Questions et Réponses

SÉNAT DE BELGIQUE


Bulletin 3-66

SESSION DE 2005-2006

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres (Art. 70 du règlement du Sénat)

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Vice-première ministre et ministre de la Justice

Question nº 3-4945 de Mme Thijs du 24 avril 2006 (N.) :
Centre d'information et d'analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains. — Limites lors de l'exécution de tâches.

Le 23 novembre 2005, j'ai adressé à l'honorable vice-première ministre la question écrite nº 3-3781 (Questions et Réponses, nº 3-60, p. 5451) sur le fonctionnement et surtout le traitement et l'analyse de données par le Centre d'information et d'analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains (CIATTEH). Le 14 février 2006, l'honorable vice-première ministre m'a transmis une réponse circonstanciée dans laquelle elle explique que, comme premier cas important, le comité de gestion a reçu pour mission de procéder à une analyse stratégique de l'exploitation économique dans le cadre de la traite des êtres humains. Je reconnais que cette mission est d'une importance essentielle vu l'impact de l'exploitation économique sur notre société. Il suffit de penser à l'information dans les médias ces derniers temps concernant les travailleurs illégaux dans la construction, les entreprises de nettoyage, les ateliers de textile, ... (ce sont les secteurs à risques connus). Il est très important d'avoir, par le biais d'une analyse, une image précise et étayée du phénomène de l'exploitation économique et de pouvoir établir des liens avec d'autres formes de criminalité. En même temps cette analyse pourrait nous informer sur de nouvelles tendances.

L'honorable vice-première ministre reconnaîtra également que ces résultats sont d'une importance essentielle pour renforcer la lutte contre l'exploitation économique et surtout la prévention en la matière, et pour mener une politique adaptée.

C'est pourquoi je suis très étonnée quand je lis dans sa réponse écrite que des difficultés sont apparues très rapidement et que le CIATTEH ne peut fonctionner de manière optimale.

Ces difficultés se situent au niveau des méthodes à utiliser. Pour atteindre les objectifs finaux, à savoir identifier le phénomène et entreprendre des actions appropriées, les personnes qui effectuent l'analyse doivent disposer de données suffisantes. C'est là que le bât blesse. L'arrêté royal qui a autorisé la création du CIATTEH prévoit que les analyses stratégiques sont réalisées sur la base de données obtenues de manière anonyme, et cela en conformité avec la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée à l'égard du traitement de données à caractère personnel. Les données anonymes ne peuvent faire référence à une personne identifiable. Dans de telles circonstances, il est impossible pour des analystes de réaliser leurs objectifs tels que décrits ci-dessus. Même des données personnelles codées ne sont pas autorisées parce qu'elles peuvent renvoyer à une personne physique.

Mais selon la commission de la protection de la vie privée, l'arrêté royal et la loi sur la protection de la vie privée peuvent être adaptés afin de permettre une analyse stratégique. Cela implique que le CIATTEH est légalement autorisé à utiliser des données à caractère personnel au lieu de données anonymes.

Je souhaiterais savoir si l'honorable vice-première ministre reconnaît le problème décrit ci-dessus. Est-elle disposée à supprimer les limites, comme le comité de gestion l'indique, en adaptant l'arrêté royal et la loi sur la protection de la vie privée ?

Réponse : Au début de l'année 2005, la Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains a mandaté le Comité de gestion du Centre d'information et d'analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains (CIATTEH) pour effectuer une analyse stratégique sur l'exploitation économique dans le cadre de la traite des êtres humains.

Les analystes stratégiques liés au CIATTEH ont essayé d'effectuer une analyse stratégique de différentes manières, ce malgré les limitations fixées par l'arrêté royal du 16 mai 2004.

Sur la base de cet exercice, les analystes stratégiques sont arrivés au constat qu'il est impossible d'effectuer une analyse stratégique dans le cadre de l'actuel arrêté royal. Une analyse commune suppose une définition commune d'une même population. Cela ne peut se faire que si tous les partenaires, des analystes stratégiques, savent de quels dossiers il s'agit précisément. Une récolte d'informations correcte constitue donc une condition essentielle pour pouvoir effectuer une analyse fiable.

Le Comité de gestion a donc proposé à la Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains de modifier l'arrêté royal du 16 mai 2004 ainsi que d'adapter la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel.

L'arrêté royal du 16 mai 2004 prévoit une approche intégrée, multidisciplinaire et intégrale, tant au niveau national qu'international, en matière de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et a créé le CIATTEH à cet effet. L'objectif du CIATTEH est de rassembler des informations sur les différents services et départements sur la base desquelles des analyses stratégiques pertinentes peuvent être effectuées. Ces analyses peuvent ensuite être à leur tour reliées aux différents partenaires.

Cette analyse permet d'obtenir une image synthétique et descriptive et de stimuler la complémentarité. Sur la base de ces analyses, chaque partenaire peut, selon ses propres finalités, entreprendre les actions politiques, stratégiques et/ou opérationnelles nécessaires.

Sur la base de l'analyse, l'approche intégrée et intégrale des différents services, départements ou institutions peut être illustrée. L'analyse permet également de confirmer ou d'infirmer les priorités du gouvernement et des différents partenaires concernés, ce qui peut impliquer des adaptations à différents niveaux.

Les analyses dépassent les limites des départements ou des services, sont toujours constituées de deux composantes — la composante qualitative et la composante quantitative — et ont pour point de départ des questions ou des hypothèses. Il s'agit de questions ou d'hypothèses auxquelles le demandeur (la Cellule interdépartementale) veut que l'on réponde.

Si nous voulons faire du CIATTEH un instrument solide et efficace dans la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, la seule possibilité d'atteindre les objectifs susmentionnés est de permettre légalement au CIATTEH d'utiliser des données à caractère personnel au lieu de données anonymes. Les phénomènes de traite des êtres humains sont des phénomènes cachés et épars qui ont de nombreuses facettes et prennent de nombreuses formes. Détecter ces phénomènes sans avoir accès aux dossiers individuels nuira à la fiabilité et à la qualité de l'analyse.

Pour l'apport et la comparabilité des données à travers les différents services, une clé unique s'avère indispensable : les données récoltées doivent correspondre au même dossier. Lors de la comparaison interdisciplinaire, cette clé représente l'identité d'une personne (nom, date de naissance). Une fois les données rassemblées, l'analyse s'orientera sur leur traitement statistique et la clé utilisée lors de la première phase ne sera plus nécessaire.

Dès que les dossiers sont rassemblés, ces données sont codées et l'analyse stratégique et l'image (output) sont évidemment anonymisées.

Le Comité de gestion du CIATTEH a déjà commencé à préparer une proposition de modification de l'arrêté royal du 16 mai 2004 et de la loi sur la vie privée du 8 décembre 1992.