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22 MARS 2006
Suite à la démission du président Aristide, le 29 février 2004, le Président de la Cour suprême, M. Boniface Alexandre lui a succédé constitutionnellement à la tête du pouvoir à Haïti. Un gouvernement de transition a été mis en place en s'appuyant non pas sur le jeu des institutions (en l'absence d'un parlement depuis janvier 2004), mais sur une procédure ad hoc cautionnée par la communauté internationale. Un comité tripartite (ancien gouvernement, opposition, communauté internationale) a désigné un « Conseil de Sages », chargé de proposer le premier ministre. Gérard Latortue, investi le 12 mars 2004, a ainsi constitué un gouvernement de transition composé de personnalités apolitiques (avec impossibilité de se présenter aux élections législatives qui ont eu lieu début février 2006). Son mandat se termine le 15 février 2006.
La communauté internationale est également intervenue, s'appuyant sur une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU du 29 février 2004 (S/RES/1529) pour déployer immédiatement en Haïti une Force Multinationale Intérimaire (FMI) pour une période de trois mois au maximum.
Le gouvernement a été remanié à plusieurs reprises et bénéficie toujours du soutien de la communauté internationale. Sa situation s'est néanmoins fragilisée, en raison, notamment, de résultats encore insuffisants en matière de sécurité, malgré les efforts de la Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) qui a succédé en juin 2004 à la FMI (résolution 1542 du 30 avril 2004). Neuf casques bleus ont été tués par des tirs hostiles depuis son déploiement.
La MINUSTAH, dont les effectifs autorisés et le mandat ont été renforcés par une résolution du 22 juin 2005 (S/RES/1608) à hauteur maximum de 7500 hommes pour la composante militaire et 1897 hommes pour la composante civile, compte à ce jour 8867 hommes dont 7265 soldats et 1741 agents de police. Le mandat actuel de la MINUSTAH doit normalement prendre fin le 15 février 2006, avant un possible renouvellement.
Le Commandant de la MINUSTAH s'est suicidé le 7 janvier dernier.
Le paysage politique haïtien est particulièrement éclaté. Il compte plus de 80 partis politiques. Outre le parti Lavalas (« avalanche » en créole), lui-même divisé sur l'héritage de l'ancien Président Aristide, de nombreux partis ont été créés après la chute de Jean-Claude Duvalier ou dans la période qui a suivi celle du Président Aristide. Certains se sont récemment regroupés pour donner naissance à des mouvements plus larges (tel KONBA) ou institutionnaliser de nouveaux courants (tel UNCRH, de mouvance protestante).
Les partis politiques ont signé le 4 avril 2004 un accord de consensus prévoyant un calendrier échelonné d'élections à l'automne 2005 devant permettre l'entrée en fonction d'un nouveau Président de la République en février 2006. En outre, 17 formations politiques, dont Fanmi Lavalas, ont signé, en juin 2005, un code de conduite électoral interdisant le recours à la violence dans la recherche du pouvoir politique. Enfin, le 27 septembre 2005, 12 partis politiques ont signé un pacte de stabilité et de gouvernabilité impliquant une coopération avant et après les élections.
Un Conseil Electoral Provisoire (CEP) a été mis en place le 4 mai 2004, composé de 9 membres figurant l'éventail de la société politique et civile. Le mouvement Lavalas a refusé d'y désigner un représentant. Le calendrier électoral, initialement fixé par décret en février 2005, a déjà été reporté 4 fois. Le processus électoral s'est ainsi mis péniblement en place et les tâches qui incombent au CEP n'ont pas encore été toutes accomplies. Seules les listes des candidats à l'élection présidentielle (au nombre de 35) et aux sénatoriales ont été établies. En outre, 3,5 millions d'Haïtiens (sur 4,5 millions d'électeurs potentiels, soit 76 % de la population électorale) sont maintenant inscrits sur les listes électorales.
Pour soutenir l'action du CEP dans le processus électoral, plusieurs commissions ont été également instituées: une Commission interministérielle chargée de vérifier la nationalité des candidats aux élections, une Commission de garantie électorale (qui fait suite à l'engagement de l'accord électoral du 4 avril 2004) et un Comité d'appui au CEP (qui a remis sa démission début novembre 2005).
Début décembre 2005, le CEP avait annoncé le calendrier électoral officiel:
— Élections présidentielles et législatives: 8 janvier 2006 (1er tour) et le 15 février (2e tour) — Élections locales et municipales: 5 mars 2006.
Ce calendrier est désormais caduque.
Pays le plus pauvre d'Amérique, Haïti figure sur la liste des PMA, avec un PIB par habitant estimé à 390 USD alors que les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté (moins de 1USD/jour/personne) et que 1 % de la population détient 50 % de la richesse du pays.
La situation sanitaire est déplorable. Les taux de mortalité infantile et maternelle sont de 79/1 000 et 520/100 000 (seulement 24 % des accouchements sont assistés). Moins de 40 % de la population a réellement accès aux soins de base; la couverture vaccinale est très insuffisante. La malnutrition touche 49 % de la population; 21 % des nouveau-nés et 17 % des moins de cinq ans souffrent d'insuffisance pondérale. La mortalité des moins de 5 ans est de 123/1 000. On note une très forte incidence du sida qui touche 5,6 % des Haïtiens (12 % de la population urbaine) et l'on estime à 38 % la fraction de la population privée d'accès à l'eau. La prévalence de la tuberculose est aussi très forte (392/100 000). Le chômage touche 8 Haïtiens sur 10, la pauvreté 80 % de la population (l'extrême pauvreté, 60 %), ce qui conduit chaque année de nombreux Haïtiens à choisir l'exil. Ils sont 2 millions d'émigrés aux États-Unis, au Canada, en République Dominicaine et en Guyane française. Enfin, la corruption est présente. Haïti est en situation d'urgence humanitaire chronique.
Le gouvernement de transition a placé tous ses espoirs dans l'élaboration d'un Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) avec le concours des bailleurs de fonds. Le succès de la Conférence de Washington, en juillet 2004, s'est traduit par l'annonce de plus d'un milliard $ de dons et prêts de la part des partenaires bilatéraux et multilatéraux d'Haiti. À cette occasion, 4 axes stratégiques ont été identifiés:
— Assurer une meilleure gouvernance politique et promouvoir le dialogue national,
— Renforcer la gouvernance économique et contribuer au développement institutionnel,
— Favoriser la relance économique,
— Améliorer l'accès aux services de base.
En janvier 2005, d'importantes décisions ont été prises par le FMI et la Banque mondiale: programme post-conflit du Fonds, stratégie d'assistance, soutien à la gouvernance et aide exceptionnelle de la Banque mondiale pour un montant de 150 millions USD sur 2005-2006.
Suite à la Conférence de Cayenne (mars 2005), un « Agenda pour Haïti » fixe la feuille de route des actions à entreprendre dans les secteurs clefs du CCI (gouvernance et développement institutionnel, relance économique et infrastructures, accès aux services de base), soit 380 projets pour un montant global supérieur à 780 millions d'euro.
Cet exercice a été suivi le 17 juin 2005 d'une réunion des Hauts fonctionnaires à Montréal. Lors de la dernière conférence des bailleurs de fonds qui s'est tenue à Bruxelles les 20 et 21 octobre derniers, les donateurs ont accepté de poursuivre leur coordination (prolongement du CCI d'un an) et leur aide (nouvelle conférence des donateurs prévue pour le printemps 2006). Cette conférence a, par ailleurs, coïncidé avec l'accord par le FMI à Haïti d'un deuxième programme post-conflit (EPCA) et le déblocage de la partie de l'aide de l'Union européenne encore gelée (72 millions d'euro du 9e Fed).
Ainsi, si les autorités haïtiennes ont rétabli les grands équilibres macro-économiques, on note toujours l'absence d'une politique sociale capable de soulager en partie une population appauvrie par des années de désordre et de gabegie et devant affronter la hausse du prix des produits de base consécutive et l'envolée du prix du pétrole. Les principaux obstacles au développement sont la faiblesse de l'administration publique, l'insuffisance de l'éducation (50 % d'analphabétisme officiellement) et la dégradation de l'environnement, principalement due à la déforestation.
Les infrastructures (moins de la moitié de la population a accès à l'eau potable), les services, la police, l'administration appellent des efforts considérables tandis que la malnutrition (un quart de la population souffre de malnutrition chronique), l'exploitation des enfants, le sida constituent des problèmes cruciaux. Le taux d'infection par le virus du sida est le plus élevé hors d'Afrique (taux de prévalence de près de 5 % dans les campagnes et jusqu'à 12 % dans les villes) et l'espérance de vie a baissé de 6 ans, passant à 50 ans. 80 % des Haïtiens sont touchés par le sous-emploi.
Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON. |
Le Sénat,
A. Considérant que la tenue des élections constitue une étape fondamentale vers la restauration de la démocratie, la consolidation des institutions et de la stabilité en Haïti afin de recouvrir sa pleine souveraineté;
B. Regrettant le report de plusieures semaines du second tour des élections législatives prévu initialement le 19 mars;
C. Appelant à la tenue du deuxième tour des éléctions présidentielles, ainsi que des éléctions municipales et locales prévues le 30 avril 2006, dans le cadre d'un processus électoral transparant, libre et équitable conformément aux normes démocratiques internationales et dans un environnement sûr et stable qui favorise au maximum la participation de la population haïtienne;
D. Considérant la décision de la communauté des donateurs de prolonger jusqu'en décembre 2007 le CCI afin d'aider le nouveau gouvernement élu à poursuivre les efforts de reconstruction du pays;
E. Considérant que l'Union européenne, qui avait gelé en 2001 son aide au développement en faveur d'Haïti, a débloqué 72 millions d'Euro le 18 octobre 2005;
F. Considérant le rapport du secrétaire général des Nations unies du 6 octobre 2005 (S/2005/631);
G. Considérant la résolution du Conseil de Sécurité nº 1658 (14 février 2006) qui proroge jusqu'au 15 août 2006 le mandat de la MINUSTAH;
H. Considérant que la pauvreté généralisée est une cause profonde des troubles en Haïti et que le pays ne connaîtra pas la stabilité à long terme sans une stratégie de développement durable;
Demande au gouvernement:
1. de réitérer son soutien à la MINUSTAH; de plaider pour le renforcement de la coopération entre la MINUSTAH et la police nationale haïtienne;
2. de réitérer son soutien au Représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Juan Gabriel Valdès;
3. d'encourager la poursuite du processus politique à Haïti à travers la tenue des élections libres et transparentes;
4. à la suite des élections, accompagner la mise en place des institutions à travers une aide budgétaire et technique par le biais d'échanges entre les institutions de nos deux pays;
5. d'encourager, dès après les élections, la mise en œuvre des réformes, notamment en matière de sécurité et de contrôle des armes à feu (en collaboration avec le PNUD et la MINUSTAH), de lutte contre le trafic de drogue, de restauration de l'état de droit, de lutte contre l'impunité et de la préservation des droits de l'homme, de bonne gouvernance politique, de développement socio-économique et de lutte contre la pauvreté;
6. de prendre les initiatives diplomatiques pour maintenir l'engagement à long terme de la communauté internationale en Haïti;
2 février 2006.
Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON. |