4-257/1

4-257/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

9 OCTOBRE 2007


Proposition de loi insérant un article 380quater dans le Code pénal relatif au recours aux services sexuels d'une victime de la traite des êtres humains

(Déposée par Mme Isabelle Durant et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend avec quelques adaptations le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 12 octobre 2004 (doc. Sénat, nº 3-863/1 - 2004/2005).

La proposition s'inscrit dans le cadre plus large de la lutte contre la traite des êtres humains qui constitue l'objectif de nombreux instruments internationaux. Pour n'en citer que quelques uns, nous pouvons relever:

— La déclaration adoptée lors du deuxième sommet du Conseil de l'Europe (octobre 1997), dans laquelle les chefs d'État et de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe décident « de rechercher des réponses communes aux défis posés par l'extension [...] de la criminalité organisée [...] à l'échelle du continent » et affirment leur détermination « à combattre la violence contre les femmes et toute forme d'exploitation sexuelle des femmes »;

— Le protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, signée à Palerme en décembre 2000;

Selon le protocole, il faut entendre par traite des personnes : « le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L'exploitation comprend au minimum l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes ».

— La décision-cadre du Conseil européen du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains (1) ;

— Les conclusions du Conseil européen du 8 mai 2003 relative à la lutte contre la traite des êtres humains.

— La recommandation du Conseil européen du 28 novembre 2003, relative à l'amélioration des méthodes de prévention et d'enquête opérationnelle dans la lutte contre la criminalité organisée liée à la traite des êtres humains.

— Le plan d'action pour lutter contre la traite des êtres humains approuvé par le Conseil ministériel de l'OSCE de décembre 2003. Un addendum à ce Plan d'action relatif aux besoins spécifiques des enfants victimes de la traite a été mis au point en juillet 2005.

— La directive 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004, relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes (2) .

— La Convention du Conseil del'Europe, de Varsovie du 16 mai 2005, relative à la lutte contre la traite des êtres humains.

L'objectif de la présente proposition est de poursuivre la prostitution là où l'on a de sérieuses raisons de craindre qu'elle est l'instrument de réseaux criminels usant de moyens de contrainte et ayant volontiers recours à la violence à l'égard de leurs victimes.

Il ne s'agit dès lors pas de lutter contre les prostitué(e)s mais bien contre les situations d'esclavagisme qui peuvent résulter de la prostitution. Or, l'on sait que la prostitution est de plus en plus le fait de victimes d'origine étrangère en situation fragilisée, voire illégale et, de ce fait, victimes de réseaux (3) .

Ainsi notre but n'est pas de pénaliser toutes relations sexuelles entre adultes libres et consentants, que celles-ci interviennent dans un cadre privé ou non, mais de pénaliser le client de services sexuels qui aurait abusé, en connaissance de cause, de la situation particulièrement précaire d'une personne en raison de son asservissement à un circuit de prostitution forcée ou d'une organisation criminelle. On ne peut en effet accepter qu'une personne ait des relations sexuelles sachant que son partenaire est victime d'une situation de contrainte et que son consentement est dès lors vicié. La société se doit de poser certaines balises dans le respect de la dignité et de la valeur de la personne humaine.

Si le droit pénal belge sanctionne le proxénétisme d'une peine allant d'un an à cinq ans (article 380, § 1er, du Code pénal) et de manière aggravée réclusion de dix à quinze ans lorsqu'il abuse de la situation particulièrement vulnérable d'une personne (article 380, § 3), rien n'est cependant prévu concernant les clients du proxénétisme sauf s'il implique des mineurs.

La présente proposition vise dès lors à introduire une nouvelle disposition dans le Code pénal afin de sanctionner le fait de recourir sciemment aux services sexuels d'une personne victime de la traite des êtres humains.

Est ainsi prise en considération, dans la qualification de l'infraction, la situation individuelle de la victime. La définition de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle est empruntée à la recommandation R(2000)11.

Par ailleurs, on n'insistera jamais assez sur la nécessité d'octroyer les moyens nécessaires aux autorités policières et judiciaires afin de démanteler les réseaux de prostitution forcée en s'attaquant d'abord aux auteurs et bénéficiaires de cette exploitation.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article introduit une nouvelle disposition dans le Code pénal afin d'incriminer le fait de recourir aux services sexuels d'une personne victime de la traite des êtres humains. L'incrimination garantit ainsi la prise en considération, dans la qualification de l'infraction, de la situation individuelle de la victime.

La définition de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle est empruntée à la recommandation R(2000)11 du Comité des ministres du 19 mai 2000 condamnant la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, qui constitue une violation des droits de la personne humaine et une atteinte à la dignité et à l'intégrité de l'être humain.

Isabelle DURANT
Josy DUBIÉ
Vera DUA
Freya PIRYNS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans le Code pénal est inséré un article 380quater rédigé comme suit:

« Art. 380quater. Sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent euros à mille euros ou d'une de ces peines seulement, quiconque aura obtenu des relations sexuelles par la remise, l'offre ou la promesse d'un avantage matériel ou financier avec une personne dont il savait ou ne pouvait ignorer qu'elle était victime de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle.

Pour l'application du présent article, on entend par traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, le recrutement par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, ou l'organisation de l'exploitation du transport ou de la migration légale ou illégale de personnes, même consentantes, en vue de leur exploitation sexuelle, le cas échéant par une forme quelconque de contrainte, en particulier la violence ou les menaces, l'abus de confiance, l'abus d'autorité ou l'abus d'une situation de vulnérabilité. »

12 juillet 2007.

Isabelle DURANT
Josy DUBIÉ
Vera DUA
Freya PIRYNS.

(1) JOUE L 203 du 1er août 2002, p. 1.

(2) JOUE L 261 du 6 août 2004, p. 19.

(3) Voyez notamment le rapport du Sénat fait au nom de la sous-commission « Traite des êtres humains et prostitution », Sénat, no 2-152, 1999-2000.