Questions et Réponses

SÉNAT DE BELGIQUE


Bulletin 3-89

SESSION DE 2006-2007

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres (Art. 70 du règlement du Sénat)

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Secrétaire d'État aux Affaires européennes, adjoint au ministre des Affaires étrangères

Question nº 3-6981 de M. Cornil du 13 février 2007 (Fr.) :
Accès aux médicaments dans les pays pauvres. — Brevets pour des médicaments. — Procès Novartis contre l'État indien. — Position de la Belgique au sein de l'Union européenne.

Un procès impliquant l'une des plus importantes firmes pharmaceutiques au monde s'est ouvert ce lundi 29 janvier 2007 à Madras. Ce procès est la conséquence d'une plainte déposée par le groupe suisse Novartis le 7 août 2006, à la suite du refus des autorités indiennes de breveter une formule améliorée du Glivec, un médicament contre une forme rare de cancer.

L'affaire ouvre le débat sur l'accès aux médicaments dans les pays pauvres. L'ONG Médecins sans frontières a lancé une pétition ayant déjà récolté des dizaines de milliers de signatures demandant à Novartis de renoncer à ce procès, qui remet en question la loi indienne sur les brevets.

Celle-ci stipule que les brevets ne sont octroyés qu'en cas de véritable innovation. Or, les autorités indiennes jugent que le Glivec ne serait qu'une nouvelle formulation d'un médicament existant, ce qui a permis une commercialisation de ce médicament sous forme générique.

Si je suis conscient que la Belgique ne peut agir directement dans cette affaire, l'honorable secrétaire d'État pourrait-il m'éclairer sur plusieurs points ?

1. La Belgique est-elle prête à soutenir, au sein de l'Union européenne, la position selon laquelle l'accord de l'OMC sur les ADPIC prévoit que si les brevets récompensent bien des produits innovants, c'est ensuite à chaque pays de définir dans sa législation sur la propriété intellectuelle ce qu'ils entendent par « innovant » ?

2. Est-il correct que la déclaration de Doha sur l'accord sur les ADPIC et la santé publique énonce que les pays peuvent interpréter l'accord sur les ADPIC de façon à répondre aux besoins de santé publique et à promouvoir l'accès aux médicaments ?

3. Quelles sont d'après lui les conséquences que pourrait avoir une victoire de Novartis dans ce procès sur l'accès aux médicaments dans les pays en développement ? Comment compte-t-il relayer cette problématique au niveau européen ?

Réponse : En réponse aux questions de l'honorable membre relatives au litige opposant le groupe pharmaceutique Novartis aux autorités indiennes, je souhaite faire les observations suivantes :

L'entreprise pharmaceutique Novartis a déposé en Inde une demande de brevet pour un médicament contre le cancer, commercialisé sous le nom de Glivec. Cependant l'Office des brevets indien a refusé l'octroi du brevet sur la base de certaines dispositions de la législation indienne (section 3 (d)) qui prévoient que seules des avancées réellement innovantes pourront être brevetées. Dans le cas qui nous occupe, l'Office des brevets indien estime qu'il s'agirait d'un dérivé d'une substance existante qui ne présente pas un caractère suffisamment innovant pour justifier sa brevetabilité. Novartis remet en cause tant la décision de l'Office des brevets indien que les dispositions de la législation indienne susmentionnées, proférant que celles-ci sont en-deçà des dispositions de l'Accord sur les ADPIC.

1. L'Accord sur les ADPIC et la définition de ce qui est innovant

L'article 27 de l'accord sur les ADPIC se contente d'énoncer qu'« un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ». Ces critères ne sont ni définis ni harmonisés au niveau (inter)national et l'article 1er de l'Accord sur les ADPIC mentionne que « les membres seront libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en œuvre les dispositions du présent accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques ». Les travaux de l'Organisation mondiale de la santé sur les liens entre propriété intellectuelle, innovation et santé actuellement en cours abondent dans ce sens. En conclusion, il revient en effet à chaque pays de définir dans sa législation ce qu'il entend par « innovant ». Ceci correspond à la pratique actuelle et la Belgique y souscrit.

2. La déclaration de Doha

L'interprétation que l'honorable membre fait de la déclaration de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique est correcte puisqu'elle énonce dans son paragraphe 4 que les pays peuvent interpréter l'Accord sur les ADPIC de façon à répondre aux besoins de santé publique et à promouvoir l'accès aux médicaments. Le paragraphe 4 se lit comme suit : « Nous convenons que l'Accord sur les ADPIC n'empêche pas et ne devrait pas empêcher les membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. En conséquence, tout en réitérant notre attachement à l'Accord sur les ADPIC, nous affirmons que ledit accord peut et devrait être interprété et mis en œuvre d'une manière qui appuie le droit des membres de l'OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l'accès de tous aux médicaments. »

Par ailleurs, il n'est pas inutile de souligner que, dans l'ensemble, les dispositions sur les brevets dans l'Accord sur les ADPIC tentent de concilier intérêts en matière de santé publique et respect de la propriété intellectuelle, étant entendu que ces objectifs ne sont pas nécessairement contradictoires puisqu'il est de l'intérêt général que les entreprises disposent de suffisamment de garanties pour les inciter à investir dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments.

3. Les conséquences d'une victoire de Novartis

L'Inde est un État de droit avec une longue tradition en la matière. Le système légal indien est indépendant et est un des plus évolués au monde. Il s'agit donc de laisser la justice suivre son cours, singulièrement quant à l'interprétation de la section 3(d) interdisant la brevetabilité de dérivés de substances existantes, et il serait présomptueux de tenter de présager de l'issue de ce procès. Le tribunal devra examiner la pertinence du test de brevetabilité et vérifier si l'Office des brevets a respecté les procédures administratives lors du rejet de la requête de Novartis. Il apparaît toutefois peu vraisemblable que l'Inde passe sans transition d'une législation propice à la production de génériques à une législation qui privilégierait à l'excès les intérêts des entreprises. Il ne saurait de toute façon être question de réfléchir en termes soit d'interdiction totale de la brevetabilité de dérivés de substances existantes soit, à l'opposé, de permissivité excessive, susceptible d'engendrer des monopoles, mais bien d'explorer tout un spectre de nuances entre ces deux positions extrêmes.

La plainte introduite par Novartis est sans précédent dans le sens où c'est la première fois que la section 3(d) — qui est sans doute la sauvegarde la plus controversée prévue dans la législation indienne — se voit ainsi remise en question. Une décision dans le sens de ce que souhaite Novartis ne ferait de toute façon pas nécessairement jurisprudence eu égard à la marge d'interprétation fort large qui est laissée aux États — j'en réfère pour se faire aux réponses aux deux première questions de l'honorable membre.

Enfin, je tiens à signaler à l'honorable membre que Novartis, en tant qu'entreprise privée, ne saurait être autorisée à soulever le différend qui l'oppose aux autorités indiennes devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC, l'usage de cet instrument étant réservé aux gouvernements membres.