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Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

1 JUILLET 2006


L'Espace et la politique européenne de sécurité et de défense


RAPPORT

FAIT AU NOM DU GROUPE DE TRAVAIL « ESPACE » (FINANCES ET AFFAIRES ÉCONOMIQUES) PAR

M. ROELANTS du VIVIER


I. INTRODUCTION

En 2006, le Sénat assure, par l'intermédiaire de son groupe de travail « Espace », la présidence de la Conférence interparlementaire européenne de l'espace (CIEE). Créée en 1999, cette conférence rassemble les délégations des parlements nationaux des principaux pays européens actifs dans le domaine de l'espace. Actuellement, la Belgique, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie et la République tchèque participent aux travaux de la CIEE.

La CIEE se réunit régulièrement dans le cadre d'une conférence annuelle et d'un certain nombre de colloques spécialisés. Les délégations parlementaires des États membres de l'Union européenne et de l'ESA y sont invitées, de même que des délégations de pays non européens actifs dans le domaine de l'espace, comme les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l'Inde, Israël et le Brésil.

En 2006, la présidence belge de la CIEE organise trois événements:

— 26 avril 2006: Colloque sur le droit de l'espace,

— 12 au 14 juin 2006: 8e Conférence interparlementaire européenne de l'espace

— 19 au 22 septembre 2006: Colloque concernant l'Espace, la sécurité et la défense.

Pour préparer ces événements, le groupe de travail « Espace » organise des auditions auxquelles participent les trois principaux acteurs européens en matière de politique de l'espace, à savoir le Parlement européen, la Commission européenne et l'Agence spatiale européenne (ESA).

Le jeudi 9 février 2006, M. Philippe Busquin, ancien ministre belge et commissaire européen et président de l'Intergroupe « Ciel et espace » du Parlement européen, a été invité à participer à la réunion du groupe de travail.

Le jeudi 9 mars 2006, M. Michel Praet, chef de cabinet du directeur général de l'ESA à Bruxelles, a pris part à la réunion du groupe de travail.

Le mercredi 3 mai 2006, un échange de vues a été organisé avec Mme Françoise Le Bail, directrice générale adjointe de la DG Entreprises et Industrie de la Commission européenne, à propos du rôle de la Commission européenne dans la politique spatiale européenne.

Enfin, le jeudi 6 juillet 2006, a été organisée une audition de M. Herbert von Bose, Chef des unités « Politique spatiale » et « Action préparatoire pour la recherche liée à la sécurité » de la DG Industrie de la Commission européenne.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. HERBERT VON BOSE, COMMISSION EUROPÉENNE — DG INDUSTRIE, CHEF D'UNITÉ

Introduction

Lorsqu'on aborde ce sujet à la Commission européenne, on se doit d'utiliser la terminologie appropriée. « Défense » est un mot tabou, qui revêt une connotation très délicate à la Commission. « Sécurité » est par contre mieux accepté, bien que ce terme demeure vague et imprécise dans le contexte de la Commission européenne.

Recherche dans le domaine de la sécurité

MM. Busquin et Liikanen, anciens commissaires européens, respectivement, à la Recherche et à l'Industrie, ont réalisé un travail considérable au nom de la précédente Commission sur les possibilités de recherche dans le contexte de la sécurité. À cet égard, ils se sont heurtés d'emblée à un problème fondamental. La plupart des spécialistes considéraient que scinder cette recherche en un volet civil et militaire n'avait aucun sens, mais les États membres ont estimé, dès le début, que la défense n'avait pas sa place au sein de la Commission européenne. La recherche devait dès lors se limiter strictement aux applications civiles. C'est ainsi que l'on inscrivit une action préparatoire dans le programme-cadre de la recherche scientifique, qui se concentrait sur la sécurité civile.

Il est clair néanmoins qu'une telle scission est particulièrement artificielle, dans la mesure où les services de police et de secours comme l'armée sont confrontés aux mêmes problèmes (notamment celui de l'interopérabilité des systèmes de communication) auxquels on applique souvent une solution identique. Il n'existe donc pas de volet purement civil. D'où la collaboration étroite qui s'est mise en place, dès le début, avec l'Agence européenne de défense (AED), avec laquelle on a eu une concertation quotidienne pour éviter tout double emploi dans les travaux.

À l'origine, le budget prévu était plafonné à 15 millions d'euros par an. Le nouveau programme-cadre le portera, dès 2007, à 200 millions d'euros par an, ce qui reste inférieur à ce qu'avait proposé en son temps M. Busquin, tout en représentant un accroissement substantiel des moyens mis à disposition.

À ce jour, l'examen préparatoire a permis de tirer deux leçons majeures. D'abord il en ressort clairement que les utilisateurs finaux doivent dès le début, être étroitement associés au niveau de la planification et de la décision des programmes individuels. De plus, il est apparu que l'objectif de la Commission européenne d'associer un maximum de PME au développement d'une politique industrielle, a pu être réalisé sans trop de difficultés dans ce secteur. Plus de 25 % des entreprises concernées sont, en effet, des petites et moyennes entreprises.

Cette action préparatoire a été concrétisée dans le projet « Astro + », qui vise à démontrer l'utilité de la technologie spatiale pour les opérations de sécurité, entre autres par le recours aux techniques d'observation terrestre, de positionnement et de navigation, de communication, etc.

Global Monitoring for Environment and Security — GMES

Le GMES est un projet complexe, aux contours imprécis, mais particulièrement fascinant, pour lequel la Commission a proposé de réserver 85 % du budget de la recherche, qui se monte à 1,4 milliard d'euros pour les sept années à venir soit 200 millions d'euros par an.

Il a également été décidé de créer un bureau GMES au sein de la direction générale Entreprises et Industrie de la Commission. Ce bureau réunira l'ensemble des services de la Commission susceptibles d'utiliser ce système et aura pour but de rendre le GMES opérationnel. À cet égard, on peut penser à l'agriculture, à l'environnement ou à la sécurité.

En effet, il faut savoir que, jusqu'à présent, ce projet a toujours été financé par les moyens de la recherche. Toutefois, le GMES est prêt à lancer ses premières applications. Il est temps de le soustraire aux mains des chercheurs pour le confier aux utilisateurs. Il faudra pour cela que le bureau du GMES parvienne à convaincre les utilisateurs potentiels au sein de la Commission.

En ce qui concerne la dénomination « GMES », personne n'a d'objection contre le « E » qui signifie « Environment ». En revanche, le « S » de « security » pose davantage problème. C'est pourquoi, dans une première phase, ce « S » sera interprété en fonction du « E ». Un exemple parfait à cet égard est l'utilisation du système dans le cadre du règlement des crises qui surviennent dans le monde, souvent à la suite d'une catastrophe environnementale. Plus tard, on pourra voir comment la défense pourrait être associée à l'utilisation du GMES.

Politique spatiale européenne: Commission européenne x ESA

La politique spatiale européenne n'est pas seulement une politique de la Commission européenne. En outre, elle représente plus qu'une simple prise de position commune de la Commission et de l'ESA. Les initiatives et les programmes nationaux aussi sont déterminants pour la fixation de la politique spatiale européenne.

À présent, il s'agit de savoir dans quelle mesure les États membres sont prêts à intégrer aussi leurs initiatives militaires et de défense dans cette politique européenne. On ne le sait toujours pas, mais il est clair que la question doit être posée. Il faut toutefois que l'Europe soit suffisamment ambitieuse et ose interpeller les États membres à ce propos.

Le secrétariat commun de la Commission européenne et de l'ESA s'y emploient et développeront en temps utile des initiatives communes et des documents identiques à l'intention du Conseil de l'ESA et des conseils des ministres européens.

III. DISCUSSION

L'Agence européenne de défense

M. François Roelants du Vivier, président, se réfère aux conclusions de la conférence interparlementaire européenne sur l'espace qui s'est tenue à Bruxelles du 12 au 14 juin 2006, dans lesquelles on précise que les membres de la CIEE appellent la Commission européenne et l'ESA à oeuvrer conjointement avec l'Agence européenne de défense à l'élaboration d'une position européenne commune sur les questions de sécurité et de défense en liaison avec les programmes spatiaux européens, notamment GALILEO et le GMES.

M. Herbert von Bose, Commission européenne, insiste sur le rôle de l'Agence européenne de la défense. L'AED subsistera. Elle bénéficie de l'appui des ministres compétents des États membres, même s'il faut constater que les administrations nationales ne soient pas toujours convaincues. Toutefois, l'ESA pourra intervenir comme intermédiaire entre les États membres et la Commission européenne sur les questions de sécurité et de défense. Tant les États membres que la Commission européenne entretiennent des contacts très soutenus avec l'AED, alors que la méfiance entre les États membres et la Commission peut parfois être forte.

M. Michel Praet, ESA, constate que des concertations ont lieu çà et là entre la Commission européenne, l'AED et les services de M. Solana, mais que celles-ci pourraient être formalisées davantage. Existe-t-il des projets dans ce sens ?

M. Herbert von Bose, Commission européenne, répond qu'il existe effectivement des contacts étroits mais que ceux-ci pourraient être améliorés, non seulement entre les divers organes et institutions mais aussi, par exemple, au sein même de la Commission. À un moment donné, la sécurité était un point chaud de l'actualité, et diverses directions générales ont créé en leur sein une division sécurité. Tous ces services doivent se concerter davantage, et pourquoi ne pourrait-il pas y avoir à terme un Commissaire européen de la sécurité intérieure chargé de coordonner le tout ?

Global Monitoring for Environment and Security

M. Roland Gueubel, Bruspace, précise que le GMES est un instrument au service des politiques de l'Union européenne. Dès lors, il importe que les moyens disponibles soient suffisants et puissent être utilisés avec la flexibilité voulue.

Pour le moment, il existe une ligne de financement pour l'infrastructure spatiale destinée à GALILEO. Pourrait-on imaginer que le GMES en bénéficie aussi ? L'avantage serait de laisser le système en dehors du programme-cadre, ce qui offrirait davantage de flexibilité.

M. Herbert von Bose, Commission européenne, souligne qu'à l'heure actuelle, le GMES est exclusivement financé par le biais du programme-cadre. On peut le déplorer, mais il faut savoir qu'une extension de ce financement ne sera possible qu'à partir de 2014. Il est vrai néanmoins que les perspectives financières actuelles seront revues en 2009. À cet égard, il ne serait pas réaliste de proposer pour le GMES une toute nouvelle ligne de financement entièrement neuve car il faut quand même respecter une certaine continuité dans les perspectives financières 2007-2013. Ce que l'on pourrait faire, en revanche, c'est essayer d'obtenir une extension de la ligne de financement du champ d'application de GALILEO. Mais, pour cela, le soutien du Parlement européen et du Conseil est indispensable. La chose pourrait ne pas être aisée à réaliser, mais le débat doit de toute façon être mené.

Mme Monique Wagner, SPP Politique scientifique, demande quand le bureau du GMES de la Commission aura fixé les besoins et les nécessités. En effet, ces informations sont indispensables pour développer une véritable stratégie.

Elle aimerait également savoir comment M. von Bose voit la forme des centres qui devront proposer les services du GMES. Pour l'instant, on parle de grandes propositions intégrées avec 50 à 60 partenaires. Est-ce pratique ?

M. Herbert von Bose, Commission européenne, souligne que le bureau du GMES bénéficie du soutien politique de M. Verheugen et qu'une bonne collaboration est en train de se mettre en place avec les diverses directions générales concernées. Certes, il faudra un certain temps avant que les besoins et nécessités ne soient identifiés, d'autant que la DG qui signalera un besoin sera aussi confrontée à un moment donné aux coûts liés à la réalisation de ce besoin. C'est donc un aspect auquel il faut bien réfléchir. On pourra toutefois donner assez rapidement un aperçu des besoins et des nécessités dans leurs grandes lignes.

En ce qui concerne les centres de services pour le GMES, le terrain est inexploré en matière de sécurité. La sécurité est une matière complexe qui est souvent gérée par plusieurs responsables politiques, en général à un niveau régional, comme c'est le cas en Belgique. Il en va autrement pour l'espace, domaine pour lequel une organisation éminente et compétente comme l'ASE dispose d'une quantité considérable d'informations.

La question est évidemment de savoir si le fait que plusieurs partenaires soient associés à la mise en place et au développement de ces services pose un problème. C'est un point à examiner.

Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'il n'y aura pas de centre mastodonte à Bruxelles, par exemple, mais que l'on procédera à une décentralisation suivant l'endroit où se trouvent les connaissances et les compétences requises.

GALILEO

M. Patrick Rudloff, Arianespace, s'enquiert de l'état d'avancement des « public regulated services » (PRS) de GALILEO, c'est-à-dire l'utilisation de GALILEO à des fins de sécurité et de défense par les États membres. Cela fait l'objet d'intenses discussions entre les États membres. La Commission européenne entrevoit-elle une solution ?

M. Herbert von Bose, Commission européenne, n'est pas en mesure de répondre à cette question. Ce dossier est traité par la DG Énergie et Transport.

Mme Monique Wagner, SPP Politique scientifique, fait remarquer que les PRS relèvent de la responsabilité de l'autorité de contrôle de GALILEO.

Politique spatiale européenne et sécurité

M. Matthieu Weiss, représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, demande si c'est le fait du hasard qu'au sein de la Commission européenne, il y ait des personnes qui soient compétentes à la fois pour l'espace et pour la sécurité. Après un directeur, il y a à présent un chef d'unité qui réunit lui aussi les deux éléments dans ses compétences. Plus fondamentalement, on peut se demander si l'on peut utiliser le thème de la sécurité pour réactiver et faire avancer le débat sur l'espace.

M. Herbert von Bose, Commission européenne, précise qu'il faut y voir le fruit du hasard. Dans son cas, la décision fut assurément de nature purement opérationnelle, après le départ du précédent chef d'unité. D'ailleurs, à partir de septembre 2006, c'est un collègue hongrois qui dirigera l'unité « politique spatiale ».

En ce qui concerne la deuxième question, la position de la Commission européenne diffère de celle des États membres. Bien que M. Verheugen ait toujours plaidé en tant que commissaire compétent pour le couplage de l'espace et de la sécurité, de nombreux États membres estiment au contraire que ces deux aspects doivent être séparés, avis d'ailleurs partagé par le Parlement européen. Il s'agit d'un signal politique clair indiquant qu'il faut séparer ces deux aspects, même si une interaction doit rester possible.

M. Michel Praet, de l'ESA, fait remarquer que dans les dernières propositions relatives au 7e programme-cadre, on n'a toujours pas scindé l'espace et la sécurité. L'ESA est favorable au maintien de cette situation car cela pourrait permettre une utilisation plus pragmatique des moyens disponibles. Ainsi, on pourrait imaginer que, dans une phase de lancement, l'un des deux aspects bénéficie de davantage de moyens et que, dans une phase ultérieure, cela soit compensé au profit de l'autre aspect au moment où celui-ci atteint sa vitesse de croisière.

M. Herbert von Bose, de la Commission européenne, répond que cela est juridiquement correct. Les choses sont plus simples et plus pratiques lorsqu'il n'y a qu'un seul budget dans une seule ligne de financement. Toutefois, la réalité plaide davantage en faveur d'une scission, et ce pour trois raisons. D'abord, il y a tout simplement le fait qu'au niveau national, la sécurité et l'espace relèvent généralement de deux ministres différents. De plus, les deux secteurs concernés éprouvent une certaine crainte à l'idée qu'en cas de budget unique, l'un des deux pourrait accaparer l'ensemble des moyens en ne laissant rien à l'autre. Enfin, la réalité a déjà montré qu'un budget en augmentation ou en diminution progressive n'est pas opportun. Lorsque la recherche en matière de sécurité disposait d'un budget annuel de 15 millions d'euros, des propositions étaient introduites systématiquement chaque année pour un montant total de 220 millions d'euros. Il y a donc bel et bien une demande en vue de l'obtention d'un tel budget, sur lequel on ne peut pas rogner.

M. Eric Beka, Haut Représentant belge pour la politique spatiale, fait remarquer que la question de savoir si les États membres souhaitent intégrer leurs programmes de défense dans une politique européenne est certes pertinente mais peut-être un peu prématurée. En effet, il faut d'abord que les objectifs et priorités d'une politique spatiale européenne soient fixés, ce qui sera probablement chose faite au début de l'année 2007. Toutefois, dans les propositions actuelles, on ne trouve plus trace d'un chapitre sur la sécurité et la défense.

M. Herbert von Bose, Commission européenne, confirme qu'en la matière, le débat est toujours en cours. Toutefois, l'ajout ou non de cet aspect sous forme de chapitre séparé résultera d'une décision claire et réfléchie; c'est un élément qui ne sera pas oublié.

Le président-rapporteur,
François ROELANTS du VIVIER.