3-1954/1

3-1954/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

5 DÉCEMBRE 2006


EXAMEN DE LA SUBSIDIARITÉ


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la Directive 97/67/CE en ce qui concerne l'achèvement du marché interne des services postaux de la Communauté COM(2006)594


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR

MME KAPOMPOLÉ


I. INTRODUCTION

Il convient d'abord de préciser que ce contrôle de subsidiarité et de proportionnalité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la Directive 97/67/CE en ce qui concerne l'achèvement du marché interne des services postaux de la Communauté COM(2006)594 est une opération « test ». Elle découle des décisions prises par la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires) lors de ses réunions de Londres, en octobre 2005, et de Vienne, en février 2006. Il s'agit d'ailleurs d'un troisième test. Le Sénat a en effet déjà réalisé un test sur une proposition de directive relative au transport ferroviaire et sur la proposition de règlement sur la compétence et les règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale.

Conformément aux dispositions du Protocole sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité d'Amsterdam, le contrôle de subsidiarité et de proportionnalité s'exerce dans le délai de six semaines à partir du moment où la proposition de la commission est mise à la disposition du Parlement et du Conseil dans toutes les langues. Pour le Sénat de Belgique, ce contrôle doit être achevé au plus tard le 12 décembre 2006.

Bien que la Commission européenne ne soit pas liée par les conclusions de notre Commission, vu que les dispositions pertinentes ne sont pas applicables en raison de la non-ratification de la Constitution européenne, elle a toutefois annoncé qu'elle tiendrait compte des remarques formulées par les parlements nationaux.

C'est dans ce cadre que la commission des Finances et des Affaires économiques s'est réunie les 29 novembre et 5 décembre, en vue de formuler la présent conclusion.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE MME KAPOMPOLÉ, RAPPORTEUSE

A. Le cadre communautaire pour les services postaux

Le cadre communautaire pour les services postaux est actuellement constitué par la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997, modifiée par la directive 2002/39/CE du 10 juin 2002. La directive 97/67/CE modifiée établit un « service universel » qui comprend la levée, le tri, le transport et la distribution — au moins cinq jours par semaine — des envois postaux jusqu'à 2 kg et des colis postaux jusqu'à 10 kg (ou 20 kg, au choix des autorités nationales). La directive de 1997 dispose également que dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer le maintien du service universel, les États membres peuvent continuer à réserver des services à un des prestataires du service universel.

B. La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne l'achèvement du marché interne des services postaux de la Communauté COM(2006)594, la proposition de directive Mc Creevy

Sur la base des résultats de sa consultation et de diverses études dont celles des deux consultants, la Commission présente au Conseil et au Parlement pour adoption, un nouveau projet de directive qui propose de libéraliser totalement le secteur postal pour le 1er janvier 2009.

Ce texte a été finalisé et adopté par la Commission le 18 octobre 2006. C'est le Conseil Européen Télécoms et Transports des 11 et 12 décembre 2006 qui devrait examiner le texte de cette nouvelle directive pour la première fois.

Cette proposition de directive devra être adoptée et donc confirmée ou amendée, par la procédure de codécision, c'est-à-dire avec l'accord du Parlement européen et du Conseil des ministres de l'Union européenne (à la majorité qualifiée).

La Commission européenne considère que la confirmation de 2009 comme date d'achèvement du marché intérieur des services postaux permettra, grâce à une concurrence accrue, d'améliorer le service en terme de qualité, de prix et de choix disponible pour les consommateurs et de libérer le potentiel de croissance et de création d'emplois du secteur.

La proposition entend maintenir le service universel, eu égard à la nécessité de préserver la cohésion sociale et territoriale, et compte tenu du fait que les États membres peuvent adapter certaines caractéristiques de leur service à la demande locale. La directive de 1997 avait prévu la désignation des prestataires du service universel par les États membres, mais, avec le renforcement prévisible de la concurrence, la Commission juge que les États devraient jouir d'une plus grande liberté. Les opérateurs historiques ne seront donc plus nécessairement les prestataires du service universel.

Les États membres pourront retenir l'une ou plusieurs des options suivantes: laisser aux forces du marché le soin de fournir le service universel, charger une ou plusieurs entreprises d'en fournir tel ou tel volet ou de couvrir telle ou telle partie du territoire, ou passer des appels d'offres.

La proposition énumère ensuite plusieurs options pour le financement du service universel, à l'exception du maintien d'un secteur réservé, dans la mesure où les opérateurs historiques ne seront plus les prestataires du service universel. Ainsi, sont suggérés comme possibilités de financement, la compensation publique par des subventions directes de l'État ou, indirectement, au moyen de la passation de marchés publics, la création d'un fonds de compensation financé par une redevance des prestataires de services et/ou des utilisateurs.

Cette liste n'est pas limitative car les États membres doivent avoir la liberté de décider de la méthode de financement la mieux adaptée à leur situation particulière, en veillant à éviter « toute distorsion disproportionnée » du fonctionnement du marché.

Enfin, les principales autres mesures figurant dans la proposition de directive ont trait aux conditions d'octroi des autorisations et licences délivrées aux nouveaux opérateurs, ainsi qu'aux modalités d'accès aux éléments de l'infrastructure postale (système de code postal, base de données des adresses, boîtes postales, boîtes aux lettres, informations sur les changements d'adresse, service du retour à l'expéditeur).

C'est à partir de ces éléments et uniquement à partir de ceux-ci que nous pouvons procéder aux contrôles de subsidiarité et de proportionnalité.

C. Principe de subsidiarité

En vertu de l'article 5 du traité instituant la Communauté européenne, le contrôle de la subsidiarité conduit à vérifier que, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient « que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».

Dans l'exposé des motifs de sa proposition, la Commission européenne fait valoir que l'action envisagée poursuit trois objectifs:

— achever le marché intérieur des services postaux par la suppression des droits spéciaux ou exclusifs;

— sauvegarder un niveau commun de service universel pour tous les utilisateurs dans tous les États membres;

— établir des principes harmonisés de régulation des services postaux dans un marché ouvert.

Elle ajoute que ces objectifs ne peuvent être atteints de manière suffisante par les seuls États membres et que, du fait de la portée et des effets de l'action proposée, ils peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire. Il semble difficile d'affirmer que la Communauté n'est pas la plus apte à réaliser les trois objectifs précités, qui comportent tous une dimension transnationale.

De plus, il faut rappeler que la proposition de la Commission vise à modifier une directive adoptée en 1997 et déjà modifiée en 2002. Invoquer le principe de subsidiarité à l'encontre de cette proposition pourrait laisser supposer que, depuis neuf ans, la réglementation communautaire régit un domaine relevant des droits nationaux, sans que cela n'ait suscité de réactions de la part des États membres.

Pour ces diverses raisons, il est logique de penser que la proposition de directive n'appelle pas d'observation particulières au regard du principe de subsidiarité.

D. Le principe de proportionnalité

En revanche, la question de la proportionnalité soulève des interrogations. Pour rappel, le principe de proportionnalité est le corollaire du principe de subsidiarité, l'examen d'un de ces principes entraîne nécessairement l'examen de l'autre.

En la matière, l'article 5, paragraphe 3, du traité prévoit que « l'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ».

Dans son exposé des motifs, la Commission justifie son intervention au regard du principe de proportionnalité en avançant deux types d'arguments insuffisants:

— la proposition se contente de prévoir un cadre général d'éléments réglementaires plutôt qu'une série détaillée de règles visant à réguler le secteur;

— la proposition offre aux États membres plusieurs moyens possibles d'atteindre au mieux les objectifs recherchés. Plusieurs exemples sont d'ailleurs mentionnés.

La question de la nécessité et des conséquences de la suppression totale du domaine réservé comme mode de financement du service universel est néanmoins au cœur du débat et peut conduire à s'interroger sur le respect du principe de proportionnalité.

Il s'agit de savoir si en préconisant la disparition du principe domaine réservé, c'est-à-dire, pour l'essentiel, du monopole de l'opérateur historique sur les correspondances d'un poids inférieur à 50 grammes, la proposition de la Commission européenne n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

Pour rappel, la Commission avait autorisé que certains services puissent être réservés au prestataire du service universel en contrepartie de la charge qu'entraînait celui-ci. Il est important de rappeler que dans la plupart des États membres, le prestataire du service universel est souvent l'opérateur historique.

Cette interrogation est aussi celle du gouvernement belge et de La Poste. Avant même que la Commission ne publie sa proposition, La Poste belge avait d'ailleurs signé, avec neuf autres opérateurs postaux (Chypre, France, Grèce, Italie, Hongrie, Luxembourg, Malte, Pologne et Espagne) une déclaration conjointe laissant apparaître un clivage entre l'Europe du Nord, d'une part, et l'Europe du Sud et de l'Est, d'autre part.

Aux termes de cette déclaration, les signataires se disent inquiets de constater que, malgré l'appel à la prudence qu'ils avaient émis en juillet dernier, aucune démonstration n'est apportée de l'efficacité des mesures envisagées par la Commission pour le financement du service universel postal.

Ces mesures n'ont fait l'objet d'aucun test économique ou opérationnel et n'apportent pas la sécurité juridique suffisante.

Il apparaît dès lors que quatre arguments sont susceptibles de mettre en cause le respect du principe de proportionnalité par la proposition de directive:

— la Commission n'apporte pas la preuve que les mesures de financement alternatives au maintien du domaine réservé sont plus efficientes;

— la suppression du secteur réservé est susceptible de fragiliser les prestataires du service universel;

— les exemples de libéralisation anticipée du marché postal ne sont pas probants;

— la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes confirme la possibilité de maintenir des droits exclusifs en matière postale.

En ce qui concerne l'incertitude entourant les mesures de financement alternatives au maintien du domaine réservé, aucunes de ces mesures ne met à l'abri l'opérateur en charge du service universel postal d'une éventuelle remise en cause de la méthode choisie ou des modalités de celle-ci par la Commission européenne dans le cadre de ses pouvoirs discrétionnaires en matière de droit de la concurrence (article 86 TCE). Elles n'offrent donc aucune sécurité juridique.

Ensuite, en termes de faisabilité technique, l'on constate que ces méthodes sont soit difficiles à mettre en œuvre (coût, litiges entre opérateurs sur les contributions, ...), soit techniquement peu ou pas possible (aides d'État en principe interdites, licitation sans garantie de trouver un « (mieux) offrant », ...).

Enfin, en termes d'efficacité en tant que méthode de financement du service universel postal, sur la base de l'expérience en télécoms, et dans les pays où le fonds de compensation a été mis en place dans le secteur postal (Italie), l'on peut conclure que seule l'aide d'État est une technique de financement efficace.

Encore faut-il que cette aide puisse être mise en œuvre par l'État (volonté politique, disponibilité des ressources dans le budget sans création d'une nouvelle recette, prioritisation budgétaire) et qu'elle soit autorisée par l'UE (cf. supra).

La deuxième incertitude sur le respect du principe de proportionnalité consiste dans le fait que la suppression du secteur réservé serait susceptible de fragiliser les prestataires du service universel. L'intervention de la Communauté européenne ne devrait être justifiée que par l'apport d'une valeur ajoutée au regard de la situation existante.

Or, en supprimant la possibilité de maintenir un secteur réservé, il est possible que les prestataires du service universel soient affaiblis, ce qui se traduirait négativement sur le niveau et la qualité du service universel.

Le troisième argument relatif au non-respect du principe de proportionnalité s'appuie sur ce que les exemples de libéralisation anticipée du secteur postal ne sont pas probants. À ce jour, le secteur réservé a déjà été supprimé en Finlande, en Suède et au Royaume-Uni. L'Allemagne et les Pays-Bas ont l'intention de le faire dès 2008, anticipant ainsi la date butoir de 2009.

La Commission met en avant ces différents exemples et considèrent qu'ils donnent une impulsion forte aux États membres appliquant toujours un secteur réservé pour s'engager rapidement dans la même direction. Or, ce point de vue est contesté par la réalité que vivent actuellement au moins deux de ces trois pays.

Enfin, en ce qui concerne la dernière incertitude, la jurisprudence de la Cour de justice confirmait la possibilité de maintenir des « droits exclusifs » en matière postale. Dans son arrêt « Corbeau » du 19 mai 1993, statuant sur des questions préjudicielles concernant le droit exclusif de collecter, de transporter et de distribuer le courrier confié par la loi belge à la Régie des postes, la CJCE a admis que l'article 90 du traité permet aux États membres de conférer à des entreprises, qu'ils chargent de la gestion de services d'intérêt économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l'application des règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires des droits exclusifs.

Cette jurisprudence viendrait donc conforter juridiquement la nécessité économique et sociale du maintien du secteur réservé comme option laissée aux États membres pour financer le service universel.

E. Conclusions du rapporteur

Pour toutes ces raisons, le rapporteur émet les considérations suivantes en soutien à son avis afin de défendre une position engagée en faveur des services postaux:

— la libéralisation doit être progressive et encadrée pour permettre à l'opérateur traditionnel d'améliorer sa performance dans un cadre régulé et équitable, c'est-à-dire où chaque opérateur en service universel est soumis à des impératifs de qualité, d'universalité de service (zone minimum à desservir) et concurrence loyale (pas de dumping social). La date du 1er janvier 2009 est trop rapprochée, elle ne permet pas à la Poste de mener à bien tant ses mesures de restructuration internes entamées depuis plusieurs années que les mesures encore nécessaires;

— on ne peut se contenter d'une conception minimaliste des services inclus dans la notion de service universel. Il doit s'agir d'un service universel de qualité qui épouse les avancées technologiques liées à la société de l'information et qui oblige la fourniture de services déterminés sur l'ensemble du territoire du pays à des prix abordables et à des conditions de qualité similaires, et ce, quelle que soit la rentabilité des opérations considérées au cas par cas;

— l'État doit pouvoir assurer le financement des tâches de service public qu'il confie à l'opérateur traditionnel. Il est déraisonnable d'abandonner le principe du financement du service universel postal via les services réservés (le monopole, en particulier sur le courrier de moins de 50 g) dans la mesure où les autres solutions alternatives proposées ne sont pas tenables;

— il est également déraisonnable de libéraliser plus avant, sans s'assurer au préalable un minimum d'encadrement des conditions de travail (au vu de l'expérience étrangère et du secteur déjà libéralisé, les opérateurs utilisent du personnel sous statut indépendant, des étudiants et femmes au foyer, pour quelques heures en fonction des besoins). Il s'agit là d'un véritable dumping social. Il convient donc au préalable de constituer une commission paritaire propre au secteur postal et un système de conventions collectives de secteur pour réguler au minimum les conditions de travail;

— il est insensé de libéraliser plus avant tant que la démonstration n'est pas faite que toutes les parties s'y retrouvent (les grandes et petites entreprises, les zones densément peuplées et les autres, les petits et les grands consommateurs) et que les conséquences négatives pour certains clients que la libéralisation obligatoirement entraînera, seront limitées et encadrées comme c'est le cas dans le cadre de la libéralisation du secteur énergétique (gaz et électricité).

III. DISCUSSION

M. Bruno Tuybens, secrétaire d'État aux Entreprises publiques, adjoint à la ministre du Budget, explique que la libéralisation proposée des services postaux en 2009 aura plusieurs conséquences majeures pour La Poste et, plus généralement, pour les différentes parties prenantes.

À cet égard, l'intervenant déclare s'abstenir délibérément d'aborder les arguments pour et contre le projet de libéralisation du secteur postal à court, moyen ou long terme, parce que ce débat nécessiterait beaucoup plus de temps et qu'il n'est pas encore possible de donner avec précision un aperçu complet de la situation.

En ce qui concerne les conséquences possibles d'une telle libéralisation, il importe d'être informé des éléments suivants:

— Le travailleur: emploi en baisse

La Poste occupe actuellement 38 000 travailleurs, dont plus de la moitié sont des facteurs. Or, dans les pays qui ont déjà instauré la libéralisation, on constate une diminution effective et substantielle du nombre de travailleurs, les nouveaux acteurs privés ne reprenant pas les emplois concernés.

Il faut savoir que La Poste a entamé le processus d'accroissement de son efficacité, ce qui, à court terme, aura des effets sur le service à la clientèle, du fait de la fermeture de certains bureaux, mais à long terme, le but est de préserver l'emploi au maximum. Soulignons à ce propos que l'échéance de 2009 est en fait prématurée pour les dispositions proposées au niveau européen.

— Le consommateur: modulation des prix

Les expériences menées dans d'autres pays nous montrent que la libéralisation des services postaux entraîne une diminution tarifaire pour les grands acteurs, soit environ 250 entreprises en Belgique.

Par contre, les PME et les particuliers en seront pour leurs frais. Ils devront en effet faire face à une hausse des coûts, tout en bénéficiant d'un service moins développé. C'est également la raison pour laquelle l'UNIZO, par exemple, plaide pour une libéralisation plus réfléchie et plus prudente, davantage étalée dans le temps.

Autre aspect intéressant: les réponses aux questions de savoir quel sera le contenu du service universel et si La Poste pourra être concurrentielle sur la base des mêmes règles. Les pouvoirs publics escomptent-ils, par exemple, une distribution du courrier chaque jour ouvrable ou ce principe est-il appelé à être modifié ?

Enfin, le secrétaire d'État rappelle que les conséquences pour les stakeholders sont très importantes à court terme et qu'il importe dès lors de consacrer à cette matière le débat politique qu'elle mérite. Le gouvernement finalisera sa position en ce sens au cours des prochaines semaines. À cet égard, les dispositions proposées suscitent de très nombreuses questions critiques, tant pour le ministre de l'Économie, en tant que régulateur du secteur postal, que pour le secrétaire d'État lui-même. En outre, l'intervenant prendra notamment contact avec le ministre français des Entreprises publiques afin de réfléchir à la meilleure manière de renforcer la prise de position dont ils estiment devoir se faire l'écho auprès des membres du personnel et des consommateurs. M. Tuybens attend également avec beaucoup d'intérêt la position des commissaires européens à la Protection des consommateurs et à la Concurrence, afin de savoir si ces derniers sont également en phase avec la directive.

M. Collas demande si le secrétaire d'État pourrait fournir davantage d'explications sur les choix stratégiques de La Poste. Il aimerait savoir si l'on accorde suffisamment d'attention au volet social du travail des facteurs.

M. Van Nieuwkerke estime que la libéralisation programmée pour 2009 est fort prématurée. Bien que l'on suggère, au sein de la Commission européenne, de recourir à des marchés publics, à des subventions croisées internes, à des compensations ou à des aides d'État, l'intervenant estime que ces instruments destinés à mener à bien la libéralisation n'ont pas fait l'objet d'études suffisantes.

L'intervenant se rallie évidemment au point de vue du secrétaire d'État et souhaite citer un certain nombre d'exemples à l'appui. Ainsi, en Suède, le nombre d'emplois a chuté, après la libéralisation, de 45 000 à 33 000. À l'heure actuelle, aux Pays-Bas, des femmes au foyer et des étudiants sont également sollicités pour distribuer le courrier. Aux États-Unis, la libéralisation n'a toujours pas eu lieu étant donné que le service est assuré par le monopole existant.

Enfin, l'intervenant aimerait savoir comment les services postaux font face au vieillissement de la population et à la baisse de mobilité qui en résulte. Quels sont les critères qui président au maintien ou à la fermeture de bureaux ?

Selon M. Steverlynck, si la directive proposée ne fait que fixer la date de la libéralisation des services postaux au 1er janvier 2009, c'est l'Europe qui est compétente en la matière alors que, si cette directive contient encore d'autres dispositions, celles-ci pourraient relever à titre subsidiaire de la compétence des parlements fédéraux. Pourrait-on préciser si la directive se borne à confirmer la date d'entrée en vigueur en 2009 ?

À cet égard, l'intervenant est d'avis que l'annonce de la date du 1er janvier 2009 a déjà eu de nombreuses retombées positives dans le secteur postal, comme le fait que l'on soit plus attentif aujourd'hui à la fixation des prix et à l'amélioration de la qualité du service. À cet égard le service universel et son prix demeurent toutefois au centre des préoccupations. En outre, il est important de signaler que, si le rythme de la libéralisation s'accroît de manière excessive, ce sont les consommateurs et les PME qui seront les premières victimes.

Outre ces remarques d'ordre général, l'intervenant souhaiterait poser les questions suivantes:

— Comment a évolué la satisfaction globale à l'égard du service fourni, dans l'exemple suédois qui vient d'être évoqué ? Peut-on confirmer qu'elle s'est maintenue malgré tout à un niveau plus ou moins équivalent ? Le sénateur poursuit en disant que, si l'emploi est extrêmement important, il n'est en fait pas un but en soi. L'emploi peut en effet aussi être organisé différemment étant donné qu'il y a non seulement les bureaux de poste traditionnels mais aussi les points poste qui fournissent le service à la population suivant d'autres modalités et qui offrent des emplois de remplacement. C'est la situation globale qu'il faut voir à cet égard.

— À l'heure actuelle, le nombre de points poste est de 1,3 pour 10 000 habitants, contre 2,5 en Grande-Bretagne, 1,5 aux Pays-Bas et 1,6 en Allemagne. Cet écart s'explique sans doute par une différence dans la proportion entre bureaux de poste et points poste dans les autres pays européens. Dispose-t-on de données chiffrées en la matière ? Serait-il possible d'avoir un aperçu de la proportion entre bureaux de poste et points poste ?

M. Tuybens confirme que le facteur joue un rôle social capital. À ses yeux, il est une sorte de ciment au sein de notre société, ce qui lui confère une importance majeure. À cet égard, il faudra consentir davantage d'efforts en termes de communication en vue d'informer la population que du courrier peut être restitué au facteur et que des timbres peuvent également lui être achetés.

En outre, il faut aussi mettre l'accent sur la nécessité d'accomplir des efforts supplémentaires sur le plan de l'efficacité, pour faire face à ses responsabilités.

En réponse à la question de M. Steverlynck concernant le contenu de la directive proposée, le secrétaire d'État souhaite préciser que la directive contient encore d'autres dispositions que celle relative à la date d'entrée en vigueur de la libéralisation. À cet égard, les mesures d'accompagnement sont également très importantes. Ainsi, la Commission européenne indique que l'État belge pourrait résoudre le problème auquel il est confronté en envisageant, par exemple, l'octroi d'une aide publique. Ce que la directive ne mentionne pas, en revanche, ce sont les conditions auxquelles cette aide devrait répondre pour ne pas être rejetée par l'Europe.

De plus, il est également question, dans la directive, d'un fonds de compensation dans le cadre duquel les opérateurs qui desservent tout le monde bénéficieraient d'une compensation à charge des autres. L'exemple italien nous apprend cependant que les entreprises trouvent toutes sortes d'artifices pour ne pas devoir payer de compensation et que, par conséquent, le système est loin d'être parfait.

M. Thijs, CEO de La Poste déclare qu'il veut essentiellement définir le cadre dans lequel la réflexion sur la libéralisation du marché postal doit se dérouler. À ce sujet, il souligne que sa mission, qu'il remplit conjointement avec les membres du conseil d'administration, consiste à assurer un avenir à La Poste. Et elle en a un, même s'il est vrai que l'on ne sait pas encore exactement à quoi ressembleront les services postaux d'ici 5 à 10 ans. Cette image future dépend notamment de ce que seront les réglementations européenne et belge.

L'intervenant déclare que les ratios opérationnels vitaux de La Poste évoluent tous dans le bon sens, comme on peut le constater dans l'annexe. En même temps, d'énormes défis subsistent. Sur ce point, les coûts structurels fixes, notamment salariaux, sont des éléments très importants. Or, les futurs concurrents ne feront appel ni à du personnel statutaire ni à du personnel contractuel, mais à des petits indépendants dont le prix de revient sera nettement inférieur.

L'intervenant ajoute que la Commission européenne veut réaliser, à partir du 1er janvier 2009, la libéralisation complète du marché, avec maintien du service universel. La Commission formule dès à présent un certain nombre de propositions pour financer le coût de ce « fardeau injuste », à savoir une aide de l'État, des fonds de compensation ou l'utilisation de systèmes de licences. Comme l'a déjà été signalé, M. Thijs doute de la faisabilité de ces propositions dans la pratique. Il a donc demandé personnellement à M. Mc Creevy de lui fournir une simulation théorique d'un fonds de compensation qui soit opérationnel dans la pratique. Il attend toujours une réponse.

À la suite des modifications européennes proposées, M. Thijs estime que dans les conditions actuelles de licences, de nombreuses petites initiatives locales verront le jour en Belgique. Les grands concurrents ouvriront un dialogue commercial avec les 2 500 plus gros clients de La Poste, c'est-à-dire ceux qui représentent actuellement 55 % du volume total. Facile donc de se lancer dans l'activité commerciale: une équipe de vente de quelques personnes peut déjà négocier avec eux. En ce qui concerne la distribution, ces entreprises organiseront leur propre distribution là où elle est directement rentable, c'est-à-dire dans les grandes villes. Dans le reste du pays, c'est La Poste qui continuera d'effectuer la distribution, car elle est tenue de le faire. Les tarifs et les autres conditions seront négociés entre les partenaires commerciaux.

Les conséquences du scénario esquissé ci-dessus ont déjà été partiellement indiquées plus haut. L'important dans ce contexte est que la perte de volume et la pression sur les marges des grandes entreprises contraindront une fois encore La Poste à accroître son efficacité et solliciter plus intensivement l'ensemble du système. C'est là que l'on se demande comment il est possible de laisser les gens partir compte tenu de l'absence de workflow souple auquel et du fait que l'on ne peut pas et que l'on ne veut pas procéder comme dans des entreprises entièrement régies par le marché telles que Volkswagen et Renault. La question de la solution à ce problème reste entière vu qu'il y va de l'avenir et de la survie de l'entreprise.

Il y aura aussi des conséquences pour la fréquence de la distribution. À l'instar des concurrents, qui ne sont pas soumis à une obligation de fréquence, La Poste sera également obligée, à un moment donné, de réduire la fréquence de ses tournées.

Pour ce qui est de la directive elle-même, l'intervenant déclare que la proposition ne contient aucune indication claire de la marge dont dispose la Belgique. Des termes tels que « proportionnalité, transparence, pas d'entraves au marché, ... » laissent une trop grande marge d'interprétation. Une telle liberté d'interprétation peut-elle subsister juridiquement à long terme ?

L'intervenant tient à préciser que beaucoup de collègues opérateurs optent pour la solution finlandaise. En effet, bien que le marché finlandais ait été ouvert à la concurrence, la réglementation appliquée est telle qu'on peut constater bien des années plus tard qu'aucun concurrent n'y a accédé.

Enfin, l'intervenant pose une série de questions en rapport avec la libéralisation du marché. Elles portent plus précisément sur le calendrier de maintien du domaine réservé, sur l'ordre de grandeur, national ou régional, et sur le calendrier d'attribution du service universel, et sur son mode de financement, au cas où les conditions le rendraient nécessaire. Selon les conditions de mise en œuvre qui seront applicables au niveau belge, les conditions de concurrence seront plus ou moins correctes. Si cela ne fonctionne pas, on pourra éventuellement en revenir à la solution américaine qui consiste à maintenir un domaine réservé, dit du « last mile », en d'autres termes prévoir que le facteur continuera à s'occuper de la distribution du courrier. Mais avant de pouvoir être appliquée, cette dernière possibilité devra être intégrée dans la directive européenne. Or, tel n'est pas encore le cas à l'heure actuelle.

En réponse à la question sur le processus de décision concernant le développement ou le démantèlement du réseau des bureaux de poste, M. Thijs déclare que les décisions se fondent sur divers facteurs. Il s'agit notamment de la situation du bâtiment proprement dit, de son accessibilité, de la clientèle, du rapport entre les frais d'exploitation du bureau et les revenus qu'il génère, du rendement du bureau par rapport aux autres bureaux des environs, ...

Il ajoute que le réseau actuel est en forte perte. En conséquence, le raisonnement suivi est qu'il n'est pas faisable de préparer La Poste à la concurrence dans le secteur des lettres tout en assumant les pertes accusées par le réseau des bureaux de poste. C'est pourquoi l'objectif est de rentabiliser le réseau des bureaux de poste afin que la mission de base qu'est l'expédition du courrier soit assez concurrentielle par rapport à l'offre des nouveaux opérateurs.

Si la fermeture de certains bureaux de poste n'est pas un point positif en termes de service, elle est néanmoins une nécessité du point de vue de la rentabilité. L'intervenant précise que l'État belge pourrait offrir une solution en octroyant des subventions, comme cela se fait par exemple en Grande-Bretagne.

Outre le problème de la rentabilité du réseau, M. Thijs souligne aussi un problème de qualité et de flexibilité au niveau des petits bureaux de poste. L'intervenant espère pouvoir y remédier en proposant 650 grands bureaux flexibles et 650 points-poste. Ces derniers vendront 85 % de la gamme des principaux produits de La Poste et offriront en outre l'avantage d'une plus grande accessibilité grâce à une plage d'ouverture plus étendue.

En ce qui concerne la question relative à la satisfaction des clients en Suède, M. Thijs répond que 80 % des clients suédois sont moins satisfaits aujourd'hui qu'avant la libéralisation du marché. L'orateur souligne à cet égard que le coût pour les clients privés a augmenté de plus de 90 %.

Mme Zrihen relève que les directives qui ont déjà été votées contiennent des dispositions commerciales et qu'il y a déjà à l'heure actuelle une pression commerciale sur le marché de la poste. Il convient d'observer à cet égard que non seulement le principe du service universel a un contenu technique, mais qu'il fait aussi partie des biens publics. En effet, l'absence de ce service constitue un obstacle important à la citoyenneté et signifie qu'à un moment donné, certains citoyens n'auront plus accès à certaines informations.

Compte tenu de la fracture numérique et du risque d'une nouvelle fixation des prix pour la communication numérique, il y a lieu de souligner que les nouveaux moyens de communication, eux non plus, ne peuvent pas apporter de solution à cet égard.

La membre estime dès lors que nous nous trouvons devant un choix décisif quant au type de société que nous souhaitons et au type de service qu'elle doit offrir. À cet égard, il importe de relever que le service de base essentiel qu'est le service postal est à la fois un facteur de cohésion sociale et une condition essentielle au maintien de la structure démocratique d'un pays. La distribution du courrier ne suffira pas à elle seule pour atteindre les objectifs précités.

M. Steverlynck souhaite encore poser une série de questions ponctuelles:

— Quelle est la répartition actuelle entre les bureaux de poste et les points-poste et quelles sont les prévisions à terme ?

— A-t-on déjà budgétisé les moyens nécessaires au financement du service universel ? Quelle devra être la contribution de l'État pour ce faire ? Dispose-t-on de moyens suffisants à cet effet ?

— En ce qui concerne le « level playing field », il a été dit clairement qu'il doit être défini au niveau de la Belgique et qu'il s'agit donc d'une compétence relevant du principe de subsidiarité. L'avis devra donc être rédigé en ce sens. M. Thijs peut-il le confirmer ? La directive ne doit-elle pas être rédigée de manière à laisser subsister la faculté de définir une zone « last mile » ?

M. Thijs abonde dans le sens de M. Steverlynck en ce qui concerne la dernière observation.

Il déclare en outre que l'étude consacrée au calcul du coût du service universel est actuellement en cours. Nous devrions avoir de plus amples précisions à ce sujet au début de l'année prochaine.

S'agissant des points-poste, les prévisions sont de 330 points pour la fin 2007 et de 650 points pour la fin 2009, l'objectif étant de faire précéder chaque fermeture de bureau par l'ouverture d'un point-poste.

L'intervenant précise que la liste des produits disponibles dans les points-poste a déjà été arrêtée et qu'elle peut être mise à la disposition des sénateurs.

IV. PROPOSITION DE CONCLUSION

La commission des Finances et des Affaires économiques:

— en ce qui concerne la subsidiarité:

considère que la proposition de directive n'appelle pas d'observation au regard du principe de subsidiarité, dans la mesure, notamment, où chaque pays conserve la faculté d'organiser son propre service postal;

— en ce qui concerne la proportionnalité:

demande par contre à la Commission européenne avant d'adopter la proposition de directive modifiant la directive 97/67/CE d'apporter des réponses aux réserves exprimées au regard du principe de proportionnalité. En particulier, il est demandé à la Commission européenne:

— de démontrer que la suppression du secteur réservé concernant les correspondances d'un poids inférieur à 50 grammes ne fragiliserait pas à court terme les opérateurs postaux assurant le service universel;

— d'établir que les autres modes de financement mentionnés dans la proposition de directive permettraient de garantir un service de qualité et de proximité;

— de justifier que les exemples de libéralisation anticipée du secteur postal sont probants, alors que les conditions géographiques et démographiques propres à chaque pays, ainsi que les interprétations des différentes données de la définition du service universel font varier sensiblement le coût de ce service d'un État à l'autre.

V. DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE CONCLUSION

Au terme d'une réflexion collective, Mme Kapompolé dépose un amendement qui vise à remplacer la recommandation relative à la proportionnalité par le texte suivant:

« demande par contre à la Commission européenne, avant d'adopter la proposition de directive modifiant la directive 97/67/CE, d'apporter des réponses aux réserves exprimées au regard du principe de proportionnalité. En particulier, il est demandé à la Commission européenne:

• d'analyser les effets que la suppression du domaine réservé concernant les correspondances d'un poids inférieur à 50 grammes pourrait avoir sur la fragilisation des opérateurs postaux assurant le service universel;

• d'évaluer si les autres modes de financement mentionnés dans la proposition de directive permettent de garantir un service universel de qualité. »

L'intervenante indique qu'il s'agit d'une modification portant à la fois sur le fond et sur la forme. La première réserve est modifiée de manière à permettre à la commission d'effectuer une analyse des effets que pourrait avoir la suppression du domaine réservé. Le terme « secteur » est remplacé par le terme « domaine », tel qu'il est utilisé dans la directive 97/67/CE.

La deuxième réserve est modifiée afin de permettre à la Commission de déterminer avec plus de précision qu'elle ne l'a fait dans sa proposition de directive quel mode alternatif de financement pourra garantir un service universel de qualité. À cet égard, l'intervenante renvoie aux remarques qui ont été formulées au cours de la réunion.

La troisième réserve est supprimée.

Le président constate que le nouveau texte proposé s'inscrit parfaitement dans le prolongement de la discussion en commission, au cours de laquelle les questions et les remarques formulées portaient essentiellement sur la proportionnalité. 

L'amendement proposé est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

VI. VOTES

L'ensemble des recommandations ainsi amendées a été adopté à l'unanimité des 9 membres présents.


Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.

La rapporteuse, Le président,
Joëlle KAPOMPOLÉ. Luc WILLEMS.