4-147/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007

10 AOÛT 2007


Proposition de loi organisant un recours contre les arrêts de cour d'assises

(Déposée par M. Philippe Monfils)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte du DOC 51-1630/001.

Dans le tourbillon des bouleversements sociétaux qui sont, spécialement en ce début de troisième millénaire, le commun de nos démocraties, certains dogmes ont la vie dure. Ainsi en est-il de l'institution du jury populaire.

Si la confiance en la justice est érodée — et c'est un euphémisme —, il est remarquable de constater que la population critique rarement les décisions des jurys d'assises, sauf parfois pour opposer les jurés et les juges professionnels lorsque la majorité nécessaire à la délibération n'est pas atteinte.

Le peuple a décidé et le peuple ne peut se tromper.

Sans entrer dans des polémiques historiques sur la fonction du jury en Angleterre, les conceptions des révolutionnaires français ou l'analyse de Montesquieu, il faut noter que l'idée du jury constitué en matière criminelle est, toujours aujourd'hui, généralement répandue et défendue.

Mais toute autre est la réflexion relative au caractère souverain et définitif des arrêts d'assises.

Est-il vrai que le peuple ne peut pas se tromper ? Est-il vrai que le peuple rend sa sentence et que jamais celle-ci ne pourra être révisée en fonction d'un nouvel examen des faits ? N'importe quel petit délinquant condamné à deux mois de prison avec sursis peut interjeter appel mais un prévenu condamné en cour d'assises à vingt ans de réclusion ne le peut pas.

Comment justifier, autrement que par une sorte d'adhésion sacramentelle au jury populaire, que des juges professionnels peuvent se tromper mais que les jurés eux, sont infaillibles ?

Comment justifier qu'un appel est possible dans le premier cas et pas dans le second ?

Le droit international renforce d'ailleurs la nécessité d'une réponse à cette question, puisque le protocole nº 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prescrit en son article 2.1 que tout condamné a le droit de faire réexaminer sa cause par une juridiction supérieure.

Ce texte est d'ailleurs analogue à celui de l'article 14, § 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il convient donc d'organiser un système de réexamen de la décision prise par un jury d'assises.

Dans la conception traditionnelle, l'appel s'effectue auprès d'une juridiction autrement composée, dans une relation de hiérarchie par rapport à la juridiction de première instance.

Si l'on maintient le jury d'assises lors du premier examen de l'affaire, on ne voit guère comment appliquer ce principe de la hiérarchisation.

Certains, en France notamment, ont voulu résoudre la difficulté en créant des tribunaux criminels sans jury avec appel devant une cour d'assises. Le projet fut rapidement abandonné, en raison d'une volonté générale de maintenir le jury en matière criminelle, même en « première instance ».

Nous partageons ce sentiment d'autant que l'article 150 de la Constitution prévoit que « le jury est établi en toutes matières criminelles » et que cet article n'est pas soumis à une révision.

La seule possibilité consiste donc à prévoir l'appel de décision du jury d'assises devant une autre cour d'assises. Ce type d'appel, qui n'est donc pas hiérarchique a été appelé en France où une réforme est intervenue, « appel tournant » ou « appel circulaire ».

La cour d'assises d'appel ne confirme pas ou n'infirme pas le verdict de la première cour d'assises. Elle juge à nouveau. On peut trouver une similitude dans le renvoi à une cour d'assises après cassation. Dès lors, il nous paraît qu'il est inutile de prévoir une motivation du verdict de la première cour d'assises, le procès étant recommencé.

L'appel peut-il être introduit en cas d'acquittement du prévenu ? La France qui a récemment organisé le recours contre un verdict de cour d'assises, n'admet pas l'appel en cas d'acquittement parce que le principe sur lequel est fondé le système est la « seconde chance » du condamné. Introduire un appel contre un verdict d'acquittement serait évidemment ruiner le principe qui, en cas de condamnation en appel, se transformerait en « seconde malchance » !

Ce raisonnement nous paraît prendre exclusivement en compte le prévenu et nullement la victime qui peut estimer que des éléments susceptibles de fonder la culpabilité n'ont pas été suffisamment pris en compte.

Par ailleurs, en quoi la vérité judiciaire serait-elle totale, intangible en cas d'acquittement et relative, sujette à interrogation, donc soumise à appel en cas de condamnation ?

Pour l'auteur de la proposition, l'appel n'est pas une « seconde chance ». C'est une garantie de meilleure administration de la justice par un nouvel examen et cela, qu'on ait été déclaré coupable ou innocent. Dès lors l'appel du prévenu, du ministère public ou, le cas échéant, des parties civiles, peut s'exercer dans tous les cas. Evidemment suivant la conception traditionnelle, le seul appel du prévenu ne peut aboutir à un alourdissement de la sanction qui lui aurait été infligée (de toute manière l'appel au fond ou l'appel incident par le ministère public est souvent interjeté en même temps que celui du condamné).

L'instauration d'un second degré de juridiction peut être perçu comme un élément de lenteur et de lourdeur.

Il faut toutefois nuancer. En effet, la Cour de cassation n'étant susceptible d'intervenir qu'au niveau de la cour d'assises d'appel, le formalisme extrême actuellement constaté au niveau de la cour d'assises statuant en premier et en dernier ressort évoluera certainement dans le sens d'une plus grande simplification, l'appel étant possible.

C'est dans ce sens que s'exprimait récemment Henri Angevin, Conseiller honoraire à la Cour de cassation française, dans un article intitulé « Mort d'un dogme » et consacré à la loi française instaurant un second degré de juridiction en matière criminelle. Il écrivait:

« Ce qui semble en outre vraisemblable, c'est que cette instauration (du double degré de juridiction) aura des répercussions sur la procédure générale de la cour d'assises, dans le sens d'un allègement progressif du formalisme qui la caractérise. Deux facteurs devraient contribuer à cette évolution. D'une part, la Cour de cassation n'ayant plus à intervenir qu'en cas d'appel, la cour d'assises de première instance ne sera plus soumise à aucun contrôle de légalité, ce qui n'aurait pas manqué de l'inciter à s'affranchir peu à peu des contraintes d'un formalisme dont l'utilité apparaîtra de moins en moins évidente.

D'autre part, la vigilance sourcilleuse avec laquelle la Chambre criminelle veillait au respect de ce formalisme, trouvant une bonne part dans les justifications dont le fait qu'en l'absence d'une instance d'appel, le pourvoi en cassation constituait le seul recours contre les décisions de cour d'assises, pourrait, faute de cette justification, avoir tendance à se relâcher. Au terme d'une évolution prévisible, la procédure d'assises devrait donc se simplifier et se rapprocher de la procédure correctionnelle ».

Le Sénateur Badinter opinait dans le même sens au cours des travaux préparatoires de la loi.

Par ailleurs, afin que le prévenu soit jugé définitivement dans un délai raisonnable, la proposition prévoit que la Cour de cassation fixe le délai endéans lequel la cour d'assises doit se réunir.

Un reproche fondé sur l'augmentation des coûts pourrait aussi être formulé. Nous pensons toutefois qu'un État ne module pas ses responsabilités essentielles uniquement en fonction du coût qu'elles engendrent. Si on est d'accord de considérer que, dans tous les cas, un double degré de juridiction s'impose, non seulement en ce qui concerne les garanties données au justiciable mais aussi à l'égard des textes internationaux, il convient d'organiser ce recours.

Par ailleurs, il ne faut pas se focaliser sur quelques procès d'assises qui se sont tenus pendant des mois. Dans la grande majorité des cas, les audiences ne dépassent pas quelques jours, voire une semaine. De plus les arrêts de la cour d'assises ne sont pas très nombreux (74 arrêts en 2003, ce qui représente une faible augmentation par rapport à 2000 et 2001 — 66 arrêts).

Enfin, la cour d'assises d'appel ne sera pas saisie dans tous les cas (l'exemple français démontre que seuls 25 % des arrêts d'assises font l'objet d'un recours en appel). Cela ne constituera donc pas une charge inacceptable pour les finances publiques.

COMMENTAIRES DES ARTICLES

Article 2

Contrairement à la situation actuelle où il n'existe qu'un seul degré de juridiction, les arrêts d'assises rendus en appel peuvent être attaqués devant la Cour de cassation.

Article 3

L'article 350 prescrivant que « la déclaration du jury ne pourra jamais être soumise à aucun recours », il convient de supprimer cette disposition puisque désormais il y a appel.

Article 4

L'article 352 actuel organise un système de renvoi à un nouveau jury si les juges estiment unanimement que les jurés se sont trompés au fond. Puisqu'il y a possibilité d'appel, cette disposition peut être supprimée.

Article 5

L'article 360 prescrivant que l'acquittement d'un accusé empêche de le poursuivre ultérieurement en qualifiant différemment les faits, doit être complété compte tenu du nouveau système d'appel.

Articles 6 et 7

Ces articles adaptent deux dispositions du Code d'instruction criminelle au nouveau système.

Article 8

Cet article fixe le principe de la cour d'assises d'appel et détermine les parties à qui il appartient la faculté de faire appel. On notera que le ministère public peut faire appel en cas d'acquittement.

Il apporte en outre diverses précisions, règle les questions relatives aux intérêts civils et fixe les modalités de l'appel.

Enfin, la procédure en appel est analogue à celle suivie actuellement par la cour d'assises. Dans le Code d'instruction criminelle sont donc d'application pour les cours d'assises d'appel les articles 241 à 245, 267 à 283, 291 à 309, 310 à 356 (sauf les articles 350 et 352 modifiés ci-dessus), 357 à 380 (sauf les articles 360,370,373 modifiés ci-dessus), 408 à 412, 428 à 442.

Philippe MONFILS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 262 du Code d'instruction criminelle, le mot « d'appel » est inséré entre les mots « assises » et « ne pourront ».

Art. 3

L'article 350 du même Code est abrogé.

Art. 4

L'article 352 du même Code est abrogé.

Art. 5

L'article 360 du même Code est complété comme suit:

« nonobstant le recours en appel et le pourvoi en cassation. »

Art. 6

L'article 370, alinéa 2, du même Code, est remplacé par l'alinéa suivant:

« Néanmoins, s'il y a eu condamnation, cette restitution ne sera faite qu'en justifiant, par le propriétaire, que le condamné a laissé passer les délais d'appel en cour d'assises ou de pourvoi en cassation ou, s'il s'est pourvu, que l'affaire est définitivement terminée. ».

Art. 7

Dans l'article 373, alinéa 1er, du même Code, les mots « son arrêt lui » sont remplacés par les mots « l'arrêt d'assises d'appel ».

Art. 8

Le Chapitre V, du titre II, du même Code, est remplacé comme suit:

« Chapitre V: De l'appel des décisions des Cours d'assises

Section 1: Dispositions générales

Art. 381. — Les arrêts rendus par la cour d'assises en premier ressort peuvent faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues par le présent chapitre.

Cet appel est porté devant une autre cour d'assises désignée par la Cour de cassation. Cette cour d'assise procède au réexamen de l'affaire selon les modalités et dans les conditions prévues par les chapitres II à IV du présent titre.

Art. 382. — La faculté d'appeler appartient:

1º à l'accusé;

2º au ministère public, même en cas d'arrêt d'acquittement;

3º à la personne civilement responsable, quant à ses intérêts civils;

4º à la partie civile, quant à ses intérêts civils;

Art. 383. — La cour d'assises statuant en appel sur l'action publique ne peut, sur le seul appel de l'accusé, aggraver le sort de ce dernier.

Art. 384. — Le sursis à l'exécution de l'arrêt visé à l'article 203 § 3 n'est pas applicable, sans préjudice de l'application de l'article 358.

Art. 385. — Lorsque la cour d'assises n'est pas saisie de l'appel formé contre le jugement rendu sur l'action publique, l'appel formé par une partie contre le seul jugement rendu sur l'action civile est porté devant la cour d'appel. Les articles 391 et 392 ne sont pas applicables.

Art. 386. — Pendant les délais d'appel et durant l'instance d'appel, il est sursis à l'exécution de l'arrêt sur l'action civile, sous réserve des dispositions de l'article 252.

Section 2: Délais et formes de l'appel

Art. 387. — L'appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé de l'arrêt.

Art. 388. — En cas d'appel d'une partie, pendant les délais ci-dessus, les autres parties ont un délai supplémentaire de cinq jours pour interjeter appel.

Art. 389. — L'accusé peut se désister de son appel jusqu'à son interrogatoire par le président prévu par l'article 293.

Ce désistement rend caducs les appels incidents formés par le ministère public ou les autres parties.

Le désistement d'appel est constaté par ordonnance du président de la Cour de cassation lorsque celle-ci est saisie en application de l'article 381 ou par ordonnance du président de la cour d'assises.

Art. 390. — La déclaration d'appel est faite au greffe de la cour d'assises qui a rendu la décision attaquée. Elle est signée par le greffier et par l'appelant lui-même ou son avocat.

Section 3: Désignation de la cour d'assises statuant en appel

Art. 391. — Dès que l'appel a été enregistré, le ministère public adresse sans délai au greffe de la Cour de cassation, avec ses observations éventuelles, la décision attaquée et, le cas échéant, le dossier de la procédure.

Dans le mois qui suit la réception de l'appel, la Cour de cassation, après avoir recueilli les observations écrites du ministère public et des parties ou de leurs avocats, désigne la cour d'assises chargée de statuer en appel et le délai dans lequel celle-ci doit se réunir.

Art. 392. — Si la Cour de cassation constate que l'appel n'a pas été formé dans les délais prévus par la loi ou porte sur un arrêt qui n'est pas susceptible d'appel, elle dit n'y avoir pas lieu à désignation d'une cour d'assises chargée de statuer en appel.

12 juillet 2007.

Philippe MONFILS.