3-1501/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

23 DÉCEMBRE 2005


Proposition de loi modifiant la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, visant à mieux encadrer les ouvertures de crédit afin de lutter efficacement contre le surendettement

(Déposée par Mmes Olga Zrihen et Joëlle Kapompolé)


DÉVELOPPEMENTS


Le crédit à la consommation favorise le développement de secteurs économiques comme l'habitat, l'automobile, les biens d'équipements ménagers, les produits informatiques grand public et certains services. Il contribue de la sorte à relever le niveau de la demande, avec les effets favorables qui l'accompagnent, pour la collectivité dans son ensemble.

Le développement du crédit à la consommation remplit un rôle social et économique, mais poussé à l'excès dans son développement, il ne contribue pas moins à générer un phénomène de surendettement qui, à son tour, est source d'exclusion sociale.

Comme le rappelait Bernard Bayot et Nadine Fraselle dans leur contribution sur « Le marché du crédit à la consommation » (Courrier hebdomadaire du CRISP 2004/nº 1848), les pouvoirs publics doivent, compte tenu de ce poids socio-économique, accorder une attention toute particulière aux attentes mais également aux insatisfactions des consommateurs.

Depuis le début des années nonante, le législateur a pris conscience de cette situation. Il a tenté d'apporter des réponses par des couches successives d'intervention, au travers notamment de la réglementation du crédit à la consommation dont la loi du 12 juin 1991 constitue la pierre angulaire.

Pour les ménages à revenus modestes qui ne disposent pas de liquidités suffisantes, le crédit permet d'anticiper un revenu qui n'a pas encore été perçu pour un acte de consommation envisagé.

Les différentes formes de crédit permettent au consommateur d'étaler ses dépenses dans le temps et d'acquérir des biens et des services qui peuvent lui être essentiels. Ceci tout en lui laissant un accès à la dignité et au bien-être.

Mais si ces crédits permettent d'anticiper un revenu et de donner ainsi un accès immédiat à des biens et services essentiels aux ménages à revenus modestes, ils ne constituent en aucun cas une réponse structurelle à la précarité puisqu'ils ne sont pas générateurs de richesses, sauf peut-être pour ceux qui les octroient.

Le recours au crédit peut s'expliquer de différentes façons: la réalisation d'un projet concret, l'amélioration de son cadre de vie, la nécessité de faire face à un événement imprévu ou encore la constitution d'une réserve d'argent disponible.

Parmi les différents types de crédits à la consommation proposés actuellement aux particuliers, une forme de crédit retient plus particulièrement l'attention des acteurs sociaux. Il s'agit de l'« ouverture de crédit », appelée également « crédit révolving », « crédit renouvelable », « crédit permanent » ou « réserve d'argent ».

À la base, l'ouverture de crédit est une création de la pratique bancaire dont l'usage à l'égard des consommateurs s'est progressivement étendu à mesure du développement du crédit à la consommation.

L'ouverture de crédit dans sa forme particulière de crédit à la consommation consiste à mettre à la disposition d'un emprunteur, de manière permanente, une somme d'argent appelée « réserve » dans le but de financer les achats de son choix.

Cette réserve disponible de façon permanente est utilisable à tout moment. Elle est reconstituée selon une fréquence de remboursement (généralement mensuelle) déterminée de commun accord par les deux parties.

Généralement, il s'agit des grands magasins ou des organismes de vente par correspondance, via un établissement de crédit, qui mettent à la disposition du consommateur cette réserve. Réserve qui pourra ensuite être utilisée en totalité ou partiellement, à la libre discrétion de l'emprunteur et dans la limite du plafond de ladite réserve.

Le renouvellement de ce crédit « permanent » s'opère au fur et à mesure des remboursements de l'emprunteur, dans la limite du montant autorisé par l'organisme et à concurrence de la partie remboursée.

Cette formule de crédit est généralement assortie d'une carte de paiement, de légitimation ou accréditive utilisable dans le réseau des commerces affiliés qui acceptent cette carte. Ces divers types de cartes permettent principalement de bénéficier de réduction en cas d'achat mais sont, dans la plupart des cas, considérées comme de réelles cartes de crédit.

Selon Test-Achats (Budget et Droits, juillet/août 2003 — nº 169), quatre éléments caractéristiques permettent de dissocier l'ouverture de crédit des autres formes de crédits à la consommation.

Premièrement, l'ouverture de crédit est généralement octroyée pour une durée indéterminée et non pour une période fixe.

Deuxièmement, elle ne concerne pas un montant déterminé à l'avance, mais se présente sous forme d'une ligne de crédit, c'est-à-dire une réserve financière dans laquelle le consommateur peut puiser librement, sans toutefois pouvoir dépasser le plafond déterminé par le prêteur.

Troisièmement, une fois la ligne de crédit entamée, le moment et le montant du remboursement restent à l'appréciation du consommateur. Toutefois, la grande majorité des prêteurs imposent un remboursement mensuel du crédit.

Quatrièmement, le consommateur peut immédiatement réutiliser les sommes remboursées, sans qu'un nouveau contrat de crédit ne soit conclu. En d'autres termes, la réserve financière proposée lors d'une ouverture de crédit est reconstituable au fur et à mesure des remboursements, le contrat étant signé une fois pour toute et pouvant « resservir ».

Bien que l'ouverture de crédit présente l'avantage de la souplesse par la faculté qu'elle offre au consommateur d'en user selon ses besoins, elle est généralement coûteuse et peut constituer une incitation dangereuse à la surconsommation, allant même jusqu'à nécessiter de la part de l'emprunteur une gestion active et régulière de son budget.

Cette forme de crédit à la consommation a d'ailleurs suscité diverses critiques de la part notamment d'associations de consommateurs et d'associations actives dans la lutte contre le surendettement qui ont mis en cause son rôle dans le surendettement des ménages.

Nous citerons les « équipes populaires » qui, avec le soutien du Centre de Recherche et d'Information des Organisations de Consommateurs (CRIOC), ont mené une 1ère campagne sur le surendettement en novembre 2004 et la seconde sera menée ce mois de novembre 2005. De manière non-exhaustive, d'autres ASBL tels que L'Observatoire du Crédit et de l'Endettement et le GREPA ont également dénoncé ces dangers.

Bien qu'il s'agisse de la formule la plus souple du marché du crédit à la consommation, on constate que les taux d'intérêts y sont souvent très élevés et qu'ils varient souvent en fonction du montant de la réserve, de la somme utilisée et de la vitesse de remboursement.

Dès qu'un règlement ou un retrait est effectué, le crédit est ouvert, à moins d'être remboursé immédiatement ou en fin de mois. Dans le cas contraire, des mensualités de remboursement légères permettent une reconstitution automatique de la réserve, laquelle est toujours réutilisable.

Contrairement aux prêts amortissables classiques, le taux n'est pas garanti à la souscription. Rien dans ce type de contrat ne garantit que le taux annoncé sera celui appliqué le jour de l'utilisation effective de l'argent, surtout si celle-ci a lieu quelques mois plus tard.

Dans une ouverture de crédit, le consommateur n'est pas tenu de prélever le montant du crédit et le prêteur ne peut le lui imposer. C'est précisément pour cette raison que ce contrat ne comporte pas l'indication du coût total du crédit, puisque ce coût est par définition fonction de l'utilisation qu'en fera le consommateur.

Ce décalage est renforcé par le fait que bien souvent, le plafond peu important des sommes octroyées au départ est relevé sans forcément que le client ne s'en aperçoive. Celui-ci a dès lors l'impression de pouvoir utiliser sa réserve indéfiniment. Or, mécaniquement, comme les mensualités de remboursement augmentent, la durée et donc le taux du prêt augmentent également ...

Mis à part le montant minimum que le consommateur est obligé de rembourser tous les mois (montant souvent trop faible), ce dernier est libre de déterminer le montant et le moment du remboursement. S'il s'en tient à des montants peu élevés, il remboursera essentiellement des intérêts, laissant la dette de son capital quasiment intacte.

Les sommes remboursées peuvent être réempruntées sans la moindre formalité; on comprend donc que le consommateur aura facilement tendance à s'endetter de manière permanente. La conjonction de ces facteurs mène bien souvent le consommateur au surendettement.

De plus, ce type de crédit permettant au consommateur d'accumuler un potentiel non négligeable de crédit utilisable en cas de besoin, oblige ce dernier à revenir là où il a contracté son crédit, une manière finalement de le fidéliser malgré lui.

On constate d'ailleurs que c'est souvent l'existence d'une ouverture de crédit auprès d'un grand magasin ou d'un organisme de vente par correspondance qui fait basculer le débiteur dans une situation de surendettement aggravé. Ceci est renforcé par le fait que les habitudes de consommation des ménages les plus modestes passent par les canaux qui utilisent massivement les ouvertures de crédit.

La Banque Nationale de Belgique (BNB) l'a également constaté dans une brochure annuelle particulière donnant un aperçu du nombre et de l'évolution des contrats de crédit à la consommation. Selon ce rapport, l'importance du marché des ouvertures de crédit n'a cessé de croître. Mais les défaillances de paiement pour ce type de crédit sont-elles aussi devenues de plus en plus nombreuses.

Pour la BNB, les ouvertures de crédit sont devenues la forme de crédit la plus populaire. Elles représentaient déjà plus de 50 % des contrats de crédit à la consommation il y a 10 ans. Entre 1994 et 2004, elles sont ainsi passées de 2,1 millions à plus de 3 millions de contrats, chiffre qui équivaut à 63 % du total des contrats de crédits à la consommation. Rien que pour l'année 2004, elles enregistrent la progression absolue la plus importante avec 200 932 nouveaux contrats.

Bien que l'on constate une baisse conjointe du nombre de personnes enregistrées auprès de la centrale des crédits aux particuliers pour défaut de paiement et du nombre de contrats défaillants non régularisés, la répartition de cette baisse ne s'est pas faite de manière égale au sein des différentes formes de crédit.

On constate qu'en nombre de contrats défaillants, seuls les défauts de paiement sur ouvertures de crédit ont augmenté par rapport à 2003 (+ 5,6 %), alors que ce nombre est constant ou diminue légèrement pour toutes les autres formes de crédit aux particuliers. Pour ce qui est des ouvertures de crédit, les défaillances de paiement ont triplé en 10 ans passant de 67 000 en 1994 à 210 000 en 2004.

En montants d'arriérés, seuls ceux relatifs à deux formes de crédit non affecté augmentent par rapport à fin 2003. Ces montants s'élèvent à 891,2 millions d'euros (+ 1,1 %) pour les prêts à tempérament et à 281,8 millions d'euros (+ 2,8 %) pour les ouvertures de crédit, alors que, tous crédits confondus, le montant total des arriérés de paiement enregistrés baisse d'environ 1,8 % d'une année à l'autre, et s'élève à 1,94 milliards d'euros.

Ces dernières années, de nombreuses mesures ont été prises pour lutter contre le surendettement, mais celles-ci s'attachent essentiellement à un traitement curatif du phénomène; la présente proposition de loi envisage une approche préventive pour limiter efficacement les causes d'exclusion sociale liées à ce type de produit.

L'objectif de la présente proposition de loi est de mieux encadrer les ouvertures de crédit en établissant des modalités de reconduction des contrats portant sur ce type de crédit, afin de prévenir plus efficacement les risques de surendettement.

Actuellement, le législateur n'organise que les modalités de résiliation des contrats conclus pour une durée indéterminée. L'article 53, § 3, de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation prévoit que, pour les ouvertures de crédit consenties pour une durée indéterminée, le contrat doit indiquer la faculté pour chacune des deux parties de résilier le contrat par voie recommandée et cela moyennant un préavis de trois mois.

En dehors de ce cas de figure, aucune disposition particulière n'existe pour renforcer l'information de l'emprunteur et formaliser les modalités de reconduction des contrats portant sur ce type de crédit.

Or, on constate que les ouvertures de crédit participent du phénomène de glissement des crédits affectés vers les crédits non affectés. En effet, dès lors que ces contrats sont généralement conclus pour une durée indéterminée, ils revêtent un caractère structurel dans les finances de l'emprunteur au lieu d'être liées à l'acquisition d'un bien ou d'un service précis et d'offrir un délai au terme duquel la dette est apurée.

Contrairement aux autres types de crédits à la consommation, les remboursements effectués sont directement reversés dans la réserve. L'utilisation de cette réserve crée alors un cercle vicieux sans fin.

On constate également que lorsqu'un crédit n'est pas accordé à bon escient et qu'il entraîne l'emprunteur dans la spirale du surendettement, les conséquences de ce crédit seront d'autant plus dramatiques que le patrimoine et les revenus de l'emprunteur sont faibles.

On observe par ailleurs que ce n'est pas seulement parce que les gens se sont endettés qu'ils sont dans une situation difficile, mais au contraire, que l'endettement à court terme apparaît comme une réponse à une situation financière précaire et préexistante.

Cette forme de crédit à durée indéterminée avancée pour couvrir des dépenses de consommation courante altère finalement la fonction de consommation et entraîne les patrimoines les plus fragiles dans la spirale du surendettement.

Le constat est évident. Il existe en matière de crédit à la consommation des besoins qui ne sont pas adéquatement satisfaits, en particulier dans le chef des ménages à revenus modestes. L'insatisfaction qui résulte d'un crédit inapproprié à la situation sociale de l'emprunteur conduit souvent à des conséquences importantes et dommageables en terme de surcoût et de risque de défaillance.

L'objet de la présente proposition de loi est de soumettre la reconduction du contrat à un acte positif de l'emprunteur afin que ce dernier puisse continuer à en disposer en toute connaissance de cause. L'emprunteur doit pouvoir prendre la pleine mesure de l'adéquation entre des besoins qu'il aura considérés comme essentiels et une formule de crédit qui y répond de manière appropriée.

La reconduction du contrat devra être expressément confirmée par le consommateur au moyen d'un document ad hoc, adressé par le prêteur à l'échéance d'un terme d'une année renouvelable et devant lui être retourné daté et signé par le consommateur au moins vingt jours avant la date d'échéance annuelle du contrat. À défaut d'une telle réponse, le contrat sera résilié de plein droit à la date d'échéance annuelle.

La durée du contrat sera d'un an reconductible. Trois mois avant échéance, l'emprunteur sera informé des conditions de reconduction du contrat. À chaque date d'anniversaire, l'emprunteur aura la possibilité, s'il le souhaite, de transformer son contrat de crédit en un prêt classique pour le montant qui reste dû. Ledit contrat s'éteindra alors avec le remboursement de la dernière échéance.

À l'échéance indiquée, le prêteur devra demander par écrit si l'emprunteur désire reconduire ce crédit. Si l'emprunteur ne renvoie pas le document ad hoc signé et daté, au plus tard 20 jours avant la date d'échéance du contrat, celui-ci sera résilié de plein droit à cette date.

Le silence de l'emprunteur vaudra refus de reconduction du contrat; dès lors qu'il entend poursuivre le contrat, il devra l'exprimer par un acte exprès de volonté.

De plus, pour marquer cette modification il convient de modifier l'appellation de ce crédit. Les termes d'« ouverture de crédit », utilisés dans la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, seront désormais remplacés par les termes de « crédit renouvelable ».

Olga ZRIHEN
Joëlle KAPOMPOLÉ.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 58, § 3, de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation, modifié par la loi du 24 mars 2003, est remplacée par les dispositions suivantes:

« § 3. — Pour les crédits renouvelables consentis pour une durée indéterminée, la durée du contrat est limitée à un an renouvelable; le prêteur est tenu d'informer l'emprunteur, trois mois avant l'échéance, des conditions de reconduction du contrat, qu'il y ait modification ou non, par un document que l'emprunteur retournera daté et signé au prêteur au plus tard vingt jours avant la date d'échéance du contrat.

Le document reprend les mentions visées à l'article 59, § 1er, de la présente loi. Les frais de port de ce document ne peuvent être à charge du prêteur. Le silence de l'emprunteur emporte refus de la reconduction du contrat.

En cas de refus de la reconduction du contrat, l'emprunteur est tenu de rembourser aux conditions précédant les modifications proposées, le montant de la réserve d'argent déjà utilisé, sans pouvoir toutefois procéder à une nouvelle utilisation de l'ouverture de crédit. ».

Art. 3

À l'article 1er, 12º et 18º, à l'article 14, § 1er, alinéa 3, à l'article 21, § 2, à l'article 57, à l'article 59, à l'article 60 et à l'article 101, § 1, 4º, les mots « ouverture de crédit » sont chaque fois remplacés par les mots « crédit renouvelable ».

Art. 4

La présente loi entre en vigueur le premier jour du troisième mois qui suit celui au cours duquel elle aura été publiée au Moniteur belge.

23 novembre 2005.

Olga ZRIHEN
Joëlle KAPOMPOLÉ.