pour favoriser l'avènement de ce merveilleux risque qu'est la naissance d'un enfant.

La Belgique a également fait des choix politiques de ce genre. En 1992, elle a interdit la tarification sur la base du profil génétique. La statistique révélera sans doute que le profil génétique défavorable d'une personne accroît le risque de sinistre mais le droit a dit « non », sur la base d'une décision politique. À l'époque, des propos alarmants, identiques à ceux que l'on entend aujourd'hui, avaient été tenus mais ils n'ont finalement pas été vérifiés.

Il faut donc remettre les choses dans leur juste contexte. S'abriter derrière la statistique pour justifier des choix est insuffisant; nous ne sommes pas dans le bon registre.

L'argument de la concurrence est sans doute le plus compliqué, mais il est tout à fait sérieux. Le risque invoqué est celui de voir la Belgique, si elle se retrouvait isolée dans son choix, mettre ses assureurs à genoux face aux assureurs étrangers qui, eux, grâce à la dérogation activée par les États, pourraient continuer à pratiquer une politique différenciée en la matière.

Ce risque est bien réel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle dans la proposition de directive initiale, la Commission européenne, pressentant ce risque, avait décrété une interdiction générale et absolue de distinction de traitement sur la base de données actuarielles sexospécifiques. Selon la Commission, le fait de ne pas prévoir d'exception évitait tout risque de concurrence dû à l'activation ou non de ladite exception par certains États. Or, c'est sous la pression du lobby européen des assurances que l'on a renoncé à cette interdiction générale, au profit de la dérogation qui, elle, crée un problème de concurrence derrière lequel on s'abrite maintenant.

Il s'agit donc d'un risque qui est réel, mais qu'il faut dévaluer et, si possible, relativiser.

Concernant la relativisation, M. Van Drooghenbroeck renvoie à la démonstration de M. Thiery sur la nature de lois de police et sur l'admissibilité d'une dérogation à la libre prestation des personnes.

Concernant l'évaluation, le professeur renvoie au débat relatif aux données actuellement disponibles sur les options prises par les autres États. Personne ne contestera que la Belgique se trouve pour l'instant en situation d'isolement et que d'autres États ont fait le choix de lever la dérogation. Nous n'en savons pas beaucoup plus. Les données existantes se fondent soit sur des lois adoptées opérant la dérogation, soit sur des déclarations d'intention, mais celles-ci doivent être prises avec des pincettes. En effet, certains États font une déclaration d'intention en pensant qu'un autre État agira de même. C'est un peu le dilemme du prisonnier ...

Par ailleurs et si l'on s'en tient à la situation des États ayant activé la dérogation, il faut tout d'abord vérifier quel produit d'assurance est concerné. S'il s'avère qu'aucun État n'a, par exemple, décidé d'autoriser l'utilisation de facteurs actuariels sexospécifiques en matière d'assurance auto, la Belgique n'a pas besoin de le faire, le risque de concurrence ayant disparu.

Ensuite, il faut vérifier si les dérogations faites par certains États sont valables au regard du droit européen. Jusque tout récemment, la France imposait légalement des tableaux de mortalité unisexes pour tous les produits relatifs à la vie. Elle a changé d'avis à la faveur de la directive, en raison du risque de concurrence, et a autorisé la dérogation. Or, juridiquement, ce changement d'avis est contraire au principe de standstill contenu au point 19 de la directive européenne: un État ayant déjà appliqué des tarifs unisexes ne peut pas revenir sur son choix par voie de dérogation. C'est aussi une donnée à prendre en compte.

Du point de vue concurrentiel, le tableau du risque n'existera qu'après le 21 décembre 2007 et qu'après que la Commission européenne aura « balayé » tout ce que les États ont fait. Là réside le problème: on ne peut pas attendre au-delà du 21 décembre 2007. Et c'est là qu'il devient « souffleur de suggestions »: on pourrait imaginer que face à ce risque de concurrence que l'on considérerait comme étant trop insupportable, l'on active la dérogation à titre conservatoire, en échange de quoi l'on se force à réaliser une évaluation législative à la lumière des données européennes, non pas cinq ans plus tard comme le prévoit la proposition Assuralia, mais un an plus tard. Ce serait un moyen relativement logique de gérer cette incertitude, effectivement liée à des données juridiques que l'on ne connaît pas encore et qui ne seront fixées qu'après le 21 décembre 2007. Il peut parfaitement comprendre le point de vue des assureurs à ce sujet.

III.8. Exposé du Prof. Em. Hubert Claassens, Onderzoeksgroep Insurance (KULeuven)

M. Hubert Claassens est heureux de pouvoir prendre la parole dans cette assemblée, à la demande de certains parlementaires dont Mme Helga Stevens, qui pensent que tout ce débat axé principalement sur la discrimination ou l'égalité entre les hommes et les femmes en matière d'assurance ne peut se limiter à ce seul angle de vue.

En tant que professeur, il accompagne depuis des années des personnes qui éprouvent des difficultés parce qu'elles sont discriminées par diverses compagnies d'assurances. Il part de ce point de vue pour ses observations dans le débat. Il peut entièrement souscrire aux propos tenus ici par les orateurs non-assureurs, mais émets des réserves concernant les dires des assureurs.

Il s'exprime donc dans l'optique de ceux qui sont discriminés — les femmes également — en raison d'une mauvaise santé, d'un handicap, souvent depuis la naissance. La requête des assureurs, soi-disant dans l'intérêt des consommateurs, va beaucoup plus loin que l'aspect d'égalité des chances hommes-femmes.

Les statistiques d'assurance ne peuvent pas être l'alpha et l'oméga d'une approche sociétale de la mission que doivent assumer les compagnies d'assurances, à savoir la protection des acquis des citoyens, de toute la société. Les compagnies d'assurances invoquent trop souvent des arguments de technique des assurances. Les statistiques peuvent en effet nous apprendre plusieurs choses. Il faut cependant considérer non seulement le passé, mais aussi l'avenir. Le secteur des assurances doit évoluer de la même manière que la société. Si les assurances s'efforcent d'assumer davantage de missions de sécurité sociale, elles doivent aussi se soucier davantage de leur responsabilité sociale en tant qu'entreprises. Elles doivent donc veiller à ce que chacun puisse prendre une assurance à des conditions acceptables.

Les statistiques peuvent être très importantes dans le domaine des assurances, mais elles sont toutefois subordonnées à un droit supérieur, à savoir le droit fondamental d'accès à une assurance à des conditions abordables.

Selon la directive, des exceptions peuvent être faites pour des différences proportionnelles, dans les cas où le sexe est un facteur déterminant dans l'appréciation du risque. Cela n'est possible que sur la base de données actuarielles et statistiques pertinentes et précises. Jusqu'à présent, nous ne disposons pas de statistiques pertinentes et incontestables. La question est toujours la même: les statistiques générales s'appliquent-elles à tout le monde ? On a proposé d'utiliser d'autres critères. Avec son collègue Michel Denuit de la Faculté des sciences actuarielles de l'UCL, le professeur Claassens a souligné que l'on invoque trop souvent des arguments techniques pour justifier des pratiques basées sur des motifs commerciaux.

Nous ne devons donc pas prendre à la lettre des arguments techniques et actuariels s'ils sont invoqués comme étant l'alpha et l'oméga d'une nouvelle politique d'assurance.

En 1992, lorsque qu'il fut tout à coup interdit de communiquer des données génétiques, il a défendu au nom des assureurs le point de vue selon lequel les bons assurés, les bons risques, partiraient à l'étranger. On pouvait craindre alors qu'ils y soient encouragés, poussés par des courtiers connaissant bien le terrain. Il a toutefois dû constater que cela ne s'est pas produit.

Il déplore que les assureurs invoquent aujourd'hui des arguments angoissants, notamment à l'égard des femmes, en leur disant qu'elle devront payer beaucoup plus cher. Ce n'est absolument pas certain.

Ce n'est pas la première fois que la Belgique sera isolée. Lorsqu'elle a mieux protégé les usagers faibles de la route, on a aussi affirmé que cela mènerait à la faillite de l'assurance auto qui était déjà en mauvaise posture. Les hausses de tarifs seraient même insupportables. Dans la pratique, on n'a pourtant constaté aucune sérieuse augmentation de tarif.

C'est pourquoi il déplore de devoir lire dans un document officiel que les compagnies d'assurances sont mises en mauvaise posture et qu'elles courent le risque de subir d'énormes pertes. Dans les exposés précédents, aucune preuve n'a été avancée à cet égard.

Le gouvernement sortant a fait des efforts fiscaux importants pour attirer des fonds de pension paneuropéens. Selon des données officielles, trois fonds de pension sont venus s'installer dans notre pays, et ce, par le biais de montages très particuliers au Luxembourg.

Il ne peut qu'approuver les arguments avancés ici par des collègues d'autres universités, y compris les réflexions sur la question de savoir si la Belgique peut purement et simplement contourner la disposition de stand-still de la directive. Si cela n'est pas possible, il craint une énorme pagaille, qui sera cette fois renforcée par la demande des assureurs.

Si la législation actuelle empêchait les assureurs d'utiliser des tables d'espérance de vie, ils pourraient très rapidement faire déposer un avant-projet de loi, comme ils l'ont fait maintenant.

Le professeur Claassens veut exhorter le législateur à la prudence. Il doit se garder d'une nouvelle discrimination hommes-femmes, dont on affirme maintenant qu'elle joue en faveur des femmes, alors que les chiffres prouvent que l'espérance de vie des hommes et des femmes se rapproche.

Il est donc bien possible que les femmes doivent payer cela très cher dans dix à quinze ans. Leur espérance de vie n'aura peut-être pas baissé, mais les hommes auront rejoint les femmes sur ce plan.

Il est quotidiennement confronté à des questions, non seulement de femmes discriminées, mais aussi d'hommes et d'enfants discriminés, qui n'obtiennent pas d'assurance parce qu'ils sont malades ou handicapés, trop jeunes ou trop vieux. Cette discrimination est chaque fois basée sur de beaux arguments économiques, qu'il conviendrait de confronter aux vœux de la société.

Il attend avec intérêt ce que dira tout à l'heure la représentante du Nederlandstalige Vrouwenraad sur ce problème, pour examiner si elle est réellement demandeuse d'une différenciation. Il ressort de ce qu'il a appris jusqu'à présent que ce n'est pas le cas.

Finalement, il réagira volontiers à toutes les remarques possibles, en particulier celles des assureurs, parce qu'il déplore qu'aucune concertation ne soit menée sur ce sujet avec les intéressés.

III.9. Exposé de Mme Herlindis Moestermans, Nederlandstalige Vrouwenraad

Mme Herlindis Moestermans se réjouit d'autant plus de cette invitation qu'il s'agit d'une matière traitant de l'égalité entre hommes et femmes.

Son approche ne sera ni technique ni juridique. Elle se contentera de citer quelques éléments qui ont déjà été évoqués, mais à partir de la perception qu'elles ont, en tant que femmes, de l'égalité entre hommes et femmes.

Le Conseil des Femmes a constaté depuis longtemps que les assureurs calculent des primes différentes en fonction des caractéristiques des preneurs d'assurance. Depuis des années, ils ne voient aucun inconvénient à faire une distinction entre hommes et femmes lors du calcul des primes. Concrètement, cela signifie que les assurances automobiles sont plus avantageuses pour les femmes que pour les hommes, bien que les simulations réalisées sur différents sites web d'assureurs ne fassent cette distinction que jusqu'à l'âge de 30 ans en moyenne.

Les assurances décès sont également plus avantageuses pour les femmes. Les assurances de rente sont toutefois plus coûteuses pour les femmes car il s'agit d'une rente payée chaque mois: plus longtemps les assurés vivent, plus longtemps cette rente devra être payée. La situation est tout autre pour les assurances de capital car, en cas de décès ou lorsque l'on atteint l'âge de 65 ans, un capital, fixé au préalable, est versé en une seule fois. Dans ce cas, les femmes paient moins cher. Les assurances hospitalisation sont plus avantageuses pour les hommes, de même que les assurances groupe qui versent un capital plus important aux hommes qu'aux femmes au moment de la pension à l'âge de 65 ans.

Les assureurs se basent sur les statistiques pour justifier cette différence de traitement entre hommes et femmes. Par exemple, les femmes causent moins d'accidents graves de la circulation que les hommes. Les statistiques ne sont toutefois pas figées. À l'heure actuelle, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Des études, comme celle réalisée par Test Achats, montrent cependant que le tabagisme croissant des femmes, par exemple, devrait réduire considérablement cet écart dans le futur. Un accès encore plus large des femmes au marché du travail aura peut-être une influence sur leur espérance de vie, mais nous ne pouvons pas encore le dire à l'heure actuelle.

Le lien statistique entre le facteur et le risque est important en matière d'assurance. Il est cependant encore plus important de faire une distinction entre le lien statistique et le rapport causal. On ne peut pas affirmer qu'il y a un rapport causal en ce qui concerne la différence d'espérance de vie actuelle entre hommes et femmes. Celle-ci dépend plutôt du style de vie de l'individu que du sexe. Derrière les moyennes statistiques, il y a en effet des êtres humains. Il y a par exemple des hommes qui ne causent pas de graves accidents de la circulation.

Les assureurs veulent continuer à pratiquer ce système discriminatoire d'assurance. Mme Moestermans renvoie à la directive européenne et à sa transposition dans la loi du 10 mai 2007 interdisant toute discrimination fondée sur le sexe.

Pour les assureurs, le sexe est un critère stable, facilement applicable et qui engendre peu de frais de transaction. D'autres critères sont plus coûteux mais pas plus efficaces pour autant. Dans ce cas, les assureurs invoquent des motifs économiques et pratiques qui, de l'avis du Vrouwenraad, ne contrebalancent pas réellement le principe d'égalité. Le Conseil demande avec insistance que le gouvernement n'use pas de la clause d'opting out et ne tolére aucune discrimination fondée sur le sexe.

Selon la Commission européenne, le sexe est un facteur sur lequel on n'a aucune prise. Cela signifie que des différences au niveau des primes en fonction du sexe sont discriminatoires.

Mme Moestermans estime que la Belgique ne peut d'ailleurs pas revenir sur cette décision. Il est en effet généralement admis au niveau européen que l'on ne peut pas diminuer un niveau de protection existant contre la discrimination. Si le principe du standstill est d'application, on ne peut pas modifier la loi du 10 mai 2007. Il subsiste apparemment une incertitude en la matière. Elle demande donc que l'on fasse d'abord toute la clarté dans ce domaine.

Le droit à un traitement égal est un droit individuel des femmes et des hommes. Les assureurs calculent les primes et les allocations pour certains groupes de manière à ce que l'égalité au sein d'un groupe prime sur l'égalité entre les individus. Le Vrouwenraad a le sentiment que l'on avait bien opté pour l'égalité entre hommes et femmes dans la loi du 10 mai 2007 et trouve que c'était la seule option équitable.

Le Vrouwenraad représente une quarantaine d'organisations féminines qui approuvent cette vision des choses. Quelques-uns de leurs membres ont également réagi à titre individuel, comme Vrouw en Maatschappij, car ceci représente un thème important pour les femmes du CD&V. Ils signalent qu'une tarification fondée sur le sexe est contraire au principe de l'égalité de traitement et à la jurisprudence communautaire. C'est ce qui ressort également du communiqué de presse des Liberale vrouwen.

La même attitude prévaut chez les organisations de femmes francophones, notamment au Conseil des femmes francophones de Belgique. Elle se réfère à l'avis du 9 novembre dernier du Conseil pour l'égalité des chances entre hommes et femmes où celui-ci se prononce contre toute discrimination fondée sur le sexe pour les assurances. Cet avis fait surtout référence à la jurisprudence européenne en la matière, notamment les arrêts Mangold et Lindorfer.

Les règles européennes en matière de concurrence ont aussi été abordées. L'intervenante avait compris que les assureurs avançaient comme argument le fait que certains assureurs étrangers continueront, à partir de 2008, à faire des distinctions fondées sur le sexe, ce qui affaiblira la compétitivité de la Belgique. Elle a également appris que la législation belge prime pour les contrats d'assurance conclus par des assurés belges.

Pour le Vrouwenraad, l'alignement des primes des femmes sur celles des hommes ne peut en aucun cas entraîner une majoration de prix. Elles supposent que le libre échange freinera ce type d'augmentation. Les consommateurs n'apprécieront pas une augmentation massive des primes.

L'association est partisane d'un ensemble de facteurs objectivement mesurables par type d'assurance et qui pourraient être liés au style de vie de l'individu. Dans cette optique, elle pense au système du bonus-malus de l'assurance automobile, mais aussi à des critères comme le type de véhicule et le nombre de kilomètres parcourus. Des facteurs socioéconomiques pourraient également jouer un rôle.

Les critères appliqués par les assureurs ne sont pas transparents. Quels sont à l'heure actuelle exactement les critères par assurance ? Quel est l'impact de chacun de ces critères lors du calcul de la prime ? Par ailleurs, certains assureurs tiennent compte du critère du sexe et d'autres non. Ce n'est pas le cas pour l'assurance hospitalisation, mais bien pour les assurances privées.

Il est selon le Vrouwenraad temps de passer au crible la segmentation. Elles craignent qu'une augmentation de la segmentation mette à mal le fondement de l'assurance. Le danger existe, à terme, de ne plus assurer des risques mais des certitudes.

Un affinement du mode de calcul de la prime tenant compte des caractéristiques intrinsèques de chaque consommateur ne constitue, pour le Vrouwraad, pas une option. Il serait préférable de baser ce calcul sur les caractéristiques de l'ensemble du marché en répartissant les risques sur le plus grand groupe possible. Elles attachent beaucoup d'importance au principe de solidarité. Elles pensent par exemple à l'assurance contre les catastrophes naturelles où le principe de solidarité est prépondérant.

Il serait dommage de miner dès à présent les principes de la loi sur l'égalité entre les sexes et de créer ainsi un précédent. L'association plaide avec vigueur en faveur du principe d'égalité.

III.10. Exposé de M. Liebermann, chef de cabinet adjoint de M. Christian Dupont, ministre de la Fonction publique, de l'Intégration sociale, de la Politique des grandes villes et de l'Égalité des chances

M. Liebermann trouve un peu particulier qu'un ministre en affaires courantes soit amené à commenter une proposition de loi amendant le texte qu'il a lui-même porté devant cette assemblée. Il restera donc à un niveau de généralités assez élevé. Un certain nombre d'interventions, dont celle de M. Van Drooghenbroeck qui a collaboré à l'élaboration de la loi, sont très fouillées et apporteront davantage d'éléments pour trancher les questions évoquées.

Il tient à rappeler l'esprit de la loi anti-discrimination en matière d'égalité entre les hommes et les femmes. Pour le ministre, la liberté de segmenter des publics et la liberté tarifaire, son corollaire, ont des limites. Elles doivent respecter les principes fondamentaux du droit et donc le principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Des controverses peuvent naître sur la nature de la portée juridique de ce principe, mais il est incontestable qu'il s'agit d'un droit fondamental qui transcende un certain nombre de principes organisant notre société. Il est difficilement acceptable de permettre qu'une prime ou une prestation d'assurance puisse varier du simple fait qu'une personne appartient à l'un ou l'autre sexe, celui-ci étant un facteur totalement indépendant de la volonté des individus. C'est toute la controverse sur les critères de comportement soit liés à des facteurs socio-économiques, soit inhérents à l'identité des personnes.

En tant que représentant du ministre de l'Égalité entre les hommes et les femmes, il est évident que c'est un principe auquel on tient de manière presque absolue. En effet, on ne veut pas tomber dans la caricature ou le politiquement correct et il convient sans doute d'apprécier un certain nombre de réalités.

On a parlé de la concurrence, de l'impact sur les prix et le gouvernement a pris l'option — cela se traduit dans le texte soumis au législateur — de prendre pour règle générale l'interdiction de toute discrimination directe. En ce sens, il transpose de manière intégrale la directive en matière de dérogation.

Force est de constater que bien que ces législations aient été élaborées pendant deux ans, jamais un dossier conforme aux exigences de l'article 5, § 2 de la directive qui a été évoquée n'a été présenté. Cela permet de dire que les incertitudes pointées dans un certain nombre d'exposés sont étayées de manière chiffrée et que, de cette manière, on sait où l'on va.

Dans la législation, on a conservé le § 3 de l'article 10 qui laisse encore la possibilité d'avoir un rapport analogue. Il ne le retrouve pas dans l'exposé des motifs fondant la proposition de loi. Il y est question d'un autre texte. Si ce rapport arrive, il appartiendra au législateur de l'analyser et d'en tirer toutes les conséquences utiles.

Tel est le point de vue que M. le ministre souhaitait voir relayer. Il insiste surtout sur le fait que cette nouvelle loi, qui apporte une nouvelle forme de régulation du marché des assurances, implique une série de modifications. La question est de savoir quelle en sera la portée et quel rapport proportionné sera établi entre des prévisions basées sur des données fiables, qui semblent manquer, et l'atteinte au principe d'égalité hommes-femmes, laquelle est absolue dans la directive.

Il ajoute encore un élément: cette question fut posée dès 2004 au moment de l'élaboration de la directive. Des discussions ont déjà eu lieu à l'époque au sein du gouvernement sur la position de la Belgique à cet égard. Nous avons finalement dégagé une position de compromis qui n'a pu être étayée par les données fiables et objectives qu'il a évoquées, qui permettent de cerner l'impact de l'application du principe de l'égalité dans le secteur.

III.11. Exposé de Mme Michèle Bribosia, représentante du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes

Mme Michèle Bribosia remarque que le Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes est composé de représentants de nos trois communautés. Tous les partis y sont représentés, notamment au Bureau du Conseil. Dans un communiqué daté du 9 novembre, le Bureau s'est prononcé à l'unanimité contre la demande de dérogation.

Elle a bien entendu le plaidoyer des assureurs mais ils ont omis de pondérer les avantages et les inconvénients de la segmentation pour les femmes. L'assurance « hospitalisation » est beaucoup plus chère pour les femmes. Or, elle est vitale.

En outre la jurisprudence résultant de l'arrêt « Lindorfer » l'emporte sur toute directive.

III.12. Échange de vues

Mme Smet indique qu'à la Chambre une proposition de loi semblable sera déposée. La présidente a-t-elle discuté de cette question avec la Chambre ? Des accords ont-ils été pris ?

Madame Tilmans est au courant qu'une proposition de loi sera déposée le 23 novembre 2007 en séance plénière de la Chambre. Elle sera examinée en urgence par la commission de l'Économie. Elle a proposé à l'ensemble des présidents de commissions ou de comités d'avis de participer à la réunion du Comité d'avis puisque le panel des invités est relativement large. Ces auditions permettent de gagner du temps. Les discussions pourront avoir lieu par la suite en commission.

Mme Miet Smet conclut que le Sénat devra évoquer la proposition adoptée par la Chambre pour pouvoir se prononcer à son sujet. Elle n'est absolument pas certaine qu'une majorité se dégagera en sa faveur. Il s'agit d'une manœuvre: la proposition sera traitée et adoptée à la Chambre, mais on essaiera d'empêcher qu'elle soit soumise au Sénat.

La présidente remarque que le Comité d'avis a organisé ces auditions qui, indépendamment des décisions qui seront prises par la suite, ont le mérite d'exister, ce qui ne sera peut-être pas le cas dans les autres commissions.

Il lui paraît stupide de prendre des décisions sans connaître le fond du problème. Ce serait dommageable au travail parlementaire.

M. Procureur espère que ce travail aura son utilité. Il s'agit en tout cas d'un débat très intéressant. Il félicite la présidente d'avoir pensé à donner la parole aux représentants de Test-Achats tout de suite après celui d'Assuralia. Un face-à-face aurait sans doute été plus intéressant encore mais requérait davantage de temps.

Il se réjouit d'entendre la réponse du représentant d'Assuralia aux arguments avancés par Test-Achats et en particulier à la recommandation de ne pas établir de différenciation fondée sur des facteurs que l'on ne maîtrise pas — le sexe — et de se limiter à des facteurs sur lesquels le consommateur a prise, par exemple, fumer ou non, faire du sport ou non. Que pense Assuralia de cet argument ?

Test-Achats a par ailleurs souligné qu'Assuralia aurait pu agir depuis 2005. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Enfin, Test-Achats a analysé la proposition de loi qu'il a baptisée « proposition Assuralia ». D'autres idées circulent, notamment celle d'une dérogation au principe d'égalité homme/femme se limitant au secteur des assurances vie. Qu'en pense Test-Achats ?

Mme Sabine de Bethune voudrait poser quelques questions au représentant d'Assuralia.

Premièrement, quelle est la position d'Assuralia à propos de l'assertion de M. Mechels selon laquelle les assurances doivent pratiquer la différenciation en se basant sur des facteurs sur lesquels les gens peuvent agir et non sur des facteurs sur lesquels ils n'ont aucune prise ?

Deuxièmement, comment réagit-il à l'argument selon lequel on peut pratiquer une différenciation plus pertinente et plus objective que la distinction classique homme-femme, à partir d'informations sur le style de vie, par exemple ? Certains adoptent en effet un style de vie plus responsable, choisissent un autre type de voiture et conduisent de manière plus responsable.

La sénatrice Van Ermen a beaucoup entendu parler du comportement comme facteur déterminant mais a entendu peu d'arguments scientifiques. La population mondiale se compose à 52 % de femmes et à 48 % d'hommes. Selon la théorie de la génétique les femmes bénéficient d'une protection contre beaucoup de maladies parce qu'elles possèdent deux chromosomes X, cela vaut aussi contre le cancer. Les hommes développent plus de cancers que les femmes, mais après la ménopause, les femmes font plus d'infarctus du myocarde que les hommes parce qu'elles étaient protégées auparavant par leurs hormones. Ces arguments sont-ils pris en compte ?

Mme de Bethune propose de demander à la Commission européenne un aperçu des dérogations qui existent à ce jour. L'information fournie par M. Colle, à savoir que 18 pays demandent une dérogation, ne concorde pas avec les renseignements dont elle dispose. Pour l'Irlande, par exemple, il ne s'agit que des assurances vie. Il est essentiel de se baser sur des informations provenant de sources officielles.

Mme Tilmans est d'accord qu'il faudrait disposer de ce tableau.

M. Colle remarque qu'il a communiqué au secrétariat du Comité d'avis la liste des pays qui ont déjà transposé la directive ou qui ont l'intention de le faire. Il y est indiqué, par État membre, pour quelles branches d'assurances la dérogation est demandée. Dans le cas de la France et de l'Allemagne, il s'agit du secteur tout entier et dans celui des Pays-Bas, des assurances vie. Dix-huit des dix-neuf États membres ont prévu une exception, soit pour l'entièreté du secteur, soit pour une partie seulement.

Si, en Belgique, la dérogation est accordée pour les trois branches d'assurances, celle-ci sera valable cinq ans. La directive détermine expressément qu'une évaluation doit avoir lieu tous les cinq ans sur la base des nouvelles données statistiques et actuarielles. Ces données doivent être communiquées à la CBFA, l'organisme — neutre et indépendant — de contrôle du secteur financier. La décision qui sera prise avant le 21 décembre n'est donc pas définitive.

Pourquoi, dans la fixation du coût de l'assurance vie, ne tient-on pas compte de différents facteurs, outre le tabagisme ? Parce que la législation oblige à fixer la prime sur la base des statistiques et des tables de mortalité de l'INS. Assuralia souhaiterait dorénavant utiliser des tables de mortalité prospectives, qui prennent en compte l'évolution de l'espérance de vie des hommes et des femmes. La législation relative aux assurances collectives intègre cet élément, mais non l'arrêté royal concernant les assurances vie individuelles. Les assureurs veulent donc prendre en considération d'autres facteurs que l'âge et le sexe.

La législation belge prévoit une exception, à savoir l'aggravation des risques. Elle doit être argumentée par la compagnie d'assurances. Le fait d'être ou non fumeur constitue un critère généralement admis dans ce cadre.

Concernant les critères de segmentation, M. Colle souhaite apporter un éclaircissement: on confond trop souvent les notions de segmentation et de discrimination, lesquelles sont fort différentes. La discrimination est bien entendu interdite et inique, et doit être combattue. Par contre, la segmentation n'est ni interdite ni illégale ni inique. La segmentation est une technique d'assurance qui permet de déterminer un risque de manière précise, en fonction de données objectives. Le législateur impose la segmentation car elle permet une évaluation correcte du risque. Concernant la technique, l'intervenant se réfère à l'arrêté relatif au contrôle des compagnies d'assurances.

Selon l'article 12 de cet arrêté, lors de l'établissement des tarifs, les assureurs doivent respecter l'équité et adapter leur tarif aux catégories d'assurés. Cela signifie qu'ils sont obligés de répartir leurs assurés en catégories, en d'autres termes, d'opérer une segmentation en fonction du risque. N'est-il d'ailleurs pas normal et juste de payer davantage lorsque le risque est plus élevé ? Les consommateurs sont d'ailleurs demandeurs. En matière d'assurance auto, 70 % des automobilistes ont un degré de bonus-malus inférieur à quatre; leur prime est donc inférieure d'environ 60 % à la prime habituelle. Si l'on ne peut plus prendre en compte le risque plus élevé inhérent à certaines catégories, les « bons risques » doivent alors trinquer pour les « mauvais ». C'est une réalité économique, toutefois passée sous silence.

Concernant la directive européenne, Mme Miet Smet estime que M. Colle semble considérer qu'un changement interviendra automatiquement dans cinq ans. Or, le texte précise seulement que des données justifiant le maintien tel quel de la loi doivent être transmises dans cinq ans. Cette réglementation est donc valable pour une période plus longue que cinq ans, à moins que la directive ne soit modifiée, qu'une nouvelle directive ne soit publiée ou que la loi ne soit modifiée.

Personne n'est opposé à la segmentation, pour autant qu'elle ne soit pas utilisée comme un outil de discrimination entre hommes et femmes. Il est parfaitement possible d'opérer une segmentation entre fumeurs et non-fumeurs; cela a d'ailleurs été fait. Une segmentation est envisageable sur la base d'autres critères, mais si le but est d'établir une inégalité entre les hommes et les femmes, il s'agit d'une discrimination.

M. Colle indique que la législation belge oblige aujourd'hui les assureurs sur la vie belges à utiliser les tables de mortalité de l'INS.

En outre, l'intervenant assure les sénateurs que la table dans le dossier de documentation concorde bien entendu avec la réalité.

Pour répondre à la remarque de M. Evenepoel, M. Colle dit qu'il n'est pas question de l'augmentation de la prime en France mais bien de la disparition de la différence entre les primes pour les hommes et celles pour les femmes qui résulte de l'interdiction d'établir une distinction entre les hommes et les femmes. En conséquence, les compagnies d'assurance françaises ont décidé d'appliquer le tarif le plus élevé.

On a parlé de « proximité » en se référant à l'intervention des courtiers d'assurance. C'est vrai que ceux-ci remplissent un rôle important en Belgique puisque 70 % des contrats d'assurance y sont conclus par l'intermédiaire d'un courtier ou d'un agent d'assurance.

Les courtiers ont d'ores et déjà décidé, vu l'obligation d'information imposée par la législation européenne, de diriger les assurés belges vers les compagnies d'assurance étrangères et vers les produits d'assurance étrangers, et ce dans les trois branches d'assurance évoquées. La proximité va jouer à l'avantage du consommateur, avec les produits étrangers qui seront vendus en Belgique.

Par ailleurs les compagnies d'assurance belges qui dépendent d'un groupe international vendront leurs assurances vie pour femmes par leurs filiales étrangères, du Luxembourg ou de la France. C'est une réalité. Il ne faut pas oublier que les assurances vie représentent deux tiers du chiffre d'affaires du secteur de l'assurance. Le résultat escompté, à savoir qu'il n'y ait plus de différenciation entre hommes et femmes, ne sera donc pas atteint.

L'interdiction par le législateur de pratiquer la différenciation basée sur des critères spécifiques ne pose pas de problème économique ni actuariel. C'est le consommateur qui sera la dupe. La définition et l'appréciation du risque seront moins précises. Étant donné que l'assureur ne prend pas de risque à cet égard, les primes augmenteront.

Si l'on supprime la différenciation selon le sexe ou d'autres critères dans certains domaines — les exposés de MM. Mechels et Coteur ont élargi le débat — cela doit se faire au niveau européen et pas seulement en Belgique. La concurrence étrangère risque de désavantager les compagnies d'assurance belges et les consommateurs belges ayant des difficultés à s'adresser à l'étranger.

L'interdiction des tests génétiques n'a pas entraîné un déplacement des assurés belges vers l'étranger. C'est normal parce qu'il s'agit de mauvais risques. Les personnes génétiquement prédestinées à développer une maladie ou une pathologie constituent de mauvais risques pour l'assureur. Dès lors, il est normal que les assureurs étrangers n'aient pas tenté de conquérir ce marché en Belgique. Cela risque d'être totalement différent pour l'assurance vie et l'assurance automobile, où les femmes représentent les bons risques. Les assureurs étrangers s'intéresseront sans aucun doute au marché belge. Le consommateur belge n'aura pas à se rendre à l'étranger car les entreprises d'assurance étrangères viendront en Belgique.

M. Procureur a l'impression qu'il y a un déséquilibre entre les interventions des représentants des assurances Assuralia, d'une part, et de l'association de consommateurs Test-Achats, d'autre part. Il est donc curieux d'entendre la réaction de M. Coteur.

M. Coteur indique que M. Colle affirme que l'assurance vie représente deux tiers environ du total des primes, mais il ne fait aucune distinction entre l'assurance décès et l'assurance épargne. Dans le cadre de l'assurance épargne, on n'utilise pas de tables de mortalité pour les produits de la branche 23 et ceux que l'on appelle universal life, ces derniers étant les plus intéressants pour le consommateur. Il est donc parfaitement possible de ne pas demander d'exception pour ces produits.

Ensuite, M. Colle a fait allusion à la « proposition Assuralia » qui sera déposée. Il a explicitement dit que la CBFA fournirait toutes les informations à la Commission européenne pour le 21 décembre 2009. Toutefois, il n'indique pas que depuis 2005 il doit fournir des statistiques pertinentes et précises pour le 21 décembre 2007. S'il ne s'exécute pas, il plongera la Belgique dans un état d'insécurité juridique. Il veut retarder de deux ans ce qui est prévu par la directive, alors que la date limite est fixée au 21 décembre.

Pour ce qui est de l'assurance auto, Test-Achats n'a jamais affirmé qu'il fallait supprimer le système du bonus-malus qui différencie les primes a posteriori. M. Colle ne semble pas percevoir la distinction entre les différenciations a priori et a posteriori. Test-Achats a toujours défendu un système de bonus-malus uniformisé et admis que 70 % des gens bénéficient d'une réduction importante. L'association n'a jamais remis cela en cause; ce ne l'est pas davantage par l'application de la directive.

Enfin, concernant la concurrence venant de l'étranger, les assurances auto aux Pays-Bas et en France sont de 15 à 50 % moins chères qu'en Belgique. Si les courtiers étaient effectivement tentés de vendre des contrats étrangers, il y a longtemps qu'ils auraient dû le faire, notamment dans les régions frontalières, au Limbourg belge, par exemple, qui touche aux Pays-Bas, et du côté de la frontière française, des compagnies comme la Macif ayant un siège à Lille. Or, cela ne se pratique pas parce que les assureurs étrangers voulant opérer en Belgique doivent respecter la loi belge sur le contrat d'assurance. Comme M. Thiery l'a très bien expliqué dans le numéro spécial du Bulletin des assurances, ils devront également respecter la variante belge de la loi anti-discrimination.

M. Coveliers a trouvé l'exposé du professeur Devolder très convaincant.

Quand à l'exposé de M. Thiery, il suppose que quand il parle de « loi de police », il pense au « droit impératif ». Si tel est le cas, le sénateur craint que M. Thiery ne se trompe. Au cours de la précédente législature il y a eu de longs débats, avec plusieurs professeurs d'université, du nouveau code de Droit international privé (DIP). Selon lui, ces possibilités de concurrence existent effectivement et il donne un exemple.

Quand une société néerlandaise, qui respecte tout à fait la législation néerlandaise, elle-même conforme à la directive, conclut, en Belgique, un contrat dans cette matière, on ne peut pas dire qu'elle est en contradiction avec la directive européenne et la législation belge.

M. Thiery répond que le DIP néerlandais est le même que le DIP belge et que cela résulte simplement de la deuxième directive assurance non-vie et de la deuxième directive assurance-vie. Les sociétés d'assurance néerlandaises savent tout autant que le droit belge est applicable lorsqu'elles proposent des contrats d'assurance à des personnes qui ont leur lieu principal de résidence en Belgique.

M. Coveliers remarque qu'il a pris l'exemple d'une société néerlandaise mais le même principe vaut pour les autres pays européens. Lorsqu'un assureur respecte sa propre législation et que cette dernière est conforme à la directive, on ne peut quand même pas lui interdire de proposer ces assurances, moyennant paiement de primes, sur le marché belge ?

Selon M. Thiery, dans ce cas, le droit belge sera applicable. Une directive prévoit également qu'une compagnie d'assurances doit se conformer au droit belge lorsque le lieu de résidence principal du preneur est la Belgique. L'argument « loi de police » s'applique uniquement dans des situations où une courbe nationale est possible.

M. Coveliers pense que cela est contraire à ce qui a été dit lors de l'examen du nouveau code de droit international privé. Il faut le vérifier avec les experts.

M. Colle veut réagir quant au problème qui vient d'être soulevé. Il s'agit d'un problème technique et strictement juridique. Les principes sont pourtant assez simples. Il a l'impression que l'on est en train de compliquer les choses. Il est un principe fondamental que l'on oublie.

On se trouve ici dans le cadre du libre service qui prévaut en Europe.

La libre circulation des services est un des principes de base de l'UE. Les compagnies d'assurances étrangères peuvent vendre leurs produits chez nous.

Il y a donc deux possibilités. Ou bien, et c'est l'opinion de certains juristes, c'est une matière harmonisée étant donné qu'il s'agit de transposer une directive. Si tel est le cas, aucun État membre ne peut imposer sa législation nationale à une société étrangère. C'est la jurisprudence constante de la Cour européenne de justice.

Ou bien, et c'est son opinion, il ne s'agit pas d'une matière harmonisée parce que la directive laisse ouvertes les deux possibilités. Si tel est le cas, seules les dispositions d'intérêt général européen peuvent être imposées aux sociétés étrangères. Se pose alors la question de savoir si le choix de la Belgique de ne pas autoriser l'exception est d'intérêt général européen. Ce n'est pas possible étant donné que la directive laisse ouvertes les deux possibilités. Quelle que soit l'option choisie, aucune n'est d'intérêt général communautaire. Un État membre ne peut donc imposer sa législation nationale à des compagnies d'assurances étrangères.

Mme de Bethune remarque que l'égalité de traitement entre hommes et femmes est cependant une norme européenne. L'exception y déroge et est autorisée dans des circonstances particulières mais c'est une option offerte aux États membres. Cependant, la législation européenne prévoit la primauté de l'égalité de traitement. Si la Belgique s'y conforme, c'est en vertu de la législation européenne et de l'intérêt général européen.

Selon M. Coteur, les deuxième et troisième directives européennes — vie et non-vie — ont très clairement retenu le principe que pour tout ce qui concerne les risques de masse, la loi applicable est celle du pays où le consommateur est localisé, où le risque est situé. Concrètement, cela signifie qu'une compagnie néerlandaise qui viendrait en Belgique devrait respecter toutes les prescriptions de la loi belge relatives à la déclaration du risque et donc toutes les atténuations au principe de déclaration spontanée du risque. Elle devrait également respecter l'article 95 de la loi sur les assurances qui est très strict en ce qui concerne le secret médical.

Respecter le principe d'égalité, c'est respecter un principe d'intérêt général. Une compagnie étrangère devrait respecter les dispositions de la loi belge en matière d'indemnisation des victimes dans le cas des assurances auto, toutes les prescriptions relatives au secret médical dans le cas des assurances décès.

Le professeur Claassens est étonné que les assureurs créent autant de difficultés tout en se limitant à des affirmations lapidaires. À chaque fois, ils avancent des arguments qui poussent à avoir peur de ne pas lever l'option mais ils ne présentent pas d'argumentation sérieuse. Les interventions de MM. Thiery et de Van Drooghenbroeck vont dans le sens contraire. Il aimerait savoir pourquoi les assureurs n'ont pas fait plus tôt la démonstration de leur thèse ? Depuis le vote de la directive, ils en ont eu le temps. Maintenant encore, leurs arguments suscitent la peur, en particulier celle des femmes. En réalité, il est très facile de combattre de tels arguments.

Mme de Bethune aimerait bien recoir plus d'information sur le principe de non-régression.

M. Thiery croit que pour l'instant, il n'est pas possible de revenir en arrière étant donné que jusqu'au 21 décembre 2007, tous les contrats d'assurance peuvent encore pratiquer la différenciation, sauf si l'on considère que les contrats qui sont conclus maintenant ne seront plus valables au-delà du 21 décembre parce que le régime transitoire n'est pas bien réglé par la loi. C'est pourquoi il plaide en faveur d'une amélioration du régime transitoire.

Mme Tilmans remarque que, selon le représentant du ministre, la position de compromis n'a pu être étayée par les données fiables et objectives qu'il a évoquées, qui permettent de cerner l'impact de l'application du principe de l'égalité dans le secteur. Ces données peuvent-elles être complétées par d'autres ?

M. Colle explique que les tableaux présentés à la commission font bien entendu la synthèse de données sous-jacentes recueillies auprès de l'ensemble des compagnies d'assurances. Ils ont été remis au gouvernement depuis 2004. Toutefois, certains ministres continuent à contester leur validité; dès lors, on assiste à une discussion sans fin. À l'époque, les assureurs avaient proposé de soumettre ces tableaux ainsi que l'ensemble des données à la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) de manière à ce que cette autorité neutre, objective et indépendante puisse contrôler, chiffres à l'appui, les données des compagnies d'assurances individuelles. Toutefois, puisque les responsables politiques ont choisi de ne pas lever l'option et de ne pas prévoir d'exception, la CBFA n'a forcément pas été associée. Ces données existent cependant depuis toujours.

M. Claassens constate que le problème de la charge de la preuve dans le domaine des assurances se pose toujours. Il est convaincu que si, pour un litige bien précis, toutes ces données étaient soumises à un tribunal, il devrait les écarter car elles ne sont étayées que par la thèse d'une seule partie. Rien n'empêchait les assureurs de demander l'intervention de la CBFA, même sans l'aval du gouvernement. C'est d'ailleurs ce qu'a expliqué le membre du cabinet du ministre Dupont. Nous ne pouvons donc pas effectuer le moindre contrôle et ce problème se pose dans tous les cas de segmentation et de discrimination. Quand un assureur ou le secteur veut instaurer une différence de traitement, il doit fournir lui-même une motivation et celle-ci peut être contestée. Or, comme vous l'avez entendu, tous les intervenants ont des doutes sur cette motivation.

M. Colle regrette que tous les chiffres fournis dans ce dossier sont systématiquement contestés. Les données présentées par le professeur Devolder et relatives à l'écart entre les femmes et les hommes, ont été établies par plusieurs études. Or, elles sont contestées elles aussi.

Il défend, lui aussi, le principe selon lequel aucune discrimination ne peut être instaurée entre les femmes et les hommes. Un principe qui, en fin de compte, porte préjudice à la personne que l'on cherche à protéger, en l'occurrence la femme, mérite-t-il d'être défendu envers et contre tout ?

Deuxièmement, la Belgique ne peut pas être isolée. Il se rallie à la proposition du Professeur Van Drooghenbroeck. Ce que Assuralia demande, c'est de ne pas être isolés au sein de la Communauté européenne et, tous les cinq ou trois ans (un an ce serait un peu court), d'analyser si l'exception demandée a ou non une influence négative sur les primes et sur la politique tarifaire des compagnies d'assurances. La question peut être réévaluée selon la directive tous les cinq ans ou même tous les trois ans sur la base de données actuarielles ou statistiques.

La dernière question qu'il abordera a été soulevée par un orateur précédent. Il est remarquable que ce principe sacro-saint ne soit d'application ni en assurances groupe, ni en assurances collectives ni pour les fonds de pension. Il se pose dès lors la question: si l'on tient absolument à ce principe sacro-saint et si on le veut absolu, pourquoi a-t-on limité son champ d'application aux assurances individuelles et ne l'a-t-on pas étendu aux assurances collectives alors que le problème est exactement le même ?

Son unique demande est: « n'isolez pas la Belgique, et réévaluez la situation d'ici trois ans, car un vrai problème nous menace sinon ».

Selon Mme de Bethune, on débat de cette question depuis quelques années déjà. On aurait pu faire préparer un dossier objectif par les administrations compétentes sous la précédente législature mais cela ne s'est pas fait. Il est donc navrant que nous devions nous prononcer maintenant dans un délai très bref sur la base de chiffres contestables.

Les assureurs démontrent d'ailleurs eux-mêmes que l'argument qu'ils avancent — que leur demande est dans l'intérêt des femmes — est bien plus nuancé. Elle pense notamment à l'assurance hospitalisation.

Comme partisan d'un traitement égal des femmes et des hommes on ne peut pas accepter qu'on invoque le principe de l'égalité de traitement d'abord pour avantager un groupe et ensuite pour lui porter atteinte. La sécurité juridique implique aussi une attitude conséquente.

Elle n'est pas encore convaincue, mais examinera tous les arguments.

Il faut également disposer d'informations sur les autres États membres. Elle souhaite demander les données de la représentation permanente de l'UE pour savoir où en sont les autres États membres. Beaucoup attendent sans doute de voir quelle sera la position des autres.

M. Claassens voudrais simplement appuyer ce que vient de dire l'oratrice précédente. On agit dans la précipitation alors que, depuis la préparation de la directive, on a disposé du temps nécessaire. Il y a aussi eu une évolution dans l'élaboration de la directive. Il serait de très mauvaise politique de forcer la main et de constater ensuite que la Belgique a une position isolée.

À plusieurs reprises, on nous a mis en garde contre la concurrence, notamment lors de l'élaboration des nouvelles règles pour les usagers faibles. On disait que plus aucun assureur ne voudrait assurer les voitures. Cela ne s'est pas produit. Il en a été de même pour les données génétiques.

S'il y a bien une chose avec laquelle les assureurs doivent pouvoir vivre, ce sont les incertitudes et les risques dont a parlé M. Devolder. Dans le cas contraire, ce sont les femmes et les exclus de l'assurance, qui continueront à les supporter.

Même comme ancien assureur ou professeur en matière d'assurance, il admet difficilement que l'on fasse supporter le poids de ces risques par ceux qui ne peuvent pas changer leur situation, comme le fait d'être un homme ou une femme, handicapé ou malade. C'est une chose à laquelle les assureurs doivent réfléchir et travailler, dans l'optique de la responsabilité sociale.

M. Procureur remarque que, selon M. Claassens, le problème de ces fameuses statistiques qui doivent être suffisamment pertinentes, claires et complètes, c'est précisément de savoir qui va pouvoir en juger. Il a indiqué qu'il existait un organisme suffisamment neutre pour pouvoir se prononcer, à savoir la CBFA.

Comment se fait-il que ces données n'aient pas pu être soumises à la CBFA ? Fallait-il absolument passer par le gouvernement ? À quel niveau le blocage se situe-t-il ?

Qu'il s'agisse de la CBFA ou d'un autre organisme, il faudra bien en trouver un. Il ne suffit pas que les assureurs répètent sans arrêt que les données sont pertinentes, claires et précises. Ils sont juge et partie.

Selon M. Colle, cela ne faisait pas partie des missions légales de la CBFA qui n'allait donc pas se charger de l'étude de l'ensemble des statistiques. Il aurait donc fallu en premier lieu une décision politique demandant à la CBFA d'assurer une mission de contrôle et de vérifier si l'exception demandée était conforme aux conditions prévues dans la directive. Telle est la seule et unique raison.

Les assureurs ne peuvent présenter que les données dont ils disposent. Si leur véracité ou leur objectivité est mis en doute, il n'y a qu'une solution: les soumettre au contrôle de l'un ou l'autre institut autonome ou indépendant. Mais cette initiative revient au pouvoir politique.

Mme Tilmans aimerait savoir s'il existe des organismes équivalents dans les pays qui ont voté l'avenant ou ces pays se retrouvent-ils dans le même flou que notre pays ?

M. Van Drooghenbroeck répond que certains pays ont voté dans l'urgence des clauses générales activant la dérogation mais ces clauses ne répondent absolument pas aux conditions formelles de la directive, par exemple en ce qui concerne la publicité des données et à leur vérification. La manière dont ces pays ont activé la dérogation sera probablement rejetée par la Commission européenne. Il est très difficile de dire s'il existe des équivalents de la CBFA et des rôles que l'on souhaiterait lui attribuer: certains pays qui ont levé la dérogation l'ont fait selon des conditions de validité juridique susceptibles de ne pas être approuvées par la Commission européenne.

Ces décisions pourraient-elles être annulées, demande madame Tilmans ? Elle trouve en plus qu'il ne faudrait pas que la Belgique fasse de l'excès de zèle. Elle l'a déjà fait dans différents secteurs en voulant aller beaucoup plus loin que l'Europe et elle en a parfois été pénalisée. Il nous appartiendra d'en discuter au sein de la commission et de voir ce qu'il en est.

Il est très difficile selon M. Van Drooghenbroeck d'évaluer la conséquence juridique d'une telle situation. Toutes ces directives n'ont pas d'effet direct sur les particuliers. Cela devrait se régler via une mise en cause de la responsabilité de l'État, qui devra payer.

M. Van Drooghenbroeck dit que, selon la Cour de justice, le principe général de droit communautaire, qui établit l'égalité entre les hommes et les femmes, s'oppose à l'utilisation de tables de mortalité différentes pour le calcul de la pension des fonctionnaires européens. L'arrêt n'en dit pas plus, l'arrêt n'en dit pas moins. Cependant, les avocats généraux Jacobs et Sharpston se sont montrés prudents. Dans leurs deuxièmes conclusions, ils disaient: « Attention ! Ce que nous nous apprêterions à dire ici ne doit pas être interprété comme remettant nécessairement en cause la validité des directives européennes qui autorisent l'utilisation du facteur actuariel sexo-spécifique ». Ils faisaient allusion à la directive régissant notamment le régime des pensions complémentaires ou à la directive 2004/113. En la matière, le dernier mot revient à la Cour de justice des Communautés européennes. Il se pourrait qu'à l'occasion d'un litige particulier, la Cour soit amenée à se prononcer sur la question de savoir si l'article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113 est conforme au principe de l'égalité de traitement. Et il n'est pas exclu qu'elle réponde par la négative, ce qui plongerait les États membres dans l'embarras.

Selon M. Claassens il s'agissait d'un problème concernant les pensions légales propres aux régimes de sécurité sociale, ce qui constitue un autre problème ...

M. Devolder n'est pas d'accord. Ce n'est pas un problème général, puisque dans le cadre du second pilier en Belgique, les discriminations sont considérées comme normales. S'il s'agissait d'un principe général, l'interdiction aurait également porté sur le second pilier.

En Belgique, actuellement, les indépendants sont discriminés par rapport aux salariés et je me demande pourquoi, même si chacun doit, il est vrai, assumer ses choix. Quoi qu'il en soit, dans le cadre du second pilier, l'on ne rencontre aucun problème lorsqu'on est salarié. Il s'agit d'un pilier très important, qui a été « poussé » par l'ancien gouvernement et qui constitue, selon les experts, l'un des plus grands défis des prochaines décennies.

Si on laisse les choses en l'état, et on ne demande pas d'exonération, on créera en réalité une série d'autres discriminations, entre salariés et indépendants, entre anciens et nouveaux contrats ... Il demande d'être prudent. Il est très facile de lancer, contre la discrimination, de grands principes, de grandes affirmations qui font l'unanimité. Ce sont des déclarations de principe, mais il faut être pragmatique et regarder les faits.

IV. DISCUSSION GÉNÉRALE

Il semble utile à M. Procureur de préciser dans la proposition de loi, les types d'assurances à laquelle s'appliquerait la dérogation. D'autre part, il constate deux oublis dans la proposition. Il lui semble que la proposition de loi n'est pas conforme au prescrit de l'article 5, 2º et 3º, de la directive. Ces dispositions imposent la mise en place d'un dispositif de monitoring des données actuarielles et statistiques qui justifient la différence des primes en fonction du genre. Ensuite, elles imposent également une réévaluation de cette dérogation au plus tard 5 ans après le 21 décembre 2007.

M. Procureur dit que le groupe cdH ne pourrait s'accorder avec une dérogation que dans le seul secteur de l'assurance-vie. Les discussions actuellement en cours à la Chambre semblent aller dans ce sens.

De façon plus générale, l'intervenant souligne que derrière les demandes des assureurs, il y a une volonté d'aller de plus en plus loin dans la segmentation. Si celle-ci est parfaitement justifiée dans certains secteurs, elle comporte cependant un risque d'exclusion, certaines assurances devenant inabordables pour certaines catégories de personnes.

Selon M. Coveliers, la proposition est intéressante pas tant par son aspect technique que parce qu'elle pose la question de savoir où se situe l'interdiction de discrimination. Personne ne considère l'interdiction de discrimination comme absolue. D'une part, la Cour constitutionnelle a déjà jugé à de nombreuses reprises qu'une discrimination était possible et admise si elle était justifiée. D'autre part, personne ne prétendra qu'il faut discriminer toujours et partout. La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir où se situe la discrimination. Penche-t-on plutôt pour une interdiction absolue ou considère-t-on que la matière qui nous occupe doit faire l'objet d'une exception, auquel cas il convient d'examiner quelles sont les exceptions qui pourraient être envisagées. L'intervenant est convaincu qu'il faut nuancer l'interdiction globale et qu'une telle approche doit être possible sous de nombreux aspects, dans un but légitime et objectif.

Mme Zrihen remarque que, lors des débats dans le parlement européen, un certain nombre de conclusions ont montrés que l'argument qui a été utilisé et qui consistait à opposer les hommes et les femmes ne paraissait pas être un argument honorable. D'autre part il fait éviter de fonder son choix sur la peur d'une éventuelle augmentation des prix pour les uns ou les autres, surtout en tenant compte des implications sur le marché des assurances. Il faut donc acquérir un maximum d'informations, les objectiver, et mesurer les implications pour nos concitoyennes en particulier.

À première vue, la mise sur pied d'égalité des hommes et des femmes semble être une bonne chose aux yeux de Mme Hermans, mais elle considère, elle aussi, qu'il est nécessaire d'examiner en détail la règle de l'exception. Elle estime, cependant, que la proposition de loi à l'examen est beaucoup trop vaste et qu'elle ne comprend aucune spécification. L'intervenante souligne par ailleurs l'importance des décisions des autres États membres de l'Union européenne, qui sont manifestement nombreux à opter pour la mesure d'exception.

Mme de Bethune fait remarquer qu'il y a à peine six mois que le vote de la loi antidiscrimination a eu lieu. À l'époque, on avait choisi de ne pas recourir à la mesure d'exception, bien que la date limite du 21 décembre fût évidemment déjà connue.

Elle souligne l'importance d'une bonne information. Ainsi, selon Mme Tilmans, la France demanderait l'exception. Cependant, Mme de Bethune pense que la France a entre-temps renoncé. De surcroît, de nombreux pays qui avaient demandé des mesures d'exception les ont fortement limitées, en les appliquant par exemple aux seules assurances vie. Enfin, elle pense qu'il serait très intéressant d'étendre la discussion à la question de la portée du principe de non-discrimination. Ce thème est très pertinent aux niveaux national et européen et le dossier actuel offre une bonne opportunité de traiter de cette question.

Mme Tilmans plaide pour l'adoption d'une position sage, consistant à ne pas se couper d'une possibilité de dérogation éventuelle dans certains domaines. Il s'agit d'une matière très touffue et complexe, où de nombreuses questions restent encore en suspens, et qui recouvre des domaines aussi variés que les pensions complémentaires, la maladie, l'invalidité, les accidents de travail, les maladies professionnelles, les soins de santé.

L'intervenante se demande si une solution médiane ne serait pas de se donner un délai maximum de deux ans pour procéder à une évaluation de la situation réelle, plutôt que de se couper dès aujourd'hui, et définitivement, d'une possibilité de dérogation, sachant qu'à l'heure actuelle, des différences existent entre les hommes et les femmes dans le secteur des assurances, notamment dans le domaine de l'assurance complémentaire, et que l'on ne sait pas si elles sont favorables aux hommes ou aux femmes.

Se prononcer dans la précipitation ne semble pas judicieux, aucun retour en arrière n'étant possible si l'on opte pour un refus de toute dérogation. En outre, si une éventuelle dérogation s'avère bénéfique pour les femmes et les hommes, pourquoi ne pas l'accepter en la balisant ?

Il est donc proposé de mettre en place pour une durée maximale de deux ans un groupe de travail qui étudierait toute la problématique de la segmentation et des critères dans le cadre des assurances, et qui permettrait de prendre une décision en toute connaissance de cause.

Mme Durant constate également la complexité du problème en discussion. À titre personnel, elle estime qu'il ne faut pas toucher à la législation sur la non-discrimination, car les assureurs disposent déjà d'autres instruments en la matière.

Par contre, un groupe de travail pourrait se pencher intelligemment sur une série de segmentations déjà pratiquées dans les assurances. Si la Belgique ne vote pas la dérogation, le secteur des assurances — où la concurrence joue un rôle important — risque de trouver un autre façon d'introduire une discrimination sur base du sexe. Ainsi, les recherches du groupe de travail pourraient permettre d'éviter les effets pervers des segmentations.

Mme de Bethune estime que la création d'un groupe de travail au sein du Comité d'avis qui serait chargé de cette matière extrêmement technique, n'est pas une bonne idée. Elle suggère de confier une mission d'étude à l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, après quoi un avis pourrait être formulé sur la base de cette étude. L'intervenante souligne que la prise de décision reste une prérogative politique. Mais le Comité d'avis ne peut pas prendre de décision sans étude technique approfondie.

Mme Tilmans trouverait dommage de déléguer à l'extérieur la responsabilité de rendre un avis. Ainsi, la politique n'assume pas sa fonction. Elle est en même temps consciente qu'un groupe de travail demandera d'énormes efforts.

Mme Durant souhaite qu'il existe un échange constructif entre le Comité d'avis et l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes. Il est donc possible de créer un groupe de travail qui pourrait travailler en se basant sur les données fournies par l'Institut.

La sénatrice se demande si le Comité d'avis doit fournir un avis. La défense du principe d'égalité et le vote de la dérogation sont incompatibles. Dans le doute, il ne faudrait pas émettre d'avis.

Mme Van Ermen attire l'attention sur la différence entre l'égalité des sexes et l'égalité des genres. Les constatations des compagnies d'assurance sont basées sur des aspects purement économiques. Il ne s'agit pas ici de droits, mais d'une question purement économique.

En tant que médecin, l'intervenante tient à souligner que le sexe et les deux chromosomes X sont, qu'on le veuille ou non, déterminants pour l'espérance de vie; c'est là une certitude scientifique. Si l'on ne tient pas compte de cette donnée, on risque d'ailleurs, vu la directive Bolkenstein, de voir les Belges s'assurer à l'étranger. L'intervenante estime cependant que l'instauration d'un délai de réflexion d'un an pourrait être une bonne solution.

Mme Lanjri souligne qu'en accordant dès à présent une dérogation, on risque de mettre à mal le fondement même de la loi du 10 mai 2007.

En l'occurrence, une dérogation jouerait peut-être en faveur de la femme, mais l'inverse pourrait se produire par la suite. Mieux vaut s'en tenir au principe selon lequel toute forme de discrimination entre hommes et femmes doit être supprimée. Les hommes et les femmes doivent être traités sur un pied d'égalité. En effet, on ne peut rien changer au fait que l'on est un homme ou une femme.

L'intervenante fait ensuite remarquer qu'on pourrait aussi instaurer éventuellement une distinction entre les femmes allochtones et les femmes autochtones. Il existe des différences, mais celles-ci ne peuvent en aucun cas donner lieu à des discriminations.

Par ailleurs, l'argument selon lequel les assurances étrangères envahiraient le marché belge s'avère inexact, étant donné que les assureurs étrangers sont tenus au respect de la législation belge.

Mme Hermans estime elle aussi que les arguments des compagnies d'assurance sont peu convaincants et déplore l'absence de chiffres actuels. Elle peut également admettre qu'il faille indiquer clairement, dans l'avis, qu'aucune exception sur la base du genre n'est acceptable. Elle se demande si l'on mettrait le secteur des assurances en difficulté en décidant définitivement, dès à présent, que toute dérogation est impossible. Peut-être faudrait-il considérer, sous toutes réserves, qu'une dérogation est possible. Il faudrait dans ce cas fixer des limites dans l'avis.

L'intervenante est également favorable à ce que le Comité d'avis entame une discussion sur le fond.

M. Beke rappelle qu'une proposition de loi comparable mais non identique est pendante à la Chambre. Il faudrait s'accorder sur la suite de la procédure, car une discussion et un vote « croisés » des deux textes n'a pas de sens.

Vu que l'avis en préparation ici n'est pas révolutionnaire, Mme Tilmans propose de discuter d'un avis qui pourrait être soutenu au Sénat au cas où aucun accord ne serait dégagé à la Chambre. Il faut rappeler que le délai imparti est extrêmement court. Vu le travail accompli au sein du Comité d'avis, l'intervenante estime en tout cas qu'on ne peut faire l'économie de la publication d'un avis.

Mme Hermans estime elle aussi que le Comité d'avis est un peu « court-circuité » par les travaux de la Chambre sur la proposition de M. Tommelein. Le Sénat peut cependant jouer pleinement son rôle et ne doit pas en tenir compte. L'intervenante propose de continuer à travailler sur la proposition de Mme Tilmans.

M. procureur renvoie à la retenue dont Mme Tilmans a fait preuve dans son intervention. La proposition de loi à l'examen peut changer la situation actuelle. Il estime qu'il est peut-être quand même plus sage d'attendre le résultat des travaux de la Chambre.

Mme Tilmans souligne que le Comité d'avis pour l'Egalité des Chances entre les femmes et les hommes vise à la fois l'égalité des hommes et des femmes. Elle trouve qu'il faut de toute façon formuler un avis, qu'il soit ou ne soit pas la création d'un groupe de travail.

M. Dallemagne souhaite également qu'un avis soit rendu dans lequel une réponse claire est donnée concernant la volonté d'introduire la dérogation. La question de la segmentation pourrait devenir problématique, non seulement pour l'égalité hommes-femmes. Il est nécessaire de suivre de près les conséquences des dispositions législatives.

M. Vankrunkelsven constate que les opinions des membres diffèrent sur des points essentiels. Il estime que les rapports des auditions et des réunions représentent le véritable résultat que l'on puisse proposer. Le débat devra ensuite être mené en commission des Finances et des Affaires économiques.

L'Open VLD a soutenu la solution intermédiaire proposée, mais remarque qu'elle se heurte à une vive opposition. L'intervenant estime qu'il n'y a pas de consensus suffisant pour rédiger un avis. Il propose dès lors que la commission des Finances et des Affaires économiques se base sur les rapports des auditions et des réunions du Comité d'avis.

Mme de Bethune n'est pas opposée à l'idée de formuler un avis, mais il faut que des accords précis soient conclus à ce sujet. Il faudrait que cet avis insiste sur les éléments suivants:

— les auditions se sont révélées non convaincantes. Les demandeurs d'une dérogation ne parviennent pas à motiver leur demande de manière suffisamment convaincante;

— l'urgence a été retenue. Pourquoi ? Peut-on parler en l'espèce de mauvaise administration ?

Le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes ne peut nullement être remis en cause. Il faut l'indiquer clairement dans l'avis. Mme de Bethune souhaite que les rapporteurs rédigent une proposition d'avis partant des éléments abordés durant la réunion. L'on pourrait ensuite mener un débat constructif sur la question.

Mme Hermans propose de formuler une proposition d'avis qui inclurait les éléments suivants:

— le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes est incontestable;

— un groupe de travail sera constitué au sein du Comité d'avis afin d'analyser en détail le secteur des assurances, tout en se concentrant sur l'égalité des chances;

— préciser que si une exception est demandée, c'est parce que l'on ne peut pas évaluer aujourd'hui les conséquences économiques de la décision.

Mme Lanjri ne souscrit pas au troisième point. Les courtiers en assurances doivent trouver d'autres éléments sur lesquels se baser pour calculer les primes. Ce calcul ne peut être fondé sur le sexe. Le Comité d'avis pour l'égalité des chances doit veiller au maintien du principe de la non-discrimination.

V. DISCUSSION DE L'AVIS

V.1. Développements

Les membres du comité d'avis acceptent que Mme Stevens, rapporteuse, commente la proposition d'avis, afin qu'ils puissent tous prendre connaissance du contenu de la proposition.

Mme Stevens fait observer que la proposition d'avis énumère à la fois les arguments favorables et les arguments défavorables à la proposition de loi de Mme Tilmans et consorts.

Durant l'audition, les arguments en faveur de la proposition ont surtout été développés par Assuralia:

— dans notre régime d'assurance, le sexe est un facteur déterminant pour la fixation des primes. Cela vaut autant pour l'assurance-vie que pour l'assurance maladie-hospitalisation et pour l'assurance automobile.

— la décision de la Belgique de ne pas profiter de l'option offerte par la directive européenne conduira à une augmentation générale des primes.

— le fait de ne pas recourir à la dérogation pourrait avoir des retombées économiques négatives sur la compétitivité du secteur des assurances en Belgique.

— actuellement, la Belgique est le seul État membre de l'Union européenne à ne pas faire usage de la dérogation.

Les arguments contre la proposition de loi à l'examen de Mme Tilmans et consorts sont les suivants:

— les statistiques que les assureurs utilisent présentent deux défauts: d'une part, elles reposent sur des moyennes et, d'autre part, elles évoluent. Ainsi, l'écart entre l'espérance de vie des hommes et celle des femmes se réduit lentement mais sûrement.

— toute distinction fondée sur des facteurs sur lesquels le preneur d'assurance n'a lui-même aucune prise est discriminatoire. Il ne peut y avoir de différence de traitement que lorsque celle-ci repose sur des comportements et choix individuels.

— les assureurs ont suffisamment d'autres facteurs à leur disposition pour opérer une segmentation. Pour les assurances automobile, il y a par exemple le nombre d'années depuis lequel l'intéressé a un permis de conduire ou les antécédents en matière d'accidents; en matière d'assurance-vie, on peut citer le mode de vie, le type de travail effectué, l'endroit où l'on habite, etc.

— dans certaines branches de l'assurance, l'interdiction d'effectuer une distinction sur la base du sexe conduira à une majoration des primes pour les femmes, et dans d'autres branches, ce sont les hommes qui devront payer davantage.

— il est faux de prétendre que les assureurs étrangers submergeront le marché belge de leurs produits: en effet, ils sont tenus, eux aussi, de respecter la législation belge. En outre, peu de Belges seront tentés de contracter une assurance à l'étranger.

— il est exact que plusieurs États membres de l'Union européenne ont annoncé leur intention de prévoir une dérogation à la directive, mais l'on ne sait pas encore très bien sur quoi portera une telle dérogation. De plus, il faut savoir que dans les pays qui ont déjà autorisé concrètement une dérogation, celle-ci ne couvre pas toujours les trois branches d'assurances (vie, véhicules, hospitalisation).

— le texte de la proposition de loi de Mme Tilmans et consorts ne suit pas à la lettre celui de la directive. En effet, la proposition de loi impose des conditions moins strictes aux compagnies d'assurances pour qu'elles puissent utiliser le sexe comme critère de segmentation.

Les différentes parties siégeant au comité d'avis s'accordent à dire que l'approche intégrée de l'égalité des femmes et des hommes (ou gender mainstreaming) est essentielle et qu'elle doit être un préalable important à la discussion de la proposition de loi à l'examen.

Au cas où la Belgique envisagerait malgré tout une dérogation, plusieurs options s'offrent à elle:

— option 1: adoption de la proposition de loi de Mme Tilmans et consorts moyennant une modification des dispositions en matière de grossesse et de maternité: le comité d'avis estime que les compagnies d'assurances ne peuvent jamais utiliser les facteurs grossesse et maternité comme argument pour différencier les primes et les indemnités d'assurances en fonction du sexe.

— option 2: adoption de la proposition de loi de Mme Tilmans et consorts moyennant quelques modifications:

Modification nº 1: prévoir une exception à caractère extinctif (jusqu'au 21/12/2010) en matière d'assurance des risques appartenant au groupe d'activités « Vie », à l'exception de la branche 26 (au sens de l'annexe I de l'arrêté royal du 22/02/1991 portant règlement général relatif au contrôle des entreprises d'assurance).

Cet amendement se justifie par le fait que les données actuarielles et statistiques démontrent que, jusqu'à présent, les hommes et les femmes n'avaient pas la même espérance de vie, mais que cet écart se réduit progressivement. Par conséquent, l'introduction d'une exception temporaire au niveau des assurances-vie est défendable. Durant le délai d'extinction de trois années, les assureurs développeront un nouveau système de segmentation qui ne tiendra pas compte des différences liées au sexe. D'autres pays européens appliquent aussi cette exception, notamment les Pays-Bas, qui la prévoient uniquement en matière d'assurance-vie. Il se peut que l'on assiste à une véritable concurrence internationale dans le secteur des assurances-vie.

Modification nº 2: ne pas prévoir d'exception en matière d'assurance automobile. Ce n'est que dans la catégorie d'âge des 18-30 ans que les assureurs peuvent différencier le risque de dommage en ce qui concerne les véhicules à moteur, mais il faut en outre préciser que tous les jeunes conducteurs masculins ne sont pas des fous du volant. Les compagnies d'assurances ont suffisamment d'autres critères à leur disposition pour différencier les primes (p. ex. les antécédents en matière d'accidents, l'expérience de conduite, etc.).

Modification nº 3: ne pas prévoir d'exception en matière d'assurance maladie-hospitalisation. Seuls des critères objectifs, sur lesquels le preneur d'assurance peut lui-même avoir une influence, peuvent faire office de critères de segmentation, ce qui n'est donc pas le cas du sexe. En particulier, les facteurs grossesse et maternité ne peuvent pas servir d'arguments pour différencier les primes et indemnités en fonction du sexe. Rien ne justifie raisonnablement d'introduire une exception jusqu'en 2009, comme l'autorise éventuellement la directive européenne.

Si la proposition de loi ainsi amendée devait acquérir force de loi, il faudrait mettre en place des mécanismes d'évaluation. Deux options ont été retenues à cette fin:

1º la création d'un groupe de travail au sein du Comité d'avis, chargé de collecter des données objectives et valables;

2º la délégation sur une base conventionnelle d'une mission d'étude à l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes. Cette mission comprendrait deux volets:

— collecter des données exactes et objectives concernant: la composition et les critères déterminants en matière de primes; l'évolution de l'espérance de vie; etc.

— analyser la décision des autres membres de l'Union européenne concernant: leur attitude relative aux différences liées au sexe; les principes de base employés; etc.

Puisque les précédentes discussions ont mis en évidence qu'il n'y aurait pas de consensus, au sein du comité d'avis, à propos des options développées ci-dessus, Mme Stevens propose que le comité d'avis évalue la proposition de loi à l'examen uniquement sous l'angle de sa conformité au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, sans retenir d'autres aspects (comme des aspects économiques). De cette manière, le comité d'avis pourra émettre un avis uniquement dans le domaine où il dispose d'une expertise spécifique.

Dès l'instant où l'on s'appuie sur le principe d'égalité pour formuler un avis, force est de constater que la proposition de loi à l'examen aura indéniablement pour effet de créer ou de perpétuer une forme d'inégalité entre les hommes et les femmes. À l'aune du principe d'égalité, l'avis du Comité d'avis au sujet de la proposition de loi à l'examen ne peut donc être que négatif.

V.2. Discussion

M. Dallemagne souligne que durant cette semaine, les travaux du Comité d'avis sur la question qui nous occupe pourront encore être influencés par exemple par des initiatives du Conseil national des femmes, qui organise un colloque sur ce thème.

De même, la commission compétente de la Chambre se penche cette semaine sur une proposition de loi qui est similaire mais qui, sur le fond, s'écarte du texte de la proposition de loi de Mme Tilmans.

Mme Tilmans constate que les membres se posent encore de nombreuses questions par rapport à la suppression de l'exception. Il subsiste également un problème en ce qui concerne l'assurance maladie-invalidité et l'assurance hospitalisation, qui ont été établi sur les mêmes tables INS que pour la rente. On exclurait également le revenu garanti de la réflection. On ne parle pas des indépendants et des salariés: l'article 12, § 2, de la loi du 10 mai 2007 laisse supposer une espérance de vie différente entre les hommes et les femmes, qui serait applicable aux salariés, mais pas aux indépendants pour les régimes complémentaires de sécurité sociale.

En conclusion, de grands points d'interrogation restent. L'auteur principale de la proposition de loi se sent mal à l'aise par rapport à la suppression de la dérogation. Bien sûr, le principe d'égalité des chances entre femmes et hommes est une avancée importante. Cependant, elle trouverait dommage que l'on se prive de l'analyse qui pourrait être offerte au comité d'avis dans la mesure qu'on a découvert qu'en matière d'assurances, il y a non seulement des segmentations importantes mais des critères importantes qui interviennent. Ces critères méritent à être analysés par p.e. un groupe de travail au sein du comité d'avis. Ce mandat devrait être limité dans le temps, p.e. 2 ans. En ce moment, on ne connaît pas précisément la position des autres États membres de l'Union européenne.

Pour ce qui concerne les données actuarielles et statistiques pertinentes, Mme Tilmans cite l'article 5, § 3, de la directive 2004/113/CE: « Les États membres peuvent reporter la mise en œuvre des mesures nécessaires [...] de deux ans au plus tard après le 21 décembre 2007. »Mme Tilmans plaide à ce que le comité d'avis se laisserait ce délai de deux ans.

Mme Tilmans déclare être d'accord pour amender sa proposition de loi. Le groupe de travail proposé pourrait se faire seconder au côté de la CBFA (la Commission bancaire, financière des assurances).

Mme Zrihen signale que l'égalité des chances s'appuient, non pas simplement sur une égalité entre un homme et une femme, mais aussi sur la pertinence économique que signifie ce rapport. Il lui paraît fondamentale, pour avoir travaillé ce texte au niveau européen, d'être attentif à la jurisprudence que la position du parlement pourrait créer s'il acceptait les propositions telles qu'elles sont faites. L'intervenante propose qu'aucune exception ne serait inscrit dans la loi et que cela serait bien communiqué à l'Union européenne pour prendre bien le temps d'examiner de manière très pertinente et très factuelle que les différences du traitement auraient ou n'auraient pas un impact. Habituellement, le principe que le comité d'avis essaie d'adopter est de voir ce qui peut être en faveur des citoyens et non pas à leur défaveur. Les arguments qui ont été présentés selon le fait qu'il aurait une concurrence effrénée entre les assureurs qui viendraient s'occuper de leur petit part de marché au niveau de la Belgique est un peu fallacieux dans le sens où ils agitent cette concurrence et cette compétitivité. Il faut être attentif à ne pas prendre une décision qui constitue un net recul par rapport aux avancées engrangées en matière d'égalité des chances. Enfin, la logique qui sous-tend l'acceptation de dérogations en matière d'assurance est plus favorable à certains lobbies qu'à l'intérêt du citoyen.

Pour ces raisons, le groupe de l'intervenante s'oppose à la proposition d'introduire la dérogation permise à l'article 5 de la directive 2004/113/CE.

M. Destexhe constate que les personnes opposées à la proposition mettent en garde contre les effets négatifs possibles qu'elle pourrait avoir sur les primes des femmes. Il demande s'il existe des exemples de situations dans lesquelles les primes d'assurance pourraient être plus élevées pour les femmes que pour les hommes. En matière d'assurance vie, à conditions égales, les primes sont toujours inférieures pour les femmes par rapport aux hommes.

L'orateur pense qu'il faut se donner le temps de la réflexion. Il comprend les arguments liés au combat mené pour l'égalité des femmes. Il ne faudrait cependant pas que ce combat débouche sur une détérioration de la condition des femmes.

M. Dallemagne cite le cas de l'assurance maladie avant cinquante ans. Elle sera plus chère pour les femmes puisque l'on intègre dans le calcul des primes les coûts liés à la maternité. Pour ce groupe-cible, les primes sont plus élevées.

Mme de Bethune renvoie à l'audition de M. Colle qui a expliqué que la surprime pour les femmes n'était pas liée à la maternité. Il n'est légalement pas permis de prendre un tel paramètre en compte lors de la détermination des primes et prestations d'assurances. La surprime est due au fait que les femmes font plus d'examens préventifs — notamment gynécologiques — et qu'elles suivent par conséquence également plus de traitements.

Mme Tilmans rappelle que, selon l'article 4 de la directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004, le principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes signifie qu'il ne peut y avoir de discrimination directe fondée sur le sexe, y compris un traitement moins favorable de la femme en raison de la grossesse et de la maternité. La proposition de loi de M. Tommelein prévoit que ce principe ne sera mis en œuvre qu'à partir de 2009. C'est inacceptable.

M. Dallemagne précise que la directive ne permet aucune dérogation à l'interdiction de réserver un traitement moins favorable à la femme en raison de la grossesse ou de la maternité. Une telle interdiction existe déjà en droit belge à la suite de l'adoption de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.

La directive prévoit cependant que les États membres peuvent reporter de deux ans la mise en œuvre des mesures nécessaires pour supprimer les différences en matière de primes et de prestations pour les frais liés à la grossesse et à la maternité.

M. Dallemagne distingue deux types d'arguments: ceux liés à l'égalité entre les hommes et les femmes et ceux de type économique et concurrentiel.

Sur le premier argument, l'intervenant constate que le point de vue de toutes les organisations qui militent pour l'égalité des chances est très clair. Les femmes ne sont pas demandeuses pour que l'on puisse tenir compte de l'appartenance sexuelle. Elles souhaitent une égalité de traitement.

Le second élément est celui de la concurrence internationale. M. Dallemagne constate que la situation est assez floue car personne ne sait exactement ce qui va se passer dans les autres États membres. Chaque pays attend que l'autre prenne position pour pouvoir le suivre éventuellement. Alors que l'on avait annoncé que les Pays-Bas avaient demandé une dérogation complète, celle-ci ne vaut que pour le secteur des assurances vie.

Il semble que la commission de la Chambre disposera demain des informations officielles des autorités européennes sur la situation dans les différents États-membres. Il serait utile de disposer de ces informations pour mieux savoir apprécier l'éventuel problème de concurrence. C'est surtout dans le secteur de l'assurance vie que la question de la concurrence se posera. Il sera en effet possible d'opérer sur le marché belge à partir de l'étranger et de proposer des primes très concurrentielles par rapport à celles proposées par les compagnies belges tenues de respecter le principe de l'égalité hommes/femmes.

Il faudrait savoir si des opérateurs étrangers pourront opérer sur le marché belge en pratiquant des règles actuarielles différentes. Si ce risque de concurrence devait se concrétiser, il faudrait réaliser une évaluation complémentaire dans le domaine des assurances vie. Or, la directive européenne ne facilite pas les choses sur ce point car elle suit le principe du cliquet: dès que l'on prend l'option de ne pas avoir de dérogation, il n'est plus possible de faire marche arrière.

Le groupe CDH soutient, comme principe général, l'idée qu'il ne faut pas prévoir de dérogation en fonction de l'appartenance sexuelle. Par contre, étant donné le risque concurrentiel qui pourrait se présenter pour le secteur particulier de l'assurance vie, il faudrait que la Belgique se donne une période complémentaire de deux ans pour pouvoir évaluer ce secteur spécifique. En fonction de l'évaluation faite au terme de cette période de deux ans, il serait décidé de maintenir ou non la dérogation.

Mme Zrihen pense que le principe de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ne peut pas être saucissonné pour le secteur des assurances ou pour la branche des assurances vie. Il faut réfléchir à la question de l'égalité de manière globale, sur l'ensemble d'une carrière.

Le dispositif européen n'est pas à la carte. Si des révisions doivent être effectuées, elles le seront au niveau européen. Or, il existe à ce niveau des interlocuteurs et des outils (commission des droits de la femme, Institut européen d'égalité des chances, etc.) capables de faire une évaluation de la législation et de proposer d'éventuelles modifications.

L'intervenante trouve que la segmentation a pour effet de faire payer le supplément de risques par les femmes entre elles. Cela maintient une discrimination qui prouve qu'il existe une inégalité structurelle sur le plan socio-économique entre les hommes et les femmes. Elle se déclare dès lors surprise par l'orientation des débats alors que jusqu'à présent un large consensus existait pour lutter contre les discriminations socio-économiques globales. Or, en prévoyant une dérogation pour le secteur de l'assurance on va justement entériner de telles discriminations.

Mme de Bethune souhaite apporter des précisions concernant la date butoir du 21 décembre 2007. Il n'est pas nécessaire que chaque État qui désire adopter un régime dérogatoire en matière d'assurance adapte sa législation pour la date précitée. Par contre, il faut que le gouvernement des États qui souhaitent garder la possibilité de retenir l'appartenance sexuelle comme critère actuariel le signale à la Commission pour le 21 décembre 2007. Tout le tintouin que l'on a créé ces dernières semaines autour de ce dossier est dès lors exagéré. Il n'est pas exact que le parlement doit adopter dans l'urgence une législation dérogatoire. La balle est actuellement dans le camp des gouvernements des États membres.

Le problème découle du fait que l'on a adopté, sous la législature précédente, une loi qui ne prévoit pas de dérogation puisque la loi du 10 mai 2007 interdit que l'on tienne compte du sexe pour fixer les primes et les prestations d'assurances. Le gouvernement actuel, en affaires courantes, ne peut pas prendre de décision allant à l'encontre de la loi du 10 mai dernier. Pour ces raisons, on déplace le problème vers le Parlement en l'invitant à modifier la loi avant le 21 décembre prochain.

Sur le fond, il faut s'interroger sur la compétence du comité d'avis en la matière. La commission des Finances et des Affaires économiques a saisi le comité d'avis pour l'égalité des chances en l'invitant à rendre un avis sur la proposition de loi de Mme Tilmans et consorts (doc. Sénat, nº 4-352/1) puisque ce texte vise un problème d'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Le comité d'avis a certes une pleine compétence pour rendre son avis. Mme de Bethune pense qu'il serait cependant souhaitable de limiter l'avis à la dimension du genre. La commission des Finances et des Affaires économiques est en effet le lieu le plus indiqué pour débattre du volet économique et du problème de concurrence.

L'oratrice déclare que les auditions n'ont pas convaincu son groupe de l'opportunité d'une segmentation basée sur l'appartenance sexuelle. S'il est probable que la prise en compte du sexe en tant que facteur de calcul peut s'avérer positive pour les femmes dans le cas de l'assurance vie, cela a cependant un effet négatif pour les hommes. Or, le comité d'avis ne peut pas se concentrer uniquement sur le groupe des femmes.

Si l'on veut procéder à une segmentation du marché de l'assurance, il faut chercher d'autres critères que celui de l'appartenance sexuelle. Son groupe propose dès lors le comité avis considère qu'une différentiation basée sur le sexe n'est pas légitime et qu'il n'est pas souhaitable d'introduire la dérogation permise à l'article 5 de la directive 2004/113/CE du Conseil.

Mme Tilmans demande des précisions à M. Dallemagne. Veut-il supprimer le sexe comme facteur déterminant en matière d'assurance automobile et d'assurance l'hospitalisation, mais le garder en matière d'assurance vie ? Quelle argumentation peut être invoquée pour ne pas accepter la dérogation en matière d'hospitalisation.

M. Dallemagne répond par l'affirmative, pour autant qu'il y ait une évaluation de la dérogation en matière d'assurance-vie après deux ans. Il souligne la différence de marché. En hospitalisation, il s'agit d'un marché de proximité où la concurrence internationale jouera beaucoup moins. En assurance-vie, il n'y a qu'un seul contact avec le client en une période de 30 ans. En cette matière et pour autant que les autres pays adoptent une réglementation différente, il pourrait y avoir une vraie concurrence internationale.

Mme Tilmans conclut qu'il existe une volonté de limiter la compétence du comité d'avis et que le comité regrette à l'unanimité d'être sous la pression d'une date butoir. En ce qui concerne l'évaluation proposée par l'Europe, l'oratrice fait remarquer que celle-ci sera sans objet si l'on choisi de ne pas adopter la dérogation.

Enfin, l'oratrice demande toute la clarté sur le souhait du comité de constituer un groupe de travail pour étudier cette problématique complexe. Elle est de toute façon favorable à la création de ce groupe de travail, qui étudiera la problématique des assurances, la segmentation et les critères pendant une période de deux ans. Durant cette période, aucune modification ne sera apportée à la situation actuelle. Il lui semble important de décider en connaissance de cause. L'intervenante souligne qu'il est également nécessaire de bien expliquer à la population les motifs et les conséquences d'une dérogation éventuelle.

Mmes Lijnen et Hermans estiment préférable que ce Comité se contente de formuler un avis sur le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes et que les aspects économiques et financiers soient traités par la commission compétente à cet effet. Elles se déclarent également favorables à la création d'un groupe de travail chargé de réaliser une analyse détaillée du secteur des assurances. L'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes pourrait jouer un rôle très utile à cet égard.

Mme Lanjri est d'avis que le Comité pourrait en tout cas demander à l'Institut de consacrer à cette problématique une étude dont les résultats pourraient, par exemple, être communiqués ultérieurement lors d'une audition.

En ce qui concerne la discussion relative à la loi anti-discrimination au parlement, l'intervenante peut confirmer que celle-ci a surtout porté sur la question du racisme. Toutefois, le fait qu'aucune discussion approfondie n'ait été menée sur le thème de l'égalité des genres prouve bien que celui-ci ne suscite aucune contestation et que le projet présenté par le gouvernement ainsi que l'avis formulé par l'Europe ont fait l'unanimité. L'avis du Comité pourrait se borner à confirmer le principe de l'égalité des genres, ce qui aurait pour conséquence que toute dérogation serait désormais interdite dans le futur. Peut-être pourrait-on adapter le texte sur ce point. L'intervenante est d'avis que le Comité doit mettre l'accent sur l'égalité entre les hommes et les femmes. Il va sans dire que la commission des Finances est libre d'adopter un autre point de vue.

Mme Zrihen peut se rallier à l'intervenante précédente. Le Comité d'avis peut parfaitement voter sur la question de savoir s'il accepte le principe de demande de dérogation.

Mme Lanjri est d'avis qu'il y aurait lieu d'insérer dans l'avis le texte suivant:

« Cette directive anti-discrimination précise qu'il faut interdire la discrimination fondée sur le sexe dans l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services. Concrètement, la directive prévoit en son article 5 que, dans tous les nouveaux contrats conclus après le 21 décembre 2007, l'utilisation du sexe comme facteur dans le calcul des primes et des prestations aux fins des services d'assurance (et des services financiers connexes) ne peut plus entraîner de différences en matière de primes et de prestations. À compter du 21 décembre 2007, les contrats d'assurance devront donc être neutres du point de vue du sexe.

La directive précitée a été transposée à la suite de l'adoption, par le parlement belge, de la loi du 10 mai 2007 (entrée en vigueur le 9 juin 2007) tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes et qui prévoit, entre autres, une interdiction généralisée de toute différence de traitement entre les femmes et les hommes en matière d'assurances individuelles.

Les articles 8 et 10 prévoient que, dans les différentes branches d'assurance, toute distinction directe fondée sur le sexe constitue une discrimination directe et ce, à compter du 21 décembre 2007 (au plus tard). À cet égard, le législateur n'a prévu aucune exception sur la base du genre. »

Après les mots « d'élaborer des instruments et des stratégies fondés sur une approche intégrée de la dimension du genre », il y a lieu de mentionner la conclusion suivante:

« Le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes recommande par conséquent de n'autoriser à l'avenir aucune dérogation sur la base du genre. »

Dès l'instant où l'on s'appuie sur le principe d'égalité pour formuler un avis, force est de constater que la proposition de loi à l'examen aura indéniablement pour effet de créer ou de perpétuer une forme d'inégalité entre les hommes et les femmes. Compte tenu du principe d'égalité, l'avis du Comité d'avis sur la proposition de loi à l'examen ne peut donc être que négatif. »

L'intervenante précise que si cette option est acceptée, les options suivantes deviendront de toute façon sans objet.

Mme Tilmans peut difficilement se rallier à cette proposition de texte, d'autant plus qu'elle n'en possède pas la traduction. Dans un premier temps, il lui semble en effet nécessaire de confirmer le rattachement au principe de l'égalité des chances. Ensuite, l'oratrice souhaite que la dérogation soit prise en compte et qu'un groupe de travail soit mis en place au sein du comité d'avis.

Mme Zrihen soutient le changement de texte proposé vu qu'il semble refléter l'état de la discussion et l'orientation prise par la majorité des membres du comité.

M. Dallemagne déclare que la proposition de changement du texte de l'avis sera également soutenue par son groupe. Il tient cependant à préciser qu'il se prononce ici dans le cadre des arguments sur la non-discrimination entre hommes et femmes. Il y aura une autre discussion au sein de la commission des Finances et des Affaires économiques sur les aspects commerciaux et concurrentiels. Il propose d'ajouter in fine la phrase suivante:

« Le présent avis ne préjuge pas les arguments commerciaux qui pourraient être évoqués lors de la discussion en commission finances et affaires économiques. »

Mme Lanjri précise que le texte proposé se limite à un avis sur la question de l'égalité des genres. En outre, tout ce que peut faire le Comité d'avis, c'est donner un avis. Libre ensuite à la commission compétente de prendre la décision qu'elle voudra. Cela n'empêche toutefois pas le Comité de consacrer une étude plus approfondie à cette problématique et, s'il le souhaite, d'entendre des experts ou de se faire aider par l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes.

Mme Lijnen se déclare d'accord avec l'ajout de texte proposé par le cdH. Il convient aussi de préciser explicitement que les aspects économiques et financiers doivent être examinés par la commission des Finances et des Affaires économiques.

Mme Lanjri aussi marquera son accord sur l'ajout proposé par le groupe cdH et l'intervenante précédente.

Mme Tilmans peut également se rallier à cet ajout. Elle souligne cependant la nécessité d'une analyse objective de la situation permettant de prendre les justes décisions. Cette analyse pourrait bien entendu se faire dans une autre commission. Il y va de l'intérêt de la population, hommes-femmes, et non de l'intérêt d'une commission ou du comité d'avis.

V.3. Explications de vote

Mme Tilmans déclare s'abstenir car elle ne dispose pas de la traduction du texte soumis au vote. Elle réaffirme son soutien au principe de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elle regrette que le comité d'avis n'ait pas retenu l'idée de procéder en son sein à une analyse objective de la problématique pour voir s'il existe une discrimination hommes/femmes.

Elle soutient la proposition du CDH visant à compléter le texte de l'avis afin que la dérogation permise par la directive européenne fasse l'objet d'un examen au sein de la commission des Finances et Affaires économiques. Il est en effet essentiel que l'on procède à une analyse objective et précise de la situation éventuellement discriminatoire qui existe en matière d'assurances.

La Sénatrice Zrihen tient à préciser les circonstances qui vont l'amener à s'abstenir au nom du groupe PS du Sénat. Sur la forme, la Sénatrice justifie son abstention par le fait que les procédures de fonctionnement et l'organisation du Comité d'avis en situation d'urgence ne permettent pas de réaliser un travail parlementaire de qualité. Défaut de traduction des textes, organisation chaotique des débats, absence de quorum, vote dans la confusion la plus totale, etc ...

Sur le fond, si le PS peut marquer son accord sur une partie des changements de texte proposés, notamment ceux déposés par le CD&v, le PS ne peut en aucune façon se rallier à l'idée contenue dans la phrase déposé par le Sénateur Dallemagne et consorts.

En effet, après avoir recommandé de n'autoriser à l'avenir aucune dérogation sur la base du genre, à la majorité de ses membres, le comité a tenu à préciser que « le présent avis ne préjuge pas des arguments commerciaux qui pourraient être évoqués lors de la discussion en Commission des Finances et des Affaires économiques ».

Par l'adoption de cette phrase, le Comité d'avis organise lui-même la violation des ses principes fondateurs par une autre instance. Dans une certaine mesure, le comité se marginalise en autorisant la Commission des Finances et des Affaires économiques à faire prévaloir des considérations d'ordre mercantile sur un principe qu'il prend pour fondamental. La Sénatrice tient à rappeler que la défense et la promotion de ce principe doit demeurer la finalité première de ce comité, il ne peut dès lors souffrir d'aucune exception.

Mme Tilmans se rallie à cette dernière remarque. Elle déplore également que le comité d'avis n'a pas eu la possibilité de mettre en place un groupe de travail qui aurait pu procéder à un examen approfondi du dossier.

Mme Lanjri pense qu'au delà de la position adoptée par Mme Zrihen, celle-ci s'était ralliée à l'idée que le comité d'avis devait prioritairement défendre le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes et qu'une discrimination basée sur le genre n'était de ce fait pas acceptable.

Par ailleurs, le comité d'avis continuera à suivre ce dossier. Il pourra, le cas échéant, s'en saisir à nouveau si on devait à l'avenir retenir l'option d'une dérogation en matière d'assurances.

Mme Zrihen répond que le PS n'a aucun problème avec les changements proposés par la sénatrice Lanjri et consorts, il les soutient évidement. Pour madame Zrihen, le PS aurait même préféré que le comité d'avis aille plus loin en rejetant les arguments avancés par le lobby des assurances. Mais le comité d'avis en a décidé autrement. Pour le PS, on ne peut en aucune façon accepter que l'on subordonne un principe comme celui de l'égalité entre les femmes et les hommes à des considérations d'ordre mercantile. Voilà ce qui motive leur abstention.

Sans préjuger de la réflexion qui sera menée au sein de la commission des Finances et Affaires économiques, Mme Tilmans regrette que l'on ait décidé de limiter l'examen à la seule branche des assurances vie. Il aurait été préférable d'avoir une réflexion globale sur les critères et la segmentation dans le secteur des assurances, en ce compris les branches « auto » et « hospitalisation ».

M. Dallemagne souligne la clarté de l'avis rendu: la commission des Finances et Affaires économiques ne pourra pas mener sa discussion sur la base d'arguments qui relèvent de la compétence du comité d'avis. Elle devra le faire en utilisant les compétences qui lui appartiennent en propre. Il n'était pas possible d'aller au delà car le comité d'avis ne pouvait pour l'instant aller jusqu'au bout de la réflexion sur les questions économiques et financières. C'est à la commission des Affaires économiques et Financières d'effectuer ce travail.

Mme Zrihen pense que les propositions de dérogations en matière d'assurance sont de nature à renforcer l'inégalité entre les hommes et les femmes et risquent de mettre en place un dispositif d'exclusion pour une catégorie de la population.

Mme Tilmans ne croit pas que le fait de prévoir certaines dérogations augmentera les discriminations ou que des femmes ou des hommes dans des situations précaires seront plus particulièrement touchés si l'on opte pour la dérogation. En fait, cela équivaut à un statu quo par rapport à la situation existante.

VI. AVIS

VI.1. Résultats de l'audition

Arguments en faveur de la proposition de loi à l'examen:

Le professeur Colle (Assuralia) précise que dans le système d'assurances en vigueur dans notre pays, le sexe est un facteur déterminant en matière d'assurance-vie, d'assurance maladie et hospitalisation et d'assurance automobile. La différence de sexe est donc à l'origine d'écarts de primes parfois substantiels entre les hommes et les femmes.

Le professeur Colle s'attend en outre à ce que la décision de la Belgique de ne pas profiter de l'option offerte par la directive européenne conduise à une augmentation générale des primes.

Enfin, le professeur Colle indique que la décision de ne pas recourir à la dérogation pourrait avoir des retombées économiques néfastes sur la compétitivité du secteur des assurances en Belgique, même si certains professeurs prétendent le contraire. La Belgique est actuellement le seul pays à ne pas faire usage de la dérogation.

Les arguments du professeur Devolder (UCL) recoupent en grande partie ceux du professeur Colle en ce qui concerne les trois points précités.

Arguments contre la proposition de loi à l'examen:

Les statistiques que les assureurs utilisent présentent deux défauts (professeur Claassens, Test Achats): d'une part, elles reposent sur des moyennes et ne valent évidemment pas pour tous les individus et, d'autre part, elles évoluent. L'écart entre l'espérance de vie des hommes et celle des femmes aurait tendance à se réduire petit à petit (l'évolution des modes de vie n'y est pas étrangère).

Toute distinction fondée sur des facteurs sur lesquels le preneur d'assurance lui-même n'a aucune prise est discriminatoire. Il ne peut y avoir différence de traitement que lorsque cette différence repose sur un comportement et des choix individuels (Test Achats, Vrouwenraad, professeur Claassens).

Les assureurs ont suffisamment d'autres facteurs à leur disposition pour opérer une segmentation. Pour les assurances automobile, il y a le nombre d'années depuis lequel on possède un permis de conduire, les antécédents éventuels en matière d'accidents, etc. En matière d'assurance-vie, on peut citer le mode de vie (entre autres, le fait que l'on consomme ou non de l'alcool, que l'on fume ou pas, etc.), le type de travail que l'on effectue, l'endroit où l'on habite, etc. (Test Achats, Vrouwenraad, professeur Claassens).

La non-discrimination aura un impact double sur les tarifs. L'interdiction d'effectuer une distinction sur la base du sexe conduira, dans certaines branches de l'assurance, à une majoration des primes pour les femmes (assurances automobile jusqu'à l'âge de 30 ans, couverture en cas de décès) et, dans d'autres branches, à une diminution de celles-ci (Test Achats, professeur.

Il est faux de prétendre que les assureurs étrangers submergeront le marché belge de leurs produits. En effet, ils sont tenus, eux aussi, de respecter la législation belge. En outre, peu de Belges seront tentés de contracter une assurance à l'étranger. La proximité géographique de l'assureur, le fait de pouvoir être aidé dans sa propre langue, etc. sont aussi des arguments qui incitent à contracter une police en Belgique (professeur Thiery).

VI.2. Principe d'égalité

Les différentes parties siégeant au comité d'avis s'accordent à dire que l'approche intégrée de l'égalité des femmes et des hommes (ou gender mainstreaming) est essentielle et qu'elle doit être un préalable important à la discussion de la proposition de loi à l'examen.

Lors de la quatrième Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes (Pékin, 1995), le principe du gender mainstreaming avait déjà été explicitement ratifié et approuvé. Il fut aussi le thème d'une nouvelle résolution de la Commission des Nations unies sur la condition de la femme dans le cadre du processus d'évaluation de la plate-forme de Pékin, à l'occasion du 10e anniversaire de la Conférence mondiale sur les femmes qui s'était tenue à Pékin.

Le principe du gender mainstreaming figure depuis 1991 dans le programme d'action communautaire de l'Union européenne pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Le principe de l'égalité entre l'homme et la femme est de toute évidence également l'un des principes sur lequel se fonde la directive européenne 2004/113/CE (13/12/2004).

Cette directive anti-discrimination précise qu'il faut interdire la discrimination fondée sur le sexe dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services.

Concrètement, la directive prévoit en son article 5 que, dans tous les nouveaux contrats conclus après le 21 décembre 2007, l'utilisation du sexe comme facteur dans le calcul des primes et des prestations aux fins des services d'assurance (et des services financiers connexes) n'entraîne pas de différences en matière de primes et de prestations. À compter du 21 décembre 2007, les contrats d'assurance devront donc être neutres du point de vue du sexe.

La directive précitée a été transposée à la suite de l'adoption, par le parlement belge, de la loi du 10 mai 2007 (entrée en vigueur le 9 juin 2007) tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes et qui prévoit, entre autres, une interdiction généralisée de toute différence de traitement entre les femmes et les hommes en matière d'assurances individuelles.

Les articles 8 et 10 prévoient qu'une distinction directe fondée sur le sexe dans le domaine des assurances constitue une discrimination directe et ce, à compter du 21 décembre 2007 (au plus tard). À cet égard, le législateur n'a prévu aucune exception sur la base du genre.

En outre, il y a lieu de signaler qu'au niveau national, de nombreuses initiatives législatives ont été prises à partir de 1994 en application du principe du gender mainstreaming afin de promouvoir la participation des femmes au processus de décision politique. Dès 1999, le gouvernement fédéral a reconnu le rôle qu'elle a à jouer dans la réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes. À cela s'ajoute la loi du 16 décembre 2002 qui a créé au niveau fédéral « l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes », et lui a donné pour mission explicite « de veiller au respect de l'égalité des femmes et des hommes, de combattre toute forme de discrimination et d'inégalité basée sur le sexe et d'élaborer des instruments et stratégies fondés sur une approche intégrée de la dimension du genre ».

VI.3. Conclusion

Le Comité d'avis pour l'Égalité des chances entre les femmes et les hommes recommande par conséquent de n'autoriser à l'avenir aucune dérogation sur la base du genre.

Dès l'instant où l'on s'appuie sur le principe d'égalité pour formuler un avis, force est de constater que la proposition de loi à l'examen aura indéniablement pour effet de créer ou de perpétuer une forme d'inégalité entre les hommes et les femmes. À l'aune du principe d'égalité, l'avis du Comité d'avis au sujet de la proposition de loi à l'examen ne peut donc être que négatif.

Le présent avis ne préjuge pas des arguments commerciaux qui pourraient être évoqués lors de la discussion en Commission des Finances et des Affaires économiques.

VII. VOTES

L'avis est adopté par 6 voix et 3 abstentions.


Confiance a été faite aux rapporteuses.

Les rapporteuses, La présidente,
Helga STEVENS.
Margriet HERMANS.
Dominique TILMANS.