(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Lors du récent Conseil des ministres regroupant les vingt-cinq ministres des Finances de l'Union européenne, l'homologue français de l'honorable ministre, Thierry Breton, a attiré l'attention des ministres des Finances de la zone euro sur les conséquences de l'appréciation actuelle de la devise européenne.
Certains experts économiques s'accordent en effet sur le fait que le maintien durable de l'euro à un niveau supérieur à 1,30 dollar risque d'aggraver le déficit de notre commerce extérieur. Or l'aggravation de ce déficit pourrait mettre en péril la croissance belge, qui demeure fragile, et, en conséquence, avoir des effets néfastes sur l'emploi en Belgique.
Le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, estime pourtant qu'« il n'y a pas de sentiment d'urgence ». L'Organisation de coopération et de développement économiques juge, quant à elle, que le renchérissement de l'euro n'est pas encore alarmant et qu'il « reflète la vigueur retrouvée de l'économie européenne ». Le Fonds monétaire international ne semble pas plus inquiet, jugeant l'euro correctement valorisé, et la Fédération de l'industrie allemande estime, elle aussi, que de sérieux problèmes ne se poseraient qu'à partir d'un euro dont le niveau atteindrait 1,40 ou 1,50 dollar, alors qu'il n'est actuellement que de 1,31 dollar.
Personnellement, je ne partage pas cet optimisme et je m'interroge sur le manque de pragmatisme de la politique monétaire européenne et sur ses conséquences négatives pour l'économie belge et l'emploi.
Personnellement, je connais des entreprises qui ne peuvent déjà plus exporter vers les États-Unis et l'Amérique du Sud, car elles ne peuvent plus répercuter la hausse de l'euro sur leurs prix et continuer de vendre à perte. La flambée de la devise européenne risque ainsi de menacer la compétitivité de nombre de PME, notamment celles qui produisent en zone euro et qui facturent en dollars, mais dont les coûts sont en euros.
Au vu de cette forte appréciation de la devise européenne, devons-nous nous attendre à de graves répercussions sur notre économie ? Et si ce risque est effectif, comment l'honorable ministre compte-t-il agir afin de tenter de préserver la compétitivité de nos entreprises — et donc l'emploi — dont les exportations sont menacées, et qui pourraient, à terme, être tentées de se délocaliser ?
Réponse : J'ai l'honneur de communiquer à l'honorable membre la réponse suivante.
Avant de passer en revue les possibles conséquences négatives d'un euro « trop » fort sur les performances à l'exportation de nos entrepreneurs, je voudrais rappeler à l'honorable membre quelques avantages d'une monnaie forte pour l'économie, tant au plan macro-économique qu'au plan micro-économique.
Une monnaie forte augmente le pouvoir d'achat des consommateurs et profite également aux entreprises qui achètent leurs inputs en dollars sur les marchés internationaux. Je pense en particulier au renchérissement des prix du pétrole auquel nous avons été confrontés les mois précédents. La bonne tenue de la devise européenne nous a alors permis d'amortir le choc de l'envolée des cours sans dérapage inflationniste ni déséquilibre majeur du système économique européen.
Cette inflation jugulée, notamment grâce à un euro fort, a rendu possible une politique monétaire moins restrictive favorable aux investissements et au soutien de l'activité économique.
Il est bon de rappeler les avantages d'une zone monétaire. En effet, la stabilité de la zone euro d'aujourd'hui, en dépit de dérapages budgétaires dans plusieurs pays européens, combinée à un dollar faible permet le maintien d'un climat des affaires propice aux investissements et aux échanges intra-européens tout en minimisant les risques de change. Avant l'introduction de la monnaie unique, les dérapages budgétaires auraient provoqué de fortes tensions sur le système monétaire européen et un durcissement de la politique monétaire.
Ma réponse à l'honorable membre se structure en 3 points :
1. Taux de change euro/US dollar
L'appréciation de l'euro par rapport au dollar américain a deux effets opposés sur l'économie européenne et belge en particulier :
— D'une part, le raffermissement de l'euro par rapport au dollar US constitue a priori un handicap pour les exportations européennes et belges.
Toutefois, il convient de remarquer que les flux d'échanges intra-communautaires, et en particulier entre la Belgique et ses partenaires européens, sont prédominants. Nos exportations de marchandises vers les partenaires de l'Union européenne (UE-25) représentent environ les trois quarts de nos échanges. Le ratio s'est élevé à 62,4 % en 2005 pour les expéditions vers les pays de la zone euro, considérée dans son ensemble. Les flux commerciaux à destination des États-Unis se montaient à 4,5 % du total.
De plus, si l'on regarde l'évolution du taux de change effectif nominal (moyenne pondérée des taux de changes de l'euro sur un panier plus large de monnaie), on peut constater que l'appréciation de l'euro face au dollar est contrebalancée par l'appréciation d'autres monnaies. Selon la Banque centrale européenne (BCE), le taux de change effectif nominal n'est en effet pas historiquement élevé.
Enfin, la croissance intérieure belge est majoritairement soutenue par la demande intérieure. Les effets d'un euro fort sur la balance commerciale sont donc peu susceptibles d'affecter la croissance du PIB via ce canal.
— D'autre part, l'appréciation de l'euro rend moins chers les produits importés pour lesquels le dollar US est habituellement utilisé pour les transactions commerciales (ainsi les produits pétroliers et autres dérivés utilisés en particulier dans l'industrie chimique, largement exportatrice).
2. La compétitivité
a) Au niveau macroéconomique
À l'exception des matières premières, dont la Belgique est peu dotée, la structure de nos importations est comparable à celle de nos exportations.
Outre l'évolution des cours de change et des matières premières, notre balance commerciale est notamment déterminée par l'intensité de la demande intérieure dans les différentes économies européennes.
Nos exportations sont en effet fortement dépendantes de la conjoncture européenne, où la croissance du PIB est tendanciellement moins rapide que dans d'autres zones géographiques.
Ainsi, la croissance du PIB belge s'est sensiblement accélérée à partir du dernier trimestre de 2005 et durant les trois premiers trimestres de 2006.
Le redressement de l'activité économique 2006, imputable en partie, à une demande étrangère plus favorable qu'en 2005, s'est traduit non seulement par un dynamisme majeur des échanges en 2006 mais également par une contribution positive des exportations nettes à la croissance du PIB.
Des études montrent que la segmentation croissante de la production rend l'évolution à court terme du commerce extérieur moins sensible aux variations temporaires des facteurs coûts et prix, tels que les parités de change ou les coûts relatifs du travail.
Selon l'Institut des comptes nationaux, sur les onze premiers mois de l'année 2006, la Belgique a enregistré un accroissement de ses exportations extra-communautaires à un an d'écart de près de 5,4 % (indice en valeur).
Les autres pays de la zone euro doivent travailler également avec un euro fort ce qui n'empêche pas l'Allemagne et les Pays-Bas d'accroître également leurs exportations extra-communautaires.
Les pays de la zone euro qui souffriront le plus du renchérissement de l'euro sont ceux qui sont en compétition avec l'Asie et ceux qui ont une demande intérieure faible, ce qui n'est pas le cas de la Belgique.
b) Au niveau de l'entreprise
Lorsque l'on évoque le risque qu'une monnaie nationale élevée pourrait avoir sur la compétitivité d'un pays, il ne faut pas oublier de prendre en compte l'ensemble des différents flux monétaires qui animent les échanges.
Un industriel ayant une base de coûts principalement en euros et des facturations en dollars n'a effectivement pas intérêt à avoir un euro trop fort ou tout du moins ne souhaitera pas être soumis à de fortes fluctuations de la monnaie. Inversement, l'industriel ayant une base de coût en dollar et des facturations en euros profitera du taux élevé de ce dernier.
Les secteurs nationaux ne réagissent pas tous de la même façon à l'appréciation du dollar.
Quelques exemples pour illustrer :
En ce qui concerne le secteur pharmaceutique, où des entreprises américaines sont présentes en Belgique, une hausse de l'euro par rapport au dollar génère des profits et est favorable aux investissements d'expansion et à l'emploi.
Dans le secteur textile, les producteurs sont pénalisés par rapport aux importations de textile chinois. Par contre, la vigueur de l'euro a un effet positif sur l'approvisionnement en matières premières, cotées en dollar US, pour lesquels une hausse nominale du prix des fibres est plus facilement absorbée par les producteurs européens.
Un autre exemple avec les secteurs qui exportent en dehors de la Communauté européenne une grosse partie de leurs productions et pour lequel un euro fort peut avoir un impact négatif sur la compétitivité, à l'instar du secteur chimique qui exporte plus de 80 % de sa production.
Enfin, un euro fort a eu des effets positifs sur l'approvisionnement en énergie même si il est bon de rappeler que l'impact de l'adoucissement du choc pétrolier sur l'économie belge est également dû aux changements structurels (tertiarisation et utilisation plus rationnelle de l'énergie) ainsi qu'aux réformes des processus de négociation salariale (adoption de l'index santé et de la loi de sauvegarde préventive de la compétitivité).
3. Remèdes
Il faut signaler que la politique monétaire est du ressort de la BCE dont l'objectif principal consiste à maintenir la stabilité des prix et non celle du taux de change.
Les entreprises spécialisées dans l'exportation extra-communautaire sont confrontées à la concurrence sur les marchés internationaux et sont donc amenées à se prémunir contre de trop fortes fluctuations du cours euro/dollar. Leur expertise et la connaissance des marchés où elles opèrent les amènent à appliquer une politique active de couverture des risques de change. Cette pratique leur permet de gagner du temps et d'adapter leurs structures de façon à réduire leurs coûts industriels.
À cet égard, le rôle des pouvoirs publics consiste à fournir aux entrepreneurs belges un terrain stable et sain, propice au déploiement de leurs activités. C'est grâce à une politique fiscale adaptée, une valorisation de l'innovation et du know how, une politique de crédit permettant la prise de risque et le lancement de nouveaux produits que les entrepreneurs vont pouvoir augmenter leurs parts de marché à l'exportation et le cas échéant, se déployer sur de nouveaux segments de marché nécessitant un nouveau positionnement de notre industrie.
La Belgique s'inscrit tout à fait dans le cadre européen de la Stratégie de Lisbonne. Face au défi de la mondialisation, l'Europe a choisi de mettre en œuvre des politiques visant à accroître le potentiel de croissance de l'économie et à lutter contre le chômage. L'accent est mis sur l'instauration d'un climat des affaires favorable et propice à l'investissement, la promotion de la recherche et développement et de l'innovation, la modernisation du marché du travail et la cohésion sociale. Ces mesures sont par ailleurs reprises dans la déclaration de politique fédérale 2006 — 2007 que j'ai déjà évoquée en commission de l'Économie de la Chambre (mercredi 17 janvier 2007 matin, cf. Doc. CRIV 51 COM 1163).