3-2362/3

3-2362/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

24 AVRIL 2007


Projet de loi modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

M. MAHOUX ET MME TALHAOUI


I. INTRODUCTION

Le projet facultativement bicaméral qui fait l'objet du présent rapport a été déposé initialement à la Chambre des représentants par le gouvernement (doc. Chambre, nº 51-2720/1).

Il a été adopté par la Chambre des représentants le 29 mars 2007, par 91 voix contre 19 et 18 abstentions.

Il a été transmis le 30 mars 2007 au Sénat, qui l'a évoqué le même jour.

La commission a examiné ce projet de loi au cours de ses réunions des 12, 18 et 24 avril 2007, en présence du ministre de la Fonction publique, de l'Intégration sociale, de la Politique des grandes villes et de l'Égalité des chances.

Lors de la réunion du 18 avril 2007, une demande tendant à ajourner les débats à la prochaine législature et à organiser des auditions a été repoussée par la commission.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE L'INTÉGRATION SOCIALE, DE LA POLITIQUE DES GRANDES VILLES ET DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES

« Les démocraties contemporaines se sont bâties autour de l'affirmation de principe que les différences entre individus ne sont pas, a priori, valorisables, ni en droit, ni dans les relations de la vie sociale: ces différences ne peuvent justifier une discrimination entre les personnes.

Les articles 10 et 11 de la Constitution, l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, les articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'article 13 du Traité d'Amsterdam, et d'autres instruments internationaux consacrent ce principe.(...)

Si les différentes normes constitutionnelles et internationales trouvent à s'appliquer directement, elles invitent également le législateur à intervenir pour garantir à chacun une protection efficace et effective contre toute discrimination. Au demeurant, sans loi, il reste difficile de faire valoir un droit à la non-discrimination »

Ces quelques mots sont extraits de l'exposé des motifs de la proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination déposée en mars 1999 par M. Roger Lallemand et Mme Nadia Merchiers.

Redéposée et défendue par M. Philippe Mahoux et consorts, cette proposition est devenue la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre les discriminations, qui constitue un des textes essentiels de l'arsenal législatif de l'anti-discrimination en Belgique.

Ce texte est venu renforcer et compléter deux textes de loi antérieurs.

Tout d'abord, la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie.

Ensuite, la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale.

À côté de ces trois dispositifs généraux, le droit fédéral comporte également, au niveau législatif, divers dispositifs plus spécifiques relatifs à l'égalité de traitement.

La Belgique dispose donc d'un solide arsenal législatif, surtout au niveau fédéral.

La Belgique a affiché de grandes ambitions en matière de lutte contre la discrimination, et s'est placée à l'avant-garde des États européens en la matière.

Divers motifs conduisent cependant à considérer que l'arsenal législatif peut être amélioré, et sur certains points, doit impérativement être corrigé.

C'est l'objet des quatre projets de loi à l'examen (doc. Sénat, nos 3-2362 à 2365).

Premier motif de cette réforme: La conformité au droit communautaire de la lutte contre la discrimination

Les instruments législatifs recensés ci-avant doivent notamment transposer adéquatement, dans les domaines de compétence de l'État fédéral, les directives de l'Union européenne relatives à la lutte contre la discrimination. Or, il s'avère que la transposition réalisée est, à ce jour, et sur de nombreux points, soit déficiente, soit incomplète:

La directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race et d'origine ethnique et la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création du cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ont en principe été transposées, dans le domaine fédéral, par la loi du 25 février 2003 ainsi que par la loi du 30 juillet 1981, en ce qui concerne le volet pénal de la discrimination raciale. Cette transposition est cependant imparfaite: certains dispositifs de la loi contredisent, de manière plus ou moins importante, les exigences posées par les directives susdites. Cette situation vaut à la Belgique d'avoir été d'ores et déjà mise en demeure par la Commission européenne à propos de la transposition incorrecte de la directive 2000/43; l'exercice d'un recours en manquement devant la Cour de justice est attendu. Dans un avenir proche, les mêmes difficultés devraient être rencontrées par la Belgique à propos de la transposition de la directive 78/2000/CE.

Le droit communautaire comporte aussi diverses directives adoptées en vue de réaliser l'égalité de traitement entre femmes et hommes dans le domaine du « droit social », au sens large.

Sur certains points, il s'avère que la transposition réalisée est imparfaite, et encore incomplète En conséquence, la loi du 7 mai 1999 (à titre principal) doit être adaptée.

2e motif de réforme: Les suites directes et indirectes de l'arrêt 157/2004 de la Cour d'arbitrage

Par son arrêt nº 157/2004 du 6 octobre 2004, la Cour d'arbitrage a annulé certains des dispositifs de la loi du 25 février 2003; d'autres dispositifs n'ont évité la censure que moyennant l'obligation de les interpréter de manière conforme aux exigences constitutionnelles.

Les annulations partielles prononcées n'ont pas l'effet de rendre le dispositif de la loi inopérant. Elles en déforcent par contre la lisibilité et la maniabilité pratique.

Ainsi et par exemple, l'arrêt de la Cour d'arbitrage, en tant qu'il a annulé la liste des motifs de discrimination autrefois contenue dans cette loi a pour effet que celle-ci peut maintenant être utilisée aux fins de combattre toutes les discriminations, quel que soit le motif sur lequel elles reposent. Cette extension du champ d'application de la loi peut avoir des effets non désirés dans le domaine des relations de travail, et est à la source de chevauchements entre la loi du 25 février 2003 et d'autres législations adoptées spécifiquement aux fins de régler la question de l'égalité et de la discrimination. En toute hypothèse, la disparition de la liste des motifs de discrimination autrefois contenue dans la loi a pour effet de mettre celle-ci en non-conformité avec les exigences du droit communautaire. Ainsi que la Commission européenne l'a souligné les motifs « européens » de discrimination, visés notamment par les directives 2000/43 et 2000/78, doivent figurer en toutes lettres dans les instruments nationaux de transposition.

3e motif de réforme: La nécessité de réaliser une meilleure coordination entre les divers dispositifs du droit fédéral de la lutte contre la discrimination

En l'état actuel, la loi du 25 février 2003 réalise une coordination de son propre dispositif avec, d'une part, le dispositif de la loi du 30 juillet 1981, et, d'autre part, le dispositif de la loi du 7 mai 1999. La coordination ainsi réalisée n'est cependant pas parfaite, notamment sur le plan conceptuel: ainsi, il subsiste, entre ces différentes lois, des différences dans la manière dont la discrimination est définie.

Plus largement cependant, la coordination susdite doit également être réalisée vis-à-vis d'autres dispositifs du droit fédéral de l'anti-discrimination. Ainsi et par exemple, la lutte contre la discrimination sur la base de l'âge en matière d'emploi relève actuellement et simultanément de la loi du 25 février 2003 et de la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l'emploi.

4e motif de réforme: Une plus grande clarté dans la répartition des attributions en matière de lutte contre la discrimination dans le cadre de la Belgique fédérale

5e motif de réforme: Améliorer l'effectivité des dispositifs fédéraux de la lutte contre la discrimination.

Mesurée à l'aune des procédures judiciaires auxquelles elles ont donné lieu, l'effectivité des législations fédérales de lutte contre la discrimination est fort inégale.

Cette relative ineffectivité, si elle venait à se prolonger et à s'aggraver, deviendrait problématique au regard des obligations européennes de la Belgique.

Une réforme de la législation fédérale de la lutte contre la discrimination, qui viserait à la rendre plus lisible et plus pédagogique, pourrait remédier, en tout ou partie, à cette situation.

Face à cette multiplicité de motifs rendant une révision nécessaire,le ministre a, dès après l'arrêt de la Cour d'Arbitrage annulant partiellement la loi du 25 février 2003, chargé un groupe bilingue d'experts multidisciplinaires de formuler au gouvernement des propositions pour réparer ceux-ci.

Le groupe d'experts était composé de:

— Christian Bayart, avocat, spécialisé en droit du travail, assistant à l'université d'Anvers (rapporteur néerlandophone),

— Sébastien Van Drooghenbroeck, professeur de droit constitutionnel aux Facultés universitaires Saint-Louis (rapporteur francophone),

— Patricia Popelier, professeur de droit public à l'université d'Anvers,

— Jean Jacqmain, professeur de droit social à l'ULB et Vice-président du Conseil pour l'Egalité des Chances entre les Hommes et les Femmes,

Ont aussi participé aux travaux, jusqu'au rapport intermédiaire:

— Bernard Dubuisson, professeur de droit des obligations à l'UCL,

— Eva Brems, professeur à l'Université de Gand, spécialisée en droit de l'Homme et en droits non-occidental;

Des collaborateurs du CECLR, de l'IEFH et du SPF emploi ont participé à plusieurs reprises aux séances de travail.

Les travaux du groupe d'experts ont duré plus de quinze mois.

Le rapport des experts a été présenté en intercabinet sous forme de textes de loi assorti d'un commentaire général. Après une dizaine de longues séances de travail en intercabinet et deux passages en Conseil des ministres restreint, le texte a été présenté au Conseil des ministres du 24 mai 2006. Une série d'options politiques ont été tranchées, mais toujours dans l'objectif de rencontrer les exigences des directives, de l'arrêt de la Cour d'arbitrage et d'assurer la sécurité juridique.

Le gouvernement a approuvé le 24 mai ces avant-projets de loi. Il a chargé le ministre de soumettre les projets au conseil d'État en assemblée générale (afin que le CE clarifie certaines controverses en matière de répartition de compétences), dans un délai de 45 jours. Durant ce délai, le ministre a été aussi chargé de consulter de manière très large les divers secteurs et organismes concernés.

Quelles consultations ?

Les organismes et secteurs consultés (sur la base de la décision du Conseil des ministres):

— le Conseil national du travail,

— le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme,

— l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes,

— le Conseil pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes,

— le Conseil supérieur de la personne handicapée,

— Assuralia.

Ces organes ont remis un avis écrit (sauf le CNT, qui n'a pas pu se mettre d'accord sur un avis et a donc choisi de ne pas se prononcer). Des réunions de travail ont été organisées entre le cabinet et les rapporteurs du groupe d'experts et chacun de ces organes, à une ou plusieurs reprises.

Autres organismes consultés (d'initiative):

— CBFA,

— la ligue fr et nl des droits de l'homme

— le MRAX et le MinderhedenForum;

— la commission des pensions complémentaires

Enfin, le cabinet et les experts ont participé, à l'invitation du CECLR, à des réunions regroupant les secteurs associatifs néerlandophones et francophones de l'anti-racisme et de l'anti-discrimination « non raciale ».

Ce sont des dizaines et des dizaines d'heures de consultation et de réunion. Une vraie consultation, en se donnant le temps de l'échange, de juin à septembre.

La plupart de ces organes et associations ont synthétisés leurs avis par écrit.

Le ministre pense que si les contraintes de temps auxquelles nous faisons face rendent difficiles la tenue de trop longues auditions, nous pouvons être pleinement rassurés quant à l'information de la société civile quant à ces projets de loi, et quant à l'information du parlement des réactions à ceux-ci.

Après l'avis du Conseil d'État et les consultations

Cinq groupes de travail intercabinets ont permis d'adapter le texte à l'avis du Conseil d'État et d'introduire des modifications suite aux consultations menées.

Les parties nouvelles ont été soumises au Conseil d'État.

Les dernières remarques du Conseil d'État ont été intégrées dans le texte à l'examen.

Sur quelles bases ont travaillé les experts ?

Première balise donnée aux experts: La conservation de l'acquis

La réforme proposée n'opère d'aucune manière une table rase sur le passé. À la condition qu'ils soient conformes aux exigences du droit communautaire et du droit constitutionnel, et pourvu qu'ils s'insèrent dans l'objectif d'harmonisation par ailleurs poursuivi, les choix qui inspirent le droit fédéral actuel de la lutte contre la discrimination, sont maintenus. Quant à ces derniers, la réforme proposée respecte l'impératif de Standstill. L'impact de cet impératif est particulièrement significatif dans la détermination du champ d'application matériel et personnel des législations proposées.

Seconde balise : l'harmonisation

Que ce soit au niveau des concepts utilisés, des interdictions, du champ d'application de ces interdictions et des dispositifs qui en assurent l'effectivité, les législations existantes accusent parfois des différences notables et — faut-il le dire — inexpliquées.

Dans la réforme proposée, ces différences ont été réduites dans la mesure de ce que permettaient la correcte exécution des directives communautaires et le souci de praticabilité des législations élaborées.

Cette entreprise d'harmonisation et de réduction des disparités est apparue nécessaire en droit, et ce, sur fondement  des exigences constitutionnelles d'égalité et de non-discrimination. L'arrêt 157/2004 de la Cour d'arbitrage pose un principe d'égalité a priori entre les victimes de discrimination. Cela ne signifie pas que les régimes juridiques applicables doivent être totalement identiques à tous les points de vue. Néanmoins, les différences de traitement qui pourraient exister entre les différents régimes juridiques doivent être susceptibles de justification objective et raisonnable.

Présentation générale de la réforme proposée

1. Appareil conceptuel

Chacune des trois législations est inaugurée par un ensemble de définitions identiques.

La définition qui est donnée aux termes de « distinction » et de « discrimination » est quant à elle empruntée au vocabulaire des directives communautaires: dans la mise en demeure qu'elle a adressée à la Belgique à propos de la directive 43/2000, la Commission européenne a au demeurant fait reproche à la loi du 25 février 2003 d'avoir utilisé un appareil conceptuel qui, en apparence ou en réalité, s'éloigne des définitions communautaires.

L'emprunt au vocabulaire communautaire caractérise également d'autres définitions fournies par les trois législations: ainsi en va-t-il à propos du « harcèlement », des « exigences professionnelles essentielles », des « régimes complémentaires de sécurité sociale », de l' « action positive », des « avantages sociaux », et des « aménagements raisonnables » au profit de la personne handicapée.

2. Champ d'application

2.1. Champ d'application « personnel »: la liste des motifs de discrimination prohibée.

La « loi-racisme » comporte une liste fermée de motifs de discrimination prohibée: la nationalité, la prétendue race, la couleur de peau, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique.

La « loi-genre » comporte également une liste fermée de motifs de discrimination prohibée: le sexe (et les situations assimilées).

S'agissant de la « loi anti-discrimination », le gouvernement estime recommandable d'adopter également une liste fermée de critères de discrimination prohibée. Un tel choix se justifie de la manière suivante.

La loi du 25 février 2003 (art. 2, § 1er) avait initialement opté pour une liste fermée, laquelle excluait la langue et les convictions politiques. Estimant pour sa part que pareille exclusion violait les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour d'arbitrage annula la liste ainsi retenue. Il en est résulté une situation où, à l'exception de ce qui subsiste de son volet pénal initial, la loi du 25 février 2003 fonctionne actuellement sur la base d'une liste totalement ouverte de motifs de discrimination prohibée: en l'absence de liste, elle étend son empire à toute forme de distinction de traitement, quel que soit le critère utilisé.

Cette situation n'est pas satisfaisante, à plusieurs égards.

Tout d'abord, parce que la loi ne comporte plus de référence expresse aux motifs de discrimination prohibée issus des directives européennes (race, origine ethnique, convictions religieuses ou philosophiques, sexe, handicap, orientation sexuelle). Dans la mise en demeure qu'elle a adressée à la Belgique à propos de la directive 43/2000, la Commission a estimé que cette situation méconnaissait les impératifs de transparence et de sécurité juridique imposés par lesdites directives.

Ensuite, il est apparu qu'une « liste ouverte » exemplative serait à la source d'une insécurité juridique inacceptable. Certes pourra-t-on objecter que ce procédé de la liste ouverte exemplative est celui que retiennent les instruments internationaux de protection des droits de l'Homme. Toutefois, la « loi anti-discrimination » a vocation à s'appliquer également dans les rapports « horizontaux » entre particuliers. À ce niveau, un degré supérieur de sécurité juridique s'impose.

Le caractère « fermé » de la liste de critères de discrimination prohibée se recommande également aux fins d'éviter que la loi puisse servir de fondement à un nombre potentiellement infini de revendications en justice, en ce compris les plus farfelues.

Enfin, il est apparu qu'une liste ouverte exemplative de motifs de discrimination prohibée rendrait plus délicate encore, voire carrément impossible, la nécessaire coordination entre le dispositif de la « loi anti discrimination » et le reste de la législation fédérale.

Le gouvernement estime qu'en lui-même, le choix en faveur d'une liste fermée n'encourra pas une nouvelle censure de la part de la Cour d'arbitrage.

Dans cette perspective, le gouvernement a entendu constituer la liste de critères de la « loi anti-discrimination » de la manière suivante.

Le principe de « conservation de l'acquis », qui gouverne l'ensemble de l'entreprise de refonte de la législation fédérale, commande que la base de la liste à constituer soit formée par la liste de critères que contenait autrefois (c'est-à-dire, avant son annulation par la Cour d'arbitrage) l'article 2, § 1, de la loi du 25 février 2003. De cette liste, doivent être retranchés les critères qui, à l'avenir, feront l'objet d'une législation distincte, à savoir, d'un côté, « la prétendue race, la couleur de peau, l'ascendance, la nationalité et l'origine nationale ou ethnique », et, d'un autre côté, « le sexe ». À cette liste, devaient par contre être ajoutés le critère de la langue et des convictions politiques par respect pour l'arrêt 157/2004 de la Cour d'arbitrage.

En opérant ces additions et soustractions, on aboutissait à la constitution d'une liste qui reprend les critères suivants: l'orientation sexuelle; les convictions politiques; la langue; l'état civil; la naissance; la fortune; l'âge; les convictions religieuses ou philosophiques; l'état de santé actuel ou futur; le handicap, une caractéristique physique.

Si tant est que l'on présume l'importance d'un motif au départ de sa mention expresse dans le droit international des droits de l'Homme, la liste ainsi constituée devait encore être davantage élaborée. Le modèle choisi fût la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (art. II-81 du traité établissant une Constitution pour l'Europe), laquelle constitue l'expression la plus récente d'un consensus éthique européen dans la lutte contre la discrimination. Aux fins d'établir la symétrie la plus étroite possible avec ce modèle, et suivant en cela les suggestions du Conseil d'État, ont été rajoutés deux critères; les caractéristiques génétiques et l'origine sociale.

Le seul critère repris dans l'article II-81 précité qui ne dispose d'aucun équivalent explicite ou implicite dans la liste retenue par la « loi anti-discrimination », est donc celui de l'appartenance à une minorité nationale. Dans le droit du Conseil de l'Europe (Convention-cadre sur la protection des minorités nationales), sont notamment considérées comme minorités nationales: les habitants de la Communauté germanophone de Belgique, les Roms, et les Juifs. S'agissant du premier groupe, c'est l'aspect linguistique qui justifie cette qualification. S'agissant du second, c'est plutôt l'aspect ethnique. S'agissant du troisième, c'est plutôt l'aspect religieux. Le droit communautaire européen, et le droit belge qui s'efforce de le refléter, n'appréhendent pas de la même manière la discrimination linguistique (régime souple), la discrimination religieuse (régime sévère) et la discrimination ethnique (régime très sévère). Par conséquent, l'érection de l'appartenance à une minorité nationale en catégorie juridique à part entière, dotée d'un régime propre et unique, aboutira à la constitution d'une « cote juridiquement mal taillée ».

À la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, le gouvernement estime que le choix des critères figurant dans la « loi anti-discrimination » répond suffisamment à une « justification objective et raisonnable », en sorte qu'il ne serait pas jugé discriminatoire par la Cour d'arbitrage si d'aventure il devait être querellé devant elle.

2.2. Champ d'application matériel: les domaines de la lutte contre les discriminations

Les trois législations ont un domaine d'application matériel parfaitement identique.

Le champ d'application assigné aux trois législations combine les héritages des lois du 25 février 2003 et du 7 mai 1999, augmentés des domaines d'application de la directive communautaire ayant la plus grande extension ratione materiae, soit la directive 2000/43 — à l'exception des domaines d'application de cette directive qui se situent intégralement en dehors des compétences de l'État fédéral, à l'instar de l'orientation et de la formation professionnelles, et de l'éducation.

Aux fins d'en assurer la transposition la plus fidèle possible, il a été veillé sur ce point à emprunter le vocabulaire même du droit communautaire, lequel fait l'objet de définitions dans le chapitre introductif des trois lois.

Deux directives doivent gouverner l'interprétation des termes qui configurent ainsi le champ d'application des trois lois.

La première directive, héritée des travaux préparatoires de la loi du 25 février 2003 et expressément mentionnée dans la directive 113/2004 (art. 3, § 1er), est celle de l'exclusion du champ d'application des trois lois, des « affaires strictement privées ». Les termes mêmes utilisés par les trois lois (« accès aux biens et services et la fourniture de biens et services à la disposition du public », « accès, la participation et tout autre exercice d'une activité économique, sociale, culturelle ou politique accessible au public ») comportent une allusion à cette directive interprétative.

La seconde directive est celle de l'interprétation conforme aux règles établies par ou en vertu de la Constitution pour déterminer les compétences respectives de l'état fédéral, des communautés et des régions. Il va de soi en effet que les trois législations, et les procédures judiciaires qu'elles mettent en place, ne pourront trouver à s'appliquer que dans le domaine des compétences de l'État fédéral. Aucune de ces trois lois, par exemple, ne pourra trouver application en matière d'enseignement, dans les rapports entre les écoles et les élèves. Dans un même ordre d'idées, les seuls « biens et services » visés par ces trois lois seront ceux qui se rattachent aux compétences fédérales (assurance, crédit à la consommation, ...), et non ceux qui se rattachent à la compétence régionale, par exemple (transports — sous réserve d'exceptions —, etc. ...). En écho à la remarque qui a été faite sur ce point par le Conseil d'État, cette directive d'interprétation conforme aux règles répartitrices de compétences reçoit, dans les projets de loi à l'examen, une mention explicite.

3. Les discriminations prohibées

Dans la plus parfaite conformité vis-à-vis des directives communautaires, chacune des trois lois appréhende, sous le vocable générique de « discrimination », quatre types de comportements: la discrimination directe, la discrimination indirecte, le harcèlement et l'injonction de discriminer. Dans la « loi anti-discrimination », et en conformité avec la directive 78/2000, l'absence d'aménagements raisonnables au profit de la personne handicapée est mentionnée comme une forme particulière de discrimination au détriment de cette personne.

Conformément à ce que permettent les directives communautaires, les actions positives sont autorisées par les trois lois au titre d'exception à l'interdiction générale de la discrimination. La définition de ce concept est empruntée aux directives elles-mêmes, étant entendu toutefois qu'elle devra, parallèlement, être interprétée de manière conforme à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage relative à la matière. En écho aux remarques formées sur ce point par le Conseil d'État, les acquis de cette jurisprudence ont été expressément codifiés par les projets à l'examen.

4. Les dispositifs sanctionnateurs

4.1. L'objectif à atteindre: des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ».

Usant d'une terminologie classique en droit communautaire, chacune des directives prévoit que les états mettront en place des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » en cas de contravention à la législation qui en assure la transposition

Par le passé, le législateur fédéral a fait le choix de s'acquitter de cette obligation de résultat par une combinaison de dispositifs sanctionnateurs civils et pénaux. La combinaison réalisée ne fut cependant pas identique dans chaque cas. En elle-même, cette « géométrie variable » des dispositifs pénaux ne va pas sans poser certaines questions.

Dans la lignée de la loi du 25 février 2003, il est donc proposé de privilégier le volet civil permettant d'obtenir la cessation des actes discriminatoires ainsi qu'une réelle compensation.

4.2. Les dispositifs civils

Au chapitre civil, les trois lois proposées mettent en place une série de dispositifs parfaitement identiques:

1º Un dispositif de nullité des dispositions contraires, et des clauses de renonciation au bénéfice de la protection de la loi concernée.

2º Un dispositif de protection contre les représailles dans les relations de travail (imposé par les directives communautaires en ce qui concerne les motifs « européens » de discrimination prohibée). Aux fins de conformité aux exigences européennes, il a été prévu que ce dispositif, fonctionnant sur la base d'une « présomption réfragable de représailles » et sanctionné par l'alternative « réintégration/indemnisation », s'appliquerait également aux modifications unilatérales des conditions de travail non équipollentes à rupture, et protégerait également les personnes qui interviennent en qualité de témoins des faits dénoncés.

3º Un dispositif de protection contre les représailles hors des relations de travail. Il s'agit là d'un dispositif sans précédents dans la législation belge, dont l'introduction est cependant rendue obligatoire par les directives 43/2000 (art. 9) et 113/2004 (art. 10). Le système proposé repose également sur une « présomption réfragable de représailles », et est sanctionné par une indemnisation — éventuellement forfaitaire — de la victime. La protection ainsi offerte s'étend également aux personnes qui interviennent en qualité de témoins des faits dénoncés.

4º Une indemnisation forfaitaire. Dans certaines circonstances déterminées, et à titre d'alternative à une indemnisation de « droit commun », les trois lois proposées ouvrent à la victime la possibilité de demander une indemnisation « forfaitaire ».

Dans le système actuel, et à la lumière des données jurisprudentielles d'ores et déjà disponibles, il apparaît que, dans la plupart des cas, l'application du droit commun de la responsabilité civile contractuelle ou extracontractuelle n'offre pas à la victime la possibilité d'obtenir une réparation effective du préjudice par elle subi. La perspective d'une indemnisation satisfaisante est tout à la fois faible et lointaine. L'un des exemples qui permet d'illustrer la proposition qui précède est le suivant. Une personne se voit refuser la location d'un immeuble pour des motifs discriminatoires. Aux fins de faire constater la discrimination qu'elle a subie, elle agit en cessation. A supposer même qu'il constate l'existence de la discrimination vantée, les pouvoirs du juge de la cessation seront extrêmement limités. Il ne pourra contraindre le propriétaire à entrer dans les liens du bail: le principe de l'autonomie de la volonté s'y oppose. Il ne pourra a fortiori prononcer la nullité du bail que le propriétaire aurait par ailleurs conclu avec un autre locataire. Enfin, il ne pourra pas davantage condamner le propriétaire à indemniser le candidat-locataire malheureux: le législateur du 25 février 2003 s'est sur ce point rallié à l'idée qu'il ne convenait pas de confier à la juridiction présidentielle la question de l'indemnisation, au motif que l'engagement de débats relatifs à l'évaluation des dommages ne serait pas compatible avec la célérité de la procédure « comme en référé ». Par conséquent, la victime devra engager une procédure distincte, au fond, aux fins d'obtenir l'indemnisation du préjudice par elle subi. Or, il est peu probable que l'indemnisation qui lui serait offerte au terme de ce long parcours procédural sera substantielle. À titre de dommage moral, les juridictions belges auront en effet tendance à lui offrir l'Euro symbolique. Quant au dommage matériel, il sera bien souvent très difficile à prouver: tout au plus sera-t-il possible de plaider « la perte d'une chance ».

La même démonstration pourrait être livrée, par exemple, à propos d'un refus discriminatoire d'embauche.

La « forfaitarisation » du dommage présenterait, par rapport à la situation ci-avant décrite, un double avantage. Par définition, elle permettrait une économie substantielle de débats: plus rien ne s'opposerait, par conséquent, à ce que le juge de la cessation puisse condamner lui-même l'auteur de la discrimination aux dommages et intérêts ainsi « forfaitarisés ». Ensuite, elle offrirait à la victime une perspective d'indemnisation effective, en lieu et place des Euros symboliques.

Il convient cependant de souligner que si l'on fait le choix de restreindre le volet pénal de la lutte contre la discrimination, l'introduction de tels dommages et intérêts forfaitaires est impérative aux fins que le droit belge continue à offrir une « sanction effective, proportionnée et dissuasive » des discriminations, ainsi que l'exigent les directives communautaires.

Dans le système proposé, le prononcé des dommages et intérêts forfaitaires ainsi décrit est le fait:

— du juge de la cessation devant lequel un acte discriminatoire est dénoncé;

— de la juridiction ordinaire, saisie par application du droit commun, devant laquelle un acte discriminatoire est dénoncé;

— de la juridiction (ordinaire ou de cessation) devant laquelle un acte de représailles hors du domaine de l'emploi est dénoncé.

Enfin, il convient de souligner que la victime est toujours libre de poursuivre la réparation du préjudice par elle subi en application du droit commun de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, et non en application des « forfaits » proposés. Ceux-ci ne sont donc en aucune manière impératifs pour la victime. Par ailleurs, l'indemnisation forfaitaire n'est ouverte qu'au bénéfice de cette seule victime, et non des « groupements d'intérêts » ou des « acteurs institutionnels » (Centre ou Institut) habilités à agir aux fins de dénoncer un manquement à l'une des trois lois.

5º Une action en cessation. Chacune des trois lois créera une action en cessation identique, dont le modèle de base, repris de l'action en cessation crée par la loi du 25 février 2003, a été amélioré par l'adjonction de dispositifs issus d'autres lois particulières ayant institué des actions en cessation. Les traits saillants du dispositif proposé résident dans:

— la possibilité donnée au juge de la cessation de condamner l'auteur de la discrimination querellée aux dommages et intérêts forfaitaires — mais uniquement à ceux-ci — institués par les trois lois.

— l'octroi, au ministère public, ou, le cas échéant, à l'auditorat du travail, du droit d'introduire lui-même l'action en cessation.

— l'introduction du délit de Contempt of Court, c'est-à-dire, la pénalisation du comportement consistant à ne pas se plier aux injonctions adressées par le juge de la cessation.

Enfin, les projets de loi prévoient que les plaintes seront systématiquement communiquées au ministère public et que celui-ci devra tout aussi systématiquement siéger lors de toutes les procédures, au fond, comme en cessation.

Par ailleurs, les projets de loi l'habilitent à agir lui-même en justice devant les juridictions civiles, du travail ou commerciales.

Ces mécanismes spécifiques que le gouvernement souhaite insérer visent à permettre que la société soit présente et défende lors des procédures ses valeurs et intérêts aux côtés des victimes.

4.3. Les dispositions pénales

4.3.1. La définition des actes de discrimination sanctionnés

Le chapitre pénal de chacune des trois lois comporte une disposition liminaire précisant le sens que le terme de « discrimination » revêtira dans le cadre dudit chapitre. À ce niveau, il est précisé que la « discrimination » pourra notamment viser les « discriminations indirectes ». Ceci mérite quelques mots d'explication.

En effet, dans son arrêt du 6 octobre 2004, la Cour d'arbitrage avait clairement indiqué que seule la répression pénale des discriminations intentionnelles pouvait être admise. Elle en avait tiré pour conséquence que la répression pénale des discriminations indirectes était inadmissible.

En son avis du 11 juillet 2006 rendu à propos des présents projets de loi, la section de législation du Conseil d'État a formulé des critiques substantiellement identiques.

Le gouvernement partage sans réserve la prémisse sur laquelle se fonde le raisonnement de la Cour d'arbitrage et du Conseil d'État: seules les discriminations intentionnelles pourront entrer en ligne de compte dans le cadre du chapitre pénal des trois lois. Au demeurant, les trois projets de loi le précisent expressément.

En revanche, il ne partage pas la conclusion selon laquelle la discrimination indirecte n'est jamais susceptible d'être intentionnelle. D'une certaine manière, la Cour d'arbitrage a sur ce point été induite en erreur par la mauvaise définition que la loi du 25 février 2003 donne de la discrimination indirecte. Selon les directives communautaires en effet, la discrimination indirecte vise, non pas « la disposition, le critère ou la pratique apparemment neutre qui a en tant que tel un résultat dommageable (...) » (définition de l'article 2, § 2, de la loi du 25 février 2003), mais bien « la disposition, le critère ou la pratique apparemment neutre qui est susceptible de (...) entraîner un désavantage particulier ». À l'aune de cette définition européenne (reprise dans les trois lois proposées), qui identifie la discrimination indirecte par référence à un résultat effectivement produit ou dont on estime probable qu'il advienne en fonction de l'expérience commune, il devient parfaitement concevable qu'une discrimination indirecte soit « anticipable », et donc, puisse être « intentionnelle » dans le chef de celui qui la commet. Au demeurant, les premières affaires dans lesquelles la Cour de Justice des Communautés européennes fut confrontée à des phénomènes de discrimination indirecte entre hommes et femmes, étaient des affaires où l'auteur des mesures querellées cherchait intentionnellement à contourner l'interdiction de discrimination directe entre hommes et femmes comminée par le droit communautaire.

Les remarques qui précèdent ne visent pas à affirmer que la discrimination indirecte, et l'incitation à celle-ci, sont toujours et nécessairement intentionnelles, et peuvent par conséquent être pénalement réprimées. Simplement insistent-elles sur le fait qu'une discrimination indirecte et une incitation à celle-ci peuvent être intentionnelles: il appartiendra au juge pénal de l'apprécier au cas par cas. Peut-on sérieusement contester que celui qui incite les propriétaires à ne pas louer leurs logements à des personnes nées en Afrique sait que, ce faisant, il incite à un comportement qui désavantagera surtout les personnes noires de peau ?

3.2. L'identification des comportements pénalement sanctionnés

La Cour d'arbitrage, dans son arrêt 157/2004 prononcé le 6 octobre 2004, a considéré que « lorsque le législateur opte pour la voie pénale, il relève de son pouvoir d'appréciation de déterminer quels sont les comportements qui méritent d'être pénalement sanctionnés » (B. 19). La Cour d'arbitrage pourrait ainsi faire preuve d'une certaine tolérance face aux différences affectant les dispositifs pénaux des lois luttant contre la discrimination.

L'option choisie consiste à calquer l'ensemble des dispositifs pénaux sur un noyau qui prendrait essentiellement appui sur les choix posés par le législateur lors de l'adoption de la loi du 25 février 2003, à l'exception de l'avant-projet « race ». Dans ce domaine en effet, le gouvernement se rallie à l'amendement déposé à la Chambre visant à maintenir les dispositions actuelles de la loi dite « Moureaux » incriminant les discriminations sur base de la race dans le domaine de l'emploi et de l'accès aux biens et services. Et ce, comme l'indique la justification de l'amendement, au motif de la portée symbolique négative qu'aurait, dans la société belge, la suppression de ces infractions.

De plus, compte tenu des obligations internationales qui lient la Belgique en matière de discrimination raciale, et en particulier, de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 21 décembre 1965 qui lui impose de pénaliser certains comportements, la « loi-racisme » devra, outre ce dispositif, déclarer pénalement sanctionnable: « toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale » ainsi que « la participation aux organisations, aux activités de propagande organisée et à tout autre type d'activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l'encouragent ».

Son article 4 dispose en effet que les États s'engagent notamment:

« a) à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement;

b) à déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d'activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l'encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités;

c) à ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques, nationales ou locales, d'inciter à la discrimination raciale ou de l'encourager ».

5. La charge de la preuve

Conformément à ce qu'exigent les directives communautaires (directive 43/2000, art 8; directive 78/2000, art. 10 ...), chacune des trois lois comporte un chapitre identique relatif au « renversement de la charge de la preuve ». A dire vrai, il s'agit davantage d'un « partage de la charge de la preuve ». Au plaignant, il appartiendra de produire des faits ou tout autre élément de preuve susceptibles de faire naître une présomption de discrimination (prima facie case); au défendeur, il appartiendra alors de renverser cette présomption.

Ainsi que mentionné par les textes de lois proposés, ce partage de la charge de la preuve a vocation à s'appliquer à toute procédure juridictionnelle visant à la mise en œuvre desdites lois — en ce compris les procédures ordinaires menées devant les juridictions civiles et les procédures menées devant le Conseil d'État —, à l'exception des procédures pénales.

Les faits et autres éléments de preuve susceptibles de faire naître la présomption de discrimination peuvent être de toute nature.

Les projets ont été amendés sur ce point à la chambre, afin de préciser plus globalement le principe du renversement de la charge de la preuve que ne le fait la disposition contenue dans la loi de 2003. L'objectif est donc de clarifier les éléments permettant au juge de présumer de l'existence d'une discrimination, faisant de ce fait incomber la charge de la preuve à la partie défenderesse. Ces éléments et méthodes ont été inspirés par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes et des jurisprudences nationales. Le ministre renvoie aux très larges commentaires et explications fournis par un expert et par lui-même, ainsi qu'à notre réponse aux remarques du conseil d'État.

6. Le droit d'action collectif

Les directives communautaires imposent la reconnaissance d'un droit d'action collectif au profit des « associations, organisations et personnes morales » (voy. p. ex. l'art. 9 de la directive 78/2000). Baptisés « groupements d'intérêts » (belangenverenigingen), les associations auxquelles ce droit d'action est reconnu par les trois lois sont les mêmes que celles que visent actuellement les dispositifs combinés des lois du 25 février 2003 et du 7 mai 1999.

Le gouvernement a cependant modifié l'indication de la « durée de vie » exigée des groupements d'intérêts aux fins de se voir reconnaître le droit d'action d'intérêt collectif. Le délai de trois ans (au lieu de cinq, comme actuellement exigé par la loi du 25 février 2003, la loi du 7 mai 1999 et la loi du 30 juillet 1981) a été retenu.

7. Les acteurs institutionnels de la lutte contre la discrimination.

Dans le cadre de la « loi-racisme », l'acteur institutionnel désigné aux fins de promotion de l'égalité de traitement — en ce compris aux fins d'action en justice —, sera le Centre pour l'égalité des chances. Il s'agit là de la situation qui prévaut actuellement. La loi organique du Centre est adaptée en conséquence.

Dans le cadre de la « loi-genre », l'acteur institutionnel désigné aux fins de promotion de l'égalité de traitement — en ce compris aux fins d'action en justice — sera l'Institut pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il s'agit là de la situation qui prévaut actuellement. La loi organique de l'Institut est modifiée en conséquence.

Dans le cadre de la « loi anti-discrimination », l'acteur institutionnel désigné aux fins de promotion de l'égalité de traitement — en ce compris aux fins d'action en justice — sera le Centre pour l'égalité des chances. Une fois encore, le projet a « consolidé » sur ce point la situation existante.

La compétence relative à la discrimination basée sur la langue, prohibée par la « loi anti-discrimination », est confiée à une institution publique spécialisée. En effet, en raison de l'existence d'un régime juridique complexe en matière d'emploi des langues et de la structure institutionnelle propre de notre État, il est nécessaire qu'une institution spécialisée dans le régime juridique existant en matière d'emploi des langues et l'organisation institutionnelle de notre État soit chargée de cette compétence.

Voici la portée du projet à l'examen.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Mahoux constate que le gouvernement a choisi de traiter les discriminations liées au genre dans une loi particulière (doc. Sénat, nº 3-2363) alors que le législateur de 2003 avait considéré qu'il ne fallait pas considérer la discrimination basée sur le genre comme une discrimination spécifique par rapport aux autres.

L'intervenant demande des clarifications concernant l'approche pénale et civile de la discrimination. Il constate que la pénalisation s'applique à l'incitation à la discrimination et à la discrimination commise par un officier public.

De même, il demande des précisions sur les avancées réalisées par rapport aux tests de situation.

M. Mahoux se réjouit par ailleurs que l'incrimination pénale soit maintenue pour les discriminations basées sur une prétendue race.

Enfin, l'intervenant constate que l'annulation partielle par la Cour d'arbitrage de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination n'a pas rendu celle-ci totalement sans effet. Une série de décisions judiciaires fondées sur ce texte ont été prononcées. M Mahoux s'inscrit en faux contre l'affirmation selon laquelle les lois anti-discrimination ont un caractère purement symbolique et que les tribunaux ne s'en saisissent pas. Le problème n'est pas lié à une inapplicabilité des textes mais plutôt à une absence de volonté de poursuite des parquets. C'est cette non-application de la loi par les tribunaux qu'il faut dénoncer plutôt que soutenir qu'il faut rendre les textes applicables.

Mme Nyssens reconnaît l'effort de réparation et de coordination des quatre projets à l'examen. Son groupe soutient les objectifs de ces textes fondamentaux même si leur application pratique n'est pas toujours aisée.

L'intervenante note que les projets font parfois des choix différents par rapport aux directives européennes qu'ils visent à transposer. En quoi les textes se distinguent-ils d'une fidèle transposition des directives ? La Belgique ne risque-t-elle pas une nouvelle condamnation par la Commission européenne ? Les textes passeront-ils la rampe du contrôle communautaire ?

Mme Nyssens demande des précisions sur les notions de « distinction » et « discrimination ». Va-t-on pouvoir, dans la pratique faire la distinction entre ces notions ? D'autre part, dans de nombreux secteurs, des distinctions sont opérées, par exemple sur la base du critère de l'âge. Elle pense notamment au secteur des assurances. Elle demande si de telles distinctions restent licites.

Il est d'autre part prévu que le Roi créera un organe compétent pour les discriminations basées sur la langue. Ce contentieux sera-t-il attribué à un organe existant ou va-t-on créer un nouvel organe à cet effet ?

En ce qui concerne les tests de situation, il n'est plus prévu de les régler par arrêté royal, ce qui s'est avéré trop complexe à réaliser dans le passé. Il est désormais proposé que la partie discriminée puisse apporter au magistrat des éléments qui entraîneront un renversement de la charge de la preuve. Le texte modifie-t-il la manière dont les choses se passent actuellement devant les juridictions ?

Mme Talhaoui se réjouit du fait que les projets de loi sont enfin soumis à l'examen du Sénat, après avoir été discutés longuement à la Chambre des représentants. Le groupe politique auquel elle appartient apporte son soutien inconditionnel aux projets de loi.

De nombreux rapports, tant nationaux qu'internationaux, notamment du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et l'Institut pour l'égalité entre l'homme et la femme, révèlent qu'il y a encore beaucoup à faire dans le cadre de la lutte contre le racisme et la discrimination. Il est indispensable d'évaluer en permanence les efforts consentis en la matière. Une vigilance de tous les instants est requise. Les projets de loi à l'examen ont déjà suscité pas mal de discussions sur la pénalisation ou non du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme. L'intervenante et le groupe politique auquel elle appartient se réjouissent du fait que l'esprit essentiel de la loi de 1981 a été maintenu. L'antiracisme occupe une place particulière au sein de l'antidiscrimination, y compris à l'échelle internationale, et constitue un signal de vigilance dans toute société, en particulier dans la société interculturelle contemporaine.

De 1981 au début de l'année 2000, peu de choses ont été faites en matière de pénalisation du racisme et ce, uniquement parce que les parquets et les instances qui étaient chargées de contrôler le respect de la législation ne disposaient pas de l'arsenal nécessaire pour accomplir leur mission.

Ces dernières années, l'on constate toutefois que les parquets, notamment celui d'Anvers, se sont sensibilisés à une adaptation de la loi de 1981.

L'intervenante se réjouit du fait que le système pénal et le système civil subsistent dans la législation cohérente à l'examen.

Il est clair qu'une grande cohérence s'imposait, par exemple pour les arrêts de la Cour d'arbitrage et la législation européenne y afférente.

Un long chemin doit encore être parcouru en matière d'égalité entre l'homme et la femme. C'est ainsi qu'un grand mouvement de rattrapage s'impose en matière d'égalité sur le lieu de travail et d'égalité salariale.

Le débat sur les tests de situation et les personnes de référence doit aussi avoir lieu et l'intervenante attend du ministre qu'il lui fournisse des précisions notamment sur les applications pratiques. Le but est de provoquer un changement de mentalité dans la société, à tout le moins dans la vie économique. Quiconque vit sur le territoire belge, quel que soit sa religion ou son origine, doit pouvoir jouir de l'égalité des chances, y compris en matière d'emploi.

M. Ceder fait remarquer que l'arrêt de la Cour d'arbitrage date de 2004. Or on demande d'encore vite voter la présente loi deux semaines avant la dissolution du Parlement.

Le ministre concède que son Comité d'experts a travaillé quinze mois à ce projet. Le Sénat, institution désignée par la Constitution et les citoyens pour faire les lois, se voit accorder moins de quinze jours pour adopter ces lois particulièrement importantes. Il ne s'agit en l'occurrence pas d'une simple amélioration d'une loi en vigueur. Il s'agit de trois lois flambant neuves, avec une structure, un arsenal de notions et une logique propres, à savoir une nouvelle loi antiracisme, une nouvelle loi antidiscrimination et une nouvelle loi sur le genre, le tout complété par un projet de loi bicaméral visant à rendre les autres lois techniquement possibles et à les appliquer.

Le tout doit être fait à la va-vite. Qu'y a-t-il de si urgent qui ne permette pas au nouveau Parlement, qui sera élu le 10 juin, d'examiner et de traiter les projets en question de manière posée et approfondie ?

On ne peut pas oublier que la précédente loi réprimant le racisme était particulièrement mal conçue. La précédente loi antidiscrimination était, est-il possible, encore plus mal conçue et rédigée, à tel point que la Cour d'arbitrage en a annulé davantage de dispositions qu'elle n'en a laissé. Les références à la discrimination indirecte, l'interdiction de diffuser des écrits discriminatoires, la suppression de la liste des critères de protection, etc. Au bout du compte, seule est restée une loi considérée — heureusement — par tous comme impraticable. Le seul à en avoir jamais souffert fut le couple de personnes âgées qui, ignorant tout de la loi, vit soudain son nom et sa photo publiés dans les journaux parce qu'il préférait ne pas louer son appartement à un couple homosexuel.

Allons-nous commettre aujourd'hui de nouveau les mêmes erreurs et adopter à la sauvette ces lois pénales, qui sont d'ailleurs loin d'être simples, qui assortissent d'ailleurs le débat politique et le droit à la liberté d'expression de graves restrictions, avec toutes les erreurs juridiques et de contenu qu'elles contiennent ? Elles contiennent des erreurs et des lacunes. Il ne peut en être autrement. Il en va toujours ainsi des lois idéologiques dont le contenu dépend plus de la volonté idéologique d'accéder à l'égalité que de la volonté de promulguer des lois correctes.

Lors de son intervention en séance plénière à l'occasion de la précédente loi antidiscrimination, l'intervenant a annoncé que son groupe politique voterait contre la loi, mais qu'il n'était par contre pas mécontent de son adoption, dans la mesure où il était déjà clair que la loi était à ce point mauvaise qu'elle ne résisterait pas à l'arbitrage. Mieux vaut une loi au contenu mauvais qui est aussi mauvaise formellement qu'une loi au contenu mauvais mais qui serait correcte du point de vue formel et légistique.

Avec plusieurs de ses collègues de parti, M. Ceder a saisi la Cour d'arbitrage avec le résultat qu'on connaît. Il se demande si le gouvernement entend lui renouveler ce même plaisir, dans la mesure où les lois à l'examen ne semblent pas être beaucoup moins boiteuses.

Cela commence dès l'article 2 où le gouvernement manque totalement à son devoir de motivation pour les lois pénales et les restrictions à la liberté d'expression en renvoyant à une directive européenne de la Convention des Nations unies qui interdit ou punit pourtant beaucoup moins que le projet à l'examen (et les autres projets). L'exemple le plus frappant est l'interdiction de faire une distinction sur la base de la nationalité, de la citoyenneté, qui est exclue expressément par les deux actes internationaux. Il ne s'agit pas d'un ajout innocent dans la mesure où le débat politique tourne souvent autour de ce type de distinction, notamment en ce qui concerne le droit de vote, l'accès à l'armée ou à la fonction publique, etc.

À l'article 4 et dans plusieurs autres articles, on s'efforce de réintroduire la notion de discrimination indirecte, ce qu'a déjà rejeté la Cour d'arbitrage. Selon le Conseil d'État, la nouvelle définition de la notion de « discrimination indirecte » est en fait pire et plus inacceptable encore que la précédente.

À l'article 20, l'incitation à certains comportements est pénalisée alors que le comportement en soi n'est pas punissable, ni même interdit en droit civil.

L'article 21 introduit une disposition dont le spécialiste en discrimination Vrielink déclare qu'elle est révolutionnaire dans la mesure où elle rend directement punissable la dispersion d'idées.

À l'article 22, l'on a récupéré par « copier-coller » une vieille disposition très bancale de l'ancienne loi sur le racisme avec des notions et une terminologie qui ne sont pas adaptées au nouveau projet.

L'intervenant signalera chaque fois les manquements lors de la discussion des amendements.

Tout comme pour la loi précédente, le résultat est prévisible. Ces lois très politiques et idéologiques doivent encore vite être adoptées avant les élections, au mépris des règles de bon sens et de minutie. Au final, ces lois devront de nouveau être passées au crible par la Cour d'arbitrage et l'on peut d'ores et déjà prendre rendez-vous pour dans quelques années (de préférence juste avant la fin de la législature). Au moins certains des membres actuels seront de nouveau assis sur ces bancs.

L'intervenant propose dès lors que ces projets soient retirés de l'ordre du jour et que l'on laisse au nouveau Parlement le soin d'examiner consciencieusement ces questions; ces projets commencent à faire l'objet d'une littérature intéressante, d'auditions et tout ce qui s'en suit, dans la perspective d'examiner et d'étudier correctement ces très profondes restrictions de la liberté d'action et d'expression des citoyens.

M. Chevalier déclare que le groupe VLD soutiendra les projets de loi à l'examen. Il ne partage pas la critique selon laquelle ces textes sont traités dans la précipitation dans la mesure où le ministre y a travaillé plus de quinze mois. On peut donc difficilement dire que le texte à l'examen n'a pas été mûrement réfléchi.

Un cadre législatif qui sanctionne la discrimination est absolument nécessaire. On ne peut toutefois pousser trop loin le jugement d'opinions et d'idées. C'est ainsi qu'en tant que juriste et libéral, l'intervenant est par exemple farouchement opposé à des dispositions qui renversent la charge de la preuve. La personne qui est présumée avoir commis une infraction déterminée doit alors démontrer qu'elle ne l'a pas fait. L'intervenant considère cette évolution comme inquiétante. Il déplore que le nouveau Code de procédure pénale ne progresse pas à la Chambre des représentants, alors qu'il pourrait constituer un contrepoids à toutes sortes d'abus. Les droits de la défense en seraient en effet mieux garantis.

L'intervenant estime que la Belgique se trouve à la limite de l'État policier, avec moins de respect pour les droits de l'homme et les droits de la défense. Un des magistrats l'a d'ailleurs souligné à la faveur d'une réunion avec la Haute Magistrature. La magistrature se doit d'attirer chaque jour l'attention des jeunes magistrats sur ce danger.

L'intervenant réitère que son groupe politique soutiendra le texte à l'examen dans l'espoir qu'il doive être appliqué le moins possible. Il espère que la loi aura un caractère suffisamment dissuasif pour les personnes enclines à la discrimination.

Mme Durant se réjouit du dépôt des textes à l'examen et souhaite qu'ils puissent entrer en application dès que possible.

Elle pense que le projet de loi tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, s'il avait été en vigueur, aurait peut-être permis de réagir plus activement face à des déclarations tenues récemment par un homme d'église sur les homosexuels et les lesbiennes. Elle regrette cependant que la notion de « sexisme » ne figure pas dans les critères de discrimination. Cela aurait permis d'identifier plus clairement des discriminations à l'égard des femmes.

Mme Talhaoui tient à souligner que le racisme n'est pas une opinion, mais une infraction. Elle se réfère à la littérature spécialisée anglo-saxonne à ce sujet. Le racisme exige une vigilance de tous les instants.

M. Ceder renvoie aux articles 1er et 2 du projet de loi nº 3-2362 qui fait référence aux dispositions internationales, alors que l'article 4, 4º, cite aussi, parmi les critères protégés, la nationalité, donc le fait d'être ressortissant ou non de l'État belge. C'est étrange, étant donné que ce critère a été supprimé de l'ancienne loi antiracisme. De plus, ce critère n'est pas imposé par les traités internationaux.

Mme de T' Serclaes soutient les projets à l'examen car ils visent à restructurer les différentes lois anti-racisme et anti-discrimination votées depuis 1981. Elle constate que l'option retenue par le gouvernement donne raison à ceux qui avaient soutenu, lors de la discussion de la loi de 1993, que les discriminations hommes/femmes devaient être sorties de la liste générale des discriminations en raison du caractère fondamental et irréductible de la distinction hommes/femmes. Elle se réjouit qu'un texte de loi distinct soit consacré à cette problématique car cela souligne le caractère encore plus fondamental de cette discrimination par rapport aux autres.

L'intervenante doute cependant que les citoyens parviennent encore à s'y retrouver dans ces distinctions parfois subtiles entre des notions de « distinction directe », « discrimination directe », « distinction indirecte » et « discrimination indirecte ». De même, la différence entre la notion de « harcèlement » et celle de « harcèlement sexuel » est d'une subtilité difficile à percevoir pour des non juristes. Elle doute d'ailleurs de l'intérêt pratique d'opérer de telles nuances.

Mme de T' Serclaes s'interroge également sur les conséquences des projets de loi sur le calcul des primes d'assurance applicables aux femmes.

Réponses du ministre

Le ministre partage la joie exprimée par une série de membres par rapport aux textes à l'examen. Il souligne la nécessité de disposer d'un arsenal législatif permettant de lutter contre les discriminations. La violation des lois anti-discrimination ne peut être banalisée. De même, l'impunité en la matière nuit à la cohésion sociale.

L'intervenant fait remarquer que les adaptations aux lois visant à lutter contre les discriminations s'imposent également en raison de facteurs externes. Les projets visent à appliquer au mieux les directives européennes en tenant compte de nos acquis fondamentaux et de l'arrêt de la Cour d'arbitrage.

Les modifications proposées ont fait l'objet d'un long travail préparatoire. Elles ont été précédées par de nombreuses concertations (Conseil national du travail, secteur des assurances, etc.) et un large débat public. Le Conseil d'État a, à deux reprises, rendu un avis sur les projets de loi qui ont en partie été adaptés aux remarques formulées.

La réforme proposée s'articule autour de trois axes, qui correspondent aux trois régimes spécifiques organisés par les directives.

Le ministre pense que les lois actuelles sont applicables sur le terrain mais que les sanctions prévues sont symboliques, ce qui est frustrant pour les victimes. Le gouvernement a dès lors voulu rendre les sanctions moins symboliques.

En ce qui concerne les tests de situation et la charge de la preuve, le ministre rappelle que ce sont les directives européennes qui imposent un régime de renversement de la charge de la preuve en matière civile. Ce renversement s'impose aux autorités nationales, c'est-à-dire le gouvernement et les juges. Le ministre pense qu'il est plus correct de parler de partage de la charge de la preuve. Les projets organisent ce partage en prévoyant une procédure en trois étapes:

— une partie qui s'estime discriminée invoque un ou plusieurs faits devant le juge.

— le juge apprécie si ce ou ces faits allégués sont significatifs. Le système est ouvert et basé sur la jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes.

— le juge se tourne ensuite vers l'auteur présumé de la discrimination pour demander s'il a un objectif légitime, une raison objective justifiant la distinction de traitement.

Le ministre se réjouit également de la pénalisation des actes de racisme car cela a une portée symbolique évidente.

Sur la différence entre la notion de « discrimination » et celle de « distinction », le ministre précise que, en règle, la discrimination est une distinction qui n'est pas justifiée selon les dispositions prévues dans les projets à l'examen.

L'employeur qui engage une personne car elle dispose d'un diplôme spécifique contrairement à un autre candidat qui est écarté, fait, aux yeux de l'intervenant, une distinction légitime.

Sur la question des assurances, le ministre répond que les projets ne changent rien à la situation existante. Par contre, il rappelle que pour fin 2007 la Belgique devra établir la liste des distinctions qu'elle estime justifiables et acceptables. L'établissement de la liste est une responsabilité du ministre compétent pour les assurances. Il devra, en concertation avec le secteur, définir quelles sont les formes de segmentation acceptables.

M Mahoux rappelle que dans l'espèce humaine, il n'y a pas de races. Il est dès lors essentiel que le projet de loi nº 3-2362 vise les distinctions fondées sur une prétendue race.

Par ailleurs, en ce qui concerne le débat sur les assurances, l'orateur précise que la segmentation du marché des assurances santé peut avoir pour effet que les assureurs sélectionnent les risques pour appliquer des primes modulables. Cela n'est cependant pas neutre. En effet, une segmentation à outrance aura des conséquences au niveau de l'accessibilité aux couvertures d'assurance pour les personnes faisant partie des moins bons risques.

M. Ceder se réfère à sa question relative à l'article 4, 4º, du projet de loi nº 3-2362. Pourquoi le critère de nationalité y a-t-il été repris ?

Le ministre rappelle que l'un des objectifs de la réforme est d'assurer la compatibilité du droit belge avec le droit communautaire qui n'était pas assurée par les législations existantes. La Belgique a d'ailleurs été mise en demeure par la Commission européenne en février 2006 et en mars 2007.

L'intervenant est convaincu que la réforme met le droit belge en conformité avec le droit européen. Certes, le droit européen n'a en vue que sept critères de discrimination. La réforme va plus loin en reprenant plus de critères. Ce faisant, elle ne viole pas le droit communautaire car elle va plus loin que ce que le droit européen impose.

De même, le champ d'application matériel de la réforme est plus large que ce qui est imposé par le droit communautaire. Il faudra cependant que d'autres législateurs belges fassent les adaptations nécessaires dans leur domaine de compétence afin d'assurer l'exécution complète des directives.

Au-delà de ce qu'impose le droit communautaire, rien n'empêche la Belgique d'étendre sa législation à d'autres situations. Cette extension est nécessaire car il faut également tenir compte des principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination qui pourraient faire obstacle à la mise en place de législations taillées exclusivement à la mesure des directives européennes mais qui laisseraient sans protection toute une série de personnes se trouvant dans des situations analogues. Cette conformité est notamment assurée par la distinction entre les notions de « discrimination » et de « distinction ».

Quant à la différence entre « distinction » et « discrimination », le ministre répond que la notion de « distinction » est neutre. La distinction se mue en discrimination lorsqu'elle ne peut pas être justifiée. Il s'agit de notions élémentaires dans l'application de la législation antidiscrimination. Chaque juge est tenu d'établir cette distinction qu'il convient également de mentionner explicitement dans la législation. Un des problèmes principaux que pose la législation actuelle est précisément son caractère trop vague qui la rend difficilement applicable. Cette correction technique a de surcroît une grande valeur pédagogique.

Il faut par ailleurs concilier le système de l'approche classique belge, lequel a donné lieu au concept de la justification objective et raisonnable et aux choix opérés en 2003, notamment l'élargissement du champ d'application de la législation belge antidiscrimination par rapport à la réglementation européenne et la définition d'autres critères, avec l'exigence européenne selon laquelle, dans certains champs d'application clairement délimités et pour certains critères, une distinction engendre automatiquement une discrimination. Pour concilier l'exigence du droit européen avec l'approche belge du principe d'égalité, il était nécessaire d'inscrire ces deux concepts dans la loi.

En ce qui concerne la discrimination indirecte, l'intervenant souligne que cette notion doit nécessairement être inscrite dans la loi dès lors que le droit européen l'exige. La Cour d'arbitrage n'a en outre jamais rejeté la notion de discrimination indirecte. Celle-ci figure d'ailleurs déjà explicitement dans la loi actuelle relative à la discrimination. Enfin, l'intervenant rappelle que la discrimination indirecte peut être à la fois volontaire et involontaire. Elle est volontaire lorsqu'une personne s'appuie sciemment sur un critère neutre pour contourner une interdiction de discrimination directe. La discrimination indirecte volontaire est également reconnue expressément dans la jurisprudence de la Cour européenne de justice. Il est possible d'ériger la discrimination indirecte volontaire en infraction sans porter atteinte aux garanties classiques que doit offrir la législation pénale.

Sur le critère de la nationalité, le ministre rappelle que ce critère de distinction a toujours figuré dans la loi de 1981, parfois, au gré des différentes modifications apportées cette loi, de manière moins explicite, sous la notion « d'origine nationale ». Dans leurs arrêtés respectifs du 21 avril 2004 et 9 novembre 2004, la Cour d'appel de Gand et la Cour de cassation a reconnu que le critère de nationalité était visé par la notion « d'origine nationale ». Le projet de loi nº 3-2362 n'ajoute dès lors rien par rapport au texte existant.

M. Ceder souligne que le critère de nationalité était, à l'origine dans la législation antérieure sur le racisme, associé à « l'intention de ».

On a finalement estimé que « nationalité » avait la même signification qu'« origine nationale » et on l'a supprimée. On réintroduit aujourd'hui ce critère. Pour quelle raison ?

Le ministre répond que c'est pour mettre fin à cette controverse que le critère de la nationalité est « réexplicité » à côté de celui de l'origine nationale. La notion de nationalité n'avait pas été supprimée de façon systématique dans la législation en vigueur. Dans certaines dispositions, les critères de nationalité et d'origine nationale coexistaient alors que d'autres dispositions utilisaient uniquement la notion d'origine nationale. Il a semblé souhaitable de profiter de la réforme pour lever toute confusion en la matière.

L'intervenant souligne que le projet ne traite pas les distinctions fondées sur la nationalité de manière aussi sévère que celles fondées sur une prétendue race ou la couleur de peau. Le projet laisse la possibilité de justifier une distinction de traitement basée sur la nationalité moyennant le recours aux objectifs légitimes et aux moyens proportionnés. La distinction de traitement fondée sur la nationalité doit également être conforme aux engagements européens de la Belgique.

D'autre part, le projet ne remet pas en cause toutes les législations opérant des distinctions de traitement basées sur la nationalité. Une clause de sauvegarde est prévue. Celle-ci précise qu'une distinction de traitement imposée par ou en vertu de la loi ne sera pas condamnable sur la base de la loi en projet. En d'autres termes, des distinctions fondées sur la nationalité dans la législation sur le travail ou l'accès au séjour ne sont pas remises en cause grâce aux clauses de sauvegarde.

M. Ceder demande quel est le sens précis du mot « ségrégation » et pour quelle raison il n'a pas été mentionné précédemment dans les dispositions relatives à « l'incitation à ». Qu'apporte d'ailleurs ce mot de plus ? Existe-t-il une forme de ségrégation qui ne soit pas discriminatoire ?

Mme Nyssens note que le projet de loi va plus loin que les directives européennes. Pourtant, le projet opte pour une liste fermée de discriminations alors que le projet de Traité constitutionnel prévoit une liste ouverte. Le fait de ne pas faire de liste permet de combattre n'importe quelle forme de discrimination et d'avoir un texte plus large.

D'autre part, elle demande si le critère de la nationalité couvre également la notion de « minorité nationale ».

En réponse à la première question, le ministre reconnaît que la Charte des droits fondamentaux, qui est partie au projet de Constitution, suit la technique de la liste ouverte. Il fait cependant remarquer que cet outil a vocation à s'appliquer dans les rapports verticaux, entre les citoyens et l'autorité alors que les projets de loi à l'examen ont pour vocation de régir également des relations horizontales. Or, il est beaucoup plus difficile pour un citoyen de prévoir, dans les rapports de la vie quotidienne, les conséquences d'une différence de traitement sur la base de n'importe quel critère. Pour des raisons de sécurité juridique et de prévisibilité accrue, le gouvernement a opté pour une liste fermée de discriminations.

En ce qui concerne la minorité nationale, l'intervenant précise que la liste de la Charte des droits fondamentaux prévoit cette notion comme critère. De par la vocation des projets de loi à s'appliquer dans les rapports horizontaux et en raison du régime spécifique qui est prévu pour chaque critère conformément au droit européen, le commentaire précise que le critère de minorité nationale peut, selon la situation, se rattacher au critère de la langue ou à celui de l'origine nationale ou encore à celui de la conviction religieuse. Il est pour cette raison difficile d'en faire un régime juridique spécifique.

M. Ceder renvoie à l'article 21 du projet de loi 3-2362 qui vise à punir quiconque, dans l'une des circonstances indiquées à l'article 444 du Code pénal, diffuse des idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale. Il fait référence au cas d'un libraire spécialisé dans les livres historiques qui avait reproduit un pamphlet SS et l'avait vendu à ses clients. Le juge avait estimé qu'il n'entrait pas dans les intentions de ce libraire de diffuser les idées SS mais bien des documents historiques de nature diverse.

L'article 21 n'exige pas d'intention particulière. Cela implique qu'en vertu de l'article 21, le libraire susmentionné ne pourrait pas être acquitté.

L'article 22 du même projet utilise le terme « prône » alors que l'article 20 mentionne les termes « incite à ». Ces mots ont-ils une signification différente ? « Prôner » a-t-il un sens moins large qu'« inciter à » ? Pourquoi les mots « haine » et « violence » ne figurent-ils pas à l'article 22 alors qu'ils sont mentionnés à l'article 20 ?

L'intervenant renvoie également à l'article 140, § 1er, de la loi sur les délits terroristes qui prend des dispositions similaires à l'égard des personnes qui sont membres d'un groupement terroriste ou collaborent à un tel groupement, mais qui suppose une intention particulière. Les personnes doivent savoir qu'elles collaborent à l'accomplissement d'un délit terroriste. Pourquoi prévoir un champ d'application plus large pour l'incitation à la discrimination que pour des actes terroriste ?

Le ministre fait remarquer que l'article 21, qui concerne la diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale (art. 21 du projet nº 3-2362), a fait l'objet de longs débats à la Chambre. Il précise que cet article exécute les obligations internationales souscrites par la Belgique dans le cadre de la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale. Ces obligations n'avaient pas été mises en œuvre à ce jour. Le Conseil d'État, qui est toujours sensible sur le volet pénal, n'a émis aucune objection concernant la disposition.

En réponse à l'exemple cité par l'intervenant précédent, le ministre renvoie aux commentaires et aux débats à la Chambre qui précisent que l'article exige un dol spécial. Il faut que soit démontrée la volonté spécifique de susciter la haine ou la discrimination raciale.

En ce qui concerne la notion de ségrégation, celle-ci est utilisée dans la Convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (article 3).

M. Ceder souligne que la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale faite à New York a vu le jour à l'époque du régime de l'apartheid et qu'elle constitue, par conséquent, une réaction envers ce régime en quelque sorte. En 1981 également, au cours de la genèse de la loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, on faisait souvent référence au régime de l'apartheid. On entendait par ségrégation, la ségrégation raciale en vigueur en Afrique du Sud que l'on voulait condamner explicitement. Dans le cas présent, le concept est repêché et l'on va même l'inscrire dans la loi-genre et dans la loi anti-discrimination. Quelle est sa signification exacte ?

Deuxièmement, qu'est-ce que le concept ségrégation peut ajouter au concept discrimination ? Existe-t-il une forme de ségrégation qui ne soit pas discriminatoire ?

Le ministre répond que la ségrégation implique un traitement séparé mais égal des groupes, sur la base du sexe ou de la race, par exemple. La mention de cette notion constitue une réaction contre la théorie « separate but equal », qui a longtemps prévalu à la Cour suprême américaine, selon laquelle un traitement séparé des personnes sur la base de la couleur de la peau ou de la race ne relève pas de la discrimination tant que le traitement est égal. Cette théorie n'est bien entendu plus en vigueur à l'heure actuelle. La ségrégation est considérée comme une forme de discrimination, même dans le cadre des projets actuels. La différence est que, jadis, la discrimination supposait, en principe, un traitement différent. Dans le cadre des projets actuels, on parle de traitement défavorable, ce qui fait que la discrimination couvre également la notion de ségrégation.

L'intervenant pense qu'il est logique que la notion de ségrégation ne figure pas aux 1º et 2º de l'article 20 du projet nº 3-2362 car ces deux points visent des actes posés à l'égard d'un individu. Or, la ségrégation est une logique de groupe.

M. Ceder demande pourquoi l'on emploie une terminologie différente aux articles 20 et 22, c'est-à-dire « incitent à » et « prônent » alors que l'on vise la même chose pour les individus et les associations. Il s'agit probablement d'un vestige de l'ancienne loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, qui est mal rédigée.

Le ministre répond que les termes employés sont, en substance, ceux de la Convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale. Pour ce qui concerne l'interprétation des articles 20, 21 et 22, il faut se référer à l'abondante jurisprudence relative à la loi de 1981 et singulièrement à la jurisprudence la plus récente relative à l'article 3 de cette loi, laquelle a toujours considéré que l'infraction de participation à des groupes ne pouvait être établie que s'il était établi préalablement que le groupe lui-même se rendait coupable des infractions d'incitation à la haine ...

M. Ceder demande si le mot « prône » utilisé à l'article 22 a la même signification que les mots « incite à » utilisés à l'article 20.

Le ministre le confirme. Cette différence de vocabulaire résulte du fait que le projet reprend, en substance, les termes de la Convention de 1965, et, de manière explicite, ceux de l'article 3 de la loi de 1981.

M. Ceder demande pourquoi la haine et la violence ne figurent pas également à l'article 22. Conformément à l'article 20, les individus qui incitent à la haine et à la violence sont punissables. En ce qui concerne les associations, l'article 20 prévoit uniquement que l'incitation à la discrimination est punissable.

En ce qui concerne le terme ségrégation, Mme Talhaoui fait remarquer qu'il est toujours d'actualité, selon elle. Elle renvoie à certains programmes de parti politique qui déclarent, par exemple, qu'il est préférable que les enfants musulmans soient placés dans des écoles exclusivement islamiques et qui imposent à certains clubs de football qu'un pourcentage déterminé de joueurs peuvent être d'origine étrangère.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Articles 1er et 2

Ces articles n'appellent pas d'observations.

Article 3

Article 1er

Amendement nº 1

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 3-2632/2) visant à faire précéder, dans l'article en projet, les mots « la Directive 2000/43/CE » par les mots « , entre autres, ».

Le projet de nouvelle loi antiracisme à l'examen constitue sans aucun doute une restriction de la liberté d'expression et de la liberté d'association, telle qu'elles sont consacrées par la Constitution.

Une telle restriction doit être très mûrement réfléchie et ne peut pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire.

C'est sans doute la raison pour laquelle le gouvernement tente abusivement d'invoquer des conventions et des textes internationaux à l'appui de cette nouvelle loi. En indiquant explicitement que le projet de loi exécute une directive européenne et une convention internationale, le gouvernement espère occulter un aspect essentiel de ce projet: le fait que la limitation des libertés qu'il prévoit va beaucoup plus loin que ce que souhaitent la directive et la convention internationale évoquées.

La directive 2000/43/CE en question dispose en son article 1er qu'elle a pour objet d'établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. L'article 3, qui définit le champ d'application, précise explicitement que « la présente directive ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité ».

La directive est donc claire: la race et l'origine ethnique sont les critères de discrimination interdits, alors que la « nationalité » n'en est manifestement pas un.

La Convention internationale du 7 mars 1966 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale dispose, en son article 1er, qu'on entend par « discrimination raciale » toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique. Ici non plus, la « nationalité » ne constitue donc pas un critère de discrimination interdit. Le texte ajoute d'ailleurs explicitement que « la présente Convention ne s'applique pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un État partie à la Convention selon qu'il s'agit de ses ressortissants ou de non-ressortissants ».

Or, selon le projet de loi, la « nationalité » est un critère interdit. Le projet en question organise donc une atteinte aux libertés fondamentales qui va beaucoup plus loin que ce que prescrivent la directive et la convention. Le présent amendement vise à conformer à la réalité le texte de l'article 1er en projet et à attirer l'attention sur la tromperie dont le gouvernement se rend coupable.

Le ministre répond que le présent amendement confond l'objet de la loi, qui est clairement décrit à l'article 3, et les exigences résultant du droit européen.

La loi en projet va effectivement plus loin que la directive européenne, ce qui était d'ailleurs déjà le cas de la loi précédente.

Article 2

Amendement nº 2

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) qui vise à faire précéder, à l'article 2 en projet, les mots « les obligations » par les mots « , entre autres, ».

Le projet de nouvelle loi antiracisme à l'examen constitue sans aucun doute une restriction de la liberté d'expression et de la liberté d'association, telle qu'elles sont consacrées par la Constitution.

Une telle restriction doit être très mûrement réfléchie et ne peut pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire.

C'est sans doute la raison pour laquelle le gouvernement tente abusivement d'invoquer des conventions et des textes internationaux à l'appui de cette nouvelle loi. En indiquant explicitement que le projet de loi exécute une directive européenne et une convention internationale, le gouvernement espère occulter un aspect essentiel de ce projet: le fait que la limitation des libertés qu'il prévoit va beaucoup plus loin que ce que souhaitent la directive et la convention internationale évoquées.

La directive 2000/43/CE dispose en son article 1er qu'elle a pour objet d'établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. L'article 3, qui précise le champ d'application, dit textuellement: « La présente directive ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité. »

La directive est donc claire: la race et l'origine ethnique sont les critères de discrimination interdits, alors que la nationalité n'en est manifestement pas un.

La Convention internationale du 7 mars 1966 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale dispose, en son article 1er, qu'on entend par « discrimination raciale » toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique. Ici non plus, la nationalité ne constitue donc pas un critère de discrimination interdit. Le texte ajoute d'ailleurs explicitement que « la présente Convention ne s'applique pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un État partie à la Convention selon qu'il s'agit de ses ressortissants ou de non-ressortissants ».

Or, selon le projet de loi, la « nationalité » est un critère interdit. Il organise donc une atteinte aux libertés fondamentales qui va beaucoup plus loin que ce que prescrivent la directive et la convention. L'amendement vise à mettre le texte de l'article 2 en projet en conformité avec la directive et la convention.

M. Ceder estime que le gouvernement se doit d'expliciter les raisons pour lesquelles l'incitation éventuelle à la discrimination sur la base de la nationalité serait punissable. Ceci a également une incidence sur le droit de vote, l'accès à la fonction publique, etc.

Qu'adviendrait-il, par exemple, si quelqu'un proposait publiquement de n'accorder le droit de vote que sur la base de la citoyenneté ? Pourrait-on considérer une telle proposition comme une incitation à la discrimination ?

Le ministre renvoie à ses précédentes explications à ce sujet.

Article 3

Amendement nº 3

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent un amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) qui vise à supprimer, à l'article 3 en projet, les mots « de la nationalité, » .

En indiquant explicitement que le projet de loi exécute une directive européenne et une convention internationale, le gouvernement espère occulter un aspect essentiel dudit projet: le fait que la limitation des libertés qu'il instaure va beaucoup plus loin que ce que souhaitent la directive et la convention internationale précitées.

La directive 2000/43/CE dispose en son article 1er qu'elle a pour objet d'établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. L'article 3, qui précise le champ d'application, dit textuellement: « La présente directive ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité. »

La directive est donc claire: la race et l'origine ethnique sont les critères de discrimination interdits, alors que la nationalité n'en est manifestement pas un.

La Convention internationale du 7 mars 1966 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale dispose, en son article 1er, qu'on entend par « discrimination raciale » toute forme de distinction, d'exclusion, de restriction ou de préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique. Ici non plus, la nationalité ne constitue donc pas un critère de discrimination interdit. Le texte ajoute explicitement: « la présente Convention ne s'applique pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un État partie à la Convention selon qu'il s'agit de ses ressortissants ou de non-ressortissants ».

Or, le projet de loi prévoit en son article 3 que la nationalité est un critère interdit. Il organise donc une atteinte aux libertés fondamentales qui va beaucoup plus loin que ce que prescrivent la directive et la convention. Le présent amendement vise à mettre le texte de l'article 3 en projet en conformité avec la directive et la convention.

M. Ceder trace les grandes lignes de l'historique de la notion de nationalité dans la législation relative au racisme. Le texte initial de 1981 n'en fait pas mention. En 1993, à l'occasion du procès contre le Vlaams Blok, il a été constaté que la distinction proposée par ce parti était uniquement basée sur la possession ou la non-possession de la nationalité. Les mesures nécessaires ont été prises à l'époque, telles que la correctionnalisation des délits de presse et l'introduction de la notion de nationalité dans la loi contre le racisme.

Cependant, cette insertion a été bâclée et elle a été oubliée dans les dispositions qui concernaient l' « incitation à ».

Néanmoins, en 2000, lors d'un procès ultérieur, il s'est avéré que le Vlaams Blok avait précisément été accusé d'incitation. Cela a donné lieu à une modification de loi consistant à supprimer la nationalité dans toutes les dispositions parce que cela relèverait de l' « origine nationale ». C'est ainsi que le juge a pu condamner le Vlaams Blok.

À présent, le mot « nationalité » est inséré, prétendument dans un souci de clarté. L'intervenant estime que cette façon de procéder est perverse.

Amendement nº 28

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 28 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à remplacer l'article 3 proposé.

Justification

Le législateur n'a pas défini la notion de « discrimination » dans la loi du 25 février 2003. Cette notion a fait l'objet d'une jurisprudence abondante, notamment de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour d'arbitrage, et il a été répété tout au long des travaux préparatoires que le législateur entendait se référer à cette jurisprudence (1) . Il a notamment été rappelé que, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne, « une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».

Or, c'est précisément ce que le législateur fait à présent à l'article 4, 6º et 8º, proposé. De plus, il définit les causes de justification aux articles 7, 8, 9 et 11. Le présent amendement offre toutefois l'avantage de couler tous ces éléments dans un article unique, ce qui est tout bénéfice pour la clarté du texte.

L'amendement renvoie à la notion de discrimination qui correspond à la définition qu'en donnent tant la Cour européenne que la Cour d'arbitrage ainsi que la Cour de cassation et le Conseil d'État (2) .

De plus, la définition donnée transpose aussi plus fidèlement la directive 2000/43 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique qui définit, en son article 2, la discrimination directe et la discrimination indirecte comme suit:

« a) une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable;

b) une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine ethnique donnée par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires. »

L'article 3.2. de la directive définit cependant aussi les éventuelles limitations dont ce principe d'égalité de traitement peut faire l'objet:

« 3.2. La présente directive ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité et s'entend sans préjudice des dispositions et conditions relatives à l'admission et au séjour des ressortissants de pays tiers et des personnes apatrides sur le territoire des États membres et de tout traitement lié au statut juridique des ressortissants de pays tiers et personnes apatrides concernés. »

L'amendement est donc un reflet correct, fondé sur la jurisprudence tant nationale qu'internationale, tant du principe d'égalité de traitement que des éventuelles restrictions que ce principe peut souffrir, qui peuvent être invoqués en matière de nationalité ou d'origine nationale sur la base de la directive, et donc certainement en ce qui concerne les caractéristiques dont la protection ne tombe pas obligatoirement sous le coup de la directive.

Article 4

M. Hugo Vandenberghe fait référence aux observations formulées par le service d'évaluation de la législation:

« Le projet « racisme », à l'instar des projets « genre » et « cadre général », définit les quatre concepts suivants: distinction directe, discrimination directe, distinction indirecte, discrimination indirecte. Ce faisant, il s'écarte des directives européennes applicables, qui ne conçoivent que la discrimination directe et la discrimination indirecte.

Dans son avis relatif au projet de loi « genre » (doc. Ch., nº 51-2721/001), l'Institut pour l'Egalité entre les femmes et les hommes considère que la coexistence de ces quatre notions constitue un problème majeur, source d'insécurité juridique et susceptible d'affaiblir la portée même des projets.

« La coexistence de quatre concepts à mettre en œuvre est source de grande complexité et d'une confusion certaine non seulement pour le citoyen mais également pour le praticien du droit.

Par ailleurs, cette innovation affaiblit considérablement la visibilité et la force du mécanisme propre au droit de l'égalité hommes/femmes — applicable jusqu'à présent dans notre droit fédéral en conformité avec le prescrit du droit européen comportant un principe général d'interdiction des discriminations, qui a une portée large, et la possibilité très limitée d'accepter des exceptions, inscrites de manière exhaustive dans la loi.

Par ailleurs, le fait que les projets de texte permettent que l'on apporte une justification dans le cas d'une « discrimination directe », ne respecte pas le droit communautaire de la non-discrimination.

L'Institut préconise de recourir uniquement aux concepts de « discriminations directes » (sans possibilité de justification) et de « discriminations indirectes » (avec possibilité de justification) sans recours à d'autres concepts, source de complexité et d'erreurs. »

Pour éviter tout problème, à l'occasion par exemple de la modification du texte, il est indiqué de remplacer les tirets par les lettres a), b), c), ... (et non pas par des chiffres, étant donné qu'il s'agit d'une énumération subordonnée).

Amendements nos 4 à 6

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent les amendements nos 4 à 6 (doc. Sénat, nº 2-2362/2).

L'amendement nº 4 vise à supprimer, à l'article 4, 4º, proposé, les mots « la nationalité, ».

M. Ceder renvoie à la discussion de l'amendement nº 3 à l'article 3 proposé.

L'amendement nº 5 vise à supprimer, à l'article 4 proposé, les points 8º et 9º.

La notion de « discrimination indirecte » avait déjà été introduite dans la première loi antidiscrimination. Mais elle a été retirée de la loi, à juste titre, par la Cour d'arbitrage. En effet, l'utilisation de cette notion se heurte à deux objections fondamentales.

Dans le projet de loi, la présence d'une intention particulière n'est pas obligatoire pour qu'il soit question de « discrimination indirecte ». L'auteur peut effectivement faire une distinction qui n'est pas, à première vue, basée sur un des critères protégés, mais qui a pour conséquence de désavantager un groupe caractérisé par un critère protégé. La question est toutefois de savoir si l'intention de l'auteur est de contourner la loi. En effet, une personne peut, en toute honnêteté, faire une distinction fondée sur un critère non protégé et affirmer ne pas vouloir entraîner une distinction fondée sur un critère protégé qui peut en être la conséquence (même si elle sait que cette dernière distinction en est ou peut en être la conséquence).

L'exposé des motifs donne l'exemple suivant en faisant preuve d'une sincérité ahurissante : « Peut-on par exemple contester, à la lumière de la jurisprudence existante de la Cour de Justice, que celui qui incite les employeurs à désavantager, au niveau salarial, les travailleurs à temps partiel, sait pertinemment que, ce faisant, il incite à un comportement qui désavantage surtout les femmes ? ». Il ne faut pas oublier que l'incitation à la discrimination indirecte est un acte punissable en vertu des articles 19 et 20 de ce projet de loi (et des articles similaires dans le projet de loi relatif à la nouvelle loi contre le racisme).L'exposé des motifs affirme donc en réalité que le fait de plaider contre le travail à temps partiel constitue inévitablement un acte répréhensible. Ainsi, un économiste qui penserait avoir trouvé des arguments contre le travail à temps partiel, mais sans du reste vouloir créer aucune forme de discrimination à l'égard des femmes, serait passible de sanctions si ses théories peuvent être interprétées d'une quelconque manière comme une « incitation à la discrimination indirecte ». Un autre exemple illustrera encore mieux cette objection. Si un bailleur à Bruxelles privilégie des locataires flamands (une discrimination non autorisée mais également non punissable), le juge pénal sera contraint de constater que les étrangers sont fortement surreprésentés dans le groupe des locataires francophones. Le bailleur commet ainsi une discrimination indirecte bel et bien répréhensible, même s'il est évident qu'il n'a pas du tout l'intention de faire une discrimination basée sur la couleur de peau ou l'origine. Il va de soi que les conséquences de ce type sont absurdes et inacceptables.

Comme indiqué précédemment, la notion de discrimination indirecte est également utilisée dans les incriminations des articles 19, 20 et 22. En vertu du principe de légalité, il faut que le citoyen puisse savoir parfaitement qu'il commet un acte répréhensible. C'est la raison pour laquelle la Cour d'arbitrage a annulé la disposition relative à la discrimination indirecte dans la précédente loi antidiscrimination. Le gouvernement estime que la formulation actuelle dissipe les objections. Le Conseil d'État n'est pas du même avis. Selon lui, la nouvelle définition aggrave encore les choses: « 33. Selon l'exposé des motifs, la Cour d'arbitrage a seulement indiqué dans son arrêt 157/2004 qu'on peut uniquement sanctionner la discrimination intentionnelle. L'exposé des motifs précise ensuite que, compte tenu d'une définition adaptée de la discrimination indirecte, celle-ci peut également être intentionnelle. Les avant-projets définissent la discrimination indirecte comme étant une distinction indirecte fondée sur l'un des critères protégés, à moins que la disposition, le critère ou la pratique apparemment neutre qui est au fondement de cette distinction indirecte soient objectivement justifiés par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires. Dans ce contexte, une distinction indirecte est définie comme étant la situation qui se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner, par rapport à d'autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l'un des critères protégés. Selon l'auteur des avant-projets, il est répondu ainsi aux objections formulées par la Cour d'arbitrage. En effet, il n'est plus question de disposition, de critère ou de pratique apparemment neutre ayant en tant que tel un résultat dommageable, comme c'est le cas à l'article 2, § 2, de la loi du 25 février 2003, mais bien d'une disposition, d'un critère ou d'une pratique susceptible d'entraîner un désavantage particulier.

34. L'objection formulée par la Cour d'arbitrage au point B.55 de son arrêt repose sur l'incompatibilité avec l'exigence de prévisibilité propre à la loi pénale. »

On n'aperçoit pas comment le nouveau texte résout les objections formulées par la Cour d'arbitrage. En effet, la question reste posée de savoir comment on peut intentionnellement inciter à une « pratique apparemment neutre » ou à commettre un acte dont le caractère discriminatoire ne se manifeste que par le désavantage particulier qui peut en résulter. Au contraire, la prévisibilité paraît encore moindre que dans la disposition annulée par la Cour d'arbitrage.

Dans l'avis 39.682/1 précité du 31 janvier 2006, postérieur à l'arrêt de la Cour d'arbitrage, la section de législation estime en outre que « compte tenu, en particulier, du fait qu'une évaluation de la proportionnalité est requise pour apprécier la discrimination indirecte, force est de conclure que la définition de l'infraction formulée à l'article 11 de la proposition n'est pas conforme au principe de légalité dès lors qu'elle se borne à faire référence à la perpétration d'une « discrimination ».

En résumé, on peut dire que les conséquences absurdes et inacceptables de l'absence d'une condition d'intention particulière et le non-respect du principe de légalité imposent de supprimer toutes les dispositions faisant référence à la discrimination indirecte et à la distinction indirecte. Les pratiques que les auteurs du projet ont voulu viser, à savoir le contournement par trop manifeste de l'interdiction de la discrimination directe, peuvent au demeurant être contrées par l'interdiction de la discrimination directe. Le juge a en effet suffisamment de latitude pour requalifier les faits. Si le juge peut constater que la distinction fondée sur un critère non protégé équivaut en réalité à une distinction fondée sur un critère protégé, il pourra requalifier les faits comme tels.

L'amendement nº 5 vise à remplacer à l'article 4, 8º, proposé, les mots « est susceptible d'entraîner, par rapport à d'autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l'un des critères protégés » par les mots « traduit la volonté de l'auteur d'entraîner, par rapport à d'autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l'un des critères protégés ».

Le présent amendement vise à rétablir le principe de légalité: l'intention doit être établie, et non être présumée incontestablement de par les conséquences prévisibles ou non (le mot « susceptible » employé dans le texte de loi est déjà totalement inacceptable) et voulues ou non d'une distinction proposée.

En ce qui concerne la discrimination indirecte intentionnelle, la ministre renvoie à la discussion générale.

M. Hugo Vandenberghe n'est pas convaincu par l'argumentation du gouvernement. Il renvoie à une discussion qui remonte à la précédente législature et qui portait sur les notions de discrimination directe et de discrimination indirecte. Il a été dit à cette occasion que la disposition pénale relative à la discrimination indirecte serait annulée par la Cour d'arbitrage. Une disposition pénale doit en effet satisfaire à la condition de légalité et énoncer clairement les éléments constitutifs de l'infraction. De plus, une définition s'inscrit toujours dans la temporalité.

L'incrimination de la discrimination indirecte sur la base de la définition du point 9, combinée au titre II, n'est pas convaincante sur le plan juridique.

Le ministre pense que la Cour d'arbitrage était moins au fait de la jurisprudence européenne au moment où s'est développée l'idée de la discrimination indirecte intentionnelle ou non intentionnelle.

La Cour de Justice a reconnu la discrimination indirecte intentionnelle dans l'affaire Jenkins. Dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour de Justice a reconnu que le fait qu'une discrimination indirecte ait été commise intentionnellement ou non est sans pertinence pour constater la discrimination indirecte. L'on peut en inférer que la discrimination indirecte peut aussi être non intentionnelle.

Lorsque la discrimination indirecte est intentionnelle, c'est-à-dire lorsqu'une distinction neutre est utilisée intentionnellement en vue de nuire dans les faits à un groupe déterminé, on ne pourra par définition pas passer le cap du contrôle de justification pour ce qui est de la discrimination indirecte.

Dans ce cas en effet, l'intention est précisément de nuire à un groupe protégé, ce qui a pour conséquence que la distinction neutre utilisée ne peut être justifiée en l'absence d'objectif légitime. Cela signifie également qu'une discrimination indirecte intentionnelle est parfaitement prévisible et qu'elle peut dès lors donner lieu à des poursuites sur cette base. La personne qui commet cet acte le fait en effet dans un dessein très clair, à savoir défavoriser consciemment un groupe protégé, en sorte qu'il est satisfait à l'exigence de prévisibilité du droit pénal.

M. Hugo Vandenberghe pense que la Cour d'arbitrage statuera sur cette question et s'étonne quelque peu des propos du ministre selon lesquels la Cour d'arbitrage ne connaît pas la jurisprudence européenne.

Le ministre répond qu'il a seulement dit que la décision de la Cour d'arbitrage témoigne d'une méconnaissance du droit européen en la matière.

M. Hugo Vandenberghe maintient que le droit pénal doit manier des notions univoques, claires et directement applicables pour pouvoir sanctionner un comportement prévisible du simple citoyen.

Dans le cas d'une discrimination indirecte, on se retrouve à juste titre dans un processus de mise en balance. Reste à savoir si la disposition à l'examen offre une sécurité juridique suffisante sur le fond.

Amendement nº 6

M. Ceder dépose l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 3-2362/2), visant à ce qu'une intention particulière soit requise pour qu'il soit question de discrimination indirecte.

L'intervenant se réfère à l'exemple donné dans les développements à propos du travail à temps partiel.

Le ministre signale que l'exemple cité, relatif au travail à temps partiel, est tiré d'un arrêt de la Cour de Justice.

M. Hugo Vandenberghe invoque le Code judiciaire, qui prévoit que le pouvoir judiciaire ne peut pas se substituer au législateur. Des arrêts ne peuvent donc pas être formulés en tant que règle générale.

Il est certes utile, pour le débat, de recourir à des précédents, mais une décision judiciaire ne peut pas avoir l'autorité d'une règle législative générale. La règle à l'examen a, elle aussi, été formulée dans le cadre d'un cas individuel. La tâche du législateur, par contre, dépasse le cas individuel.

L'attitude du gouvernement n'est pas cohérente. D'une part, il invoque un arrêt pour justifier une règle législative qu'il propose, d'autre part, il critique régulièrement le gouvernement des juges.

M. Mahoux fait remarquer que l'on accorde également beaucoup de poids à la doctrine et à la jurisprudence.

M. Hugo Vandenberghe ne conteste pas que les arguments invoqués soient très intéressants pour alimenter le débat juridique. Il renvoie toutefois à la disposition préliminaire du Code judiciaire, qui prévoit que le juge ne peut pas statuer par voie d'une règle générale. Cela signifie que le juge se prononce sur un cas individuel, qui ne peut toutefois jamais se substituer à une disposition légale.

Il faut accorder l'attention nécessaire au principe de la séparation des pouvoirs et à la place réservée au pouvoir législatif. Il va de soi que le processus décisionnel européen a rendu ce système plus complexe.

Amendement nº 29

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 29 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à modifier l'article 4 proposé comme suit:

a) avant les mots « relations de travail », ajouter le chiffre « 1º »;

B) supprimer le 6º, le 7º, le 8º et le 9º.

Le point a) de l'amendement concerne une correction technique.

En ce qui concerne le point b), l'auteur explique que la définition de l'article 3 rend ce littera superflu.

Articles 5 et 6

Ces articles n'appellent pas d'observation.

Article 7

Amendement nº 30

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 30 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 7 du projet de loi.

Selon l'auteur, cet article est superflu au cas où l'amendement nº 28 à l'article 3 serait adopté.

Le § 2 de cet article est d'ailleurs une transposition très incomplète et sans doute inexacte de l'article 3.2 de la directive 2000/43.

Amendements nos 7 et 8

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent les amendements nos 7 et 8 (doc. Sénat, nº 3-2362/2).

L'amendement nº 7 vise à supprimer, à l'article proposé, le chiffre « , 10 ».

La directive européenne de 2000 entend créer un cadre pour la lutte contre les discriminations fondées sur la race ou l'origine ethnique. L'article 2 condamne ouvertement la « discrimination directe »; seule la « discrimination indirecte » peut être justifiée lorsqu'il y a un but légitime et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

L'article 5 énonce, en matière d'« action positive », qu'un État membre peut maintenir ou adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l'origine ethnique, mais la directive ne prévoit aucunement que l'« action positive » pourrait être une justification d'une discrimination directe.

Cette position défendue par la directive est tout à fait justifiée: si l'on considère que la discrimination dont est victime un Belge d'origine turque par rapport à un Belge d'origine flamande est répréhensible, on voit mal pourquoi une discrimination dont est victime un Belge d'origine flamande par rapport à un Belge d'origine turque serait moins répréhensible. Il existe un très large consensus, au sein de l'opinion publique ainsi que dans le monde judiciaire, pour considérer que ce que l'on défendait comme des formes de « discrimination positive » n'est en aucun cas « positif ». Il est donc permis de lancer des actions, mais elles ne peuvent jamais aller jusqu'à une discrimination envers la population autochtone.

Cependant, le projet de loi à l'examen suit une tout autre voie que celle tracée par la directive et prévoit sans plus à l'article 10 proposé qu'une « action positive » ne peut jamais être une forme de discrimination directe. Cela revient à donner blanc-seing à une discrimination ouverte et manifeste envers la population autochtone et ce dans le secteur public, le secteur privé, l'enseignement et l'administration publique.

Donner ainsi un blanc-seing à une discrimination flagrante est inadmissible. Il est dès lors proposé de supprimer complètement l'article 10 proposé. Par conséquent, la référence à l'article 10 proposé figurant à l'article 7 proposé doit, elle aussi, disparaître.

L'amendement nº 8 vise à supprimer le § 2 de l'article 7 proposé.

Comme indiqué dans les amendements aux articles 1er, 2, 3 et 4 en projet, en inscrivant la notion de « nationalité » comme critère protégé et donc généralement interdit, le projet de loi organise une restriction beaucoup plus poussée aux libertés fondamentales que ce que prévoient la directive européenne et la convention internationale invoquées.

L'inscription dans cette loi du critère de la « nationalité » crée à l'article 7 proposé une confusion irrémédiable et insoluble. Comme la directive retient uniquement les critères de race et d'origine ethnique, elle peut logiquement prévoir qu'il se produit une « discrimination directe » lorsque, sur la base de sa race ou de son origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre personne ne l'est dans une situation comparable.

Comme cette loi inclut de manière absurde le critère légitime de la « nationalité » dans la liste des critères protégés, l'on ne peut, dans un premier temps, que procéder à une scission confuse entre, d'une part, une « distinction directe » et, d'autre part, une « discrimination directe ».

Il faut ensuite recourir à une disposition comme celle de l'art. 7, § 2, en projet, qui prévoit que: « toute distinction directe fondée sur la nationalité constitue une discrimination directe, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires.'

Dans ce contexte, cette formulation est inacceptable à plus d'un titre. Le texte part tout d'abord de la définition que la directive donne de la « discrimination indirecte », qu'il s'agit dès lors de légitimer; le projet de loi transpose cette définition dans la disposition sur la discrimination directe qui, suivant la directive, ne doit pas être légitimée.

En outre, ce texte rappelle la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, qui examine très délicatement si une distinction établie par une norme législative satisfait à ces critères. Toutefois, le projet de loi cherche à imposer cette disposition au citoyen ordinaire en lui donnant valeur de loi: puisque l'on constate que la Cour d'arbitrage a déjà annulé des lois à de multiples reprises parce que même le législateur avait été incapable d'évaluer correctement ce que représente un objectif légitime et quels moyens sont proportionnés, il est clair que cela devient carrément impossible pour un simple citoyen. Toute prévisibilité est supprimée; la question de savoir si l'on enfreint ou non cette loi tient de la loterie — dans laquelle la couleur politique du magistrat appelé à statuer est le seul élément déterminant.

Mme de T' Serclaes fait observer qu'au dernier alinéa de l'article 7, les mots « de la Union européenne » doivent être remplacés par les mots « de l'Union européenne ».

Article 8

Cet article n'appelle pas d'observations.

Article 9

Amendement nº 9

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 9 proposé.

Les auteurs renvoie à la discussion des autres amendements visant à supprimer toute discrimination indirecte.

Article 10

Amendement nº 10

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 10 proposé.

M. Ceder renvoie à la justification de l'amendement nº 7 à l'article 7.

Amendement nº 31

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 31 (doc. Sénat, nº 3-2362/2), visant à remplacer, à l'article 10, § 2, deuxième tiret, proposé, les mots « la disparition » par les mots « la suppression, la prévention ou la compensation ».

La disparition de toutes les inégalités est une utopie et elle aura pour effet de rendre de nombreuses mesures positives « temporairement définitives ». C'est la raison pour laquelle la jurisprudence internationale et la Cour d'arbitrage, dans son arrêt, optent pour un critère plus raisonnable, à savoir la suppression, la prévention ou la compensation.

En effet, la directive n'a pas pour objectif de faire « disparaître » toutes les inégalités, mais bien d'établir, conformément à l'article 1er, « un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité de traitement ». Il y a une grande différence entre le fait de permettre la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement et le fait de faire disparaître toutes les inégalités.

Le ministre répond que ce sont les termes d'un arrêt de la Cour d'arbitrage.

M. Hugo Vandenberghe souligne que le gouvernement fait lui-même une différence entre « distinction » et « discrimination ». Une distinction signifie la constatation d'une inégalité, ce qui n'entraîne pas nécessairement une discrimination.

Si toute inégalité ne constitue pas une discrimination, il est également évident que faire disparaître des inégalités n'est pas la même chose que de supprimer des discriminations.

L'intervenant rappelle que les régimes qui ont tenté de faire disparaître toutes les inégalités n'y sont jamais parvenus.

M. Mahoux fait observer que le texte paraît clair, d'autant plus que l'on fait référence à un objectif, et non pas directement à des mesures.

Le ministre souligne qu'aucun condition n'était précisée dans le projet de texte initial. Le projet d'exposé des motifs faisait alors référence aux conditions posées par la Cour d'arbitrage en matière de mesures d'action positive et aux conditions fixées par la Cour de Justice. Le Conseil d'État a fait remarquer qu'il était préférable de mentionner explicitement les conditions dans le texte.

M. Hugo Vandenberghe pense que, dans un autre arrêt, la Cour d'arbitrage préfère les termes « suppression, prévention et compensation » au mot « disparition ». Il recherchera les références exactes de cet arrêt et les communiquera à la commission.

Le ministre pense que la terminologie « suppression, prévention et compensation » est plutôt empruntée au droit européen. Il y a en effet une légère différence d'approche entre la directive européenne et la jurisprudence européenne. On opte ici pour la formule consistant à inscrire dans le texte les conditions telles que stipulées par la Cour d'arbitrage et à ajouter dans l'exposé des motifs que les conditions prévues par le droit européen doivent également être respectées si des mesures d'action positive relevant du champ d'application des directives européennes devaient être prises.

Pour les mesures d'action positive en général, un cadre doit être élaboré par l'autorité pour lequel il faudra donc, là où cela s'avère nécessaire, également tenir compte des exigences en matière de droit européen.

Article 11

Amendement nº 32

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 32 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 11 proposé.

Il est inadmissible que le législateur (ou le gouvernement) soit le seul à pouvoir imposer par une loi une discrimination non justifiée et qu'il enterre ainsi ses propres lois anti-discrimination pour les besoins de la cause.

Le deuxième paragraphe est tout à fait superflu, puisque s'appliquent ici, comme dans toute autre loi, la hiérarchie des normes ainsi que l'adage lex posterior derogat legi priori, qu'il appartient en outre à la Cour d'arbitrage de se prononcer, le cas échéant, sur la conformité constitutionnelle, et à la Commission européenne ou à une cour européenne ou internationale reconnue par la Belgique de juger de la conformité aux normes internationales.

M. Ceder admet que l'article 11, § 2, ne doit pas être prévu explicitement, mais il renvoie néanmoins à d'autres lois où l'on précise également que « la présente loi ne porte pas préjudice à la Constitution ni à la CEDH ».

Les dispositions en question sont évidemment superflues.

Amendement nº 11

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 3-2362/2), visant à compléter l'article 11 en projet par ce qui suit:

« § 3Il n'est pas, en soi, interdit d'encourager et de préconiser une modification législative visant à instaurer, par la loi, une distinction au sens du § 1er. »

Aux termes de l'article 11, § 1er, proposé, une distinction qui est réglée par une loi n'est pas considérée comme une discrimination. Une nouvelle loi peut donc instaurer pareille distinction. En conséquence, le monde politique doit pouvoir militer pour une telle loi et en défendre l'idée, y compris en dehors de l'enceinte du Parlement. Et les citoyens doivent eux aussi pouvoir participer au débat public et politique qui sera mené à cette occasion. L'article 22 proposé rend toutefois punissable le fait de prôner toute discrimination. Le présent amendement tend à préciser que l'action politique et les propos ou écrits à connotation politique qui ne prônent pas directement une discrimination illégale, mais qui donnent à penser, par une mention implicite ou explicite ou tout simplement au vu du contexte politique, qu'ils visent en fait à modifier la législation existante, ne sont pas punissables.

Nous ne pouvons en effet pas en arriver à un système de lois immuables dans lequel des lois d'aujourd'hui supprimeraient la possibilité de les modifier demain ou les conditions pour ce faire.

M. Hugo Vandenberghe en déduit que M. Ceder part du principe que la personne qui contesterait la loi adoptée ou mènerait une action politique contre celle-ci pourrait être poursuivie pénalement pour discrimination.

M. Ceder précise que son amendement vise principalement les personnes qui plaideraient en faveur de l'introduction d'une distinction légale entre certaines catégories d'individus protégés par un critère déterminé.

S'il est permis d'introduire, par le biais d'une loi, une distinction n'étant pas qualifiée de discriminatoire, il doit aussi être autorisé de mener publiquement un débat sur l'introduction d'une telle loi.

L'intervenant cite l'exemple du travail à temps partiel.

M. Hugo Vandenberghe ne comprend pas, à la lecture de l'article 11, qu'une éventuelle critique émise à l'encontre de la loi antidiscrimination serait punissable, ce qui serait effectivement contraire à l'article 10 de la CEDH.

M. Ceder juge qu'il est difficile de faire la distinction dans le débat politique. Si une personne cherche à désavantager une certaine catégorie d'individus et n'a pour but que d'apporter une modification légale, on en déduit trop rapidement une incitation à la discrimination. L'incrimination doit être exclue du contexte politique.

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui énonce clairement qu'il est exclu de prendre des mesures pénales à l'égard d'un homme politique et de ses propos publics. Les hommes politiques ne peuvent pas être incriminés en raison de leur désaccord avec la majorité. Il est inconcevable que la critique à l'encontre de la loi puisse être considérée comme un délit.

M. Ceder évoque l'hypothèse d'un groupe politique qui soutiendrait l'introduction d'une distinction dans la sécurité sociale entre les personnes qui ont la citoyenneté belge et celles qui ne l'ont pas. Est-ce en soi punissable au titre d'incitation à la discrimination ? Les citoyens aussi doivent pouvoir participer à un débat de ce type.

M. Hugo Vandenberghe pense qu'il faut en tout cas pouvoir mener le débat à ce sujet. Toutefois, nous pourrions rencontrer des difficultés, si quelqu'un parlait, par exemple, de « citoyens » et d'« esclaves » durant le débat.

M. Mahoux renvoie à l'article 10 du projet. Si les mesures proposées, comme par exemple une mesure liée à la préférence nationale, ne sont pas basées sur une inégalité constatée, elles ne semblent pas pouvoir être justifiées, et posent donc problème au regard de la loi en projet.

Le ministre répond que dans son chapitre pénal, la loi prévoit une infraction d'incitation à la discrimination. Cette infraction existait déjà dans la loi de 1981, et dans celle de 2003.

Elle a été combattue devant la Cour d'arbitrage au regard du principe d'égalité et de non-discrimination. La Cour d'arbitrage ne l'a pas annulée, moyennant une série de réserves d'interprétation: la notion de discrimination doit être interprétée de telle manière, il faut un dol spécial, il faut encore pouvoir exprimer des idées qui heurtent, choquent ou dérangent ... La réforme proposée ne sort pas de ce cadre, et il est expressément renvoyé à l'arrêt de la Cour d'arbitrage. La réforme doit également être interprétée à la lumière d'autres enseignements de la Cour d'arbitrage, et notamment celui qui découle d'un arrêt du 7 février 2001, sur le recours en annulation contre les modifications de la loi de financement des partis politiques. La Cour y précise que, certes, un parti politique peut formuler des propositions, mais dans les limites de la non-remise en cause des piliers de la démocratie, parmi lesquels figure la lutte contre le racisme et la xénophobie.

Parmi ces piliers, la Cour européenne fait aussi figurer l'idée qu'une distinction de traitement fondée exclusivement ou essentiellement sur l'origine ethnique des individus est totalement inacceptable dans une société démocratique.

Voilà le cadre à l'aune duquel les autorités de poursuite et les juges pénaux devront apprécier l'existence d'une des infractions prévues par la loi.

M. Ceder renvoie à son exemple. Qu'attend-on du juge dans un tel cas ?

M. Mahoux fait observer qu'en matière de sécurité sociale, indépendamment des droits dérivés et de l'exception du stage d'attente, la règle générale est celle de la cotisation, sans discrimination. L'intervenant pense que si, à l'intérieur d'une règle non discriminante, on établit, parmi ceux qui cotisent, une distinction en fonction de critères de la nature de ceux qui sont visés dans la loi, il y a évidemment discrimination.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il y a une différence entre introduire réellement une distinction dans la loi et mener un débat à ce propos.

L'intervenant pense que la liberté d'opinion ne doit pas obligatoirement être légitime. Il s'agit d'un droit fondamental qui ne peut être restreint que dans des circonstances exceptionnelles, le législateur pouvant ainsi punir le négationnisme et le racisme.

Article 12

Amendement nº 12

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 3-2362/2), visant à supprimer les mots « discrimination indirecte ».

Le service d'Évaluation de la législation du Sénat propose de remplacer les tirets par 1º, 2º, 3º et 4º.

Cette modification peut être considérée comme une correction de texte.

Article 13

M. Hugo Vandenberghe demande de quelle nullité il est question en l'espèce. S'agit-il d'une nullité relative ou d'une nullité absolue ?

L'intervenant estime également que les mots « par avance » sont source de confusion. Ils laissent entendre, en effet, que l'on pourrait renoncer, dès l'invocation du moyen, aux droits garantis par la présente loi, ce qui ne saurait être l'intention visée.

Le ministre répond que cet article est issu de la loi de 2003. La même disposition se trouvait déjà dans la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité entre les femmes et les hommes, et même dans la loi de réorientation économique de 1978.

Cette disposition prévoit la nullité des clauses contraires liée au caractère d'ordre public des protections accordées par cette loi.

Article 14

M. Hugo Vandenberghe fait référence aux observations formulées par le service d'Évaluation de la législation:

« 1) Au § 2, remplacer les tirets par: 1º, 2º, 3º, 4º.

2) Le § 2, alinéa 2, est actuellement rédigé comme suit:

« La plainte motivée visée à l'alinéa 1er, premier et second tirets est datée, signée et notifiée par lettre recommandée à la poste, dans laquelle sont exposés les griefs adressés à l'auteur de la discrimination alléguée. »

Par cohérence avec la première suggestion, nous suggérons de remplacer « visée à l'alinéa 1er, premier et second tirets » par « visée à l'alinéa 1er, 1º et 2º ».

3) Le § 5 consacre la protection des témoins de manière analogue à la protection des témoins prévue par les nouvelles dispositions anti-harcèlement insérées dans la loi du 4 août 1996. La question se pose de savoir s'il ne conviendrait pas d'harmoniser complètement les deux définitions, en calquant la définition du projet « anti-discrimination » sur celle des dispositions « harcèlement », sauf pour ce qui concerne l'intervention du conseiller en prévention.

La définition prévue dans le projet de loi anti-discrimination serait dès lors rédigée comme suit:

« La protection visée dans le présent article est également d'application à la personne qui intervient comme témoin par le fait que, dans le cadre de l'instruction d'une plainte mentionnée dans le paragraphe 2, elle fait connaître auprès de la personne chez qui la plainte est introduite, dans un document daté et signé, les faits qu'elle a elle-même vus ou entendus et qui portent sur la situation qui fait l'objet de la plainte motivée ou par le fait qu'elle intervient comme témoin en justice ».

Le projet introduit un § 6, qui permet au juge, à la demande de la partie défenderesse, d'abréger le délai de douze mois dans lequel s'applique le renversement de la charge de la preuve (éventuellement prolongé jusqu'à trois mois après que la décision de justice a été coulée en force de chose jugée).

Il serait utile de justifier cette disposition au regard du critère constitutionnel d'égalité et de non-discrimination. En effet, cette disposition s'écarte du mécanisme de protection mis en place dans le dispositif anti-harcèlement, lequel prévoit le renversement de la charge de la preuve (éventuellement prolongé jusqu'à trois mois après que la décision de justice a été coulée en force de chose jugée) mais ne confère pas au juge le pouvoir d'abréger le délai. Or, les dispositions présentent les mêmes finalités et protègent des intérêts comparables. Sur le plan européen, la discrimination et le harcèlement sont abordés par les mêmes instruments. De plus, la possibilité pour le juge d'abréger le délai ne trouve pas d'équivalent à l'article 15 relatif aux plaintes introduites dans le cadre des relations de travail. »

Le ministre répond que la raison de la faculté pour le juge d'abréger les délais de protection hors des relations de travail est que la gamme de situations couvertes est, dans ce cas, beaucoup plus indéterminée que dans le cadre des relations de travail. C'est pourquoi le juge a la faculté-et non l'obligation-lorsque la protection n'a plus de sens, de mettre fin à celle-ci.

Article 15

M. Hugo Vandenberghe fait référence aux observations formulées par le service d'évaluation de la législation:

« Les §§ 1 et 2 gagneraient à s'inspirer de l'article 13, a) du projet anti-harcèlement précité.

En effet, le projet actuel dispose:

« § 1er. Lorsqu'une plainte a été introduite par ou au bénéfice d'une personne en raison d'une violation de la présente loi survenue dans le domaine des relations de travail et des régimes complémentaires de sécurité sociale, l'employeur ne peut adopter une mesure préjudiciable à l'encontre de cette personne, sauf pour des motifs qui sont étrangers à cette plainte.

§ 2. Au sens du présent article, une mesure préjudiciable s'entend notamment de la rupture de la relation de travail, de la modification unilatérale des conditions de travail ou de la mesure préjudiciable intervenue après la rupture de la relation de travail. »

Pour sa part, le projet de loi anti-harcèlement dispose:

« L'employeur ne peut pas mettre fin à la relation de travail, sauf pour des motifs étrangers à la plainte, à l'action en justice ou au témoignage, ni modifier de façon injustifiée unilatéralement les conditions de travail des travailleurs suivants: (...) »

Le § 2 indique ainsi que toute modification unilatérale des conditions de travail est préjudiciable, alors que le projet anti-harcèlement n'a trait qu'aux modifications unilatérales injustifiées. Or, une modification unilatérale des conditions de travail n'est pas toujours préjudiciable au travailleur.

Elle est même justifiée à partir du moment où elle a pour objet, par exemple, de déplacer le travailleur dans un autre service où il peut exercer des fonctions comparables, tout en lui permettant d'échapper au comportement discriminatoire du précédent chef de service.

Par ailleurs, le § 2 est partiellement tautologique. En effet, dans le texte du projet, la « mesure préjudiciable » fait partie de sa propre définition.

Le ministre répond que l'idée de la protection contre les représailles qui est mise en place est de faire en sorte que, dans certaines circonstances, suite à une plainte, un acte qui, a priori, pourrait être licite dans une relation de travail ou dans une autre relation sociale, soit, en raison du fait qu'il pourrait être motivé par le dépôt préalable d'une plainte par la personne qui le pose, considéré comme suspect, avec comme conséquence, le principe du renversement.

M. Hugo Vandenberghe souligne que la question est de savoir pourquoi on a formulé le même objectif de façon différente dans les deux textes de loi.

Le ministre répond que les dispositions relatives à la protection contre les représailles des projets à l'examen ont été rédigées de manière à coller au plus près du sens des dispositions européennes qu'elles visent à transposer.

Le service d'évaluation de la législation souligne également que le § 3 gagnerait en lisibilité si les tirets étaient remplacés par la numérotation 1º, 2º, 3º, 4º, 5º. « L'alinéa 2 devrait aussi se référer au 3eme tiret (plainte introduite par un groupement d'intérêts). Dans ce cas, le 2eme alinéa du § 3 devrait viser les 1º, 2º et 3º de l'alinéa précédent et non les « premier à second tirets ».

3) Au § 5, dans la version française, il convient de corriger la première phrase en remplaçant les mots « au § 1er » par les mots « avec le § 1er ».

4) Dans la continuité de ce qui précède, il conviendrait d'ajouter, à la première phrase de l'alinéa 2 du § 5, le mot « injustifiée » entre les mots « modification unilatérale » et « des conditions de travail ». La phrase devient donc: « La demande est introduite par une lettre recommandée à la poste dans les trente jours qui suivent la date de la notification du préavis, de la rupture sans préavis ou de la modification unilatérale injustifiée des conditions de travail. »

5) Au § 7, dans la version néerlandaise, il y a un manque d'uniformité dans les termes choisis: au 1º, l'on parle de « rechtscollege » et au 3º de « rechtsorgaan ». Il s'agit dans les deux cas de la juridiction (compétente).

M. Hugo Vandenberghe renvoie également à la remarque générale formulée par le service d'évaluation de la législation concernant les articles 14 et 15.

« Qu'entend-on par « auteur de la discrimination » ? S'agit-il de la personne physique ? De la personne morale pour le compte de laquelle elle agit ? Des deux ? Que se passe-t-il si la personne physique ne peut pas être identifiée ? La réponse à cette question est importante pour la bonne compréhension des articles 14 § 2, alinéa 2 (plainte dans un autre domaine que celui des relations de travail), 15 § 3, alinéa 2 (plainte dans le domaine des relations de travail) et 17 (condamnation de l'auteur au paiement d'une astreinte). »

Le ministre répond que cela vise tant les personnes physiques que les personnes morales, comme dans le système actuel.

M. Hugo Vandenberghe cite l'exemple d'une grande société, où le directeur impose des mesures discriminatoires, mais où l'administrateur délégué ne s'occupe aucunement de la gestion du personnel et des relations de travail.

Sous quelles conditions la société est-elle pénalement responsable du fait qu'un préposé a commis un délit ?

Et qu'en est-il si la personne qui a commis le délit ne peut pas être désignée, si l'auteur direct est inconnu ?

M. Mahoux renvoie aux larges discussions qui ont eu lieu dans le passé à propos de la responsabilité pénale des personnes morales, et au cours desquelles, à plusieurs reprises, il était apparu que l'auteur direct du délit étant connu, cela n'enlevait cependant rien à la responsabilité de l'employeur et de la société.

M. Hugo Vandenberghe répond qu'il existe des systèmes spécifiques dans le droit pénal social.

Le ministre fait observer que la discussion porte sur des dispositions qui ne sont pas insérées dans le chapitre pénal des lois concernées. Ce chapitre, à l'exception, limitée, de la loi sur le racisme, ne pénalise pas les actes discriminatoires commis par des individus.

Il n'entre pas dans l'objectif de la réforme d'instaurer un système de responsabilité pénale dérogatoire à celui qui s'applique en vertu du droit commun, sur la base, notamment, de la législation relative à la responsabilité pénale des personnes morales telle qu'interprétée par la jurisprudence.

Article 16

Amendement nº 13

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer le § 1er, alinéa 2, et le § 2.

Les règles normales de responsabilité prévues dans le Code civil suffisent pour permettre à la victime d'une discrimination d'obtenir réparation. Un système d'indemnisation forfaitaire risque de conduire à des abus et à une avalanche d'actions en justice.

En Allemagne, les entreprises sont assaillies de postulants bidons qui cherchent à se faire éconduire dans l'espoir d'avoir droit à une indemnisation de trois mois de salaire brut s'ils parviennent à démontrer qu'ils n'ont pas été engagés pour des motifs liés par exemple à leur sexe, à leur religion ou à leur couleur de peau.

M. Hugo Vandenberghe renvoie aussi à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« Au § 2, 1º et 2º, l'utilité d'ajouter « ou désavantageux » (en néerlandais: « of nadelige ») n'apparaît pas immédiatement. Cet adjectif semble redondant avec le mot « défavorable » (en néerlandais « ongunstig ») qui précède. »

Article 17

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« Le mot « judiciaire » figure une première fois avec une majuscule et une seconde fois sans majuscule. Il doit s'écrire sans majuscule. »

Il s'agit d'une pure correction de texte.

Article 18

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« Au § 5, il est fait référence aux lois coordonnées du 12 juin 1973 sur le Conseil d'État (en néerlandais: « gecoördineerde wetten van 12 juni 1973 »). Cette référence est incorrecte: il faut lire « 12 janvier 1973 » (en néerlandais: « 12 januari 1973 ») ».

La commission apportera cette amélioration en tant que correction de texte.

Article 19

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« La version française indique « fondée sur un critère protégé » (au singulier) alors que la version néerlandaise indique « op grond van de beschermde criteria » (au pluriel). Ne serait-il pas préférable que la version néerlandaise indique « op grond van een beschermd criterium » (au singulier) ? »

Amendement nº 14

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 19.

Il ressort de la formulation de l'article 19 en projet, sous le titre « dispositions pénales », que le projet de loi entend transposer dans un contexte pénal une série de figures juridiques non pénales, telles que celles prévues dans la Directive 2000/43/CE.

Tout d'abord, cela n'est ni nécessaire, ni souhaitable: la directive dispose en son article 15, relatif aux sanctions, que celles-ci doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives, mais n'impose pas le moins du monde une approche pénale. La protection contre le licenciement, l'indemnisation forfaitaire, l'astreinte et l'action en cessation prévues peuvent amplement suffire.

En outre, la formulation de l'article en question est illégale, car contraire au principe de prévisibilité, tel qu'il doit s'appliquer en droit pénal dans un État de droit. Tout citoyen doit savoir d'avance quel acte constitue une infraction et quel acte n'en constitue pas une.

L'article 19 proposé définit la discrimination au sens pénal comme étant la discrimination directe intentionnelle. Or, la discrimination directe est définie de manière beaucoup plus vague dans l'article 4 en projet que dans la directive; il y est question d'une distinction directe, fondée sur l'un des critères protégés, qui ne peut être justifiée sur la base des dispositions du titre II de la loi.

Ce titre II prévoit à son tour qu'une distinction fondée sur la nationalité n'est admise que si elle est justifiée par un but « légitime » et que les moyens de réaliser cet objectif sont « appropriés » et « nécessaires ».

Le recours à des critères extrêmement vagues comme « légitime », « approprié » et « nécessaire » met le citoyen dans l'impossibilité de savoir quel acte constitue une infraction et quel acte n'en constitue pas une, et la réponse est dès lors laissée entièrement à l'appréciation personnelle du juge. Dans un État de droit, une telle situation est contraire au principe de prévisibilité, tel qu'il découle de la Convention européenne des droits de l'homme et qu'il a été confirmé à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.

Cette remarque est plus pertinente encore lorsqu'on veut rendre punissable une « discrimination indirecte intentionnelle ».

Que le projet de loi à l'examen méconnaisse cet important principe de prévisibilité est d'autant plus singulier que ce même projet a été notamment rendu nécessaire par l'annulation antérieure, par la Cour d'arbitrage, d'une partie de la première loi anti-discrimination, précisément en raison du manque de précision du texte.

Il n'est pas étonnant, dès lors, que le Conseil d'État ait rejeté très sévèrement ces dispositions dans son avis relatif au projet de loi à l'examen (nº 40.689/AG, nº 40.690/AG, nº 40.691/AG):

Le Conseil d'État affirme:

« 34. L'objection formulée par la Cour d'arbitrage au point B.55 de son arrêt repose sur l'incompatibilité avec l'exigence de prévisibilité propre à la loi pénale. On n'aperçoit pas comment le nouveau texte résout les objections formulées par la Cour d'arbitrage. En effet, la question reste posée de savoir comment on peut intentionnellement inciter à une « pratique apparemment neutre » ou à commettre un acte dont le caractère discriminatoire ne se manifeste que par le désavantage particulier qui peut en résulter. Au contraire, la prévisibilité paraît encore moindre que dans la disposition annulée par la Cour d'arbitrage. »

Dans l'avis 39.682/1 précité du 31 janvier 2006, postérieur à l'arrêt de la Cour d'arbitrage, la section de législation du Conseil d'État estime en outre que « compte tenu, en particulier, du fait qu'une évaluation de la proportionnalité est requise pour apprécier la discrimination indirecte, force est de conclure que la définition de l'infraction formulée à l'article 11 de la proposition n'est pas conforme au principe de légalité dès lors qu'elle se borne à faire référence à la perpétration d'une « discrimination ». »

L'avis du Conseil d'État est donc accablant: le texte en discussion ne donne pas suite aux objections antérieures de la Cour d'arbitrage, il est encore plus mauvais que les passages antérieurement annulés de l'ancienne loi anti-discrimination et le principe de légalité n'est pas respecté dans un secteur aussi important que le droit pénal, fondement de l'État de droit.

La seule façon de résoudre ces problèmes est de supprimer intégralement l'article 19 en projet ainsi que la notion de « nationalité » dans l'article 4 proposé et ailleurs, de définir plus strictement la « discrimination », comme le fait la directive que l'on prétend vouloir exécuter.

Article 20

Amendement nº 15

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 3-2362/2), en vue de supprimer les 1º et 3º et de supprimer aux 2º et 4º les mots « à la haine ou ».

M. Mahoux fait observer qu'en tout état de cause, il vaut mieux s'abstenir de toute incitation à la haine et à la discrimination.

Selon M. Ceder, les juges disposent d'une marge d'appréciation trop large en ce qui concerne « l'incitation à la haine ».

M. Hugo Vandenberghe fait référence à l'observation suivante du service d'Évaluation de la législation.

« 1) Cet article énonce des sanctions pénales qui, à chaque fois, s'appliquent « même en dehors des domaines visés à l'article 5 ». Les sanctions pénales ont donc un champ d'application plus large que ce qui est indiqué dans le champ d'application de la loi (chapitre 3, art. 5). Si ce membre de phrase est maintenu, ne faudrait-il pas élargir le champ d'application de la loi en faisant précéder l'énumération des domaines visés à l'article 5, § 1er, par le mot « notamment » ?

2) Au passage, signalons que, dans la version française, au 3º, il faut corriger une erreur grammaticale et remplacer « visées » par « visés ». »

Amendement nº 33

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 33 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer le 2º de l'article 20.

Le sentiment n'est pas toujours mauvais conseiller, mais il l'est sans aucun doute lorsqu'il s'agit de définir des actes punissables. Car ce qui est en réalité punissable, c'est le fait de savoir que l'on peut, par une déclaration, une opinion ou une analyse déterminée, provoquer l'apparition d'un « sentiment de haine » chez l'une ou l'autre personne. Faut-il alors prévoir, lors de toutes poursuites pour ce motif, une batterie de psychologues et de psychiatres chargés de se prononcer sur chaque cas individuel ?

De plus, la disposition en question, pas plus d'ailleurs que toutes les autres dispositions pénales des lois concernées, ne comporte aucune référence au dol spécial, dont la Cour d'arbitrage et le Conseil d'État font pourtant une condition sine qua non pour ce qui est de la conformité au principe de légalité en matière pénale et, donc, de la conformité à la Constitution.

En outre, aucune convention internationale ne prévoit l'obligation de sanctionner pénalement pareilles infractions.

L'intervenant estime qu'il ne fait aucun doute que certains comportements incitent à la haine, mais qu'il faudrait malgré tout définir des critères pour éviter de donner une interprétation subjective à la notion en question.

Il est question, à l'article 20, du délit général de l'incitation à la haine.

M. Ceder renvoie aux critères qui figurent à l'article 4.

M. Hugo Vandenberghe répond que la disposition à l'examen ne comporte aucune référence au dol spécial. La question qui se pose est de savoir à quel moment s'appliquent les dispositions relatives à l'incrimination.

Il y a également la référence à l'article 444 du Code pénal.

En ce qui concerne la formule « même hors des domaines visés à l'article 5 », le ministre précise que ces infractions sont reprises de al loi de 1981, qui prévoyait des infractions de droit pénal général, définies de manière indépendante de tout domaine d'application. On a voulu maintenir à ces infractions la même portée que celle qu'elles avaient dans la loi de 1981. Tel est le sens de la formule susvisée.

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent les amendements nºs 16 à 18 (doc. Sénat, nº 2-2362/2).

Amendement nº 16

Aux 1º et 3º de l'article 20 supprimer les mots « , et ce, même en dehors des domaines visés à l'article 5 ».

Il est totalement déraisonnable d'interdire et même de punir l'incitation à accomplir certains actes alors que ces actes ne sont pas interdits en soi (même pour ce qui est des dispositions de droit civil figurant dans la présente loi). En outre, le fait d'inciter à poser un acte est toujours une manière d'exprimer une opinion.

Or, il apparaît clairement à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la liberté d'opinion doit subir encore moins de restrictions que la liberté d'action et que les conditions auxquelles la Cour européenne autorise un régime de restrictions sont plus strictes lorsqu'il s'agit de la liberté d'opinion que de la liberté d'action. On ne saurait dès lors accepter qu'une loi belge consacre le principe inverse.

Amendement nº 17

Aux 1º et 3º de l'article 20 proposé, les mots « , et ce, même en dehors des domaines visés à l'article 5 » sont remplacés par les mots « , dans les domaines visés à l'article 5, § 1er, 1º et 5º ».

Les articles 24 et 25 prévoient des sanctions à l'encontre de quiconque commet un acte de discrimination. Il s'agit uniquement en l'espèce des discriminations qui concernent l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services à la disposition du public ou le marché de l'emploi.

Il est totalement déraisonnable d'interdire et même de punir l'incitation à l'accomplissement de certains actes alors que ces actes ne sont pas interdits en soi. En outre, le fait d'inciter à poser un acte est toujours une manière d'exprimer une opinion. Or, il apparaît clairement à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la liberté d'opinion doit subir moins de restrictions que la liberté d'action et que les conditions auxquelles la Cour autorise un régime de restrictions sont plus strictes lorsqu'il s'agit de la liberté d'opinion que de la liberté d'action. On ne saurait dès lors accepter qu'une loi belge consacre le principe inverse.

Amendement nº 18

À l'article 20, 3º, proposé, les mots « ou à la ségrégation » sont supprimés.

On ne voit pas très bien ce que la ségrégation ajoute à la notion de discrimination. Toute ségrégation ne serait-elle pas discriminatoire ?

M. Ceder souhaiterait obtenir des précisions sur la question de savoir s'il existe aussi une distinction entre la ségrégation directe et la ségrégation indirecte, comme c'est le cas pour la discrimination (directe et indirecte).

Il demande par ailleurs si les causes de justification de la discrimination valent également pour la ségrégation.

Le ministre répond que le terme « ségrégation », qui est issu de la Convention déjà citée, s'inscrit dans un contexte relatif notamment à l'apartheid. Il s'agit d'un concept autonome de droit. Il n'y a pas de système de droit communautaire de ségrégation directe et indirecte. De même, pour les systèmes de justification prévus par les directives, ils ne s'appliquent pas au concept autonome de ségrégation.

M. Ceder cite l'exemple des responsables politiques qui plaident en faveur de la légalisation des drogues douces. On ne part tout de même pas du principe qu'ils incitent à consommer de la drogue.

Il en va de même des responsables politiques qui plaident pour le relèvement des limitations de vitesse. Peut-on dire pour autant qu'ils incitent à enfreindre le code de la route ?

M. Mahoux déclare que si, dans le motif de la ségrégation, il existe une relation directe avec l'un des motifs figurant dans la loi et faisant l'objet d'une interdiction, il s'agit de ségrégation directe et non indirecte.

La ségrégation liée à des couvre-chefs serait par hypothèse justifiée par les raisons motivant le port de ces couvre-chefs, et donc par les raisons pour lesquelles les personnes qui les portent sont discriminées.

Le ministre souligne que la ségrégation est un système de discrimination organisé.

M. Ceder persiste à dire qu'il ne voit pas dans quel contexte une ségrégation ne serait pas discriminatoire.

Article 21

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« L'article 21 réprime la diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale (à savoir un emprisonnement d'un mois à un an et une amende de 50 à 1 000 euros, ou une de ces peines seulement). Il énonce des peines identiques à celles prévues à l'article 22, qui réprime la participation à un groupement ou à une association raciste.

Il serait utile de justifier, au regard des critères d'égalité et de non-discrimination, pourquoi le projet de loi instaure ces peines identiques: la diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale (article 21) suppose une démarche active, tandis que la participation à un groupement ou à une association raciste (article 22) peut être active mais peut aussi être passive (par exemple lorsque l'affilié ne participe pas aux réunions). »

Le ministre répond que selon sa lecture de l'article 22, la participation à un groupement n'est pas à considérer comme une attitude passive. On ne peut évidemment pas incriminer une personne qui n'a pas connaissance de l'activité du groupe auquel elle participe.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que l'article 22 vise le simple fait d'être membre d'un groupe ou d'une association.

Le ministre répond qu'il est peu vraisemblable que, s'agissant d'une association qui, de manière manifeste et répétée, prône la discrimination, le membre d'une telle association soit dans l'ignorance de cette activité.

Il n'est d'ailleurs pas inusuel, en droit pénal, que deux comportements différents soient sanctionnés par les mêmes peines. Il appartient au législateur pénal de fixer l'échelle de gravité des comportements qu'il entend réprimer.

Amendement nº 34

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 34 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 21.

En effet, il ne faut plus établir, comme le prévoit le texte actuel, qu'il y a également incitation à la haine sur le fond, et il ne doit pas non plus y avoir de dol spécial, ce qui signifie qu'on ne doit plus prouver que l'on incite sciemment au racisme dans l'intention de nuire. Cela ne découle pas tant de l'article 20 que du nouvel article 21 de la loi anti-racisme, qui punit la simple diffusion « d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale ».

Tant la Cour d'arbitrage dans son arrêt d'annulation que le Conseil d'État subordonnaient l'incrimination à l'existence d'un dol spécial.

Il est en outre choquant que cette disposition ait été insérée après l'avis du Conseil d'État sur l'avant-projet, privant ainsi celui-ci de la possibilité de se prononcer à ce sujet.

En conséquence de cette disposition, des historiens qui publient par exemple des citations contenant une discrimination raciale s'exposent, par ce seul fait, à des poursuites.

Le Conseil d'État déplore également l'absence de toute justification de la différence d'approche pénale entre les faits racistes et les faits commis à l'encontre d'autres groupes protégés comme les femmes ou les personnes handicapées.

La Cour d'arbitrage constatera sans doute que cette distinction est contraire au principe d'égalité.

Le ministre répond que la disposition a été soumise au Conseil d'État, qui n'a pas formulé d'objection, mais y a au contraire consacré une partie de son avis, qui n'est pas négatif.

M. Hugo Vandenberghe demande ce qu'il en est des citations historiques (texte de Platon ou d'Aristote, textes des premiers siècles relatifs à l'esclavage, ...). À partir de quand de telles citations deviennent-elles pénalement punissables ?

Le ministre répond que l'incrimination en question est reprise de la Convention relative à l'élimination de toute forme de discrimination raciale. Ce type de comportement ne sera pénalement sanctionnable en droit belge que sous la réserve qu'un dol spécial soit démontré, et qu'il existe une intention, par ce biais, de susciter la haine ou la discrimination à l'égard d'un groupe de personnes caractérisé en l'occurrence par une race déterminée. On peut établir une analogie avec la législation qui punit la négation ou la minimisation grossière du génocide commis par le régime national-socialiste allemand, et qui a été soumise à la Cour d'arbitrage. La Cour a estimé que la sanction pénale était admissible lorsque les faits relatés le sont dans l'objectif bien précis de susciter l'antisémitisme et la haine à l'égard des victimes de la Shoah. Par contre, l'étude scientifique innocente et non inspirée par cet objectif doit pouvoir continuer à être menée sur la base de la liberté d'expression et de la liberté scientifique. L'essence de ce raisonnement a été reprise ici, avec en outre la précision selon laquelle la répression telle qu'elle est organisée opère sans préjudice du principe de la responsabilité en cascade énoncé par l'article 25, alinéa 2, de la Constitution. C'est sur cette base que le tri devra être effectué par le juge pénal.

M. Hugo Vandenberghe fait état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière. Le débat politique ne doit être soumis au droit pénal que dans des circonstances très exceptionnelles.

Des infractions à la législation contre le racisme ou le négationnisme sont ce genre d'exceptions.

La présente disposition semble avoir un champ d'application plus large que celui de la loi contre le racisme. Si le champ d'application est identique, l'intervenant se demande pourquoi il faut le répéter ici.

L'intervenant suggère d'adopter une vue d'ensemble et de ne pas rédiger la loi sur la base d'un seul arrêt.

La Cour européenne des droits de l'homme a clairement affirmé que le recours au droit pénal n'était pas indiqué dans le combat politique. Le discours politique ne peut être réduit au strict minimum, ce qui permettrait d'asseoir les positions politiques majoritaires.

Il ne faut déroger à ce principe que dans des circonstances vraiment exceptionnelles ayant trait, par exemple, à la réglementation relative au racisme ou à l'holocauste.

La présente disposition est-elle proportionnelle en vertu du principe de légalité en matière pénale ?

M. Ceder estime que le gouvernement ne doit pas toujours se retrancher derrière la Convention de New York.

La législation contre le racisme existe depuis 26 ans et est également susceptible d'évoluer. En outre, la Belgique a émis une réserve sur le plan de la liberté d'expression.

La notion de dol spécial ne se retrouve nulle part dans la présente disposition. Pourquoi ne pas remplacer le verbe « diffuser » par « défendre » ou « prôner » ?

Amendement nº 19

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 19 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 21.

Dans un article publié en mars 2007 dans la revue Samenleving en politiek, l'expert en discrimination Jogchum Vrielink a traduit mieux que les soussignés n'auraient pu le faire les objections formulées à l'encontre de la loi en projet. Il a carrément qualifié l'article 21 de « révolutionnaire ». Dans les colonnes du Gazet van Antwerpen du 27 mars 2007, le journaliste John De Wit a commenté en ces termes l'article de M. Vrielink:

« Wordt het verspreiden van de ideeën van Plato, de Koran, Voltaire en Montesquieu binnenkort strafbaar ? Volgens discriminatiedeskundige Jogchum Vrielink alvast wél omdat de nieuwe antidiscriminatiewet, die donderdag door de Kamer wordt goedgekeurd, een wel erg verregaande bepaling bevat, die deze literatuur buiten de wet stelt.

In het jongste nummer van Samenleving en Politiek, een tijdschrift dat aanleunt bij de sp.a, heeft discriminatiedeskundige Jogchum Vrielink (auteur van het standaardwerk: Handboek voor Discriminatierecht) ernstige vragen bij de nieuwe strafbaarstelling van het « verspreiden van denkbeelden die gegrond zijn op rassensuperioriteit ». Het gaat om artikel 21 van de nieuwe antiracismewet.

Volgens Vrielink kunnen nu wel erg veel boeken verboden worden, want er worden bij dit nieuwe misdrijf geen verdere vereisten gesteld aan de bedoeling van de dader, de gevolgen voor de samenleving of voor de slachtoffers. Bij de verspreiding van dit soort ideeën moet de dader niet meer aanzetten tot haat, hij moet niet willen beledigen, hij moet alleen maar de geviseerde ideeën verspreiden.

Niet alleen de verspreiding van Hitlers Mein Kampf wordt strafbaar (dat is trouwens al zo op andere gronden), maar ook die van talloze filosofen: Plato, Kant, Nietzsche, pater De Las Casas (die in de renaissance vond dat Indianen een ziel hadden, maar « negers » niet), een reeks founding fathers van de democratie zoals Voltaire en Montesquieu en uiteindelijk bijna alle denkers uit de negentiende eeuw, toen het evolutionisme van de rassen centraal stond in de wetenschap. Ook Het Oude Testament, de Thora en de Koran komen in het vizier van de strafrechter.

Boeken die uittreksels uit die werken bevatten om ze aan te klagen, vallen eveneens onder de wet. Zoals bijvoorbeeld Karl Poppers The Open Society and its enemies, waarvan de vertaling in het Nederlands uitgerekend net donderdag wordt voorgesteld door premier Verhofstadt in Antwerpen (Elzenveld, 20.00 uur).

Volgens Vrielink voert men noch min noch meer de censuur opnieuw in.

Nu zal men zeggen: al deze filosofen worden niet bedoeld met de wet. Dat is inderdaad zo, maar het punt blijft dat de formulering vervolging van die filosofen wél mogelijk maakt. Zodat altijd een zwaard van Damocles boven de hoofden van de verspreiders blijft hangen. En dat leidt tot willekeur bij de vervolgingen en zoiets kan in een democratische samenleving niet. Volgens Vrielink wordt de dooddoener dat « de vrijheid van meningsuiting niet absoluut is » een soort van carte blanche die om het even welke beperking rechtvaardigt in het kader van de strijd tegen racisme.

De regering beweert in haar memorie van toelichting op de nieuwe antidiscriminatiewet, dat ze deze nieuwe strafbaarstelling moet invoeren van het Internationaal Verdrag inzake de uitbanning van alle vormen van rassendiscriminatie (IVUR). Dat verdrag werd in België goedgekeurd door de wet van 9 juli 1975.

Vrielink zegt dat de regering ongelijk heeft. Uitgerekend op het bewuste artikel dat nu wordt ingevoerd, maakte de toenmalige regering een voorbehoud. Ze ging er niet mee akkoord omdat het haaks op de vrijheid van meningsuiting stond. Liefst 19 andere staten maakten een soortgelijk voorbehoud, het artikel werd bijna nergens ingevoerd.

Volgens Vrielink is het dus absoluut niet nodig om deze nieuwe strafbaarstelling in te voeren, omdat men al « aanzetten tot haat, discriminatie en geweld » strafbaar heeft gemaakt.

De auteur vreest ook dat het nieuwe artikel 21 de toets van het Arbitragehof niet zal doorstaan. Wie het loutere « verspreiden van ideeën die gegrond zijn op rassuperioriteit of rassenhaat » strafbaar stelt, gaat aanmerkelijk verder dan wie « zijn voornemen tot haat of discriminatie bekend maakt » bestraft. Het Arbitragehof vernietigde die laatste strafbaarstelling.

Dit laatste misdrijf was vooral populair in de jaren zeventig, toen nogal wat cafés bordjes met daarop Interdit aux Nord-Africains voor hun ramen zetten. De bordjes werden strafbaar gemaakt, maar het Arbitragehof vernietigde die strafbaarstelling (tenminste in de antidiscriminatiewet) omdat ze botste met de vrijheid van meningsuiting. Zo'n bordje geeft volgens het Arbitragehof slechts aan dat je die allochtonen wil weigeren, niét dat je het ook effectief zal doen. Je kan immers nog van mening veranderen, vond het Hof.

Vrielink vreest dat het strafbaar maken van het loutere « verspreiden van ideeën » zeker kan sneuvelen bij het Arbitragehof, omdat dat Hof eerder al vond dat dit soort bordjes niet strafbaar mag worden gesteld. Vrielink besluit dat de vrijheid van meningsuiting door de nieuwe antidiscriminatiewet véél te zwaar wordt ingeperkt.

Opmerkelijk blijft bovendien dat het verspreiden van de idee van rassensuperioriteit strafbaar wordt, maar niet het verspreiden van ideeën over de inferioriteit van vrouwen, homo's of gehandicapten. De antidiscriminatiewet voert in deze zin zelfs nieuwe discriminaties in. »

Deux objections de taille ont été formulées à l'encontre de l'article proposé.

Premièrement, les notions qu'il reprend sont beaucoup trop vagues et trop ouvertes pour organiser une limitation de la liberté d'expression. Ce que certains considèrent comme du racisme apparaît à d'autres comme relevant du simple bon sens. La société a des opinions très partagées — c'est le moins que l'on puisse dire — sur ce que recouvre le racisme, jusqu'à quel point on peut le tolérer, s'il faut le combattre ou non et par quels moyens. Les juges sont aussi des êtres humains. Nous ne pouvons pas les mettre dans la situation où ils sont contraints d'interpréter des notions de la loi pénale, uniquement et avant tout à partir de leurs propres convictions philosophiques, idéologiques et politiques. Le justiciable doit, quant à lui, savoir exactement dans quels cas les opinions qu'il exprime sont punissables. Il ne peut pas être livré aux caprices du sort ou, plus spécialement, aux aléas des convictions des juges appelés à statuer sur ses actes ou opinions.

Les différents jugements et arrêts prononcés en application de la loi actuelle contre le racisme — loi où ne figure même pas encore la disposition dénoncée — traduisent des interprétations fort divergentes. Ces divergences apparaissent même à l'intérieur d'une même cause.

Comparons, par exemple, dans le cadre du procès contre le Vlaams Blok, l'opinion des trois juges du tribunal de première instance de Bruxelles aux avis très personnels et très politisés exprimés par les trois conseillers près la cour d'appel de Gand. Une telle imprécision et un tel arbitraire ne peuvent être tolérés dans aucune loi, et encore moins dans le cadre de la loi pénale et de la limitation de la liberté d'expression.

Dans le commentaire de cet article en projet, le gouvernement se borne à faire référence à la Convention de New York de 1965, mais c'est totalement insuffisant. Comme plusieurs autres États signataires, la Belgique a en effet formulé une « déclaration » ou une réserve, faisant référence à la liberté d'expression. Lors de l'élaboration de la loi initiale contre le racisme, il a été fait référence à plusieurs reprises à cette réserve.

Il faut en outre préciser que plusieurs États (même certains de ceux qui n'avaient pas formulé cette réserve) n'ont inséré aucune disposition pénale sanctionnant la propagation d'idées. Selon le spécialiste Jogchum Vrielink, l'incrimination d'opinions est même exceptionnelle. Aucun des États en question ne s'est fait rappeler à l'ordre par le Comité compétent des Nations unies.

Deuxièmement, l'absence de dol spécial est inacceptable. Un libraire qui avait reproduit et vendu un pamphlet nazi a été récemment acquitté et ce, à juste titre. En effet, il n'avait nullement été démontré que l'intéressé avait l'intention d'inciter au racisme. Il a sciemment diffusé le pamphlet et les idées qu'il renfermait, sans avoir eu l'intention d'inciter qui que ce soit à quoi que ce soit, sauf à faire preuve de curiosité historique.

Sous le régime de l'article 21 en projet, l'intéressé n'aurait pas pu être acquitté.

Pas plus que le libraire qui vend Mein Kampf ou tout autre ouvrage historique (les écrits de Marx, par exemple, traduisent eux aussi souvent des idées racistes), car le juge n'est pas censé vérifier si l'accusé a réellement l'intention d'inciter à la haine raciale. Le simple fait qu'il diffuse ces écrits suffit.

M. Hugo Vandenberghe maintient que le présent texte est suffisamment clair. L'intervenant fait référence à l'article 444 du Code pénal.

Cette disposition va trop loin.

L'intervenant rappelle l'observation formulée par le Service d'évaluation de la législation. Il existe des dispositions pénales dans ce domaine. Ou bien on reprend ces incriminations spécifiques, ou bien on cherche à aller plus loin.

L'intervenant ne peut se départir de l'impression que l'intention est d'aller plus loin et met en évidence le risque que représente l'intervention du droit pénal dans un débat politique.

La réponse du gouvernement est souvent très ponctuelle, ce qui pollue la discussion. Il faut instaurer des garanties précises.

Le ministre renvoie au point de vue du Conseil d'État, selon lequel « force est d'observer que l'article 21 de l'avant-projet peut se justifier dans la mesure où il est appliqué conformément aux articles de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) concernant la liberté d'expression et la liberté de la presse. »

M. Hugo Vandenberghe fait référence à la discussion relative à la liberté de culte, menée sous la précédente législature. Il va de soi que les libertés constitutionnelles et la CEDH doivent être respectées. Reste néanmoins à savoir quels sont les éléments objectifs spécifiques constitutifs du délit.

M. Mahoux rappelle qu'en 2003, la situation s'est précisément débloquée, à propos du motif religieux, parce qu'on a intégré dans le texte le respect des règles constitutionnelles.

Le rappel de ces règles et des normes européennes est donc, en telles matières, loin d'être inutile.

M. Hugo Vandenberghe juge cette référence inutile. On s'interroge sur la prévisibilité de la norme appliquée.

Article 22

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent les amendements nº 20 à 23 (Doc., Sénat, nº 3-2362/2).

Amendement nº 20

« Supprimer l'article 22 proposé ».

L'article 22 proposé énonce qu'est punissable quiconque fait partie d'un groupement ou d'une association qui « prône » la discrimination ou la ségrégation ou lui « prête son concours ».

Premièrement, dans le cas présent également, force est de constater que la définition de la « discrimination » revêt une importance capitale. Le constat qui s'impose une fois de plus est que le projet de loi va inutilement au-delà de ce que prescrivent la directive et la convention en incluant sans raison la « nationalité » dans les critères protégés et qui font souvent l'objet d'une prohibition. Le discours nationaliste parfaitement légitime, selon lequel une nation a pour mission première de veiller aux intérêts de ses ressortissants nationaux, se trouve ainsi erronément confondu avec la notion de « discrimination raciale » telle qu'elle est définie dans la Convention internationale, dans le cadre de laquelle la notion de race ou d'origine ethnique ne peut pas être invoquée pour justifier un traitement désavantageux, tandis que le critère de la nationalité n'y est pas visé explicitement. La criminalisation d'une association nationaliste qui milite pour les intérêts des personnes ayant la nationalité du propre pays est tout à fait injuste, comme l'a révélé la condamnation du Vlaams Blok à Gand en vertu de la disposition concernée.

Il est bon de rappeler par ailleurs que la directive ne prescrit aucunement une approche pénale: la directive dispose en son article 15, relatif aux sanctions, que celles-ci doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives », mais elle n'impose en aucun cas une approche pénale. On ne voit dès lors pas pourquoi des dommages et intérêts forfaitaires, une astreinte et une action en cessation ne suffisent pas à l'encontre d'un groupe ou d'une association qui commet une faute.

Il n'est pas nécessaire d'incriminer les membres d'une association ou d'un groupe qui incite à la discrimination ou ceux qui y prêtent leur concours du simple fait de leur adhésion ou de leur collaboration. Il n'y a à tout le moins pas de raisons suffisantes de porter atteinte au droit fondamental d'association. Les règles ordinaires relatives à la culpabilité en tant qu'auteur, coauteur, complice ainsi qu'à l'association de malfaiteurs (d'ailleurs, l'injonction figure également dans la loi en question) suffisent largement pour lutter contre l'incitation à la discrimination en groupe.

De même, une référence à la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes formes de discriminations raciales ne peut suffire. Premièrement, la Belgique a effectivement consigné une réserve (ou « déclaration », peu importe la dénomination) à cette convention. Le droit d'association est formellement mentionné dans cette réserve. Plusieurs autres pays ont consigné une réserve semblable. Deuxièmement, les quelques pays parties à la convention qui ont intégré une interdiction d'adhésion à certaines associations dans leur droit interne ont été rappelés à l'ordre par le comité concerné de l'ONU. Par conséquent, la Belgique ne doit pas se déclarer plus vertueuse que les autres, certainement pas lorsque la Convention des Nations unies sert de prétexte à l'interdiction de partis dissidents.

Amendement nº 21

« À l'article 22 proposé, supprimer les mots « ou la ségrégation ». »

On ne voit pas clairement ce que la notion de ségrégation ajoute à celle de discrimination. Existerait-il une forme de ségrégation qui ne serait pas discriminatoire ?

Amendement nº 22

« Compléter l'article 22 proposé comme suit: « alors qu'il sait que son affiliation ou sa collaboration incite à la discrimination ».

L'incrimination prévue à l'article 22 a été très fortement étendue. Toute forme de collaboration y est visée, même s'il n'y a aucune mauvaise intention dans le chef de la personne qui apporte son concours ou du membre du groupement ou de l'association, comme le montrent les quelques exemples qui suivent. Un magasin de photocopies qui met sciemment un de ses appareils à disposition d'un groupement ou d'une association visés au présent article est passible de sanctions, même si les textes photocopiés ne présentent aucun contenu raciste. Un exploitant de salle est passible de sanctions s'il met sa salle à la disposition d'un tel groupement ou d'une telle association, même si l'activité organisée n'incite nullement au racisme. Un chauffeur de taxi est passible de sanctions s'il conduit sciemment un leader d'un groupement ou d'une association visés à un meeting, même si ce meeting n'a aucun rapport avec l'incitation au racisme. Il n'est précisé nulle part que la personne concernée doit avoir l'intention d'apporter son concours à l'incitation à la discrimination. Si l'association concernée est un parti politique, il existe alors potentiellement des dizaines de milliers d'auteurs de discriminations qui peuvent être traduits en justice et punis, au seul gré des organismes cités à l'article 32. Une telle sévérité dans l'incrimination est complètement inutile. Pour lutter contre les phénomènes indésirables, il est largement suffisant de poursuivre les auteurs, les commettants, les complices, etc. Toutefois, si l'on maintient l'article 22, il faut à tout le moins y ajouter une condition d'intention particulière.

L'article 140, § 1er, de la loi relative aux infractions terroristes dispose ce qui suit:

« Toute personne qui participe à une activité d'un groupe terroriste, y compris par la fourniture d'informations ou de moyens matériels au groupe terroriste, ou par toute forme de financement d'une activité du groupe terroriste, en ayant connaissance que cette participation contribue à commettre un crime ou un délit du groupe terroriste, sera punie de ... ».

En d'autres termes, il faut que l'intéressé sache pertinemment bien ce qu'il fait. On peut difficilement croire que l'incitation à la discrimination est un délit plus grave que la participation à des activités terroristes. Dans le même ordre d'idées, il est également inexplicable que la collaboration à un groupe prônant la discrimination doive être punie beaucoup plus largement (et plus sévèrement) que la collaboration à un groupe raciste.

Le présent amendement vise à supprimer cette discrimination manifeste et à appliquer à cet article la condition supplémentaire qui figure dans la loi relative au terrorisme.

Amendement nº 23

« À l'article 22 proposé, remplacer les mots « prône la discrimination ou la ségrégation » par les mots « incite à la discrimination ou à la ségrégation ».

L'article 20 proposé vise les personnes qui « incitent » à la discrimination, alors que l'article 22 en projet vise celles qui « prônent » la discrimination. Y a-t-il une différence entre ces deux notions ? Si oui, qu'est-ce qui justifie cette différence ?

M. Ceder se demande pourquoi c'est soudain le mot « prône » qui est ici utilisé. Le ministre fait référence à la convention de New York. Pourquoi alors utiliser une terminologie différente à l'article 20 ? La notion retenue dans le présent article a-t-elle un champ d'application moins large ?

Article 23

M. Hugo Vandenberghe fait référence à l'observation suivante du service d'Évaluation de la législation.

« 1) La loi en projet dispose à l'article 23, alinéa 1er et 2:

« Est puni d'un emprisonnement de deux mois à deux ans, tout fonctionnaire ou officier public, tout dépositaire ou agent de l'autorité ou de la force publique qui, dans l'exercice de ses fonctions, commet une discrimination à l'égard d'une personne en raison de l'un des critères protégés.

Les mêmes peines sont applicables lorsque les faits sont commis à l'égard d'un groupe, d'une communauté et de leurs membres, en raison de l'un des critères protégés. »

Cette disposition sanctionne plus lourdement les fonctionnaires qui se rendent coupables de discrimination que ceux qui se rendent coupables de harcèlement ou de violence au travail, alors qu'il s'agit de problématiques comparables, qui se recoupent partiellement et sont abordées conjointement par le droit européen.

À cet égard, il faut noter que la loi du 4 août 1996 sur le bien-être des travailleurs, qui reprend depuis 2002 un important dispositif anti-harcèlement, dispose à l'article 81, 1º:

« Sans préjudice des dispositions des articles 82 à 87 sont punis d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 50 à 1 000 EUR ou d'une de ces peines seulement:

1º l'employeur, ses mandataires ou préposés qui ont enfreint les dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution;

2º (...) »

La Cour d'arbitrage a, certes, jugé à plusieurs reprises que l'appréciation du caractère plus ou moins grave d'une infraction et de la sévérité avec laquelle cette infraction peut être punie, relève du jugement d'opportunité qui appartient au législateur. Toutefois, la Cour s'estime compétente pour vérifier si le choix du législateur contient une incohérence telle qu'il aboutit à un traitement différent manifestement déraisonnable d'infractions comparables. Il n'est peut-être pas inutile de vérifier si l'article 5 offre toutes les garanties à cet égard.

Il est, par ailleurs, étrange que cette disposition ne prévoie pas de sanction pénale alternative sous la forme d'amendes, à la différence des autres dispositions pénales de la loi en projet.

2) L'alinéa 4 mériterait d'être corrigé. Dans sa version actuelle, cet alinéa est partiellement redondant. Il énonce:

« Si les fonctionnaires ou officiers publics prévenus d'avoir ordonné, autorisé ou facilité les actes arbitraires susmentionnés prétendent que leur signature a été surprise, ils sont tenus en faisant, le cas échéant, cesser l'acte, de dénoncer le coupable; sinon, ils sont poursuivis personnellement ».

En indiquant que les fonctionnaires sont tenus de dénoncer le coupable, cet article n'ajoute rien par rapport à la norme générale inscrite à l'article 29 du Code d'instruction criminelle.

3) L'alinéa 5 est également redondant par rapport à l'article 194 du Code pénal, qui énonce déjà que le faux et l'usage de faux est, pour ce qui concerne les fonctionnaires, puni de la réclusion de 10 à 15 ans. »

Le ministre répond que les deux infractions citées et les peines prévues sont maintenues telles qu'elles existent aujourd'hui.

Quant à la différence de niveau de peine, dans un cas, le comportement incriminé vise les relations entre un fonctionnaire et les usagers du service public, et l'on sait que des obligations pèsent plus spécifiquement sur un fonctionnaire dans le cadre de ses relations avec ces usagers. Dans l'autre cas, il s'agit de harcèlement au sein d'une organisation de travail.

Articles 24 et 25

Ces articles n'appellent pas d'observation.

Article 26

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« Cette disposition sanctionne plus lourdement les personnes qui se rendent coupables de discrimination que ceux qui se rendent coupables de harcèlement ou de violence au travail, alors qu'il s'agit de problématiques comparables et qui, de surcroît, se recoupent partiellement.

Ainsi, l'article 88bis de la loi du 4 août 1996 dispose:

« Sans préjudice des dispositions des articles 269 à 272 du Code pénal, sont punis d'un emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de 26 à 500 EUR ou d'une de ces peines seulement les personnes qui n'ont pas mis fin à la violence ou au harcèlement moral ou sexuel au travail dans le délai qui leur a été fixé par la juridiction compétente en vertu de l'article 32decies. ».

L'article 26 de la loi en projet dispose, pour sa part:

« Sont punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante euros à mille euros, ou de l'une de ces peines seulement, ceux qui ne se conforment pas à un jugement ou un arrêt rendu en vertu de l'article 18 à la suite d'une action en cessation. ».

Il serait sans doute utile que le législateur justifie cette différence de traitement au regard des critères d'égalité et de non-discrimination. »

Article 27

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« Il conviendrait de remplacer les mots « d'infraction aux » par « d'application des » (en néerlandais: « In geval van toepassing ... » en lieu et place de « In geval van inbreuk ... »). »

Article 28

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque suivante du service d'Évaluation de la législation:

« Compte tenu de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, il serait sans doute utile que le législateur justifie cette différence de traitement au regard des critères d'égalité et de non-discrimination.

En effet, cet article dispose: « Toutes les dispositions du Livre Premier du Code pénal, sans exception du chapitre VII et de l'article 85, sont applicables aux infractions prévues par la présente loi ». Il inclut donc dans son dispositif, sans restriction, l'application des circonstances atténuantes et celle du chapitre relatif à la participation.

Cette inclusion n'est, en revanche, pas prévue dans les mêmes conditions pour les personnes qui se rendent coupables de harcèlement ou de violence au travail (loi du 4 août 1996), alors qu'il s'agit de problématiques comparables et qui, de surcroît, se recoupent partiellement (voir supra). En effet, le montant de l'amende ne peut pas être inférieur à 40 % des montants minima visés par cette loi. »

Amendement nº 35

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 35 (doc. Sénat, nº 32362/2), qui vise à supprimer l'article 28.

Le Conseil d'État juge cette disposition manifestement anticonstitutionnelle. Pour justifier la suppression proposée, l'auteur de l'amendement cite dès lors l'avis rendu en la matière:

« La section de législation du Conseil d'État croit dès lors pouvoir confirmer la considération suivante émise dans son avis 32.967/2:

« Une question aussi délicate [que les modalités relatives aux tests de situation], et qui met en cause des principes constitutionnels, ne peut être abandonnée à la compétence du Roi mais doit être réglée, à tout le moins quant aux principes essentiels, par le législateur lui même, à qui il appartient de trouver un juste équilibre entre la promotion de l'égalité et de la non-discrimination (article 10 et 11 de la Constitution) et les autres droits et libertés fondamentales, et de veiller ainsi à ce que les « tests de situation » ne puissent encourir le reproche de constituer des provocations ou des procédés déloyaux. »

L'exigence de légalité ainsi rappelée, qui implique non seulement une limite à la possibilité d'une habilitation au Roi mais aussi que le texte législatif soit rédigé de manière claire et précise, vaut pour l'ensemble des procédés autorisant le renversement de la charge de la preuve.

Les dispositions citées plus haut, sous le nº 4, des directives pertinentes en matière de partage de la charge de la preuve des discriminations, laissent aux États le soin d'organiser le système; il leur appartient bien entendu à cette occasion de respecter les principes fondamentaux de leur ordre juridique sur ces questions, en ce compris le principe de légalité.

Les amendements à l'examen ne paraissent pas rédigés, sur ce point, de manière adéquate. Ainsi, les éléments proposés par les paragraphes 2 et 3 des dispositions proposées pour établir les faits constitutifs de la présomption de l'existence d'une discrimination ne sont énumérés qu'à titre exemplatif.

En outre, les notions comme celles de « certaine récurrence de traitement défavorable », de « différents signalements », de « personne de référence », de « statistiques générales », de « faits de connaissance générale » ou de « matériel statistique élémentaire » doivent être explicitées dans le texte même.

Enfin, si le recours aux tests de situation n'est plus prévu dans les dispositions proposées par les amendements et qu'en conséquence, il peut à première vue être satisfaisant de constater que l'habilitation faite au Roi quant aux modalités qui leur sont relatives se trouve omise, on ne peut toutefois exclure, sous réserve de ce qui vient d'être observé, que le recours à ce procédé entre dans certaines des formules générales des paragraphes 2 et 3.

Ceci ne paraît pas pouvoir être admis, compte tenu du principe de légalité prérappelé: l'appréciation de la validité des procédés utilisés ne serait en effet plus encadrée, comme il conviendrait qu'elle le soit par le législateur lui-même. Il en va d'autant plus ainsi que les notions utilisées sont encore bien moins précises que la notion de test de situation.

La question se pose de savoir si ce renversement de la charge de la preuve sur la base de l'élimination d'autres facteurs peut également être appliqué en dehors du contexte de l'égalité des rémunérations. Dans le cas où deux travailleurs effectuent un travail de valeur égale, on peut en effet raisonnablement escompter qu'ils reçoivent une rémunération identique.

Si tel n'est pas le cas, une discrimination peut raisonnablement être présumée. Dans d'autres cas, notamment celui où il convient d'opérer un choix entre différentes personnes concernées, comme par exemple lors d'un recrutement, d'une promotion, d'un licenciement ou lors de la vente et de la location d'un bien, il n'est pas raisonnable de déduire une présomption de discrimination de la simple différence de traitement. En effet, dans un certain nombre de cas, l'employeur, le vendeur, le bailleur, etc., est inévitablement amené à procéder à une distinction en raison de la nature de l'acte même.

Il résulte de ce qui précède que les mécanismes de mise en œuvre du renversement de la charge de la preuve, tels qu'ils sont envisagés par les amendements, devraient être plus soigneusement encadrés par le législateur. »

Le Conseil d'État évoque aussi à juste titre la faculté qu'ont les États membres de ne pas renverser la charge de la preuve s'ils prévoient dans leur législation qu'une juridiction ou une autre instance compétente peut instruire les faits (art. 8 de la directive 2000/43). C'est d'ailleurs ce que le législateur fait en prévoyant à l'article 34 que, sans préjudice des attributions des officiers de police judiciaire, les fonctionnaires désignés par le Roi surveillent le respect de la loi. Dans cette optique, le renversement de la charge de la preuve ne constitue donc plus du tout une obligation européenne, mais bien un choix idéologique en conséquence duquel, selon le Conseil d'État, il sera difficile voire impossible pour l'accusé de fournir la preuve contraire, ce qui est contraire aux droits de la défense et à l'égalité des armes. La formule du gouvernement est de nature à créer un climat de paranoïa, de règlement de comptes individuels et de justice privée.

Le ministre répond que ce sont les directives européennes qui nous imposent d'introduire dans notre droit le partage ou le renversement de la charge de la preuve. Celui-ci s'impose aux autorités nationales, quelles qu'elles soient, y compris au juge.

De plus, on sait que la position de la victime d'une discrimination est toujours défavorable, si l'on ne l'aide pas quelque peu à faire valoir ses droits.

Quant à l'avis du Conseil d'État, il a été rendu dans l'ignorance des travaux menés en commission, et où l'ensemble des concepts considérés comme vagues ont été définis, et leurs références à la jurisprudence européenne rappelées.

Des données telles que « récurrence de traitement défavorable », « matériel statistique élémentaire » ou « critère de distinction intrinsèquement suspect » sont des concepts appliqués dans la jurisprudence étrangère et nationale, dont l'utilisation ressort des litiges portés devant la Cour de justice.

Pour ce qui est du fait que l'on en reste à un système flexible et souple, c'est de propos délibéré et de manière à faire en sorte qu'une liste limitée et détaillée n'ait pas un effet contre-productif par rapport à la mesure que l'on vise.

Le ministre rappelle que, dans notre système juridique, la preuve est libre, et qu'en ce qui concerne le partage de la charge de la preuve, il s'agit d'un système en deux étapes: tout d'abord, on présente un certain nombres d'éléments (faits, statistiques générales, ...) au juge, qui apprécie leur recevabilité, puis celui-ci se tourne vers la personne censée avoir discriminé, et lui demande quelle est la raison positive pour laquelle elle a éventuellement fait une distinction justifiée conformément à un but légitime.

Ce système, qui existe depuis 2003, n'a pas donné lieu à une multiplication de litiges devant les tribunaux.

C'est à tort que le Conseil d'État laisse entendre que la Cour d'arbitrage pourrait voir quelque inconstitutionnalité dans les dispositions en question.

M. Hugo Vandenberghe renvoie à la remarque du Conseil d'État selon laquelle les directives et la jurisprudence de la Cour européenne de Justice qui sont invoquées par les gouvernements ne sont pas considérées comme pertinentes.

Article 29

Amendement nº 24

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 24 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 29.

Il n'y a pas lieu d'introduire dans le cadre de cette problématique des règles spéciales en ce qui concerne la charge de la preuve et l'administration de la preuve. Les règles ordinaires peuvent suffire. On constate plus particulièrement que, dans le projet, la charge de la preuve est trop facilement renversée. De plus, la possibilité qui est donnée de recourir à des tests de situation n'est pas acceptable du point de vue de l'État de droit.

Article 30

Amendement nº 25

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 25 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 30.

Il n'y a pas lieu d'introduire dans le cadre de cette problématique des règles spéciales en ce qui concerne la charge de la preuve et l'administration de la preuve. Les règles ordinaires peuvent suffire. On constate plus particulièrement que, dans le projet, la charge de la preuve est trop facilement renversée. De plus, la possibilité qui est donnée de recourir à des tests de situation n'est pas acceptable du point de vue de l'État de droit.

Article 31

Amendement nº 26

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 26 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à compléter l'article 31 par la disposition suivante:

« La qualité de membre du conseil d'administration du Centre est incompatible avec l'exercice d'un mandat politique, la participation à un cabinet, l'affiliation à un parti politique ou l'exercice d'une fonction, rémunérée ou non, dans toute initiative financée ou subventionnée par les pouvoirs publics. »

Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, organisme largement financé et richement doté en personnel par l'État, est censé veiller, en toute neutralité et en toute indépendance, au respect de la loi anti-racisme.

Depuis sa création, ce centre n'est jamais parvenu à respecter cette neutralité, car son conseil d'administration est peuplé ouvertement de collaborateurs du gouvernement, de collaborateurs de ministres et de collaborateurs de partis politiques.

La composition du conseil d'administration du Centre change relativement souvent, mais à l'époque des poursuites contre le parti Vlaams Blok, les membres qui y siégeaient avec sans-gêne étaient le VLD Stefan ECTOR, la figure de proue de Spirit Vic ANCIAUX, la députée CD&V Nahima LANJRI, le SP.a Tarik FRAIHI, l'homme politique EL MOUDEN et même le chef de Cabinet adjoint du ministre des Affaires étrangères.

Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme était dès lors — et est toujours — avant tout un organisme qui vise l'opposition.

Si une institution publique était administrée par des représentants du gouvernement en Russie ou aux États-Unis, dans le but de s'en prendre à l'opposition, on parlerait à juste titre de pratiques antidémocratiques, d'abus de pouvoir et d'atteinte aux droits et libertés fondamentaux. La même conclusion s'impose dans notre pays.

La disposition de la loi relative au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme qui consacre la neutralité du conseil d'administration est systématiquement foulée aux pieds. Il est dès lors indispensable d'inscrire dans cette loi une interdiction plus détaillée.

Article 32

Amendement nº 27

M. Ceder et Mme Van dermeersch déposent l'amendement nº 27 (doc. Sénat, nº 3-2362/2) visant à supprimer l'article 32.

L'article 32 proposé organise une procédure que les juristes ont critiquée à juste titre en la qualifiant de privatisation des poursuites pénales.

Dans un État de droit démocratique, c'est en principe le ministère public qui apprécie si l'engagement de poursuites pénales est possible au niveau juridique et opportun sur le plan social.

Déléguer le droit de procéder à cette appréciation ne peut pas être fait à la légère. D'une part, des personnes pourront être traînées inconsidérément devant les tribunaux et seront de ce fait obligées de supporter des frais de justice et d'autre part, les acquittements qui en découleront contribueront à vider la loi contestée de sa portée.

La pratique en Belgique nous apprend que la privatisation des poursuites pénales entraîne des dérapages inacceptables.

Les poursuites contre le parti politique Vlaams Blok ont été intentées par la Liga voor Mensenrechten, un club détourné par l'extrême-gauche qui a verrouillé la possibilité d'adhésion de nouveaux membres d'une manière complètement antidémocratique. Après le double acquittement du Vlaams Blok, on trouva à Gand quelques excellents juges pour régler l'affaire. La condamnation du parti a valu une grande victoire électorale au Vlaams Belang en 2004, ce qui n'était sans doute pas l'effet désiré par les auteurs de la loi contre le racisme.

Il est assurément des associations qui ne disposent d'aucune autorité pour intenter des poursuites pénales privatisées: les syndicats belges. Ceux-ci organisent, d'une manière complètement antidémocratique, un monopole d'assistance et de conseils syndicaux et accaparent les élections sociales. En outre, ils excluent, d'une manière manifestement discriminatoire, des personnes qui participent aux élections sur la liste électorale de leur choix, lorsque leurs convictions politiques ne plaisent pas aux syndicats.

Il est donc légitime de supprimer l'ensemble de l'article proposé.

Le ministre répond qu'il s'agit ici, à nouveau, d'une exigence européenne.

M. Ceder estime que la Belgique a aussi son mot à dire. Il est trop facile de se retrancher derrière la législation européenne.

Le ministre répond qu'il trouve positif qu'au niveau européen, on ait introduit le principe du partage de la charge de la preuve.

V. VOTES

Les amendements nos 1 à 4 et 6 à 13 de M. Ceder et Mme Van dermeersch sont rejetés par 11 voix contre 1 et 1 abstention.

L'amendement nº 5 de M. Ceder et Mme Van dermeersch est rejeté par 11 voix contre 2.

Les amendements nos 14 à 18 de M. Ceder et Mme Van dermeersch sont rejetés par 11 voix contre 2 et 1 abstention.

L'amendement nº 19 de M. Ceder et Mme Van dermeersch est rejeté par 11 voix contre 3.

L'amendement nº 28 de M. Hugo Vandenberghe est rejeté par 10 voix contre 2.

Les amendements nos 29 à 32 de M. Hugo Vandenberghe sont rejetés par 11 voix contre 2.

Les amendements nos 33 et 35 de M. Hugo Vandenberghe sont rejetés par 11 voix contre 3.

L'amendement nº 34 devient sans objet.

IV. CORRECTIONS DE TEXTE

La commission apporte les corrections de texte suivantes qui ne modifient pas le contenu du projet de loi:

Remarque générale

Afin d'utiliser la même terminologie que les directives 2000/43/CE, 2000/78/CE et 2002/73/CE, et par souci de cohérence avec d'autres dispositions du même texte de loi en projet, il convient de remplacer, dans la version française, les mots « sur base de l'un [des critères protégés] » par « fondée sur l'un [des critères protégés] ». Cette modification concerne les articles 3 et 22.

Art. 15

L'article 15, § 7, 3º, dans le texte néerlandais, le mot « rechtsorgaan » est remplacé par le mot « rechtscollege ».

Art. 17

Le mot « novies » est remplacé par le mot « nonies ».

Art. 18

Au § 5, il est fait référence aux lois coordonnnées du 12 juin 1973 sur le Conseil d'État (en néerlandais: « gecoördineerde wetten van 12 juni 1973 »). Cette référence est incorrecte: il faut lire « 12 janvier 1973 » (en néerlandais: « 12 januari 1973 »).

VI. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi corrigé a été adopté par 11 voix contre 2 et 1 abstention.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 12 membres présents.

Les rapporteurs, Le président,
Philippe MAHOUX.
Fauzaya TALHAOUI.
Hugo VANDENBERGHE.

Sous réserve des corrections techniques mentionnées ci-dessus, le texte adopté par la commission est identique au texte du projet transmis par la Chambre des représentants (voir doc. Chambre nº 51-2720/11)


(1) Doc. Sénat, S.E. 1999, no 2-12/1, p. 4; 2001-2002, no 2-12/15, p. 99, 121.

(2) Arrêt 157/2004, B.35.