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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007

12 JUILLET 2007


Proposition de loi modifiant la législation relative à la régularisation des prix du gaz naturel et de l'électricité

(Déposée par M. Johan Vande Lanotte et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Il va sans dire que l'approvisionnement en énergie d'un pays est d'une importance primordiale. Le coût des fournitures d'énergie et la garantie d'approvisionnement et de fourniture sont déterminants pour le pouvoir d'achat et le confort de nos ménages et pour la compétitivité de nos entreprises. Ces dernières années, notre approvisionnement en énergie a connu une évolution rapide et profonde.

En Europe et dans notre pays, le marché de l'énergie a été libéralisé au cours des dernières années. Cette libéralisation devait entraîner une baisse des prix pour le consommateur et faciliter l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Ces objectifs sont restés un vœu pieu en majeure partie. Dans son rapport sur le marché de l'électricité, la Commission européenne (DG Concurrence) conclut que le fonctionnement du marché en Europe dans le secteur de l'énergie reste soumis à de trop fortes restrictions. Dans son rapport, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) qualifie le marché belge de l'électricité et du gaz d'extrêmement concentré. Dans la plupart des pays, les entreprises détentrices d'un monopole historique possèdent une grande partie du parc de production. C'est particulièrement le cas en Belgique et en France. En procédant à une intégration verticale des activités sur le plan de la production, du transport, de la distribution et de la fourniture, ces acteurs historiques rendent fort difficile l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, faute de rentabilité. Le rapport émet des suggestions pour casser les monopoles (notamment par la mise aux enchères de capacités de production virtuelles d'électricité) et pour réaliser un découplage complet de la propriété en ce qui concerne les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture. La situation de la Belgique est préoccupante en ce qui concerne tant le monopole de production que la présence stratégique du détenteur du monopole historique dans la gestion des réseaux.

Avec ses filiales belges (la SA Electrabel, la SA Electrabel Customer Solutions et la SA Distrigaz), l'entreprise française Suez possède une part de marché écrasante de la production d'électricité, de la fourniture d'électricité et de gaz naturel et de l'approvisionnement en gaz naturel (cf. figures). La figure ci-dessous illustre parfaitement la mainmise actuelle du groupe Suez (et de ses filiales) sur les différents segments du marché belge.

Selon le rapport sur le marché de l'électricité établi par la Commission européenne, la Belgique se caractérise par le marché de production le plus concentré de tous les pays de l'UE examinés: 83 % de la capacité installée et 82,3 % de la production en 2004 en Belgique étaient aux mains de l'ancien détenteur du monopole historique, la SA Electrabel (Suez). Par conséquent, les nouveaux acteurs continuent à dépendre fortement d'Electrabel et sont exposés à des risques de manipulation des prix. Une étude réalisée par London Economics arrive à la conclusion que non seulement sur le plan de la production d'électricité mais aussi au niveau du négoce et de la fourniture, le marché est profondément perturbé par la concentration dans les mains d'Electrabel.

De plus, Suez possède la majorité des actions de Distrigaz & Cº (transit de gaz) et de Fluxys (transport de gaz) et dispose d'une minorité de blocage importante dans Elia (transport d'électricité) et dans la plupart des gestionnaires de réseau de distribution (GRD). Ceci complique fortement ou rend impossible l'arrivée de nouveaux concurrents sur le marché belge. Il y a fort à parier que la situation empirera lorsque la fusion annoncée aura abouti. Le risque d'un abus éventuel de cette position dominante par une partie qui occupe une position de force sur le marché (par une manipulation des prix, un accès problématique aux réseaux, une utilisation abusive des données opérationnelles des concurrents, l'imputation des coûts d'équilibre excessifs, etc.) suffit déjà à dissuader de nombreux acteurs potentiels d'investir dans de nouvelles centrales ou activités en Belgique. Ce quasi-monopole continuera donc à se maintenir, à moins que le législateur ne prenne des initiatives appropriées.

Les acteurs qui détiennent une position de marché dominante (« les acteurs dominants du marché « ) ont la possibilité de fixer eux-mêmes les prix. La Commission européenne qualifie une entreprise de « Significant Market Power » — dote de la possiblité de fixer les prix — lorsqu'elle possède une part du marché à partir de 25 à 37 %. Le législateur a prévu, tant dans la loi sur l'électricité que dans la loi sur le gaz, que le ministre qui a l'Economie dans ses attribution, peut, après avis de la Commission de la Régularisation de l'Electricité et du Gaz et après délibération en Conseil des ministres, fixer des prix maximaux pour ce qui concerne la livraison d'électricité et de gaz (article 15/10 Loi du Gaz, article 20 Loi de l'Electricité). Ces deux lois prévoient que les prix maximaux peuvent être fixés de manière à:

1º éviter des subsides croisés entre catégories de clients;

2º assurer qu'une partie équitable des gains de productivité résultant de l'ouverture du marché du gaz/de l'électricité revient de manière équilibrée aux clients résidentiels et professionnels, dont les petites et moyennes entreprises, sous forme d'une baisse des tarifs;

3º axer progressivement les tarifs appliqués aux clients visés au 2º sur les meilleures pratiques tarifaires sur le même segment du marché dans les autres États membres de l'Union européenne, compte tenu des spécificités du secteur de la distribution.

Or, étant donné que les marchés de fourniture d'électricité et du gaz dans les régions sont libéralisés depuis le 1er janvier 2007 dans toute la Belgique et que la concurrence entre les fournisseurs commence à jouer, des prix maximaux seulement pour la fourniture d'électricité et de gaz apportent une solution incomplete. Des prix maximaux purraient en effet avoir comme effet pervers d'évinceraient du marché les fournisseurs qui n'ont guère ou pas de capacité de production ou qui n'ont pas de contrats à longue durée et qui sont obligés de s'approvisionner en électricité et en gaz auprès de leur concurrent. C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi prévoit aussi la possibilité d'instaurer des prix maximaux pour l'électricité et le gaz sur les marchés en gros (« whole sale markets »). Étant donné que la régularisation des prix ne peut être qu'une mesure transitoire vers un véritable marché libre avec un « level playing field », les prix maximaux ne sont prévus que pour les entreprises qui contrôlent plus de 37 % du marché de la production de l'électricité ou de l'importation du gaz naturel. Cela signifie que la régulation disparaîtradès qu'il n'y aura plus d'entreprises de ce type et que les « parties dominantes du marché « ne seront plus actives sur le marché belge. La présente proposition de loi prévoit également que les prix maximaux seront introduits « sur proposition » de la Commission (la CREG). Cela s'inscrit dans la philosophie de la nécessité de disposer d'un régulateur fort et indépendant dans le secteur de l'électricité et du gaz.

Johan VANDE LANOTTE.
Philippe MAHOUX.
Myriam VANLERBERGHE.
Philippe MOUREAUX.
Geert LAMBERT.
Anne-Marie LIZIN.
Marleen TEMMERMAN.
Olga ZRIHEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 1er de la loi du 12 avril 1965 relative au transport de produits gazeux et autres par canalisations, remplacé par la loi du 29 avril 1999 en modifié par les lois du 16 juillet 2001, du 20 mars 2003, du 1er juin 2005 en du 20 juillet 2006, est complete comme suit:

« 50º. « acteur dominant du marché »: entreprise de gaz naturel qui importe ou achète plus de 37 % de tout le gaz naturel acheté en Belgique en vue de sa livraison sur le marché belge. La part de l'entreprise dans la totalité du gaz naturel produit et acheté et distribué en Belgique est définie par la commission. ».

Art. 3

À l'article 15/10 de la meme loi, inséré par la loi du 29 avril 1999 en modifié par les lois du 20 mars 2003 en du 1er juin 2005, les mots « après avis de » sont chaque fois remplacés par les mots « sur proposition de ».

Art. 4

Un article 15/10bis, libellé comme suit, est inseré dans la même loi:

« Article 15/10bis: Sur la proposition de la commission, le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, fixer des prix maximaux pour les acteurs dominants du marché en ce qui concerne l'importation et l'achat de gaz naturel pour la livraison sur le marché belge, tels que visés à l'article 1er, 50º.

La commission veille à ce que ces prix maximaux profitent aux clients résidentiels et professionnels finaux sous la forme d'une baisse des tarifs. À cet effet, tous les acteurs, personnes physiques ou morales établies ou non en Belgique, du marché du gaz naturel transmettrons à la commission, dans les délais demandés par la commission, des informations périodiques en vue du suivi du fonctionnement du marché, de la concurrence et des aspects techniques et tarifaires du marché du gaz naturel. La commission peut procéder, sur les lieux, au contrôle des renseignements et de l'information qui lui ont été fournis.

La commission peut imposer une amende administrative en cas de non-respect ou d'observation insuffisante de cette obligation d'information et des délais prévus. L'amende pécuniaire ne peut inférieure à 2 500 euros ni supérieure à 3 pour cent du chiffre d'affaires réalisé par la personne concernée sur le marché belge du gaz naturel pendant le dernier exercice clôturé. L'amende pécuniaire est perçue au profit du Trésor par l'Administration du cadastre, de l'enregistrement et des domaines. »

Art. 5

L'article 2 de la loi du 29 avril 1999 relative à l'organisation du marché de l'électricité, modifié par les lois des 30 décembre 2001, 14 janvier 2003, 20 mars 2003, 1er 2005, 20 juillet 2005, 20 juillet 2006 et 16 mars 2007, est complete comme suit:

« 41º. « acteur dominant du marché »: entreprise disposant sur le territoire belge d'une capacité de production d'électricité supérieure à 37 % de la capacité de production belge. La capacité de production de l'entreprise et des entreprises y associées et liées est définie par la commission. »

Art. 6

À l'article 20 de la même loi, modifié par les lois des 20 mars 2003 et 20 juilet 2005, les mots « après avis de » sont chaque fois remplacés par les mots « sur proposition de ».

Art. 7

Un article 20bis, libellé comme suit, est inséré dans la même loi:

« Article 20bis: Sur la proposition de la commission, le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, fixer des prix maximaux pour les acteurs dominants du marché en ce qui concerne la production d'électricité pour le marché belge, tels que visés à l'article 2, 41º.

La commission veille à ce que ces prix maximaux profitent aux clients résidentiels et professionnels finaux sous la forme d'une baisse des tarifs. À cet effet, tous les acteurs, personnes physiques ou morales établies ou non en Belgique, du marché de l'électricité transmettrons à la commission, dans les délais demandés par celle-ci, des informations périodiques en vue du suivi du fonctionnement du marché,de la concurrence et des aspects techniques et tarifaires du marché de l'électricité. La commission peut procéder, sur les lieux, au contrôle des renseignements et de l'information qui lui ont été fournis.

La commission peut imposer une amende administrative en cas de non-respect ou d'observation insuffisante de cette obligation d'information et des délais prévus. L'amende pécuniaire ne peut être inférieure à 2 500 euros ni supérieure à 3 pour cent du chiffre d'affaires réalisé par la personne concernée sur le marché belge de l'électricité pendant le dernier exercice clôturé. L'amende pécuniaire est perçue au profit du Trésor par l'Administration du cadastre, de l'enregistrement et des domaines. »

Art. 8

La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

28 juin 2007.

Johan VANDE LANOTTE.
Philippe MAHOUX.
Myriam VANLERBERGHE.
Philippe MOUREAUX.
Geert LAMBERT.
Anne-Marie LIZIN.
Marleen TEMMERMAN.
Olga ZRIHEN.