3-139

3-139

Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 8 DÉCEMBRE 2005 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Proposition de résolution relative à la sixième Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (Hong Kong 13-18 décembre 2005) (de Mme Olga Zrihen, Doc. 3-1398)

Suite de la discussion générale

Mme Marie-Hélène Crombé-Berton (MR). - Ce débat concernant la conférence ministérielle qui va s'ouvrir très bientôt à Hong Kong n'est pas une négociation de type uniquement économique. Elle a en effet pour enjeu de fixer pour les années à venir notre vison du monde.

Faut-il à cet effet rappeler à quel point le déséquilibre entre les pays pauvres et les pays riches est une évidence : 20% de ces pays détiennent 80% de la richesse du monde. Est-ce tenable à long terme ?

Par ailleurs, l'explosion démographique qui nous attend dans les vingt prochaines années - selon certaines statistiques la population mondiale devrait en effet doubler - pose l'inévitable question de la répartition des richesses.

C'est dans ce contexte pour le moins inquiétant qu'émergent deux pays dont la croissance n'a d'égale que le gigantisme. Je parle bien entendu de la Chine et de l'Inde.

Le déséquilibre va donc sans doute se transformer au détriment de l'Europe. Avons-nous le droit de rester des acteurs passifs de ce que certains appellent notre propre déclin ?

Après avoir planté le décor général, il me paraît important de développer les trois grands objectifs de Doha.

Les négociations en cours à l'OMC sont essentielles pour l'avenir du commerce international car elles visent un triple objectif : venir en aide aux pays en développement, relancer la croissance et trouver, en matière d'agriculture, un compromis qui valorise les efforts considérables accomplis par l'Union européenne avec la réforme de la PAC.

Comme je l'ai dit, ces négociations revêtent une importance considérable pour l'Europe et pour notre pays. Il est capital qu'elles soient conformes à nos objectifs et à nos intérêts, c'est-à-dire qu'elles progressent de manière globale et équilibrée sur les trois volets que sont l'agriculture, l'industrie et les services.

Face au triple objectif de Doha, la situation actuelle est préoccupante. On ne parle plus beaucoup de développement, l'équilibre entre les différentes corbeilles de la négociation semble rompu et l'ambition politique ne semble pas au rendez-vous pour avancer résolument vers une nouvelle phase de libéralisation du commerce mondial.

Il faut reconnaître que tous les pays membres ne jouent pas la carte du multilatéralisme. Les États-Unis ont choisi une politique de libéralisation commerciale sur plusieurs fronts. Or, le multilatéralisme est toujours plus porteur de prospérité, d'équité et de progrès que les accords bilatéraux. Les accords multilatéraux génèrent des avantages économiques beaucoup plus importants et permettent la mise en place de règles internationales nécessaires au commerce juste et équitable.

La primauté du multilatéralisme doit donc être conservée. L'OMC doit en effet rester l'enceinte privilégiée pour affirmer les valeurs européennes telles que l'environnement, le droit à une agriculture de qualité et la mise en place de conditions stables, prévisibles et transparentes pour le commerce international.

Il faut, par conséquent, améliorer le fonctionnement de l'OMC pour renforcer son efficacité et sa légitimité. Le maintien du processus de décision à près de 150 États est intenable.

Une autre piste est la différenciation entre les pays membres.

La question du développement et avec elle, celle du traitement spécial et différencié à réserver aux pays en développement, sont au coeur de l'agenda de Doha. En effet, en vertu de celui-ci, les pays en développement peuvent procéder a des réductions de droits moins fortes que les pays développés, sur des périodes plus longues.

Il faut également poursuivre la réforme de l'organe de règlement des différends et la professionnalisation des membres des groupes spéciaux, point sur lequel j'ai insisté en commission en déposant un amendement spécifique sur ce thème.

Enfin, dans le cadre plus vaste d'une réforme ambitieuse des Nations unies, il faut relier entre elles les organisations internationales. On l'a vu pour les médicaments, l'organisation de réunions communes entre l'OMC et l'OMS a été extrêmement utile. Il conviendrait au minimum de développer les forums de réflexion communs entre l'OMC, l'OMS et l'OIT afin de prendre davantage en compte le respect des droits sociaux fondamentaux dans les négociations commerciales.

Une des leçons de ce cycle, à ce stade, est la capacité relativement faible du duo États-Unis-Union européenne à générer un véritable élan. L'Europe ne peut accepter que les Américains ne fassent aucun effort pour diminuer les aides et les subventions qu'ils donnent, eux, à leurs agriculteurs. Ce duo ne peut plus mener la danse et le quartet composé des États-Unis, de l'Union européenne, du Brésil et de l'Inde semble mieux adapté pour préparer le terrain en vue de discussions plus larges.

Je voudrais insister sur le volet agricole, très important pour la négociation qui va avoir lieu à Hong Kong.

Le problème n'est pas le volume de l'agriculture dans le commerce mondial - seulement 12% - mais le quotidien de millions de personnes à travers le monde, ainsi que les choix et valeurs, tant stratégiques que culturels, dans de nombreuses régions du monde, dont l'Europe. L'agriculture n'est pas un secteur économique comme les autres. La politique agricole comporte en effet une dimension stratégique liée à la sécurité de nos approvisionnements alimentaires et à un souci de protection de l'environnement ainsi qu'une dimension d'aménagement du territoire.

L'Union européenne a présenté une offre ambitieuse en proposant de réduire de 70% les subventions ayant des effets de distorsion des échanges et cela, en conformité avec les objectifs de la réforme de la PAC adoptée en 2003. Les droits de douane seraient réduits de 35 à 60%. Aller plus loin ouvrirait un boulevard aux importations des nouveaux grands pays agricoles, mettrait à mal notre agriculture qui est un élément du patrimoine européen et réduirait à néant le traitement préférentiel offert par l'Europe aux pays les moins avancés.

L'Europe ne capitulera pas devant d'autres pays industrialisés qui souhaiteraient utiliser l'agriculture à des fins mercantiles. L'Europe attend des engagements parallèles en matière de soutien à l'exportation et de subventions internes, en particulier de la part des États-Unis et d'autres pays industrialisés.

Quand on considère les positions des uns et des autres, l'ampleur des enjeux parfois contradictoires pour les uns et pour les autres, on peut donc craindre que ces négociations n'aboutissent pas à la fin 2006.

Or, les bénéfices de la libéralisation des échanges pour nos économies sont immenses, surtout pour la Belgique, grand exportateur. Nos entreprises se heurtent à des droits de douane élevés dans les pays émergents - 100% pour le vin en Inde, 30% pour la céramique aux États-Unis, 15% pour l'acier au Brésil - tandis que les droits de douane moyens, appliqués à l'entrée du marché communautaire sont de 4%.

Si nous avons des intérêts, nous avons aussi des valeurs à défendre.

L'Europe estime que la libéralisation des échanges n'est pas une fin en soi. Celle-ci devrait respecter et préserver les valeurs communes ou les préférences enracinées dans les besoins sociaux et les choix collectifs. Il en va de la diversité culturelle, ainsi que de la préservation des services publics et de l'agriculture.

En conclusion, la conférence de Hong Kong n'est certes pas l'aboutissement de la négociation, mais elle n'en constitue pas moins une étape cruciale. Il est donc nécessaire de rendre un nouvel élan à la négociation.

Pour cela, les pays industrialisés doivent engager pour de bon des discussions constructives et réalistes sur l'agriculture et réformer leur politique agricole avec la même ambition que celle que nous avons montrée en 2003.

Les pays industrialisés doivent aussi accepter de résoudre certaines questions spécifiques qui revêtent une importance particulière pour les pays en développement, comme le coton, l'accès aux médicaments, l'extension de l'initiative « Tout sauf les armes ».

De leur côté, les pays émergents doivent accepter un traitement différencié des pays en développement.

Les pays émergents doivent accepter d'ouvrir leurs marchés aux produits et services européens de manière progressive mais significative.

Le rôle moteur et l'influence de l'Europe garantiront que les négociations vont dans le sens d'un accord équilibré et ambitieux, dans l'esprit de Doha et de nos valeurs, accord permettant de promouvoir la libéralisation des marchés, d'encadrer la mondialisation au moyen de règles équitables et loyales et de veiller à l'intégration des pays en développement dans le commerce mondial.

-La discussion est close.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de résolution.