3-1645/4

3-1645/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

30 MAI 2006


Projet de loi tendant à privilégier l'hébergement égalitaire de l'enfant dont les parents sont séparés et réglementant l'exécution forcée en matière d'hébergement d'enfant

Proposition de loi insérant un article 1322bis dans le Code judiciaire, relatif à l'exécution forcée des décisions judiciaires contenant des mesures relatives à la personne des enfants

Proposition de loi modifiant l'article 374 du Code civil et insérant dans le même Code les articles 374bis à 374quater, relatif aux modalités d'hébergement de l'enfant dont les parents vivent séparément


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

M. MAHOUX


I. INTRODUCTION

Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport et qui relève de la procédure bicamérale facultative, a été déposé initialement à la Chambre des représentants en tant que projet de loi du gouvernement (doc. Chambre, nº 51-1673/1).

Il a été adopté le 30 mars 2006 par la Chambre des représentants, par 90 voix et 36 abstentions.

Il a été transmis au Sénat le 31 mars 2006 et évoqué le 26 avril 2006.

La commission l'a examiné au cours de ses réunions des 2, 3, 9, 10 et 30 mai 2006, en présence de la ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE

Le projet à l'examen a fait l'objet de discussions très constructives à la Chambre des représentants, d'abord en sous-commission « droit de la famille », puis au sein de la commission de la Justice.

Il comprend plusieurs volets: le premier concerne le fond des litiges, et tend à privilégier l'hébergement égalitaire; le deuxième volet vise à assouplir les règles de procédure devant la section civile du tribunal de la jeunesse et à favoriser la médiation; enfin, le troisième valet est relatif à l'exécution des décisions en matière d'hébergement et à l'astreinte.

Pour ce qui concerne l'hébergement, le texte prévoit tout d'abord que l'accord des parents doit, en toute hypothèse, être privilégié. Ce sont eux qui sont les meilleurs juges de la solution qui convient pour gérer l'hébergement de leurs enfants. Leur accord doit être homologué par le tribunal sauf s'il est manifestement contraire à l'intérêt des enfants.

À défaut d'accord, dans l'état actuel de la législation, en cas de litige, l'hébergement des enfants est réglé par le juge, au cas par cas. Aujourd'hui, chacun admet que les deux parents doivent s'investir dans l'éducation de l'enfant. Ce principe, affirmé par la Convention de New-York relative aux droits de l'enfant, a constitué le fondement de la loi du 13 avril 1995 consacrant l'autorité parentale conjointe.

De plus en plus de juges admettent le principe de l'hébergement égalitaire (ou « garde alternée ») mais une jurisprudence importante considère que l'hébergement égalitaire n'est possible qu'en cas d'accord des deux parties, ce qui n'est pas toujours le cas, faut-il le dire. La plupart des juges ont leur opinion sur la meilleure formule à adopter. En somme il existe « un modèle par juge ». La technique du cas par cas pourrait peut-être être maintenue, si les tribunaux disposaient d'emblée de tous les renseignements nécessaires pour prendre une décision optimale.

Cependant, dans la réalité, la plupart des décisions qui sont prises au début de la séparation le sont, vu l'urgence, en quelques dizaines de minutes, dans l'attente d'une mesure d'instruction telle qu'une enquête sociale ou une expertise.

Nul ne prétend que l'hébergement égalitaire serait la panacée. Il s'agit moins de favoriser cette formule que de limiter autant que faire se peut l'imprévisibilité des litiges source de procès. Il n'est en tous cas pas établi que cette formule serait contre-indiquée a priori.

La ministre observe que de nombreuses objections à la généralisation du modèle (l'enfant a « deux maisons », les deux parents doivent pouvoir accueillir leurs enfants dans de bonnes conditions, les écarts entre les modes de vie ou de pensée des parents ne doivent pas être trop importants, etc.) pourraient déjà être opposées à la pratique actuelle la plus répandue, qui consiste à donner au parent non-gardien (le plus souvent le père) un hébergement secondaire élargi (en fait un tiers du temps.)

Le projet instaure donc un modèle souple. À défaut d'accord, en cas d'autorité parentale conjointe, et si l'un des parents en fait la demande, le tribunal examine prioritairement la possibilité d'attribuer l'hébergement de manière égalitaire entre les parents. Toutefois, s'il estime pour des raisons concrètes liées au cas qui lui est soumis, que l'hébergement égalitaire n'est pas la formule la plus appropriée, le tribunal pourra attribuer l'hébergement principal de l'enfant à l'une des parties et attribuer à l'autre un hébergement secondaire d'une durée moins importante.

Il n'y a pas de liste des contre-indications dans le texte du projet, le juge restant libre de les déterminer. L'exposé des motifs cite comme exemples l'éloignement géographique, l'indisponibilité d'un des parents, ou encore le désintérêt manifeste pour les enfants. Il faut également prendre en compte le jeune âge des enfants, puisque la plupart des spécialistes considère qu'un enfant en bas âge doit conserver un lien privilégié avec sa mère.

Il résulte d'un amendement adopté lors des débats à la Chambre que le tribunal statue en tout état de cause, par un jugement spécialement motivé, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt des parents et des enfants. Cette précision n'affecte pas la faveur donnée à la garde alternée, mais vise à éviter que le tribunal ne se « réfugie » derrière ce choix législatif en décidant de fixer un hébergement égalitaire de manière systématique et avec une motivation « passe-partout ».

Le deuxième volet du projet est relatif à la procédure.

Tout d'abord, la médiation est favorisée concrètement puisque le juge devra donner toutes les informations utiles à ce sujet, et pourra même surseoir à statuer pour que les parties puissent recourir à ce mécanisme.

Le projet généralise ensuite le mécanisme de la saisine permanente (actuellement applicable en référé pendant l'instance en divorce) qui présente entre autres l'utilité de ne pas imposer à la partie d'introduire une nouvelle procédure en cas de changement de circonstances.

Enfin, le troisième volet est relatif à l'exécution forcée des décisions en matière d'hébergement d'enfant.

Il résulte d'instructions adoptées par la Chambre nationale des huissiers de justice que ceux-ci doivent se borner à constater les infractions de refus d'exécution de remise d'un enfant mais ne peuvent pas prêter leur concours à une contrainte physique sur celui-ci. Le parent qui ne reçoit pas l'enfant peut certes recourir à la plainte pénale et solliciter la condamnation du responsable à des peines correctionnelles. Le juge peut également recourir à l'astreinte. Ces moyens sont d'une efficacité limitée. Il n'est pas admissible qu'un enfant soit privé de tout contact avec l'un de ses parents lorsqu'une décision judiciaire lui donne le droit de l'héberger.

Le projet prévoit d'une part que la victime de l'infraction pourra faire revenir l'affaire devant le tribunal. Un nouveau débat aura lieu. Le juge pourra s'entourer de tous les renseignements nécessaires, recourir à de nouvelles mesures d'investigation telles qu'une audition de l'enfant, voire inviter les parties à recourir à la médiation. Le recours à la contrainte pourra être autorisé. Le juge devra cependant fixer les modalités de la reprise forcée de l'enfant. Par exemple, il pourra désigner des personnes habilitées pour accompagner l'huissier de justice (psychologue, assistant social, personne proche de l'enfant, ...) Ces précautions ont évidemment pour but d'éviter que l'exécution traumatise l'enfant.

Le projet permet enfin au juge, dans ce cas, de conférer à l'astreinte le même « superprivilège » que celui actuellement attribué en matière d'aliments. En matière de saisie sur la rémunération, il n'y a pas de limites pour les pensions alimentaires. Le projet prévoit la même chose pour l'astreinte ordonnée par le juge saisi d'un incident relatif à la non-exécution en matière d'hébergement d'enfant.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Nyssens constate que le premier principe consacré par le projet est la primauté de l'accord des parents relatif à l'hébergement des enfants. C'est fondamental dans une matière aussi délicate car les parents sont les mieux placés pour apprécier la situation et il est évident que le juge doit favoriser un tel accord. Elle se réjouit que le projet consacre ce principe.

À défaut d'accord, les choses sont plus compliquées. L'oratrice ne comprend pas pourquoi l'on utilise, d'une manière idéologique, la notion d'hébergement égalitaire.

Elle rappelle que le législateur de 1995 avait confié au juge le soin de déterminer les modalités d'hébergement de l'enfant. Cette solution est aujourd'hui entrée dans les mœurs et largement connue.

L'oratrice s'interroge sur l'utilité du projet de loi dans la pratique. Le fait de prévoir l'hébergement égalitaire de l'enfant va-t-il changer quelque chose dans la pratique des juges et dans la manière dont les parents vont organiser l'hébergement de leurs enfants en cas de séparation puisque, depuis la loi du 13 avril 1995, l'hébergement alterné est une modalité possible d'hébergement, sans être un modèle en soi.

Le projet présente l'hébergement égalitaire de l'enfant comme un modèle. Habituellement le monde politique n'est pas favorable à l'idée de prôner des modèles en droit de la famille. Le projet se départit de cette approche.

Le recours à la notion d'hébergement égalitaire est très symbolique. Il n'est pas évident que l'intérêt de l'enfant soit servi par l'égalité des parents. L'intervenante aurait préféré que l'on conserve la notion d'hébergement alterné.

Le projet prévoit qu'à défaut d'accord des parents, le tribunal examine prioritairement la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire entre ses parents, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt de l'enfant et des parents.

Dans tout dossier, le juge doit prendre une série d'éléments en considération pour se prononcer sur l'hébergement: le lieu de résidence des parents, la distance entre ces deux résidences, l'école, la profession des parents, le temps disponible, etc. Tous ces éléments étaient déjà prévus dans la loi de 1995. Pourquoi dès lors vouloir changer les choses ?

L'oratrice constate que le projet de loi ne mentionne pas d'exemples de circonstances concrètes qui sont prises en compte par le juge lorsqu'il se prononce en matière d'hébergement. Il est dommage de ne pas mentionner dans la loi une série de critères dégagés par la jurisprudence et qui sont de nature à mieux garantir que les circonstances concrètes de la cause sont mieux prises en compte.

Mme Nyssens prend acte du fait que le gouvernement souhaite proposer dans la loi un modèle plutôt que de laisser au juge le soin de fixer l'hébergement au cas par cas. Elle constate que le projet prévoit immédiatement la possibilité pour le juge de ne pas suivre le modèle légal, en fonction des circonstances concrètes de la cause. Les principes d'égalité auxquels l'intervenante souscrit, ne doivent pas être poussés trop loin, au mépris de l'intérêt de l'enfant. Dans un problème d'hébergement d'enfants, ce n'est pas l'égalité des parents qui est en cause. C'est bien plus la manière dont on s'organise pour que chacun soit présent en alternance. Le but doit être de garder un lien fort entre l'enfant et chacun des deux parents sans aboutir à une logique de fractionnement égalitaire.

Le projet prévoit que le juge peut suggérer aux parties de recourir à la médiation. C'est une bonne chose. Ne faudrait-il pas, à l'instar de ce qui existe au Canada, faire un pas supplémentaire en obligeant les parents qui ne s'entendent pas à aller voir en quoi consiste une médiation ?

Enfin, en ce qui concerne l'exécution forcée en matière d'hébergement d'enfant, Mme Nyssens renvoie à la proposition de loi insérant un article 1322bis dans le Code judiciaire, relatif à l'exécution forcée des décisions judiciaires contenant des mesures relatives à la personne des enfants (doc. Sénat, nº 3-58/1) qu'elle a déposée le 9 juillet 2003.

Mme Laloy ne partage pas l'analyse de la préopinante concernant la faible utilité pratique du projet de loi à l'examen. Elle est pour sa part convaincue que le texte rompt avec une tradition dans nos tribunaux qui veut que l'on confie les enfants, surtout en bas âge, à la mère. Le projet rencontre les revendications de pères qui s'estiment lésés par cette jurisprudence qui ne prend pas suffisamment en compte leurs capacités et compétences à élever leurs enfants. Il est réjouissant de constater que le projet place les pères et mères sur pied d'égalité face à la responsabilité de l'éducation de l'enfant.

Elle profite de la discussion pour demander quelle est la situation des espaces-rencontre qui ont été créés pour permettre à certains enfants d'avoir des contacts avec un de leurs parents. Comment ce type de structure s'articule-t-il avec le projet à l'examen ? Ne faudrait-il pas organiser une conférence interministérielle pour se pencher sur les problèmes rencontrés par les espaces-rencontre qui sont de plus en plus sollicités ?

M. Willems pense que le Code civil ne considère pas que l'homme ou la femme soit en quoi que ce soit plus apte à éduquer un enfant. Mais force est de constater que dans 80 à 90 % des cas, le tribunal accorde la garde des enfants à la femme. Il est dès lors bon d'inscrire dans la loi le principe selon lequel, en début de procédure, le juge et les parties doivent envisager la possibilité d'organiser un hébergement égalitaire.

Le législateur ne peut pas faire davantage. En fait, l'intervenant a l'impression que l'adoption du projet de loi à l'examen ne changera pas grand-chose dans la pratique. Les tribunaux choisiront en effet souvent la solution la plus simple.

L'intervenant se réjouit que l'on instaure un système d'astreinte. Il n'existe en effet pas de mesures d'exécution et certains parents de mauvaise foi ont tendance, en cas de divorce, à se servir de leurs enfants contre leur ex-conjoint. Reste toutefois le problème des catégories de personnes au sein de la société qui ne sont financièrement pas en mesure de payer l'astreinte.

L'intervenant conclut que le projet de loi à l'examen est très positif sur le plan juridique étant donné qu'il traduit dans la loi les conceptions qui prévalent actuellement au sein de la société. Il ne changera cependant pas grand-chose en pratique, étant donné qu'il faudra un certain temps avant qu'un changement de mentalité s'opère chez les juges et aussi que l'astreinte ne pourra pas être appliquée à une certaine catégorie sociale.

Mme Defraigne fait remarquer que le texte à l'examen a déjà suscité de nombreuses réactions en sens divers, bien avant même qu'il ne soit déposé au Parlement. Elle n'est pas hostile au principe de l'hébergement alterné. Dans sa pratique d'avocate, elle peut constater que ce régime peut être une véritable réussite si toutes les conditions matérielles et affectives sont réunies.

Le projet initial partait d'une approche assez autoritaire et militante. Il a entre-temps fait l'objet d'une série d'adaptations. Il est prévu que si les parents sont d'accord sur les modalités d'hébergement de leurs enfants, leur accord est homologué par le tribunal. C'est une bonne chose. Dans cette matière, on privilégie les accords réfléchis entre parents responsables.

Si les parents ne sont pas d'accord et si un des parents en fait la demande, le projet prévoit que le tribunal examine la possibilité d'attribuer l'hébergement égalitaire entre les parents.

L'oratrice se réjouit de constater que le texte actuel précise qu'une des parties doit faire la demande de l'hébergement égalitaire. Elle rappelle que dans une version antérieure le texte permettait au juge de décider ultra petita de fixer l'hébergement égalitaire. C'était une vision presque stalinienne de la société, qui a heureusement été corrigée.

Le projet précise par ailleurs que le tribunal peut décider de fixer un hébergement non-égalitaire s'il estime que la formule égalitaire n'est pas la plus appropriée. Cette décision se fait par un jugement spécialement motivé, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt de l'enfant.

Mme Defraigne rappelle que l'obligation de motivation des décisions judiciaires est inscrite dans la Constitution. En prévoyant une motivation spéciale, le projet opère un revirement par rapport à ses intentions initiales où l'on obligeait les magistrats à prononcer l'hébergement égalitaire, sans examiner les circonstances particulières de la cause. Un tel système pouvait s'apparenter à un déni de justice dans la mesure où le rôle du magistrat se limitait à suivre la solution légale de manière automatique. L'intervenante se réjouit dès lors de l'obligation spéciale de motivation.

Le projet véhicule une idéologie car il établit une hiérarchie entre les différents types d'hébergement. Dès lors qu'une des parties demande l'hébergement égalitaire, le juge a une sorte de feuille de route préparée par le législateur. Il doit privilégier le mode d'hébergement égalitaire et ne peut y déroger que moyennant une décision spécialement motivée. En d'autres termes, le juge devra argumenter pour déroger au mode d'hébergement de référence. L'intervenante se déclare gênée par cette idée de référence, de standard.

Un des arguments avancés pour justifier l'imposition d'un modèle d'hébergement de référence est de favoriser la prévisibilité des litiges et de limiter ainsi le nombre de procès. L'oratrice ne partage pas cette analyse. Elle ne pense pas que la solution proposée soit véritablement de nature à mettre fin à l'imprévisibilité des procès.

D'après la commission famille de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, les procès en matière d'hébergement d'enfants sont inévitables car c'est une matière où l'irrationnel intervient. Il y aura toujours un parent qui, à tort ou à raison, se considérera plus apte que l'autre à élever leur enfant.

Ensuite, mettre en exergue la garde égalitaire, va multiplier les demandes pour ce type d'hébergement suscitées par des motifs qui font fi de l'intérêt de l'enfant. Sans faire de procès d'intention ni de généralisation, il est à craindre que certaines demandes de garde alternée soient simplement motivées par le fait que la partie y a droit, ou pour ennuyer l'autre partie ou encore pour éluder le paiement de la contribution alimentaire.

Un second argument est invoqué à l'appui de l'hébergement égalitaire, c'est l'égalité entre les parents.

Depuis la loi du 13 avril 1995, le principe de l'autorité parentale conjointe a consacré une forme d'égalité entre les parents. Chaque parent a les mêmes droits et devoirs à l'égard de son enfant. Le législateur ne parle pas de l'hébergement qui est laissé à l'appréciation du juge.

Mme Defraigne estime qu'il faut permettre à chaque famille de déterminer librement le mode d'hébergement qui lui permettra de gérer au mieux la situation. Respecter la liberté, c'est en effet aussi ne pas nier la diversité des structures familiales, des situations affectives et matérielles, la diversité des cultures, la diversité des conceptions.

À l'heure où tout le monde insiste sur le droit à la différence et le respect des diversités l'on impose un mode d'hébergement homogène. N'est-ce pas une façon pour le politique de dire aux parents ce qu'ils doivent faire et la manière dont ils doivent se comporter. C'est une forme d'ingérence de l'État dans la sphère privée. L'oratrice peut soutenir des démarches d'accompagnement des parents, de responsabilisation de ceux-ci dans l'éducation de leurs enfants. Chaque famille a cependant ses nuances et sa spécificité.

L'intervenante met en garde contre les effets induits de la consécration de la garde égalitaire comme modèle standard d'hébergement. Certains parents se culpabiliseront s'ils ne choisissent pas cette formule d'hébergement. Ne risque-t-on pas de considérer qu'ils ne sont pas de bons parents car ils ne s'investissent pas dans l'éducation de leurs enfants ?

Mme Defraigne met par ailleurs en garde contre les difficultés liées à la mise en place d'une garde alternée.

Elle cite l'exemple d'un père de famille travaillant en usine dans un régime de pauses. Il est impossible d'organiser un hébergement alterné étant donné les horaires de travail de l'intéressé. Comment organiser la garderie des enfants lorsqu'il faut commencer à travailler à 5 heures du matin ? L'épouse ne va-t-elle pas reprocher à son ex-mari d'être un mauvais père car il refuse la garde alternée ?

Au niveau matériel, il faut éviter de faire des enfants des petits nomades perpétuels. De même, les contraintes organisationnelles et logistiques ne peuvent être sous-estimées: une deuxième chambre en bonne et due forme, un endroit où étudier, avoir un deuxième ordinateur, assurer la continuité des activités scolaires et extra scolaires, un sac de sports et des vêtements propres pour la semaine, etc.

Tout ceci est bien onéreux, ce qui conduit certains praticiens à conclure que la garde égalitaire est une mesure de classe principalement accessible aux familles plutôt aisées.

Enfin, Mme Defraigne pense que tout un pan de la réforme a été oublié. Il faut que les magistrats soient mieux outillés pour statuer dans les questions d'hébergement. Or, les études sociales approfondies prennent beaucoup de temps faute de moyens, les rapports psychologiques sont onéreux, il manque des auxiliaires de justice, etc.

Mme de T' Serclaes considère le projet comme de la poudre aux yeux. Elle rappelle les antécédents en matière d'hébergement d'enfants dont les parents sont séparés.

Lors de la modification du Code civil en 1995 en vue d'instaurer l'autorité parentale conjointe, le Parlement a posé le principe selon lequel les parents restent conjointement responsables de leurs enfants, même en cas de séparation et de divorce.

Depuis plus de dix ans, ce principe est clairement établi dans le Code civil. À l'époque, le débat sur l'hébergement a eu lieu. Certains considéraient que l'autorité parentale conjointe allait de pair avec un hébergement alterné car cela permettait aux deux parents de plus s'impliquer.

Le législateur de l'époque, après de longues discussions, a opté pour le principe de l'autorité parentale conjointe mais il a fait dépendre la question de l'hébergement de l'accord éventuel des parents ou de l'appréciation du juge, lequel décide à la suite de la discussion qu'il a avec les parents et compte tenu de l'intérêt de l'enfant. Le législateur n'était pas allé plus loin en matière d'hébergement car il avait considéré que les situations de terrain sont tellement variables qu'il fallait laisser aux parents et au juge la liberté de s'accorder sur le meilleur mode d'hébergement pour l'enfant.

Sous la pression d'un certain nombre de pères qui se sentent dépossédés de leurs enfants — situation pour laquelle l'intervenante a beaucoup de compréhension puisqu'il n'est pas rare que des mères refusent systématiquement le moindre contact entre le père et l'enfant, au mépris des décisions judiciaires — on veut aujourd'hui aller plus loin en préconisant un modèle d'hébergement égalitaire de référence qui est considéré comme le meilleur pour l'enfant.

L'intervenante rappelle que c'est l'enfant qui devrait être au centre des préoccupations.

Or, en utilisant la notion d'hébergement égalitaire, on part de la situation des parents qui ont le droit à avoir leur enfant moitié-moitié. On devrait plutôt partir de l'intérêt de l'enfant et chercher un mode d'hébergement qui lui permette de garder des relations de type éducatif avec ses deux parents.

Mme de T' Serclaes se déclare gênée par l'approche suivie dans le projet. On pousse un modèle de partage moitié-moitié de l'enfant. Tout autre type de solution serait nécessairement moins bon puisque l'hébergement égalitaire est celui qui garantit les meilleurs contacts entre l'enfant et chacun de ses parents.

La réalité démontre que cette thèse est fausse. La manière dont les parents ont des relations avec leurs enfants ne se comptabilise pas en heures passées avec eux. Cela ne vaut déjà pas pour les familles unies où les rythmes de vie des parents sont parfois très différents (travail à temps plein, à temps partiel, travail de nuit ...).

Les parents ont, dans la pratique, des relations avec leurs enfants qui sont totalement inégalitaires. Pourquoi faudrait-il dès lors imposer un modèle de relations égalitaires une fois que la famille se sépare ?

Mme de T' Serclaes demande des précisions sur la notion d'hébergement égalitaire. De manière concrète, cela vise-t-il une semaine en alternance chez le père et chez la mère. L'alternance peut-elle se faire sur une base mensuelle, trimestrielle ou même annuelle ?

Comment faut-il qualifier des formules où il n'y a pas de stricte égalité quant à la répartition de l'hébergement ? S'agit-il automatiquement d'un hébergement non-égalitaire ?

L'intervenante rappelle que lors du colloque organisé au Sénat le 14 janvier 2005 il avait été mis en avant que l'hébergement égalitaire pouvait se concevoir plus facilement à certains âges de la vie de l'enfant mais est beaucoup plus difficile lorsque l'enfant est tout petit ou à l'adolescence.

L'hébergement égalitaire n'est possible que si toute une série de conditions matérielles sont réunies, y compris la proximité géographique des résidences des parents.

L'intervenante n'est pas opposée à l'hébergement égalitaire. Elle est par contre dérangée par le fait que le projet présente cette solution comme la formule idéale.

Elle n'est d'autre part pas convaincue par le fait que le projet soit de nature à mettre fin à l'imprévisibilité des litiges. Il n'est pas certain que les parents soient enclins à trouver une solution d'hébergement négociée car ils savent qu'à défaut d'accord le tribunal examinera prioritairement la possibilité de fixer l'hébergement égalitaire.

Sur le plan de la technique légistique, Mme de T' Serclaes regrette que le projet alourdisse le Code civil en y insérant des dispositions de procédure qui seraient mieux à leur place dans le Code judiciaire. Si l'on veut que les lois restent accessibles pour le citoyen, il n'est pas bon d'insérer dans le Code civil des règles de procédure.

En ce qui concerne la question de l'exécution forcée, l'intervenante doute que les modifications proposées présentent une avancée par rapport au régime existant. La difficulté en cette matière découle du fait que le parent, à qui on refuse les droits qui lui ont été reconnus par un juge, n'ose pas en réclamer l'exécution forcée de peur de faire violence à l'enfant. Le projet ne répond pas à ce genre de drames. Il est vrai que c'est une compétence des Communautés qui ont un rôle à jouer à travers les espaces-rencontre. De même, le recours à la médiation offre des perspectives.

L'oratrice rappelle qu'il ressort des rapports annuels du délégué aux droits de l'enfant que la source principale de souffrances pour les enfants est liée aux situations de séparations et de divorces de leurs parents.

Elle pense que les décisions prises dans ces situations de crise doivent être dictées par l'intérêt de l'enfant avant de voir l'intérêt ou le problème des parents.

M. Willems souligne qu'en pratique les enfants habitent avec la mère dans 80 à 90 % des cas. Il arrive en effet souvent que les mères compensent leur frustration liée au divorce au détriment du conjoint en faisant tout ce qui est en leur pouvoir pour limiter les droits du père. C'est aussi la raison pour laquelle les pères qui ne voient plus leurs enfants s'adressent au parlement.

De plus, le droit de visite n'est plus assorti d'aucune mesure d'exécution, parce que l'on considère que cela va à l'encontre des intérêts de l'enfant. L'intervenant souligne que le projet de loi à l'examen vise seulement à faire envisager par les parties et par le tribunal la possibilité d'un hébergement égalitaire. Les arguties quant à la terminologie utilisée ne sont pas à leur place ici.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il faut pouvoir discuter de tout et qu'il ne s'agit pas forcément d'arguties. De plus, c'est le juge qui attribue le droit de garde et pas la mère.

M. Willems maintient son point de vue selon lequel le tribunal de première instance, le juge de la jeunesse et le juge de paix, lorsqu'ils constatent des problèmes évidents de communication, sont très enclins à ne pas accorder l'hébergement égalitaire et à attribuer le droit de garde à la mère.

De plus, souvent, le droit aux relations personnelles n'est pas appliqué comme il le devrait.

Mme de T' Serclaes évoque l'hypothèse inverse, celle dans laquelle c'est la mère qui demande l'hébergement égalitaire. Le père, invoquant une fonction de cadre dans une grande entreprise, ne veut pas l'hébergement égalitaire car il estime ne pas avoir le temps d'assumer les enfants une semaine sur deux. Le juge décide d'appliquer l'hébergement égalitaire. Dans la pratique, il est probable que le père devra faire appel à une gardienne pour assumer les enfants durant la période où ils sont hébergés chez lui. Le système d'hébergement égalitaire aboutit-il, dans un tel cas, au renforcement du lien affectif avec le père ?

Mme Nyssens confirme que les situations évoquées par M. Willems correspondent à la réalité. Elle pense cependant que le projet à l'examen ne permettra pas de répondre à ce type de situations. Des contacts qu'elle a eus avec des pères membres de mouvements d'égalité parentale, elle confirme que de nombreux pères se sentent victimes de chantages et que les mères se placent dans un esprit de revendication qui n'est pas toujours motivé par l'intérêt de l'enfant.

La réalité des couples, ce n'est pas du droit mais de la sociologie, des mœurs, etc. C'est une réalité très variable d'un couple à l'autre. Il est dès lors surprenant de vouloir pousser en avant un modèle type dans le milieu familial. Le principe de la garde alternée est acquis depuis 1995.

Le projet veut favoriser le modèle égalitaire en fixant des modalités pratiques pour organiser des hébergements. Le message donné par le projet est très culpabilisant pour les personnes qui ne suivront pas le modèle égalitaire souhaité par le législateur.

M. Mahoux revient à l'acception de la notion de modèle avancée par certains membres. Il ne ressort nullement du projet de loi que l'on veuille promouvoir une solution totalement idéale qui résoudrait la totalité des problèmes d'hébergements d'enfants.

En ce qui concerne la remarque des services concernant l'adaptation qui doit être faite à l'article 405 du Code civil pour tenir compte des modifications que le projet apporte à l'article 374, l'intervenant précise qu'une proposition de loi sera déposée à cet effet dès que le projet à l'examen aura été adopté.

L'intervenant trouve par ailleurs que le mécanisme de saisine permanente devant le tribunal de la jeunesse est une piste très intéressante. Cela facilitera le recours au tribunal dans des domaines caractérisés par une grande variabilité des situations dans le temps.

En ce qui concerne les principes qui sous-tendent le projet de loi, l'orateur se réjouit que l'on rappelle la primauté de l'intérêt de l'enfant. De même, le projet privilégie clairement l'accord des parties, sauf s'il est manifestement contraire aux droits de l'enfant.

L'orateur souligne que l'hébergement égalitaire n'intervient qu'à défaut d'accord entre les parents. Cet hébergement égalitaire est un modèle, c'est-à-dire un standard d'application par le juge sauf si ce dernier considère que ce n'est pas la formule la plus appropriée. Le projet s'inscrit dans une démarche égalitaire qui est générale.

L'orateur se demande s'il n'y a pas un problème de génération qui est posé par rapport à une vision qui est une évolution importante du rôle des pères et des mères. La vision sur la répartition des rôles est peut-être très différente selon les générations. Cette évolution est une réalité même si l'on n'est pas encore arrivé à la parfaite égalité.

La revendication égalitaire ne doit pas venir exclusivement des femmes par rapport aux hommes. Ce combat est un combat commun.

Le projet apporte une clarification pour les parents séparés. À défaut d'accord, le standard sera l'hébergement égalitaire. Cela n'a rien de culpabilisant pour les parents qui auraient fait le choix d'un hébergement non-égalitaire.

Le projet ne présente pas la garde égalitaire comme la panacée et il n'est nulle part prévu que le choix pour une autre forme d'hébergement serait moins bon. Les parents choisissent le mode d'hébergement le plus approprié. Cet accord prime sauf s'il est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant.

L'intervenant demande des précisions en ce qui concerne l'articulation du projet de loi et la problématique des rapts parentaux.

L'article 387ter, § 4, en projet (article 4 du projet) prévoit qu'il n'est pas porté préjudice aux dispositions internationales liant la Belgique en matière d'enlèvement international d'enfants. Quelle est la portée de cette disposition ?

Enfin, l'intervenant conclut en considérant que le projet apporte une clarification lors de la séparation des parents.

M. Hugo Vandenberghe souligne que la discussion du projet de loi à la Chambre a pris pas mal de temps, ce qui démontre qu'il peut susciter bien des considérations et des réflexions. Le problème ne semble donc pas du tout aussi simple qu'on veut le faire croire. Il ne faut pas perdre de vue que le régime proposé n'est opérationnel que dans l'hypothèse d'un conflit. Si les parties sont d'accord, le juge homologuera l'accord, sauf si l'intérêt de l'enfant s'oppose à cette homologation.

La question qui se pose en cas de conflit est de savoir quelle est la meilleure solution dans l'intérêt des enfants. L'intérêt des enfants peut entrer en conflit avec l'égalité des droits des parents. La meilleure solution ici est-elle d'imposer à tout prix l'égalité de statut entre les parents d'une manière quasi arithmétique ?

Il est évident que les parents conservent leur obligation d'éducation, indépendamment du divorce, et qu'ils doivent donc aussi exercer une forme de tutelle.

Mais la question n'est pas de savoir comment traiter les parents sur un pied d'égalité. Il faut plutôt se demander comment l'égalité de traitement entre les parents au niveau de l'éducation et de la tutelle sur l'enfant peut, en cas de conflit, être mise en œuvre au mieux des intérêts de l'enfant ? Peut-on dire a priori qu'un hébergement égalitaire, avec pour corollaire que l'éducation de l'enfant est organisée dans un environnement instable, est dans l'intérêt de l'enfant ? L'intervenant trouve ce raisonnement très mathématique.

La question est de savoir quels sont les moyens à mettre à la disposition du juge pour qu'il puisse, lorsqu'il est confronté à un conflit concret, choisir la solution qui soit la meilleure possible. Les situations de fait sont en effet si différentes que c'est au juge et non au législateur qu'il appartient de choisir la meilleure solution possible. Il faut tenir compte de l'égalité des droits et devoirs des parents, ainsi que des sanctions éventuelles. L'intervenant considère que cela ne signifie pas que l'hébergement de l'enfant doit être réparti de manière égalitaire. L'important en fin de compte, c'est surtout l'intérêt de l'enfant.

Selon M. Willems, le véritable problème réside dans le fait que l'on a vu apparaître une technique de procédure consistant pour la mère à provoquer souvent des problèmes de communication au cours de l'instance de divorce. De cette manière, il n'y a généralement pas d'accord entre les parties et c'est le juge qui doit trancher. Dans 80 à 90 % des cas, le juge décide de confier l'enfant à la mère. Peut-être les mouvements féminins pourraient-ils inciter les femmes à faire preuve de loyauté dans le domaine de la coparentalité.

M. Hugo Vandenberghe maintient que la question de principe qui se pose est de savoir si prendre comme norme de référence une répartition purement mathématique est, conceptuellement, dans l'intérêt de l'enfant. Les arguments de M. Willems ne répondent pas à cette question.

Par ailleurs, le texte même du projet à l'examen n'est pas toujours très clair. Il fait ainsi mention du tribunal et puis, tout à coup, du tribunal de la jeunesse.

Il serait également préférable d'inscrire dans le Code judiciaire lui-même les dérogations aux dispositions de celui-ci. Un droit spécial de la procédure familiale ne favorisera pas la transparence et la sécurité juridique. De plus, ces règles dérogatoires susciteront comme telles de nouvelles questions.

La disposition selon laquelle l'affaire peut être portée à nouveau devant la juridiction compétente au cas où l'un des parents refuserait de mettre à exécution la décision judiciaire, est innovante. Mais l'intervenant rappelle à cet égard l'engorgement que connaissent les tribunaux et l'arriéré judiciaire actuel. De plus, cette nouvelle procédure aura psychologiquement pour conséquence d'accentuer encore davantage le conflit entre les parties. Le juge doit avoir les qualités juridiques voulues pour faire accepter la décision. L'intervenant ne croit pas que l'astreinte soit une solution.

Mme Talhaoui estime que le texte tient peu compte de la situation dans laquelle l'enfant choisit de passer la plus grande partie de son temps avec l'un des deux parents.

Réponses de la ministre

La ministre rappelle que le texte à l'examen résulte d'une réflexion qui a été entamée au sein des états généraux des familles qui se sont tenus en 2003 et 2004. Un groupe était en charge des réformes du droit civil et du droit judiciaire. Une large majorité s'est dégagée au sein de ce groupe en vue de consacrer dans notre droit un modèle non contraignant d'hébergement des enfants lors de la séparation des parents. Le constat de départ est lié au fait que l'absence de modèle présente des inconvénients sérieux.

Malgré le faible nombre d'études empiriques sur le sujet, il semble qu'il n'existe pas de contre-indication générale à l'hébergement égalitaire. A posteriori de nombreux enfants qui ont pratiqué cette formule la jugent de manière favorable.

Des études de l'UCL ont montré que les enfants qui, après la séparation de leurs parents, rencontrent le plus de difficultés à la sortie de l'adolescence, sont ceux qui ont été privés d'un de leurs parents. En revanche, les enfants qui ont vécu une situation de type égalitaire ou une situation harmonieuse avec leurs parents, surmontent dans l'ensemble assez bien la séparation.

L'inscription dans la loi d'un modèle d'hébergement est également liée au fait que tout procès est générateur de tensions entre les parents, ce qui est nocif pour les enfants. Or, l'intérêt de l'enfant est au centre de la réflexion. Le fait de fixer un modèle ne permettra certes pas de supprimer les litiges. En revanche, l'absence de modèle est générateur de procès car les parties qui se séparent ne savent pas anticiper l'issue de leur litige et elles ont tendance à tenter leur chance dans le cadre d'un procès. Si on fixe une ligne de conduite dans la loi, les parties s'en inspireront davantage et cela permettra de réduire les litiges.

À la question de savoir ce que le projet changera sur le terrain, la ministre répond qu'il faut rester modeste. Le gouvernement n'a pas la prétention de croire que le projet va révolutionner tout le système de l'hébergement des enfants après séparation des parents.

L'apport qualitatif du nouveau régime est que l'on renverse la logique actuelle. Aujourd'hui, c'est le parent qui veut la garde égalitaire qui doit prouver que cette formule est bonne pour l'enfant. Avec le projet, ce sera au parent qui s'oppose au système de garde égalitaire qu'il reviendra de démontrer concrètement en quoi dans le cas d'espèce ce type d'hébergement est contraire aux intérêts de l'enfant. La ministre estime que le projet ne vise pas à imposer un système mais cherche à renverser la logique existante.

La jurisprudence actuelle montre que la garde alternée est largement admise. Cependant, certains magistrats ne permettent cette formule que lorsqu'il y a accord entre les parties. À défaut d'accord, la partie qui demande la garde alternée se trouve aujourd'hui dans une position défavorable. Le fait de prévoir que l'hébergement égalitaire doit être examiné de manière prioritaire présente un progrès important par rapport à la situation actuelle.

Le projet, en fixant un modèle d'hébergement égalitaire, devrait accélérer l'évolution des mentalités, en favorisant une meilleure répartition des tâches y compris pour les couples non séparés.

En ce qui concerne le choix des termes « d'hébergement égalitaire », plutôt que « garde alternée » ou « hébergement alterné », la ministre fait remarquer qu'un hébergement est alterné dès lors qu'il y a une alternance entre la mère et le père. Le projet pose un choix positif pour une formule d'hébergement égalitaire. C'est un choix idéologique dans le sens noble du terme qui correspond à une formule qui existe déjà dans la Convention internationale sur les droits de l'enfant ainsi que dans la loi de 1995 sur l'autorité parentale conjointe.

À la question sur la notion de jugement « spécialement motivé », la ministre précise que l'on veut éviter une motivation de type générale et abstraite. Le juge devra motiver sa décision au regard des circonstances concrètes de la cause.

À la remarque concernant l'aspect mathématique de la formule, la ministre pense que cette dimension est inéluctable dans un litige relatif à l'hébergement d'un enfant. Actuellement, lorsque les parents ne parviennent pas à se mettre d'accord, un juge fixe une formule mathématique pour l'hébergement alterné. Il suffit de consulter les décisions prises en matière d'hébergement d'enfants pour voir qu'elles décrivent, de manière très détaillée, les périodes auxquelles les enfants sont confiés tantôt à la mère, tantôt au père.

Certains intervenants ont considéré que le projet constituait une forme d'ingérence de l'État dans la sphère familiale. La ministre rappelle que l'intervention d'un juge est toujours une forme d'ingérence de l'État.

Elle fait cependant remarquer que le projet réduit les pouvoirs du juge en cas d'accord des parents. Le magistrat est tenu d'homologuer cet accord sauf s'il est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant. Il n'est plus possible que le magistrat substitue sa propre appréciation à celle des parents. À défaut d'accord, c'est le magistrat qui tranchera, comme c'est déjà le cas à l'heure actuelle. Le juge est la bouche de l'État dans ce type de conflit. Il est donc hypocrite de considérer que le projet constitue une ingérence de l'État dans la vie des familles. L'État s'ingère de toute manière par l'intermédiaire du juge et le projet ne change rien sur ce point si ce n'est que le juge tranchera en ayant une ligne de conduite légale.

La ministre ne craint par ailleurs pas que l'hébergement égalitaire soit demandé dans le but d'échapper à la pension alimentaire. Elle rappelle que la pension alimentaire peut être due, même en cas de garde alternée, par exemple lorsqu'il y a une différence de revenus entre les deux parents. Les charges restent partagées et un des parents devra intervenir financièrement.

L'oratrice pense que la garde égalitaire n'engendre pas des difficultés matérielles plus importantes que celles qui sont liées à tout autre système d'hébergement alterné des enfants. Dès lors que les deux parents doivent héberger leurs enfants dans de bonnes conditions pendant un certain nombre de jours par mois, cela impose un dédoublement des infrastructures. C'est en réalité la séparation qui engendre des coûts supplémentaires et de nombreuses difficultés matérielles mais pas le mode d'hébergement de l'enfant.

Dans un régime de répartition classique, à l'heure actuelle, un enfant est confié un week-end sur deux à son père ainsi que la moitié des vacances. Cela représente une centaine de jours par an. Pour pouvoir héberger son enfant dignement pendant un tel laps de temps, cela nécessite des investissements importants.

La ministre reconnaît que l'âge de l'enfant doit être pris en considération lors de la fixation du mode d'hébergement. Il n'a pas semblé opportun de détailler dans le projet des contre-indications au modèle de la garde égalitaire. Il appartiendra au juge de motiver les raisons pour lesquelles il s'écarte de l'hébergement égalitaire.

L'intervenante pense que les travaux préparatoires seront suffisamment explicites sur les éventuelles contre-indications. Le jeune âge de l'enfant a plusieurs fois été évoqué. Les psychologues s'accordent pour dire qu'une faveur doit être faite à la mère pour l'hébergement des nourrissons. Les avis sont plus nuancés pour les jeunes enfants. En ce qui concerne les adolescents, l'intervenante rappelle qu'ils sont consultés dès l'âge de douze ans et que leur avis a un poids important dans la décision judiciaire.

Aux remarques concernant l'intégration de dispositions de procédure dans le Code civil, la ministre fait remarquer qu'il est courant de procéder de la sorte en matière familiale. Elle renvoie notamment à la loi du 13 avril 1995 sur l'autorité parentale qui a inséré des dispositions de droit judiciaire dans le Code civil (voir article 387bis), à la loi du 31 mars 1987 modifiant la filiation, à la loi du 29 avril 2001 sur la tutelle, ou encore aux dispositions relatives à l'administration provisoire (article 488bis du Code civil).

L'intervenante pense que le choix d'insérer des dispositions de procédure dans le Code civil est défendable car les procédures sont très spécifiques et liées directement au problème de fond.

En ce qui concerne le deuxième volet du projet, qui modifie l'exécution forcée en matière d'hébergement d'enfant, la ministre rappelle que le système actuel aboutit à une impasse dès l'instant où les huissiers de justice se bornent à constater le refus d'exécution mais qu'ils n'interviennent pas pour permettre le recours à la coercition à l'égard du parent récalcitrant.

Le projet prévoit le recours à la contrainte, mais l'entoure d'une série de précautions importantes.

Certains membres se sont demandés s'il était normal de prévoir un deuxième procès et de charger le juge de l'exécution de ses propres décisions. Il est exact que traditionnellement un juge est dessaisi lorsqu'il a tranché le litige. Il existe cependant des précédents dans la loi. Ainsi, dans la procédure de saisie-exécution immobilière, le juge des saisies désigne le notaire instrumentant. Lors de la désignation du notaire, le juge des saisies vérifie la régularité de la procédure d'exécution forcée.

La ministre pense qu'il est normal que le projet prévoie un nouveau débat judiciaire avant de permettre qu'une partie reprenne un enfant par la force. Elle précise que le nouveau débat judiciaire n'est pas un nouveau procès. Dans la plupart des cas le juge convoquera les parties et fixera les conditions dans lesquelles il autorise la reprise. Ce n'est que si un laps de temps important s'est écoulé depuis la décision en matière d'hébergement qu'il faudra à nouveau instruire le dossier. Une telle situation est courante devant le tribunal de la jeunesse qui doit, après plusieurs années, à la suite du changement de situation, revoir la décision qu'il a prise concernant l'hébergement de l'enfant.

En ce qui concerne l'articulation du projet de loi avec la réglementation applicable en matière de rapts parentaux, la ministre rappelle que le règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil dit règlement « Bruxelles II bis » relatif à la compétence, à la reconnaissance et à l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale est entré en vigueur le 1er mars 2005, au moment où le présent projet a été déposé à la Chambre des représentants. À titre pédagogique, il a paru utile de préciser que le projet à l'examen ne porte pas préjudice aux dispositions internationales liant la Belgique en matière d'enlèvement international d'enfants, même si cette disposition est de nature quelque peu tautologique.

Enfin, à la question de savoir à quel tribunal s'applique la règle de la saisine permanente, la ministre précise que l'article 387bis en projet (article 3 du projet) prévoit que la cause reste inscrite au rôle devant le tribunal de la jeunesse jusqu'à ce que les enfants soient devenus majeurs.

Une solution identique vaut pour le référé en cas d'instance en divorce. Il n'a pas semblé souhaitable d'étendre ce mécanisme au juge de paix dans la mesure où ses interventions dans le contentieux familial sont plus ponctuelles et ses décisions sont souvent limitées dans le temps.

Répliques des membres et discussion

M. Cheffert trouve qu'il est choquant de répondre aux critiques selon lesquelles le projet est une forme d'ingérence de l'État dans la sphère familiale en déclarant que le juge, lorsqu'il tranche aujourd'hui une question d'hébergement d'enfant, est la bouche de l'État. Il rappelle le principe de la séparation des pouvoirs.

La ministre répond qu'au niveau du vécu des citoyens, le juge représente l'autorité publique. Dès lors, en votant une loi qui prévoit un modèle d'hébergement égalitaire, il n'y a pas d'ingérence plus forte de l'État dans la vie des citoyens par rapport à la situation actuelle où c'est le juge qui tranche la question.

M. Cheffert rappelle que le régime actuel donne au magistrat un pouvoir d'appréciation très large lorsqu'il doit se prononcer sur la question de l'hébergement d'enfants. Le projet à l'examen restreint ce pouvoir d'appréciation.

L'orateur ne soutient pas la notion d'hébergement égalitaire. Il pense que la notion d'hébergement alterné est suffisamment claire.

Sur le fond du projet, l'intervenant pense qu'il existe une différenciation entre les hommes et les femmes. Il ne partage pas l'idée selon laquelle il faut absolument placer les hommes et les femmes sur un pied d'égalité stricto sensu. À force de suivre une telle démarche, on aboutira à la création d'un modèle type qui s'applique à tout le monde.

L'intervenant pense qu'un nourrisson et un jeune enfant ont plus besoin de leur mère que de leur père. La ministre a elle-même reconnu et a admis que dans ces hypothèses, il fallait privilégier l'hébergement principal chez la mère. Pourquoi ne pas le prévoir dans le dispositif de la loi en y fixant des balises ?

Le projet prévoit des balises mathématiques en favorisant prioritairement l'hébergement égalitaire. L'intervenant suggère de fixer une limite d'âge en dessous de laquelle il ne paraît pas bon, dans l'intérêt de l'enfant, d'appliquer ce type d'hébergement. Le renversement de la charge de la preuve prévu par le projet ne s'appliquerait pas lorsque les enfants seraient en bas âge. Dans une telle hypothèse la maman pourrait se voir confier le droit d'hébergement principal.

Mme de T' Serclaes demande si d'autres pays européens ont déjà mis en place un modèle d'hébergement égalitaire tel que prôné par le projet à l'examen.

L'intervenante rappelle que les enfants sont les personnes les plus pénalisées lors de la séparation des parents. La responsabilité du législateur est d'organiser les choses de manière telle que les enfants souffrent le moins possible de la séparation. Il faut créer les conditions pour que la séparation se déroule de la manière la plus harmonieuse possible.

Elle a des doutes sur la manière dont on présente les choses dans le projet de loi. À défaut d'accord des parents, le tribunal doit examiner prioritairement la possibilité de fixer un hébergement égalitaire. Que se passera-t-il si un parent se voit imposer l'hébergement égalitaire alors qu'il n'y était pas favorable ? Il est à craindre que ce parent sabote le modèle d'hébergement imposé, au détriment des enfants qui ne vivront pas dans une situation harmonieuse.

L'intervenante pense que la ministre n'a pas répondu à la question du sens à donner à la notion de garde égalitaire. Quel type d'arrangement est concrètement à considérer comme un hébergement égalitaire ? Il faudrait décrire des modèles de référence pour que le juge sache ce qui est à considérer comme un hébergement égalitaire et un hébergement non-égalitaire.

Va-t-on tenir compte du souhait de chacun des parents de s'impliquer de manière comparable dans l'éducation et la prise en charge des enfants même si le régime d'hébergement n'aboutit pas à une répartition cinquante-cinquante entre les deux parents ?

Si l'on opte pour un partage égalitaire strict, cela nécessite que de toute une série de conditions matérielles soient réunies pour qu'un tel régime soit praticable.

Le projet prévoit que le juge peut s'écarter de la formule égalitaire. Mme de T' Serclaes demande pourquoi l'on ne donne pas dans la loi une série d'exemples de situations dans lesquelles un hébergement non-égalitaire est plus approprié.

En ce qui concerne les enlèvements parentaux, l'intervenante remarque que la mobilité des personnes a favorisé l'augmentation des mariages entre personnes de nationalités différentes. Alors que l'attention se focalise souvent sur les enlèvements d'enfants vers des pays du pourtour méditerranéen, c'est avec l'Allemagne que les problèmes d'enlèvements d'enfants sont les plus fréquents. Le juge belge, lorsqu'il se prononce sur l'hébergement égalitaire, doit-il prendre cette problématique en compte ? Peut-on par exemple imaginer un hébergement d'un an chez la mère, en Belgique, alterné avec un an chez le père, en Allemagne ?

L'intervenante demande ensuite quelles sont les modalités de révision du régime d'hébergement égalitaire. Existe-t-il des possibilités pour sortir du modèle légal ? Qui peut le demander ?

M. Mahoux rappelle la logique du projet. L'intérêt de l'enfant est le principe général. S'il y a accord entre les parents et que ce n'est pas contraire à l'intérêt de l'enfant, le juge homologue le régime d'hébergement adopté par les parties.

La modification fondamentale du projet vise la situation dans laquelle les parties n'ont pas pu s'accorder. Dans ce cas, le juge prend une décision de répartition égalitaire sauf s'il considère que l'intérêt de l'enfant justifie une autre formule.

Durant la procédure, on expliquera aux parties que la garde égalitaire est la règle générale mais qu'elles peuvent avancer tous les éléments de la cause qui feraient que la solution générale n'est pas la plus indiquée in concreto.

Le fait de fixer une solution égalitaire dans la loi est un élément favorisant la recherche d'une solution négociée entre parties qui, si elles ne s'accommodent pas de l'égalité stricte, rechercheront une formule d'hébergement qui leur convient mieux.

L'intervenant pense qu'il est important de conserver le qualificatif « égalitaire », même si son application peut revêtir toute une série de nuances laissées à l'appréciation du juge. Il fait par ailleurs remarquer que le traitement peut être égalitaire mais que les modalités d'application de cette égalité peuvent être nuancées.

M. Mahoux revient ensuite à la question des rapts parentaux. Il évoque une affaire qui a défrayé la chronique il y a quelques années. Cela concernait deux fillettes dont les parents étaient séparés. Par décision de justice, la garde avait été attribuée à la mère, avec un droit de visite au père. Profitant de son droit de visite, le père iranien avait enlevé ses fillettes pour les ramener en Iran. Or, la loi iranienne attribue l'entière responsabilité de l'éducation des enfants au père. Comment concilier ces deux logiques ?

M. Hugo Vandenberghe répond que c'est un problème de droit international privé.

M. Mahoux évoque ensuite la question de la charge de la preuve. Il pense qu'il s'agit en l'occurrence plutôt de la nature de la motivation de la décision que de la charge de la preuve. Si le juge va à l'encontre du principe général d'hébergement égalitaire, il doit motiver les raisons pour lesquelles il s'est départi du modèle légal.

Enfin, en ce qui concerne la saisine permanente, l'intervenant constate que le tribunal de la jeunesse reste saisi en cas de modification de la situation. Ce principe vaut-il également en cas de non-exécution de la décision antérieure ?

Mme Nyssens constate que dans la plupart des pays voisins, le droit familial évolue vers une autorité conjointe. Les modalités de la garde alternée se pratiquent de plus en plus couramment. C'est sous l'impulsion des associations de pères que ces évolutions ont lieu.

L'oratrice renvoie à la situation au Canada, qui a toujours une longueur d'avance en matière de droit familial. Dans ce pays, le concept de « garde alternée » a fait place à celui de « temps parental ». Au Canada, le juge attribue le temps parental au requérant, qu'il s'agisse des parents, du conjoint ou d'une personne qui tient lieu de parent. Le temps parental y est défini comme la période pendant laquelle l'enfant est confié à une des personnes visées ci-dessus. Des critères sont prévus à l'attention du juge lorsqu'il doit répartir le temps entre les différentes personnes.

En France, la loi de 2002 utilise la notion de résidence alternée qui est encouragée. On ne parle pas d'hébergement égalitaire.

La volonté des législateurs est de maintenir un maximum de relations entre les enfants et chacun des ex-époux. Les sciences humaines ont clairement montré que ce n'est ni la fréquence ni la quantité de contacts entre le parent non gardien et l'enfant qui sont déterminants pour le bon développement de l'enfant. C'est au contraire l'absence de conflit qui est l'élément essentiel. Cela n'a pas de sens de vouloir chiffrer la répartition de l'hébergement ou de la fixer de façon idéologique. L'intervenante soutient l'objectif du projet de loi, qui est de maintenir des relations entre l'enfant et les deux ex-époux. Elle pense cependant que l'utilisation du qualificatif « égalitaire » est erronée et qu'il appartient au juge et aux familles de s'accorder sur la manière d'organiser la résidence alternée.

M. Willems estime que le texte à l'examen se lit bien et est suffisamment précis. Il énonce assez clairement les principes.

L'article 2 offre au tribunal un large éventail de possibilités en vue de trouver la solution la plus appropriée dans l'intérêt de l'enfant. À défaut d'accord entre les parents sur l'hébergement de l'enfant, le juge doit examiner si un hébergement égalitaire est possible. Si ce n'est pas le cas, toutes les autres solutions sont envisageables. L'intervenant a donc du mal à comprendre pourquoi certains membres ont des objections à l'encontre de ce texte.

En outre, la pratique montre aussi que, le plus souvent, le juge rejette la requête de l'une des parties visant à attribuer l'hébergement de manière égalitaire s'il y a des problèmes de communication entre les parents.

L'intervenant se demande quels sont les effets du projet de loi à l'examen dans le temps. Qu'en est-il des parents pour lesquels la justice a déjà rendu une décision ? Un des parents pourra-t-il, en l'absence de faits nouveaux, retourner devant le juge afin de réclamer un autre arrangement en matière d'hébergement ? Une nouvelle procédure pourra-t-elle être entamée du seul fait de l'arrivée de cette nouvelle législation ?

La ministre rappelle que le projet n'impose pas de manière stalinienne un modèle. Bien au contraire, il vise à fixer une ligne de conduite qui n'est pas contraignante mais qui devrait permettre d'éviter une multiplication des conflits. Les bureaux d'avocats spécialisés dans le contentieux familial constatent une recrudescence des questions de leurs clients avant chaque période de vacances. La raison en est simple: beaucoup de décisions de justice ou d'actes notariés sont imprécis et posent des problèmes d'interprétation au niveau des dates, des jours et des heures pour l'hébergement des enfants.

Sur ce plan là, un partage cinquante-cinquante entre les parents est plus simple et facile à appliquer que des hébergements non égalitaires. Ces derniers systèmes imposent des découpages du temps beaucoup plus nombreux et complexes qu'un hébergement égalitaire où il est par exemple prévu que chaque parent reprend l'enfant alternativement à la sortie de l'école le vendredi à 16 heures.

Contrairement à ce que l'on prétend souvent, l'enfant voyage beaucoup moins dans un régime d'hébergement égalitaire que dans un régime non égalitaire. Dans un système classique non égalitaire, l'enfant change de résidence un week-end sur deux mais aussi un mercredi sur deux, alors que dans un hébergement égalitaire ce changement a lieu une fois par semaine.

La mathématisation de l'hébergement répond à une exigence de rationalité d'une décision de justice lorsque les parents ne s'entendent pas.

M. Hugo Vandenberghe pense que la question n'est pas de savoir si le juge doit être précis lorsqu'il fixe l'hébergement alterné. Tout le monde s'accorde sur ce point, qui est une condition essentielle pour que la décision soit exécutable. La question est de savoir si, sur le terrain, il faut raisonner en appliquant de manière stricte le principe du cinquante-cinquante.

Il illustre cela par l'exemple suivant: un adolescent qui est en période d'examens est-il servi par le respect strict du régime d'hébergement égalitaire selon une alternance hebdomadaire ? N'est-il pas préférable qu'il se concentre prioritairement sur ses examens en séjournant durant toute cette période chez le même parent, au mépris du strict respect de la règle d'alternance hebdomadaire ? Jusqu'où le principe de l'hébergement égalitaire reste-t-il opérationnel sur le terrain ? Permet-il de tenir compte, dans les modalités d'exécution, de la réalité vécue au quotidien par les personnes concernées ? L'intervenant pense que les modalités de l'hébergement ne doivent pas être égales en toutes circonstances.

La ministre répond que l'exemple montre bien la difficulté de la réponse appropriée à tous les cas de figure. Le juge ne peut que fixer une règle ad futurum qui ne sait pas prendre en considération tous les éléments de la vie de l'enfant. C'est déjà le cas de toutes les décisions de justice aujourd'hui. Elle n'a pas connaissance de décisions de justice qui prévoient pour toutes les années à venir un régime d'hébergement spécial pour les périodes d'examens.

Il n'est pas possible que les décisions de justice prévoient un régime sur mesure, au mois le mois. On peut par contre retourner devant le tribunal pour régler un problème ponctuel. Il est d'ailleurs classique qu'à la veille des vacances, de nombreuses décisions soient rendues en référé pour régler des difficultés ponctuelles.

Il n'existe pas de solution idéale. Les difficultés sont liées à la séparation des parents bien plus qu'au mode d'hébergement des enfants. Tenant compte de l'explosion du nombre de séparations et divorces, le législateur doit tenter de trouver la solution la moins mauvaise possible. Or, le pire des scénarios, c'est le procès où l'on se déchire. Le projet vise à réduire ces cas en prônant un modèle d'hébergement égalitaire.

En réponse à la question sur le droit comparé, la ministre précise que la possibilité pour le juge de décider un hébergement égalitaire existe en France, mais que cela n'est pas prôné comme modèle.

À la question relative à l'opportunité d'insérer dans la loi les contre-exemples à l'hébergement égalitaire, la ministre renvoie à ses déclarations antérieures. Elle préfère ne pas mentionner dans le dispositif du Code une liste visant une série de situations dans lesquelles le recours à l'hébergement égalitaire semble moins approprié, comme par exemple lorsqu'il y a de jeunes enfants. Elle pense que les travaux préparatoires sont suffisamment explicites et qu'il faut faire confiance aux juges.

Certains magistrats ont émis le souhait que le législateur prenne ses responsabilités en fixant un modèle dans la loi. Les juges sont en effet conscients d'avoir chacun leur approche de la situation et ils se sentent mal à l'aise de devoir imposer aux parents leur propre appréciation par rapport à une situation donnée. Le projet de loi réduira cette relative imprévisibilité des décisions judiciaires.

La ministre pense que le fait de mentionner dans la loi les contre-indications à la garde égalitaire n'est pas de nature à faire avancer les choses. La liste sera par hypothèse exemplative. Cela n'ajoute dès lors rien par rapport aux hypothèses visées dans les travaux préparatoires.

Il est par exemple proposé de mentionner l'éloignement géographique. C'est un critère très vague: faut-il apprécier l'éloignement géographique en distance ou en temps ?

M. Hugo Vandenberghe trouve que l'argument avancé est très dogmatique. Il n'est pas inhabituel que le législateur fixe dans la loi une liste exemplative de critères qui donne une orientation au juge. Cela facilite l'interprétation des intentions du législateur à la lumière des exemples cités dans la loi.

M. Mahoux pense que le débat renforce son soutien au texte à l'examen. La plupart des arguments avancés ont trait à des conceptions que l'on peut avoir du rôle du père et de la mère. Par rapport à une évolution de la société, il est important de consacrer dans la loi l'égalité dans les rôles parentaux du père et de la mère.

La situation idéale est que l'enfant puisse s'épanouir dans une cellule familiale unie au sein de laquelle règne une entente harmonieuse. Cela ne correspond malheureusement pas toujours à la réalité et il faut que le législateur intervienne pour régler des situations de séparation. Le projet de loi rappelle à ce sujet que l'égalité au niveau des rôles parentaux est la règle. Cela renvoie aussi les pères à leur responsabilité parentale qu'il n'assument pas toujours ou qu'ils assument moins que les mères.

L'intervenant pense qu'il y a un paradoxe entre la revendication d'égalité entre les hommes et les femmes défendue par de nombreuses personnes et la résistance qu'éprouve une partie de ces mêmes personnes au principe de l'hébergement égalitaire des enfants lors de la séparation des parents.

Mme de T' Serclaes pense que c'est le qualificatif « égalitaire » qui suscite tant de discussions. De nombreuses lois prônent l'égalité entre hommes et femmes. Ce principe est consacré par notre Constitution. Cependant, dans la réalité, les inégalités perdurent, notamment en termes de répartition des tâches familiales et ménagères. Par contre, dès lors qu'il y a séparation des parents, l'enfant devrait être partagé de manière égalitaire entre les deux parties. C'est cela qui est gênant.

L'oratrice aurait préféré que l'on parle d'hébergement partagé entre les deux parents. On a lors de la rédaction du projet de loi privilégié le choix pour des termes symboliques sans que l'on apporte un véritable plus dans la résolution des conflits familiaux. Cela n'aidera pas les parents à gérer de manière plus adulte leur séparation pour trouver les solutions qui font le moins de mal aux enfants.

La ministre revient à la question des contre-indications que certains voudraient mentionner dans la loi. Cela a fait l'objet de longs débats à la Chambre des représentants qui ont abouti à l'article 374, § 2, en projet (article 2 du projet). Le compromis impose au juge de motiver spécialement sa décision en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt des enfants. Le juge examinera la situation au cas par cas et lorsqu'il décidera d'appliquer un système égalitaire, il le fera en fonction de la situation, sans devoir calculer au jour près. Quoi qu'il en soit, il est probable que le système le plus facile à appliquer sera celui de l'alternance par semaine ou par quinzaine.

À la question de la révision du système, la ministre répond qu'il est possible de le revoir lorsque les circonstances changent. Le mécanisme de la saisine permanente facilite d'ailleurs les révisions. Il suffira de faire refixer l'affaire devant le tribunal de la jeunesse.

En revanche, l'entrée en vigueur de la loi n'est pas un changement de circonstances suffisant pour remettre en cause les situations acquises. Le changement de loi ne modifie pas l'autorité de la chose jugée. Par contre, si des circonstances de fait nouvelles se présentent, les parties pourront se prévaloir de la nouvelle loi. Il est à noter à cet égard que la jurisprudence accepte de manière très large la notion de changement de circonstances. Le fait que l'enfant grandisse est déjà une modification de circonstances.

En ce qui concerne les rapts parentaux, l'intervenante rappelle que la Convention de La Haye sur l'enlèvement international d'enfants prévoit le rapatriement automatique lorsqu'un enfant est enlevé et emmené dans un autre pays signataire de la Convention.

Le principe de base est que l'État vers lequel l'enfant a été emmené a l'obligation d'assurer le retour rapide, dans le milieu d'où ils ont été enlevés, des enfants emmenés ou retenus illicitement. Un contrôle judiciaire est cependant prévu et celui-ci est parfois utilisé pour bloquer le rapatriement immédiat.

Le règlement européen de Bruxelles IIbis va plus loin: une obligation de renvoi est prévue au sein de l'Union européenne. La seule hypothèse dans laquelle le juge peut s'y opposer concerne les cas où les conditions d'hébergement correctes ne sont pas assurées au retour de l'enfant. En d'autres termes, si un enfant est emmené en Allemagne, le juge doit obligatoirement décider que l'enfant doit être rapatrié dans son pays d'origine sauf si on démontre que les conditions d'hébergement y sont insuffisantes. Le règlement prévoit en outre un mécanisme tout à fait original: si le juge du pays de l'État vers lequel l'enfant a été emmené refuse le retour, le dossier est transmis au juge de l'État d'origine qui a le dernier mot.

Une autre nouveauté du règlement consiste dans le titre exécutoire en matière de droit de visite. Lorsqu'une décision est prise dans un des États membres au niveau du droit de visite, il n'est pas nécessaire de demander l'exequatur de cette décision. Cette décision est exécutoire partout, sans contrôle judiciaire.

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'article 387ter en projet (article 4 du projet) qui prévoit une procédure d'exécution forcée en matière d'hébergement d'enfant. Il est prévu que le juge peut prononcer une astreinte.

Est-ce à dire qu'un titre exécutoire d'un juge belge est exécuté à l'étranger par voie d'huissier et qu'il ne l'est pas en Belgique, où l'astreinte a été prononcée ? Il faut être cohérent.

La ministre répond que c'est pour cette raison qu'il est prévu, au § 4, que le régime proposé ne porte pas préjudice aux dispositions internationales liant la Belgique en matière d'enlèvement international d'enfants.

M. Hugo Vandenberghe pense que cela pose néanmoins un problème juridique.

Il n'est pas acceptable qu'en droit européen, le titre soit exécutoire par voie d'huissier et qu'il ne puisse pas l'être en Belgique. En effet, la ratio legis de la non-exécutabilité est l'intérêt de l'enfant, et cela est valable aussi bien en Belgique qu'à l'étranger.

La ministre répond que le problème trouve sa source dans les limites de l'efficacité du droit européen. Le règlement de Bruxelles IIbis renvoie au droit interne pour l'exécution.

M. Mahoux précise que la décision est exécutoire mais que les modalités d'exécution dépendent des États membres.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer qu'il faut respecter la signification juridique des mots. Un titre exécutoire signifie que l'on dispose des moyens de contrainte pour exécuter physiquement le titre. Le droit belge n'accorde donc plus de titre exécutoire aux décisions ayant trait à l'hébergement et au droit de visite. En l'espèce, on instaure une astreinte.

Si l'on fait une différence entre l'exécution en Belgique et ailleurs en Europe, se pose le problème de l'égalité de traitement, dès lors que l'exécutabilité du titre dépend de l'endroit où l'enfant se trouve.

M. Willems indique que le juge peut ordonner différents types de mesures de contrainte. Le titre est exécutoire, mais cela dépend évidemment de la mesure qui y est ordonnée.

M. Hugo Vandenberghe maintient son point de vue. Le fait est qu'à l'heure actuelle, le titre exécutoire n'est pas exécuté. La question reste de savoir ce qui se passe si l'on veut exécuter un titre exécutoire belge ailleurs en Europe, par exemple en Italie.

Mme de T' Serclaes demande comment se règlent les questions financières en cas de garde égalitaire. Qui perçoit les allocations familiales ? Les pensions alimentaires restent-elles dues ?

La ministre répond que le problème n'est pas nouveau. Dans l'hypothèse d'une garde alternée, le juge décide actuellement au cas par cas. La charge fiscale des enfants peut être partagée par moitié entre les parents.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 1er

Cet article n'appelle pas d'observations.

Article 2

Amendement nº 2

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3- 1645/2, amendement nº 2), tendant à remplacer les alinéas 2 à 4 du § 2 de cet article, et ainsi libellé:

« À défaut d'accord, en cas d'autorité parentale conjointe, le tribunal organise un hébergement alterné soit par périodes de durée égale, soit par périodes de durée différente, selon la formule la plus appropriée dans l'intérêt de l'enfant.

À cet effet, il prend notamment en considération:

1º la possibilité de favoriser, de la manière la plus équilibrée possible, la continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun des parents;

2º la pratique que les parents avaient suivie antérieurement ou les accords conclus précédemment entre eux;

3º les sentiments exprimés par l'enfant, lors de son éventuelle audition pratiquée conformément à l'article 931 du Code judiciaire ou lors d'une éventuelle médiation pratiquée conformément aux articles 1724 et suivants du Code judiciaire;

4º l'âge de l'enfant;

5º l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l'autre;

6º les résultats obtenus lors des expertises ou enquêtes éventuellement effectuées;

7º la distance géographique qui sépare le domicile des deux parents;

8º la possibilité pour l'enfant de conserver intacts son implantation scolaire, son réseau d'amis, ses activités parascolaires.

La décision est motivée de manière circonstanciée ».

L'auteur souligne que, sur le fond, cet amendement ne s'écarte pas beaucoup du projet de loi, qui veut favoriser l'hébergement par périodes de durée égale quand c'est possible.

Il est cependant autrement formulé, car il ne fait pas de hiérarchie entre l'hébergement alterné par périodes de durée égale, et celui par périodes de durées différentes.

C'est l'intérêt de l'enfant qui doit être déterminant. L'expression « hébergement alterné » est préféré, parce qu'il est connu, en droit belge et dans d'autres droits, ainsi que dans les mœurs.

L'amendement vise en premier lieu l'hébergement alterné par périodes de durée égale, pour indiquer la faveur que donne le législateur à cette formule.

Les critères que retient l'amendement sont ceux de la jurisprudence actuelle.

M. Willems estime que la pratique n'a rien à gagner de l'énumération de toute une série de critères. Selon lui, l'amendement n'apporte aucune plus-value, ni au texte, ni à la pratique. L'intervenant est plutôt partisan d'une disposition ouverte. Le texte en discussion prévoit d'ailleurs clairement que le juge doit motiver sa décision.

Amendement nº 3

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/2, amendement nº 3, subsidiaire à l'amendement nº 2), tendant à remplacer, à l'alinéa 2 du § 2, les mots « la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire » par les mots « la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière alternée par périodes de durée égale ».

M. Mahoux n'aperçoit pas le sens de cet amendement. Le partage suppose nécessairement une alternance. De plus, quelle est la différence entre « égalitaire » et « alternée de manière égale » ?

Mme Nyssens répond que l'amendement relaie les préoccupations de l'ensemble des acteurs de terrain qu'elle a rencontrés (avocats, mouvements féministes ...), et les propos qu'elle a entendus dans les familles.

Le mot « alternée » est connu, en droit belge comme en droit comparé. Il n'est pas exact de dire qu'il y a toujours alternance. Le schéma classique de la garde toute la semaine et du droit de visite un week-end sur deux ne correspond pas, en droit, à une alternance. Le concept actuel de « garde alternée » vise une répartition plus « égale », mais non mathématique.

Par cet amendement, l'auteur souhaite indiquer qu'elle entend s'inscrire dans le mouvement positif où, de plus en plus, lorsque c'est possible, on opte pour une alternance plus ou moins égale.

Le projet de loi trouve son origine dans la revendication des pères qui veulent passer plus de temps avec leur enfant. L'oratrice comprend cette revendication, et y est favorable.

Mais pourquoi heurter la sensibilité des associations féminines et féministes, en s'accrochant au terme « égalitaire », qui ne leur convient pas ?

La ministre convient que l'amendement proposé est rédigé de manière plus élégante que le texte de l'article en projet. Il n'est pas sûr que ce soit là une raison suffisante pour modifier ce dernier, et provoquer ainsi une navette parlementaire car la portée juridique des deux formules est rigoureusement identique.

Par contre, l'oratrice ne peut se rallier à la justification de l'amendement, qui modifie la substance du texte. Une répartition dans une proportion de 40-60 n'est pas un hébergement égalitaire. Le parent qui accueille l'enfant à raison de 60 % du temps en assure l'hébergement principal, et l'autre parent l'hébergement secondaire.

M. Willems peut admettre qu'on discute sur le choix des termes, mais il ne comprend pas les idées sous-jacentes à cette discussion. Il se demande ce que l'on reproche au texte tel qu'il a été approuvé par la Chambre. Quelles conséquences catastrophiques pourrait-il éventuellement y avoir dans la pratique ? La discussion en cours ne serait-elle pas purement symbolique ?

Amendement nº 16A

Mme de T' Serclaes dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/3, amendement nº 16), dont le point A) vise à remplacer, à l'alinéa 2 du § 2, les mots « La possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire » par les mots « La possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière alternée par périodes égales ».

Le mot « égalitaire » renvoie à une égalité qui n'existe pas réellement au sein des couples.

En matière de divorce, en tout cas, il y a rarement un rapport de force égal entre l'homme et la femme. On se trouve dans des situations qui, par essence, ne sont pas égalitaires.

Dans beaucoup de couples, c'est encore sur la femme que repose l'essentiel des tâches familiales. Même si la nuance peut paraître mince, parler d'alternance par périodes égales est beaucoup plus acceptable.

Pourquoi a-t-il fallu créer un Fonds des créances alimentaires ? En raison de la pire inégalité à laquelle les femmes sont confrontées, à savoir les nombreuses difficultés qu'elles rencontrent pour obtenir le paiement des pensions alimentaires qui leur sont octroyées par les tribunaux.

Au vu de la situation vécue par les femmes sur le terrain, le mot « égalitaire » paraît donc un peu choquant.

Même si l'objectif de l'amendement est le même que celui du projet de loi, la manière dont il l'aborde apparaît moins radicale que le mot « égalitaire » ne pourrait le laisser penser.

M. Mahoux constate que le féminisme n'est pas lié au genre. Par ailleurs, il serait plus prudent de parler de ce que souhaitent « des » femmes, plutôt que « les » femmes.

Mme Talhaoui a l'impression que le choix des mots dans le texte français revêt une autre connotation qu'en néerlandais. Le terme néerlandais « gelijkmatig » ne semble pas poser problème, même pour les mouvements féministes. Peut-être le mot « égalitaire » est-il plus proche du terme néerlandais « gelijkwaardig » ?

M. Willems maintient son point de vue. Il souscrit pleinement au texte qui a été approuvé par la Chambre des représentants. Il ne faut pas oublier qu'à la lumière de la réglementation actuelle, les juges confient la garde des enfants à la mère dans 80 à 90 % des cas.

Mme de T' Serclaes constate que les réformes tendant à établir l'égalité entre hommes et femmes sont loin d'avoir toujours été à l'avantage de ces dernières.

Pour le surplus, l'oratrice n'est pas convaincue que la loi en projet va changer les choses.

Elle ne pense pas que beaucoup d'hommes vont réclamer la garde égalitaire.

Même des représentants d'associations militant en ce sens reconnaissent que, pour de très jeunes enfants, notamment, un tel système n'est pas nécessairement aisé à appliquer.

Amendement nº 4

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/2, amendement nº 4, subsidiaire à l'amendement nº 2), tendant à remplacer l'alinéa 3 du § 2 par ce qui suit: « Toutefois, si le tribunal estime que ce type d'hébergement n'est pas adéquat, il choisit la formule d'hébergement la plus appropriée dans l'intérêt de l'enfant. »

Cet amendement fait disparaître les mots « non égalitaire », pour les raisons déjà évoquées.

Amendement nº 16B

Mme de T' Serclaes dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/3, amendement nº 16B), tendant à remplacer le même alinéa par ce qui suit: « Toutefois, si le tribunal estime que cette formule d'hébergement n'est pas la plus appropriée, au vu de la situation des parents et de l'intérêt de l'enfant, il peut décider de fixer tout autre type d'hébergement ».

Amendement nº 5

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/2, amendement nº 5, subsidiaire à l'amendement nº 2), tendant, à l'alinéa 4 du § 2, à supprimer les mots « et des parents ».

Dans la disposition en question, on se limiterait donc à viser l'intérêt de l'enfant, qui est primordial, et toujours prioritaire en droit de la famille.

La « situation des parents » serait mentionnée parmi les critères que le juge prend en considération en vue d'un hébergement partagé.

Amendement nº 6

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/2, amendement nº 6, subsidiaire à l'amendement nº 2), tendant à compléter le § 2 de l'article par un alinéa 5, reprenant une liste non exhaustive de critères à prendre en considération par le juge.

Amendement nº 11

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 3-1645/3) visant à remplacer l'article 374, § 2, alinéa 2, proposé, du Code civil. Il n'appartient pas à l'autorité d'imposer, dans des situations privées, un certain modèle considéré comme idéal. Chaque procédure judiciaire est unique et mérite une appréciation unique.

L'auteur de l'amendement estime que le projet de loi à l'examen a pour principe de base l'égalité entre les parents davantage que l'intérêt de l'enfant.

En outre, l'hébergement égalitaire n'a des chances de réussir que s'il existe une entente raisonnable entre les parents et que ceux-ci sont tous deux matériellement en mesure d'offrir à leur enfant un hébergement correct.

Amendement nº 1

Mme Defraigne et consorts déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/2, amendement nº 1), tendant à modifier le § 2 de l'article.

Le point A) de l'amendement propose de remplacer l'alinéa 3 par ce qui suit:

« Toutefois, si le tribunal estime que l'hébergement égalitaire n'est pas la formule la plus appropriée au vu de la situation des parents et de l'intérêt de l'enfant, il peut décider de fixer tout autre type d'hébergement. »

Cette formule ne reprend pas les termes « hébergement non-égalitaire » figurant dans le texte du projet, et que les auteurs de l'amendement estiment excessifs dans leur insistance.

Le point B) de l'amendement suggère de remplacer l'alinéa 4 du même § par ce qui suit:

« En tout état de cause, le tribunal statue par un jugement spécialement motivé en tenant compte des circonstances concrètes de la cause, de la situation des parents et de l'intérêt de l'enfant. »

Cette formule, qui réécrit le texte sans en modifier le sens, paraît aux auteurs plus claire et plus correcte.

Amendement nº 7

Mme Defraigne et consorts déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1645/2, amendement nº 7), tendant, au § 2, alinéa 2, à supprimer le mot « prioritairement ».

Les auteurs de l'amendement estiment que le projet véhicule une certaine idéologie puisqu'il établit une sorte de hiérarchie entre les différents types d'hébergement. En effet, si une des parties demande la garde égalitaire — donc par hypothèse l'autre parent demande un autre type de garde —, le juge doit privilégier ce mode d'hébergement puisqu'il doit l'« examiner prioritairement ». La garde égalitaire est donc présentée comme le mode d'hébergement de référence.

À la base de cette vision, deux arguments:

— d'une part, mettre fin à l'imprévisibilité des litiges et, dès lors, limiter le nombre de procès.

Or, d'après la commission famille de l'OBFG, il y aura toujours des procès en matière d'hébergement car c'est une matière où l'irrationnel intervient; nous n'empêcherons pas un parent de se considérer à tort ou à raison plus apte que l'autre parent à élever leur enfant. Ensuite, mettre en exergue la garde égalitaire, va multiplier les demandes pour ce type d'hébergement suscitées par des motifs qui font fi de l'intérêt de l'enfant: des parents demanderont la garde alternée parce qu'ils y ont droit, pour ennuyer l'autre partie, ou pour éluder le paiement de la contribution alimentaire.

Enfin, on peut craindre que certains parents ayant jusqu'ici accepté un autre mode d'hébergement auquel chaque partie, dont les enfants, s'est habituée revendiquent l'hébergement égalitaire.

Dès lors, le nombre de procès ne diminuera pas.

— d'autre part, l'égalité entre les parents.

Depuis la loi du 13 avril 1995, le principe de l'autorité parentale conjointe a consacré une forme d'égalité entre les parents. Chaque parent a les mêmes droits et devoirs à l'égard de son enfant. Le législateur ne parle pas de l'hébergement qui est laissé à l'appréciation du juge.

Les auteurs de l'amendement estiment qu'il ne faut pas aller plus loin en consacrant l'hébergement égalitaire. En effet, il faut permettre à chaque famille de déterminer librement le mode d'hébergement qui lui permettra de gérer au mieux la situation. Respecter la liberté, c'est en effet aussi ne pas nier la diversité des structures familiales, des situations affectives et matérielles, la diversité des cultures, la diversité des conceptions.

Par ailleurs, comme l'indiquait le représentant de l'OBFG lors du colloque « garde égalitaire: la référence » organisé au Sénat, le 14 janvier 2005, sur le sujet, « en Belgique francophone, l'hébergement alterné de type égalitaire est fréquemment ordonné et nous ne parlons pas des divorces par consentement mutuel, où ce mode d'hébergement est librement choisi par les parties. Il n'y a donc pas de difficulté pour que ce mode d'hébergement se développe, s'il se justifie, compte tenu notamment de l'intérêt de l'enfant, de l'implication des parents et des circonstances de fait. ».

Par ailleurs, les auteurs considèrent qu'il ne faut pas minimiser les effets d'une telle consécration de la garde alternée pour nos concitoyens.

D'une part, certains parents se culpabiliseront s'ils ne choisissent pas la garde égalitaire. On leur dira qu'ils ne sont pas de bons parents car ils ne s'investissent pas dans l'éducation de leurs enfants et qu'ils restent des « papa walibi » ou, cela va en effet dans les deux sens, « des mamans walibi ».

D'autres demanderont la garde égalitaire car ce projet la présente indéniablement comme la panacée. Seront-ils capables de l'assumer ? Ce mode d'hébergement n'est pas évident. Et quid s'ils ne l'obtiennent pas ? Là aussi, ils seront envahis par des doutes préjudiciables: ils n'auront pas pu donner à leur enfant le mode d'hébergement qui est présenté comme étant le meilleur ... nouvelle culpabilité.

Tant de tourments alors qu'en définitive c'est de toute façon le juge qui, comme avant ce projet de loi, décidera. Il fera en définitive toujours ce qu'il veut !

Or, les difficultés liées à la mise en place d'une garde alternée sont réelles.

Pour que la garde alternée marche, chaque protagoniste de la séparation doit être mû par une sincère et réelle volonté de recourir à ce type d'hébergement. Si elle est imposée à une personne récalcitrante, elle pourra très vite se transformer en « guerre alternée ».

Au niveau matériel, il faut éviter de faire des enfants des petits nomades perpétuels. Vont s'imposer une deuxième chambre en bonne et due forme, un endroit où étudier, avoir un deuxième ordinateur de préférence.

Il y a toute une organisation logistique à assurer: assurer la continuité des activités scolaires et extra scolaires, un sac de sports et des vêtements propres pour la semaine qui doivent également être propres pour la semaine d'après, faute de temps pour les nettoyer.

Enfin, professionnellement, il n'est pas toujours évident de prendre en charge un enfant Par exemple, comment un ouvrier qui fait des pauses ou une infirmière qui travaille la nuit vont-ils gérer une garde égalitaire ? En finançant une gardienne ?

Tout ceci est bien onéreux, ce qui conduit certains praticiens à conclure que la garde égalitaire est une mesure de classe principalement accessible aux familles plutôt aisées.

M. Mahoux est d'avis que le texte du projet a le mérite de la concision, et lui paraît parfaitement compréhensible.

Quant au mot « prioritairement », il constitue évidemment le fondement du projet.

Il traduit une certaine conception de la société, avec toutes les difficultés qu'elle peut impliquer, mais dans le souci constant de soutenir la partie la plus faible.

Mme de T' Serclaes réplique qu'en l'occurrence, les pères ne lui paraissent pas nécessairement être, dans le cadre d'un divorce, la partie la plus faible.

D'autre part, la garde alternée est un système onéreux, et il n'est pas certain que tous les parents puissent l'assumer.

La ministre ne partage pas ce dernier point de vue. Elle estime que c'est la séparation qui coûte cher, et non la garde alternée.

En ce qui concerne l'amendement, si le terme « prioritairement » touche incontestablement au fond, par contre, la formule proposée sub B) paraît surtout cosmétique, et l'on peut se demander si ce type de corrections justifie de soumettre le texte à une navette parlementaire.

M. Hugo Vandenberghe souligne qu'il ne s'agit pas d'un simple choix de vocabulaire, mais de mots qui figurent dans une loi, ce qui est une toute autre question.

Amendement nº 12

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 3-1645/3) visant à insérer un nouvel article 2bis, qui prévoit que le juge compétent qui statue sur l'exercice de l'autorité parentale et sur l'hébergement de l'enfant doit bénéficier d'une formation et d'un recyclage.

M. Willems n'est pas convaincu qu'il faille prévoir une telle formation dans la loi. Les aspects en question sont déjà abordés dans la formation actuelle. De plus, les juges cités ne sont pas tous confrontés au problème de l'hébergement ou de l'autorité parentale. Si on prévoit une formation particulière en l'espèce, on peut également affirmer que les juges qui s'occupent par exemple de médiation de dettes ont besoin aussi d'une formation particulière.

Article 3

Cet article n'appelle pas d'observations.

Article 4

Amendement nº 9

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 3-1645/3), qui vise à remplacer la phrase liminaire. Cet amendement est d'ordre purement technique.

Amendement nº 10

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 3-1645/3) en vue de remplacer le § 1er, alinéa 3, troisième tiret, pour qu'il y soit fait référence à la médiation visée à l'article 387bis.

Mme Nyssens demande si l'auteur de ce dernier amendement envisage le renvoi en médiation ou en accompagnement comme une simple indication à l'égard des parties, ou comme une contrainte à leur égard.

M. Hugo Vandenberghe répond qu'il s'agit d'une simple faculté. Il renvoie également à son amendement nº 13 (voir infra), qui propose l'insertion d'un article 6 nouveau.

Mme de T' Serclaes constate que l'on a multiplié dans de nombreux domaines, et notamment en matière familiale, les possibilités de recourir à la médiation.

Or, en l'occurrence, dans une matière extrêment sensible, où elle serait particulièrement nécessaire, on ne la prévoit pas.

Amendement nº 14

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 3-1645/3) visant à limiter les mesures de contrainte aux relations personnelles.

M. Mahoux observe que l'amendement, en visant exclusivement la violation du droit aux relations personnelles, semble donc exclure, notamment, les problèmes liés aux conditions matérielles. L'ajout proposé restreint le champ d'application de l'article 387ter.

M. Hugo Vandenberghe répond que la justification n'est pas exhaustive.

La ministre souligne que le « droit aux relations personnelles » correspond à ce que l'on appelait autrefois le droit de visite.

On ne pourrait donc recourir à la contrainte que pour exécuter le droit de visite.

Si le parent qui a le droit de visite garde l'enfant chez lui, le parent qui a la garde principale ne pourrait pas recourir à la contrainte.

M. Hugo Vandenberghe réfute cette interprétation. Cela doit jouer dans les deux sens.

Amendement nº 15

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 3-1645/3) visant à offrir une issue aux parents qui ont déjà tant souffert qu'ils ne sont plus en mesure de dégager une solution par voie de médiation, en prévoyant un renvoi rapide à l'encadrement du droit aux relations personnelles.

Le juge se voit offrir la possibilité de diriger d'emblée les parents non cohabitants vers les espaces de rencontre lorsque, en cas d'hébergement non égalitaire, le régime de relations personnelles n'est pas respecté.

La priorité absolue doit être accordée au rétablissement du droit au maintien des relations personnelles par le biais des espaces de rencontre. Des mesures comme la déclaration forcée de l'enfant et le changement d'hébergement principal, qui ont des effets particulièrement néfastes pour l'enfant, ne sont pas admissibles.

La ministre renvoie aux travaux de la commission de la Justice de la Chambre, dont il résulte que l'énumération figurant au § 1er, alinéa 3, de l'article 387ter en projet n'était qu'exemplative.

Article 4bis (nouveau)

Amendement nº 8

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 3-1645/3), qui vise à remplacer la référence qui figure à l'article 405, § 1er, alinéa 1er, du même Code.

Article 5

Cet article n'appelle pas d'observations.

Article 6

Amendement nº 13

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 3-1645/3) en vue d'insérer un nouvel article 6 destiné à inciter les parents à tenter de résoudre par la médiation leurs différends en matière de droit d'hébergement et de droit aux relations personnelles.

Cet amendement rejoint les précédentes observations de Mme de T' Serclaes relatives au recours à la médiation.

V. VOTES

Les amendements nº 2 à 6 de Mme Nyssens sont rejetés par 6 voix contre 3 et 1 abstention.

L'amendement nº 11 de M. Hugo Vandenberghe est rejeté par 7 voix contre 3.

L'amendement nº 16 de Mme de T' Serclaes est rejeté par 6 voix contre 3 et 1 abstention.

Les amendements nº 1 (A et B) et 7 de Mme Defraigne et consorts sont rejetés par 6 voix contre 4.

Les amendements nos 9, 10 et 12 de M. Hugo Vandenberghe sont rejetés par 8 voix contre 3.

L'amendement nº 14 de M. Hugo Vandenberghe est rejeté par 7 voix contre 4.

Les amendements nº 8 et 15 de M. Hugo Vandenberghe sont rejetés par 8 voix contre 3.

L'amendement nº 13 de M. Hugo Vandenberghe est rejeté par 7 voix contre 4.

L'ensemble du projet de loi est adopté par 7 voix et 4 abstentions.

Suite à l'adoption du présent projet de loi, les propositions de loi nº 3-58/1 et 3-1131/1 deviennent sans objet.


Corrections de texte

La commission a décidé d'apporter les corrections suivantes au projet de loi:

— au § 1er, alinéa 3, 3e tiret, de l'article 387ter contenu à l'article 4, dans le texte français, le mot « tel » est remplacé par le mot « telle »;

— dans le texte français du § 2 du même article, le mot « tel » est remplacé par le mot « telle;

— dans le texte néerlandais du même § , les mots « tegensprekelijk verzoekschrift » sont remplacés par les mots « verzoekschrift op tegenspraak »;

— dans le texte français du § 3, alinéa 1er, du même article, les mots « a résisté » sont remplacés par les mots « s'est opposée ».


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Philippe MAHOUX. Hugo VANDENBERGHE.