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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 6 JUILLET 2006 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Marie-Hélène Crombé-Berton au ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique et à la ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture sur «les négociations à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)» (nº 3-1215)

Mme Marie-Hélène Crombé-Berton (MR). - Le 1er juillet dernier, les négociateurs ont confié à Pascal Lamy un rôle de « catalyseur », afin de dépasser la présente incapacité des principaux acteurs à trouver un accord entre les 149 pays membres de l'OMC. Une des tâches les plus difficiles pour Pascal Lamy sera de convaincre les États-Unis d'assouplir leur position en matière de subventions agricoles, position que nous aimerions comprendre dans toutes ses implications.

Nous aimerions d'abord connaître votre appréciation globale sur l'état des négociations actuelles, les progrès sur les différents dossiers ainsi que le dossier agricole et les délais qui s'imposent aux négociateurs pour assurer le succès du cycle de Doha.

Devant les attaques assez vives de l'Australie dénonçant le manque de volonté de l'Union européenne à remettre en cause son protectionnisme agricole, je voudrais avoir plus de précisions sur la position défendue par le Commissaire européen Mandelson sur ce point précis de la négociation, et l'état de cohésion de l'Union européenne sur ce dossier.

En effet, Peter Mandelson s'est dit prêt à prendre de nouvelles initiatives si les partenaires de l'Union européenne, les États-Unis et le G20 faisaient des concessions, assurant avoir reçu le plein soutien des 25. Cette position aurait été fortement nuancée par le ministre français de l'agriculture et la Commissaire à l'Agriculture. Pouvez-vous nous expliquer la position défendue par l'Union européenne ainsi que celle de notre pays ?

Nous devons être conscients que l'échec des négociations à l'OMC aurait un coût politique important, fragilisant le multilatéralisme commercial et ses règles, et mettant à mal le système coopératif de l'OMC, avec le risque de guerres tarifaires ou de conflits commerciaux.

Néanmoins, l'Union européenne est en train de préparer une série de négociations bilatérales avec les pays de l'ASEAN, la Chine, la Corée du Sud, accords bilatéraux qui permettent de traiter des investissements, des droits sociaux et d'écarter les questions agricoles. Quelle est votre appréciation sur l'opportunité de ce type d'accords par rapport au cadre multilatéral de l'OMC et les bénéfices politiques et commerciaux supplémentaires que la Belgique pourrait en tirer.

Mme Sabine Laruelle, ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture. - Je commencerai par l'appréciation globale sur l'état des négociations actuelles et les progrès sur les dossiers autres que le dossier agricole. Le directeur général de l'OMC a indiqué que les discussions du Doha Development Agenda se trouvaient en état de crise ou, en tout cas, n'avançaient pas comme on le souhaiterait. Les trois positions composées, premièrement du soutien interne pour ce qui est des États-Unis, deuxièmement de l'accès au marché agricole en ce qui concerne l'Union européenne et troisièmement, de l'accès au marché pour les produits industriels cher aux économies émergentes, ne se sont pas suffisamment rapprochées pour aboutir à un accord sur les modalités à suivre.

Les délais deviennent extrêmement courts puisque les services techniques de l'OMC auront besoin d'environ dix mois pour traduire un accord politique en schémas d'engagement pour chacun des États membres de l'OMC. De plus, le Trade Promotion Authority qui permet au président Bush de négocier des accords commerciaux sans implication directe du Congrès, se termine à la mi-2007.

Les discussions autour des services, des règles et de la facilitation des échanges se poursuivent à Genève et les meilleurs progrès sont à noter dans le dossier de facilitation des échanges.

En ce qui concerne les délais, les membres de l'OMC ont sollicité les bons offices du directeur général, M. Lamy, afin de rapprocher les positions au sein du G6 - États-Unis, Union européenne, Japon, Brésil, Inde et Australie - et de trouver une « zone d'atterrissage » au mois de juillet, ce qui pourrait justifier l'organisation d'une réunion « mini-ministérielle » d'ici à fin juillet.

En ce qui concerne la position défendue par le commissaire Mandelson sur la question agricole, l'Union européenne a une attitude claire : elle attend aujourd'hui des propositions tangibles de la part de nos partenaires de négociation, que ce soit pour les subsides américains, le Farm Bill, ou pour les tarifs industriels des pays émergents.

En ce qui concerne les aides à l'agriculture, l'Union européenne a déjà fait des avancées majeures. Elle a réformé sa politique agricole commune en juillet 2003 et réformé le secteur du sucre en novembre 2005. Les aides sont dorénavant découplées de la production. En ce qui concerne le soutien interne, nous nous situons donc dans la boîte verte.

Nous sommes en droit d'attendre la même démarche de nos partenaires, comme les États-Unis, afin qu'ils octroient eux aussi des aides découplées. Or, aujourd'hui les États-Unis continuent à octroyer des aides couplées à la production et en fonction du prix, ce qui a évidemment des effets de distorsion importants.

En ce qui concerne les tarifs douaniers agricoles, l'offre de l'Union européenne est déjà substantielle puisqu'elle prévoit une réduction de 60% pour les tarifs les plus élevés. Par ailleurs, la Belgique est et restera attachée au maintien d'une protection pour les produits sensibles, au maintien de mesures de sauvegarde et aux considérations non commerciales. C'est évidemment essentiel pour l'Union européenne.

En ce qui concerne la position affichée par notre pays à la suite de la déclaration du commissaire Mandelson sur d'éventuelles nouvelles initiatives de la part de l'Union européenne, la Belgique estime que l'Union européenne doit rechercher un résultat des négociations équilibré, tant au sein du pilier agricole que dans l'ensemble de l'engagement unique de Doha, c'est-à-dire ne pas se limiter à un accord sur le dossier agricole et reporter à plus tard le dossier relatif aux services. Nous sommes attachés à un engagement unique. Selon la célèbre formule, tout est dans tout et il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout. Nous souhaitons un équilibre entre dossiers mais nous souhaitons aussi, au sein du dossier agricole, un équilibre entre les trois piliers, c'est-à-dire le soutien interne, les subventions aux exportations - à ce sujet, nous avons fait la proposition très ambitieuse d'abandonner ces subventions en 2013 si et seulement si nos partenaires commerciaux comme les États-Unis ou la Nouvelle-Zélande font eux aussi des efforts concernant les mécanismes ayant des effets de distorsion de concurrence - et, enfin, l'accès au marché. Nous souhaitons un équilibre global.

L'Union européenne ne devrait donc pas faire de concessions unilatérales sans contrepartie de la part de nos partenaires. Ce point de vue est partagé par l'ensemble de l'Union européenne et défendu par la Commission. Le Conseil Affaires générales du 29 juin a avalisé cette position. Au Conseil européen de l'Agriculture, tous les mois, la commissaire Fischer Boel fait rapport. Jusqu'à présent, nous sommes restés dans le contexte du mandat de négociation qui laisse encore de la marge de manoeuvre. Nous en discuterons à nouveau lors du prochain conseil européen des ministres de l'Agriculture, ce 18 juillet à Bruxelles.

En ce qui concerne la question sur l'opportunité des accords bilatéraux, le cadre multilatéral est la priorité absolue pour l'Union européenne ainsi que pour la Belgique. Nous pensons qu'il offre le plus de garanties d'équilibre, d'équité et de non-discrimination dans le cadre du commerce international. Cela n'exclut pas que l'Union européenne négocie, dans le futur, comme elle l'a déjà fait dans le passé, des accords bilatéraux et régionaux si elle estime que cela sert ses intérêts à long terme. Spécifiquement pour la Belgique, la conclusion d'accords bilatéraux permet d'éviter la discrimination de nos entreprises par rapport à celles de pays qui ont déjà conclu des accords similaires avec des pays tiers dont le marché nous intéresse à moyen ou à long terme.

Mme Marie-Hélène Crombé-Berton (MR). - Je remercie la ministre de sa réponse détaillée. La ministre a-t-elle la conviction que l'on arrivera à réaliser les accords de Doha dans les délais impartis ?

Mme Sabine Laruelle, ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture. - Il est de l'intérêt de l'ensemble des partenaires et des États membres de l'Organisation mondiale du commerce de faire des avancées et d'aboutir à un accord, qu'il s'agisse des pays émergents, des États-Unis ou de l'Europe. Maintenant, il faut que chacun accepte de mettre ses cartes sur la table. L'Union européenne a déjà déposé une grande partie de son jeu. Nous attendons que les autres commencent à jouer aussi, si vous me permettez l'expression.