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29 JUIN 2006
En ce début du 21 siècle, le développement durable et d'autres concepts tels que la responsabilité sociale des entreprises, les investissements durables et les placements éthiques suscitent un vif intérêt de la part des institutions supranationales et des chefs de gouvernement, des organisations non gouvernementales et des organismes financiers, mais aussi des partis politiques, des entreprises et du monde syndical. Après l'influence énorme qu'a eue le rapport intitulé « Halte à la croissance ? », publié en 1972 pour le Club de Rome, force est de constater qu'au cours des dernières décennies, la conscience du caractère insoutenable d'une croissance infinie a dû céder la place à la notion de « développement durable ».
Au début des années '80 du siècle passé, les Nations unies ont chargé une nouvelle commission de se pencher sur la problématique de l'environnement et du développement. Sous la présidence de la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, cette Commission mondiale sur l'environnement et le développement a déposé en 1987 son rapport final intitulé Notre avenir à tous, qui définit la notion de « développement durable » dans les termes suivants: « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
La Conférence des Nations unies sur l'Environnement et le Développement qui s'est tenue à Rio de Janeiro en 1992 peut être considérée comme le deuxième jalon dans la genèse de la notion de développement durable. Cette conférence avait pour but d'essayer de trouver une solution à deux crises d'une extrême complexité, à savoir la question de l'environnement et la demande d'une plus grande justice mondiale. Alors que le terme « durabilité » s'utilisait précédemment à propos de ressources renouvelables comme les forêts ou les populations piscicoles, la notion est désormais associée dans sa forme adjectivale (« durable ») au substantif « développement ». Le concept de développement durable, qui participe à la fois de la solidarité et de la gouvernance, a ensuite progressivement été concrétisé et amplifié aux niveaux mondial et européen (cf. par exemple l'adoption en 2001 à Göteborg de la stratégie de l'Union européenne en faveur du développement durable et, ensuite, le 15 juin 2006, de la version révisée de cette stratégie), ainsi qu'au niveau national, au niveau des entités fédérées et au niveau local.
Un consensus sur le contenu de ce concept a ensuite pris corps.
En Belgique, la politique en matière de développement durable a toujours été intégrée dans le cadre communautaire et international. Au niveau mondial, il s'agit surtout de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, qui contient 27 principes directeurs applicables aux actions en matière de développement durable; de l'Agenda 21, dont les 40 chapitres contiennent les terrains d'action prioritaires; de la déclaration politique et du plan de mise en œuvre adoptés en 2002 au Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg, qui contient des objectifs quantitatifs et qualitatifs ainsi qu'un calendrier de réalisation précis, et des documents de clôture des sessions annuelles de la Commission du développement durable, qui est la commission fonctionnelle des Nations unies responsable depuis 1992 de la préparation et du suivi de la politique mondiale en matière de développement durable.
Au niveau européen, les textes fondateurs en la matière sont la stratégie européenne de développement durable (Göteborg, 2001) et sa version révisée (Conseil européen du 15 juin 2006), lesquels s'appuient sur l'article 6 du traité CE et sur l'article 2 du traité UE.
L'article I-3, 3, du traité établissant une Constitution pour l'Europe y a ajouté en 2004 que: « L'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. » La stratégie de développement durable renouvelée de l'Union européenne reprend la Déclaration sur les principes directeurs du développement durable, adoptée par le Conseil européen en juin 2005, qui expose les objectifs principaux et les principes directeurs de la politique en la matière. Selon cette stratégie, le développement durable est un objectif général de l'Union qui est consacré par le traité et qui oriente toutes les politiques et activités de l'UE.
La Belgique accepte pour sa part les 27 principes de la déclaration de Rio, qui découlent de la définition du rapport Brundtland, pour définir plus avant le développement durable. Cinq de ces principes se voient cependant accorder une place centrale.
1. Le principe de la responsabilité partagée mais différenciée: tous les États de la planète reconnaissent leur responsabilité, mais les pays industrialisés doivent être en première ligne, en raison de leurs modèles de consommation et de production peu durables et des ressources qui sont les leurs. Ils doivent aussi être particulièrement attentifs aux conséquences sociales, économiques et écologiques pour le reste du monde de la politique qu'ils élaborent et appliquent.
2. Le principe de la double équité: les décideurs sont tenus d'étudier les conséquences de leurs actes et décisions pour les groupes de population actuels (catégorie sociale, âge, localisation à l'intérieur ou à l'extérieur de la Belgique, etc.) et pour les générations futures.
3. Le principe d'intégration: les décisions politiques doivent être analysées de manière intégrée dès leur préparation. Ce principe connaît différentes formes et dimensions: intégration interne (harmonisation entre divers secteurs au sein d'un seul et même domaine de politique), intégration externe (harmonisation entre divers domaines ou sous-domaines politiques), intégration horizontale (intégration interne et externe au même niveau de pouvoir) et intégration verticale (intégration interne et externe entre plusieurs niveaux de pouvoirs).
4. Le principe de précaution: en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne peut pas être invoquée comme argument pour différer l'adoption de mesures appropriées destinées à prévenir une détérioration de l'environnement.
5. Le principe de participation: ce principe met l'accent sur la participation de tous les citoyens concernés aux prises de décision en matière de développement. Cette participation est susceptible d'améliorer la qualité des décisions, d'accroître le soutien dont elles bénéficient et de faciliter leur mise en œuvre.
C'est en s'appuyant sur ces principes que les pouvoirs publics fédéraux, les communautés et les régions élaborent leur propre stratégie politique de développement durable et édifient une stratégie nationale commune en matière de développement durable.
Au niveau fédéral, la loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable (Moniteur belge du 18 juin 1997) a d'ores et déjà établi un cycle décisionnel en matière de développement durable. Cette stratégie fédérale inclut l'élaboration d'un plan quadriennal fédéral prévoyant des réponses politiques et des mesures en matière de développement durable ainsi que la rédaction d'un rapport biennal fédéral contenant notamment une évaluation de la politique en matière de développement durable. Cette loi et les autres composantes du cadre réglementaire fédéral relatives au développement durable prévoient également une Commission interdépartementale pour le développement durable, un Service public fédéral de programmation Développement durable, un Conseil fédéral du développement durable, des cellules du développement durable et le développement d'une évaluation d'incidence des décisions sur le développement durable (EIDDD).
Les communautés et les régions poursuivent leurs efforts pour donner corps à une politique de développement durable, notamment par le biais de la Vlaamse strategie duurzame ontwikkeling (stratégie flamande pour le développement durable), du Contrat d'avenir pour les Wallonnes et les Wallons et du Plan régional de développement de la Région de Bruxelles-Capitale.
L'autorité fédérale, les communautés et les régions se sont mis d'accord en 2005, lors d'une Conférence interministérielle ad hoc, en exécution du Plan de mise en œuvre de Johannesburg, sur un texte-cadre représentant le premier volet d'une stratégie nationale pour le développement durable approuvé par tous les Conseils des ministres du pays. Ce texte met en application les principes de complémentarité, d'interaction, de plus-value et de synergie.
Comparativement à d'autres pays, la Belgique s'est par conséquent dotée d'un bon cadre institutionnel pour réaliser le développement durable. On trouve dans la Constitution belge des éléments qui renvoient indirectement à des dimensions de développement durable. À l'article 23 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par exemple, il n'est pas seulement question du droit à la protection d'un environnement sain, mais aussi du droit au travail et du droit à la protection de la santé et à l'aide juridique. La présente proposition y ajoute, par analogie notamment avec le Traité constitutionnel de l'UE, un objectif politique général s'adressant aux pouvoirs publics belges.
Pour les auteurs de la présente proposition, il est indéniable que la problématique du développement durable présente un caractère hautement international et cette réalité doit se refléter dans la politique étrangère de l'État fédéral, des communautés et des régions. Par ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue le principe selon lequel l'égalité de valeur des générations successives doit être le fil conducteur social de la répartition des chances et des moyens. Cette idée de solidarité intergénérationnelle suppose toutefois une vision à long terme.
Enfin, les différentes composantes politiques doivent être intégrées. Les objectifs sociaux et écologiques ne doivent donc pas être considérés comme complémentaires du développement économique ou séparément de celui-ci; ces objectifs doivent être intégrés et poursuivis sur un pied d'égalité. Les auteurs soulignent dès lors la nécessité d'une intégration politique accrue, tant verticalement (au sein de plusieurs domaines politiques) qu'horizontalement (entre plusieurs domaines politiques).
Il est important de souligner que l'inclusion dans la Constitution d'un Titre Ierbis vise à créer une nouvelle catégorie de disposition constitutionnelle qui ne doit pas être confondue avec l'actuel Titre II.
Il s'agit d'un article dont la portée est celle d'une ligne de conduite qui s'impose aux pouvoirs publics, sans être la source d'un droit subjectif.
Par ailleurs, le Titre Ierbis rappelle un devoir collectif de la population belge à l'égard des générations futures, là où le Titre II énonce des droits et des devoirs de chacun.
Jean CORNIL Bart MARTENS Fauzaya TALHAOUI Francis DELPÉRÉE Annemie VAN de CASTEELE Nathalie de T' SERCLAES Hugo VANDENBERGHE Philippe MAHOUX Patrik VANKRUNKELSVEN. |
Article unique
Dans la Constitution, il est inséré un Titre Ierbis (nouveau) intitulé « Des objectifs de politique générale de la Belgique fédérale, des communautés et des régions » et comprenant un article 7bis nouveau, rédigé comme suit:
« Art. 7bis. — Dans l'exercice de leurs compétences respectives, l'État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d'un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations. »
Jean CORNIL Bart MARTENS Fauzaya TALHAOUI Francis DELPÉRÉE Annemie VAN de CASTEELE Nathalie de T' SERCLAES Hugo VANDENBERGHE Philippe MAHOUX Patrik VANKRUNKELSVEN. |