4-313/1

4-313/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

14 OCTOBRE 2007


Proposition de loi complétant l'article 348-11 du Code civil relatif à l'adoption interne

(Déposée par Mme Marie-Hélène Crombé-Berton)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 18 avril 2007 (doc. Sénat, nº 3-2412/1 - 2006/2007).

L'adoption est un mécanisme juridique actuellement visé, d'une part au niveau interne, par les articles 343 et suivants du Code civil ainsi que par le décret du 4 mars 1991 de la Communauté française en ses articles 50 et 61, et, d'autre part, au niveau international, par la Convention des Nations unies du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (ratifiée par la Belgique) et par la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (non ratifiée par la Belgique).

Les dispositions nationales véhiculent une conception profondément contractuelle de l'adoption.

Héritée directement du Code Napoléon, cette conception érige l'adoption en un type particulier d'arrangement entre personnes (d'une part les personnes désireuses d'adopter, d'autre part les personnes consentant à l'adoption) sur la personne même de l'enfant.

Dans cette perspective particulière, le Code impose, au titre de condition essentielle à l'adoption, que l'ensemble des personnes directement intéressées y consente.

Il est à souligner que, dans cette conception contractuelle, l'adoption se forme par la seule rencontre des volontés, c'est-à-dire avant et en marge de toute intervention judicaire.

Le système normatif se montre par ailleurs peu formaliste et se contente d'instaurer un mécanisme d'homologation des volontés respectives (articles 349 et 350 du Code civil).

Il est à noter qu'une procédure existe (article 353 du Code civil) qui permet au juge de prononcer d'office une adoption dans l'hypothèse où l'une des parties refuse abusivement d'y consentir.

La question particulière du choix de la personne de l'adopté et des adoptants est quant à elle traitée par le décret de la Communauté française du 4 mars 1991.

La philosophie qui sous-tend cette disposition consiste en ceci de toujours donner la priorité aux liens entre l'enfant dans sa famille d'origine.

Le décret a par ailleurs pour portée essentielle de réserver l'activité d'intermédiaire entre adoptants et adoptés à des personnes morales agréées et d'interdire ainsi à toute personne physique (médecin — magistrat — autre) quelconque de s'immiscer, directement ou indirectement, dans le processus d'adoption.

Au regard de l'article 50 du décret, ces personnes morales agréées ont pour missions essentielles, une fois établies les volontés d'adoption:

— d'etablir l'adoptabilité (état psycho-affectif) de l'enfant;

— d'établir une étude médico-socio-psychologique sur la personne adoptable;

— d'étudier la question de l'apparentement;

— de préparer la personne à son adoption;

— de suivre la personne adoptée dans sa nouvelle famille;

— d'évaluer les qualités et aptitudes des adoptants;

— de préparer les adoptants à l'accueil de la personne adoptée;

— d'assurer un suivi après l'adoption.

Il convient de souligner que le recours à des organismes agréés ne constitue pas, dans le système mis en place par le décret, une obligation absolue. En effet, si tout recours à une personne physique ou morale non agréée, agissant en qualité d'intermédiaire, est condamnable, une manière de « filière libre » demeure, la faculté restant en effet offerte aux personnes souhaitant adopter d'entrer directement, et légalement, en contact avec une personne désireuse de faire adopter son enfant.

La combinaison des dispositions du Code civil et du décret a pour effet d'ériger un système juridiquement souple et « philosophiquement » rigide, focalisé sur le lien entre l'enfant et sa cellule familiale d'origine, soumis à l'entière volonté des parents biologiques et exempt d'une réelle réflexion sur l'intérêt réel de l'enfant.

La loi du 24 avril 2003 (Moniteur belge du 16 mai 2003 et dont l'entrée en vigueur était fixée au 1er septembre 2005) entend rompre avec cette conception contractuelle de l'adoption et s'inscrire plus directement dans la ligne des instruments internationaux.

La portée de cette réglementation peut être présentée comme suit.

La nouvelle loi ouvre l'adoption aux couples non mariés hétérosexuels, dans les mêmes conditions qu'un couple marié.

Elle abaisse à 12 ans l'âge requis pour consentir à sa propre adoption.

Elle supprime l'acte privé d'adoption ainsi que la procédure d'homologation qui s'y rattache, pour ériger une procédure judicaire unique.

Elle formalise l'obligation de s'adresser à un organisme d'adoption agréé et condamne toute filière libre.

Elle impose à tout candidat adoptant le suivi d'une formation préalable dans un centre agréé.

Elle subordonne l'adoption à la reconnaissance judiciaire de l'aptitude à adopter des candidats. (Il est à noter que, dans le cadre de l'adoption internationale, la reconnaissance de cette aptitude intervient en début de procédure et, à tout le moins, avant tout apparentement; alors que, dans le cadre de l'adoption interne, elle n'intervient qu'en fin de procédure, après l'apparentement).

Elle crée la possibilité de réviser, voire d'annuler l'adoption, dans des circonstances exceptionnelles (maltraitance, abandon).

Elle pose les bases d'un suivi post-adoptif.

Elle intègre finalement une convention internationale instaurant une coopération entre États pour prévenir l'enlèvement, la vente et la traite d'enfants.

Quel que soit l'effet positif que l'on puisse attendre des différentes avancées portées par la loi (notamment l'incidence du contrôle d'aptitude sur le nombre de candidats), le constat s'impose selon lequel un déséquilibre énorme existe et continuera d'exister entre le nombre de candidats à l'adoption, le nombre d'enfants en institution et le nombre effectif d'adoptions réalisées.

Si ce déséquilibre procède d'une causalité multiple, il trouve néanmoins sa source principale dans l'exigence d'obtention de l'accord des parents de l'adopté, dans le refus quasi-systématique formulé par ces derniers, même en l'absence de tout lien affectif réel avec leur enfant et dans la rareté des procédure en déchéance l'autorité parentale initiées par le parquet.

Il en découle directement que l'adoption d'un enfant belge (placé en institution ou en famille d'accueil) par un couple belge est particulièrement rare.

Ainsi, pour l'année 2002, seules 30 adoptions sur 280 portaient sur des enfants belges.

Dès lors que le consentement systématique des parents d'origine constitue l'obstacle le plus important à l'adoption d'un enfant belge, il semble opportun d'agir sur cette exigence légale particulière et d'en encadrer la portée.

L'idée n'est bien évidemment pas d'éloigner systématiquement l'enfant de sa famille.

Elle consiste bien au contraire en ceci de rechercher, de manière systématique, l'intérêt majeur de l'enfant et d'empêcher que le bien-être de ce dernier soit sacrifié sur l'autel d'une conception contractuelle de l'adoption, aujourd'hui obsolète.

On notera dans cette perspective que l'ancien article 353 du Code civil (actuel article 348-11) crée la possibilité pour le juge de se passer du consentement des parents, dès lors qu'il estime leur refus abusif.

Il semble possible de rédynamiser cette disposition par le truchement d'une extension de la sphère des compétences accordées aux organismes d'adoption agréés par les Communautés.

Plus précisément, il conviendrait de les investir de la mission complémentaire d'évaluer, en amont et indépendamment de toute demande effective d'adoption, la situation individuelle de chaque enfant en situation d'abandon, de déterminer si des liens suffisants existent encore entre ce dernier et ses parents.

Cette évaluation déboucherait sur la rédaction d'un rapport.

Ce rapport serait systématiquement communiqué au juge saisi d'une demande d'adoption (à savoir le juge de la jeunesse du domicile ou de la résidence habituelle de l'adoptant, des adoptants ou de l'un d'eux; à défaut, le juge du domicile ou de la résidence habituelle de l'adopté; à défaut, le juge du lieu où l'adoptant ou les adoptants font élection de domicile; (article 628, 21º) et apporterait au magistrat un outil précieux dans la détermination du caractère abusif ou non du refus éventuellement formulé par les parents d'origine.

Il est à noter que l'instauration de ce mécanisme permettrait de répondre au souhait formulé par l'UNICEF de voir les états se recentrer sur l'adoption interne et juguler les effets pervers engendrés par une adoption internationale trop massive et débridée.

Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 348-11, alinéa 1er, du Code civil, inséré par la loi du 24 avril 2003, est complété par une deuxième phrase, rédigée comme suit:

« Le caractère abusif du refus est évalué par le juge sur la base du rapport individuel élaboré par l'organisme d'adoption agréé. ».

4 octobre 2007.

Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON.