4-213/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007

29 SEPTEMBRE 2007


Proposition de loi modifiant la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail en ce qui concerne le licenciement abusif de travailleurs

(Déposée par Mme Nahima Lanjri et M. Wouter Beke)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte du DOC 51 2155/001.

Historiquement, l'article 63 de la loi relative aux contrats de travail, qui concerne uniquement le licenciement abusif d'ouvriers, a été introduit pour compenser le système de préavis relativement avantageux des employés. Ces dernières années, nous constatons toutefois une évolution dans l'interprétation de cet article: un des critères possibles du licenciement non abusif, en l'occurrence la conduite du travailleur, évolue d'une conduite fautive vers une conduite déterminée, même dénuée de tout caractère fautif. C'est pourquoi les auteurs de la présente proposition veulent rendre le texte de loi plus explicite, de sorte qu'il ne puisse plus être question de licenciement non abusif que si l'ouvrier a une conduite fautive.

L'article 63, alinéas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est libellé comme suit:

« Est considéré comme licenciement abusif pour l'application du présent article, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.

En cas de contestation, la charge de la preuve des motifs du licenciement invoqués incombe à l'employeur. ».

Le licenciement d'un ouvrier qui présente un lien avec sa conduite n'est donc pas abusif.

La Cour de cassation ne peut se prononcer sur les faits et ne connaît donc pas du fond de l'affaire (article 147 de la Constitution). Elle peut néanmoins vérifier si le juge du fond a légitimement pu déduire des faits qu'il a constatés que le licenciement de l'ouvrier n'avait aucun lien avec sa conduite et était par conséquent abusif (et vice-versa).

Le 9 octobre 1995 (Arr. Cass. 1995, 864), la Cour de cassation a estimé qu'un licenciement n'est pas nécessairement sans présenter aucun lien avec la conduite du travailleur (et est donc abusif) pour la simple raison que, préalablement au licenciement, l'employeur n'a pas fait une tentative afin d'inciter le travailleur à modifier son attitude.

Tous les arguments susceptibles de justifier le licenciement peuvent être invoqués devant les juridictions du travail, même s'ils n'ont pas été mentionnés à l'origine ou s'ils n'ont pas été portés à la connaissance du travailleur. (Cass. 15 juin 1988, Arr. Cass. 1987-88, 1336; Jourdan, M., Le licenciement abusif de l'ouvrier: évolution récente, Or. 1992,pp. 61 et 62).

C'est à l'employeur qu'il appartient de fournir la preuve du fait que le licenciement du travailleur est lié à l'aptitude ou à la conduite (Bodson, J.C., Le licenciement abusif et les problèmes de preuve, note sous Cour du travail Bruxelles, 14 octobre 1991,Soc.Kron., 1993, 63 e.s.).

Reste à savoir à quelles conditions le « comportement » de l'ouvrier doit répondre afin que l'employeur puisse l'invoquer pour justifier un licenciement, qui ne pourrait dès lors être ressenti comme « abusif » au sens de l'article 63.

À la limite, on pourrait conclure à l'absence de licenciement abusif même lorsque la conduite du travailleur n'a pas été fautive et qu'aucune faute n'est imputable à ce dernier. Poussant ce raisonnement à l'absurde, pourrait-on licencier un travailleur, sans se rendre coupable de licenciement abusif, au motif qu'il a exécuté la tâche qui lui était confiée avec soin, dans le délai imparti et sans faute ?

La jurisprudence de cassation dénote malgré tout une évolution en ce sens, suivie, avec réticence, par la doctrine et les juridictions inférieures.

Dans un arrêt du 8 décembre 1986 (T.S.R. 1987, 273), la Cour a estimé que le juge qui a constaté qu'un travailleur avait été licencié parce qu'il formulait des exigences salariales (et refusait également de prester des heures supplémentaires) et que, pour appuyer ses exigences salariales, il avait retiré le disque de son tachygraphe, ne pouvait affirmer que le licenciement n'était pas lié à la conduite du travailleur et qu'il était par conséquent abusif.

Bien qu'il fût affirmé, dans le moyen de cassation (sur lequel se fonde le recours en cassation), que l'enlèvement du disque du tachygraphe faisait partie du motif de licenciement et que cet enlèvement constituait une « pratique illégale » (le demandeur en cassation voulant ainsi souligner le caractère « fautif » du comportement), la Cour de cassation n'a pas saisi ce moyen. La Cour n'affirme pas que le comportement devrait aussi être nécessairement fautif.

Dans son arrêt du 13 avril 1987 (dont un résumé trompeur a été publié dans Soc.Kron. 1987, 252), la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la relation entre la formulation de revendications légitimes et la mise en œuvre du licenciement.

Dans son arrêt du 17 février 1992 (Arr. Cass. 1991-1992, 565), la Cour de cassation souligne qu'un licenciement effectué au motif d'abandon de travail de l'ouvrier a un lien avec la conduite de ce dernier et qu'il ne peut par conséquent être considéré comme abusif. La Cour de cassation observe qu'il en est ainsi même si la cour du travail a estimé qu'il n'était pas établi que l'abandon de travail s'était produit dans les circonstances invoquées par l'employeur (probablement afin d'étayer le caractère fautif de l'abandon de travail).

De cet arrêt non plus on ne peut donc déduire que la Cour de cassation exige que la conduite de l'ouvrier soit fautive pour que le licenciement qui en résulte ne soit pas abusif.

Dans l'arrêt du 6 juin 1994 (R. W. 1994-1995, 996, abrégé), le juge du fond avait constaté que l'ouvrière avait été licenciée pour avoir refusé d'aider à l'entretien de son local de travail. Le juge a estimé que cela ne démontrait pas le caractère critiquable du comportement de la défenderesse, si bien que le licenciement est réputé n'avoir aucun lien avec la conduite de l'ouvrier et a donc été qualifié d'abusif. La Cour de cassation a cassé cette décision. Il se déduit des expressions utilisées et du contexte de l'arrêt que la cour du travail a considéré qu'en refusant d'accomplir la tâche qui lui était demandée, la défenderesse n'avait pas commis de faute. La Cour de cassation semble donc ainsi admettre que même une conduite non fautive peut être invoquée comme motif de licenciement, sans que ce licenciement ne devienne ainsi abusif.

La valeur de cet arrêt ne peut être sous-estimée, d'autant plus que le ministère public estimait que la constatation du fait que l'employée n'était tenue par aucune disposition légale, réglementaire ou contractuelle de veiller à la propreté de son local de travail suffisait pour motiver la décision (la Cour de cassation n'a donc pas suivi cet avis).

L'arrêt du 7 mai 2001 (J.T.T. 2001, 407, avec note de C. Wantiez) casse une décision du juge du fond qui avait estimé que, bien que le licenciement fût fondé sur une certaine attitude du travailleur (ce dernier ayant emporté du matériel mis au rebut avec l'accord de son chef de service), cette conduite ne pouvait constituer un motif de licenciement raisonnable, si bien que le licenciement avait été qualifié d'abusif.

L'on peut déduire de l'ensemble de cette jurisprudence de la Cour de cassation que la Cour de cassation cassera une décision de justice présentant le licenciement comme abusif lorsqu'il ressortira des constatations du juge au fond que le licenciement était lié à la conduite du travailleur licencié. À cet égard, la Cour n'a pas encore été jusqu'à constater expressément que le caractère légitime ou illégitime de cette conduite ne joue aucun rôle dans cette décision.

Les auteurs sont partagés sur ce sujet et soulignent également la disparité de la jurisprudence à cet égard.

D. Denis (Motivation du licenciement et licenciement abusif, T.S.R. 1989, 81 et suiv.) affirme que l'« employeur est autorisé à licencier le travailleur pour des manquements contractuels(...) » et que « l'appréciation de la conduite de l'ouvrier (ou l'appréciation de la manière dont le patron a apprécié cette conduite) est laissée, en cas de litige, au sens moral des juges, tout ou moins lorsqu'il y avait réellement quelque chose à reprocher au travailleur « (p. 105).

F. Lagasse déclare également, dans son aperçu de la jurisprudence en matière de licenciement abusif des employés, que « les fautes commises par l'employé excluent en principe l'abus de droit dans le chef de l'employeur » (Chronique de jurisprudence, 1976-1992, Le licenciement abusif des employés, Or. 1992, 227-232).

M. Jourdan (Le licenciement abusif de l'ouvrier: évolution récente, Or. 1992, p. 61 à 69) conteste l'affirmation selon laquelle même la faute la plus légère ôte au licenciement auquel elle a donné lieu son caractère arbitraire: « Se pose ici le problème de l'adéquation: moindre faute du travailleur = licenciement non abusif, qui verrait resurgir le mythe du travailleur parfait, seul susceptible de percevoir, outre l'indemnité de rupture, une indemnité pour licenciement abusif » (voir aussi Bodson, J.C. Brandon, I.Jourdan, M. Tolédo, M. et Van Lierde D., Le licenciement abusif de l'ouvrier: l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978, un clair-obscur, Soc. Kron. 1989, p. 73 et suivantes).

M. De Vos analyse en détail la problématique de la condition de faute éventuelle et souscrit à la jurisprudence de la Cour de cassation, en affirmant que le caractère fautif ou non de la conduite incriminée ne constitue pas en tant que tel un critère d'appréciation de l'arbitraire du licenciement (Anthologie droit du travail, juillet 1995-juillet 1996, Or. 1997, p. 7 et suivantes, nº 23 et « Het gedrag dat het ontslag van een voor onbepaalde tijd in dienst genomen werkman niet willekeurig maakt », R.W. 1996-97, 737 et suivantes, nos 3 et 4).

C. Wantiez considère également, dans sa note relative à l'arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2001 (Licenciement abusif — Article 63 de la L.C.T. — Licenciement lié à la conduite où à l'aptitude de l'ouvrier — Règle de proportionnalité — Non requise — Caractère supplétif de l'article 63, J.T.T. 2001, 408 et suivantes, nº 6), que toute appréciation du caractère admissible de la conduite de l'ouvrier doit être exclue de l'examen de l'existence ou non d'un licenciement abusif (contrairement au critère des « nécessités au fonctionnement de l'entreprise »). Selon lui, « la conduite du travailleur est un fait: il existe ou il n'existe pas. On ne la confondra donc pas avec un jugement de valeur. La « médiocrité professionnelle » d'un travailleur est un jugement que l'employeur porte; une succession d'arrivées tardives est un fait qu'il constate (et prouve). Par ailleurs, l'article 63 de la L.C.T. ne requiert pas que la conduite soit fautive ».

Cet avis est également partagé par J. Clesse et V. Neuprez (Licenciement et démission abusifs, Ors.1998,188 e.s., 1989), qui affirment que la jurisprudence de la Cour de cassation se fonde sur une conception « qui ne laisse au juge du fond qu'un pouvoir d'appréciation limité: dès lors qu'il constate que les faits, dûment établis, invoqués pour justifier le licenciement relèvent de la conduite de l'ouvrier dans le sens extensif que le langage commun donne à ce terme, le licenciement est régulier au sens de l'article 63 de la loi organique. Toute autre exigence, par exemple l'absence de faute, l'absence de gravité du comportement, l'absence d'avertissement antérieur, ajouterait à la loi une exigence qu'elle ne contient pas et violerait celle-ci ».

W. Van Eeckhoutte et d'autres (Sociaal compendium arbeidsrecht, 2003-2004, Mechelen, Kluwer, 2003, nº 5500) soulignent, eux aussi, que des faits et des circonstances n'impliquant pas une faute du travailleur peuvent justifier un licenciement sans qu'il soit abusif (ils invoquent, par exemple, des absences pour cause de maladie).

S. Gilliams, quant à lui, (Een evenwichtsoefening van vrouwe justitia: dansen op de slappe koord tussen ontslagvrijheid en sociale bescherming, J.T.T. 1996, 229 e.s., en particulier 233-234), rejoint par D.Cuypers (Overzicht van rechtspraak willekeurig ontslag en misbruik van ontslagrecht 1990-1996, Or.1997, 186 e.s., 192-193), doute que l'appréciation du caractère abusif du licenciement puisse être totalement dissociée de toute condition de faute dans le chef du travailleur et renvoie, à cet effet, à la volonté présumée du législateur.

P. Humblet (Willekeurig ontslag, ontslagmacht en vakbondsvrijheid, note Cour du travail. Gand 9 janvier 1998, R.W. 1998-99, 886 e.s.) se distancie, lui aussi, d'une interprétation strictement exégétique du texte.

B.-H. Vincent (« Et l'indemnité de licenciement abusif de l'ouvrier ? », Ors. 2002, 106 s.,117) observe lui aussi, sans toutefois s'en réjouir, que « la cour suprême prend clairement position pour l'application mécanique de l'article 63: dès lors que la motivation repose sur la conduite du travailleur et que les faits pris en considération sont établis, le licenciement n'est pas abusif, les faits fussent-ils non fautifs, non critiquables ».

Cet auteur affirme dès lors: « Un comportement non critiquable est un comportement régulier, conforme à la loi. Il ne pourrait normalement donner lieu à aucune sanction quelconque, laquelle ne pourrait être qu'une mesure illicite de représailles ».

Dans le même sens, J. Clesse et F. Kéfer font porter la discussion sur un autre point lorsqu'ils estiment que la conduite du travailleur ne doit certes pas être nécessairement fautive pour exclure un licenciement abusif, mais « cette conduite doit être d'une nature telle qu'elle rend le licenciement nécessaire, excluant ainsi l'arbitraire patronal » (Examen de jurisprudence, Contrat de travail, R.C.J.B. 2003, 117 et s.). Et les auteurs d'ajouter qu'il faut sans doute s'interroger sur la portée du contrôle judiciaire (plénitude de compétence ou droit de contrôle marginal ?).

Quoi qu'il en soit, ces auteurs reconnaissent que la Cour de cassation opte pour une interprétation stricte et littérale « qui retire au juge du fond tout pouvoir d'apprécier si les faits invoqués sont suffisamment consistants pour justifier le licenciement ».

Ils concluent qu'un licenciement ne sera dès lors abusif (en ce qui concerne l'hypothèse du licenciement en raison de la conduite du travailleur) que si:

— l'employeur ne peut invoquer de motif de licenciement ou qu'il n'apporte pas la preuve du motif de licenciement invoqué;

— les motifs invoqués n'ont aucun lien avec la conduite du travailleur;

— le juge statue que le motif invoqué n'est pas le véritable motif du licenciement mais n'est qu'un prétexte.

On peut en conclure que tout licenciement inspiré par le comportement du travailleur perd effectivement son caractère abusif. Dans ces conditions, le licenciement n'est en effet pas abusif mais il renvoie à la conduite du travailleur (on notera que la terminologie néerlandaise — « willekeurig ontslag » — n'est pas l'équivalent de « licenciement abusif »).

Conclusion

La jurisprudence de la Cour de cassation est assez irréaliste. Lorsque la Cour considère que même un comportement non fautif peut tomber sous le coup de l'application de l'article 63 de la loi relative aux contrats de travail, elle prononce un jugement d'opportunité. Les juges ne sont guère enclins à juger l'opportunité d'un licenciement. Or, la charge de la preuve continue de supposer, en vertu de l'article 63, que le licenciement de l'ouvrier doit reposer sur un motif tangible. La réticence de la Cour de cassation est inexplicable et est contraire à l'intention originale de l'article 63. Le licenciement abusif a en effet la valeur d'un correctif historique à l'égard des délais de préavis plus longs applicables aux employés. Le licenciement abusif fait appel au principe de la bonne foi dans l'exécution des contrats de travail.

Le droit du travail belge ne connaît en effet pas d'obligation de motivation en cas de licenciement. La réglementation belge en la matière a opté pour une solution forfaitaire, sans prévoir d'examen de la faute ou du préjudice. Dans le cadre de la réglementation européenne et de la législation anti-discrimination, nous serons toutefois contraints de mener une enquête au sujet des motifs sous-jacents au licenciement. L'article 63 comporte déjà une obligation de motivation indirecte. Il convient de la faire respecter.

En ce qui concerne l'application de l'article 63 du 3 juillet 1978 de la loi relative aux contrats de travail, cette lacune peut déjà être palliée en insérant la notion de « conduite fautive de l'ouvrier ».

À tout le moins, il faut éviter que l'employeur modifie le motif de licenciement après avoir pris connaissance du caractère abusif de la mesure de licenciement.

Une fois que l'employeur, à la demande du travailleur, a donné connaissance d'un motif de licenciement, ce motif est invariable et est le seul à intervenir dans l'appréciation du caractère abusif du licenciement (cf. art. 40, alinéa 2, de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, relatif à la protection de la maternité).

Nahima LANJRI.
Wouter BEKE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, modifié par la loi du 22 janvier 1985 et l'arrêté royal du 21 mai 1991, sont apportées les modifications suivantes:

a) à l'alinéa 1er, le mot « fautive » est inséré entre les mots « la conduite » et les mots « de l'ouvrier »;

b) l'alinéa 2 est complété par la disposition suivante:

« À la demande de l'ouvrier, l'employeur doit communiquer les motifs du licenciement par écrit. Seuls les motifs communiqués sont pris en considération pour l'appréciation du licenciement abusif. ».

26 juillet 2007.

Nahima LANJRI.
Wouter BEKE.